Lettres de Jules Laforgue/085

La bibliothèque libre.
Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 74-76).
◄  LXXXIV.
LXXXVI.  ►

LXXXV

À M. CHARLES HENRY

Berlin, jeudi [avril 1884).
Mon cher Henry,

Toujours malade donc ? N’auriez-vous pas sur la conscience des plaisanteries imprimées sur les marchands de flanelle ? Deux jours de soleil (qui arrive, il arrive !) en auront raison.

Merci pour tous les ennuis du volume (qui commence à me sembler niais et faux à distance, mais je m’en f…)[1]. Je viens d’écrire au Vanier qui doit être intelligent ayant publié le Paris moderne avec du Verlaine (d’après la crise). Je lui réponds manuscrit définitif. Je verserai les 200 francs en juillet prochain, etc., et je demande des détails sur le format, exemplaires à part (et qu’on m’envoie les épreuves à moi, c’est bien assez).

J’ai envoyé à la Gazette un article qui me tenait à cœur, mais qu’ils ne voudront peut-être pas publier.

Je traduis pour la Gazette une brochure d’ici sur la polychromie en plastique[2]. Je la ferai précéder de quelques lignes sur l’état de la question chez nous, avec Cros, entre autres citations.

Celui qui n’a pas voulu de la petite cire n’a fait ainsi que parce qu’il voulait la mienne. C’est un tort, mais il n’a rien de cuistre, au contraire. Il est très artiste, et il aura à tout prix une cire de Cros.

J’attends, n’est-ce pas, les détails sur la tête de cire.

Cros recevra vers mai la visite de deux types qui ont bien admiré ses deux cires, — le plus habile peintre de l’Allemagne, Skarbina[3] (croate, hongrois et non allemand) — et son inséparable le Dr Dumond, dentiste de l’Impératrice, adorable bruxellois, artiste collectionneur, bon comme un belge, qui a des souvenirs (entre autres d’avoir connu Poe à Washington et l’avoir ramassé sur les trottoirs des tavernes) et qui lui achètera quelque chose. Mon cher, prêchez Cros. Cros gagnerait des sommes et des sommes sans déroger s’il se mettait à regarder les rues modernes et à faire des cires, des cires, des cires ! des grues, bustes ou en pied, des garçons de café, des pioupious, des bébés et des jockeys ! et des danseuses ! et du paysage bas-relief, des chiffonniers, des tas et des tas de jolies choses que j’entrevois et dont je n’ai jamais compris qu’il ne fût pas tenté. Allez ! qu’il s’y mette à la fin des fins ! je vous assure que je suis très fort en propagande. Je porte même à domicile. Je fais l’article. Et ici j’ai la foi. Prêchez-le (il faut croire peut-être que son esthétique de primitif répugne à ces sujets ?). Non sans doute.

Écrivez-moi donc un peu.

Votre
Jules Laforgue.

  1. Les Complaintes.
  2. La brochure Sollen wir unsere Statuen bemalen ? du docteur Treu dont il est question dans la lettre LXXXVII à Charles Ephrussi. Rien de tel ne parut dans la Gazette des Beaux-Arts, ni dans la Chronique des Arts et de la Curiosité.
  3. M. Franz Skarbina a fait à Berlin deux portraits de Laforgue, une aquarelle inédite (buste), et, étude pour un de ses tableaux, un crayon, très documentaire sur le port de tête et de parapluie de Jules Laforgue, qui a été inséré, réduit, dans le texte de la biographie de Laforgue par M. Gustave Kahn (Hommes d’aujourd’hui, no 298).