Lettres de Jules Laforgue/086

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Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 77-79).
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LXXXVI

À MAX KLINGER

Baden-Baden, Maison Messner
jeudi [juin 1884.]
Cher Monsieur Klinger,

Comment allez-vous ? que faites-vous ? Comment se porte monsieur votre génie ? Sans doute toujours très malade, ce qui est au mieux.

Je vous écris non pas pour vous faire des compliments, mais pour vous prier de m’envoyer, car j’en aurai besoin pour un travail (mais si vous ne vous en servez pas !), mes photographies de Paris. En attendant, pardon de l’ennui que vous donnera cet envoi.

La Gazette des Beaux-Arts publiera de moi un article (humble) sur l’Exposition Menzel[1]. Je n’ai pas manqué de citer en note votre eau-forte allégorique.

Je suis ici depuis un mois.

Mais avant de quitter Berlin, par un jour pluvieux qui donnait toute sa lamentable poésie à cette gare et ces voies ferrées de petits villages autour d’une capitale, j’ai été avec M. Bernstein voir vos peintures à Steglitz.

Bravo ! les changements de décor des portes, trumeaux, linteaux, corniches et cheminées (les gens qui verront ça !) Selig sind die Glaubigen, die nach der Farbe hungert und dürstet, ils seront rassasiés.

Je me suis permis d’en jouir. Le nouveau ? Tout le travail de petits tons minutieux pour nourrir les reflets de l’eau, ou le terrain à herbes au soleil.

J’avais peur que, comme il s’agissait de peintures murales, vous n’eussiez fait des teintes plates comme les autres. Vous avez fait des tableaux travaillés sans souci de l’architecture. J’aime beaucoup le tout. Quand j’accepte ainsi un tempérament d’enthousiasme, c’est que ce tempérament est uniquement original et quand quelqu’un est original (il y en a si peu) il faut l’accepter en bloc, sans réserves. Je préfère même vos nus de femmes à tous les meilleurs nus d’école. Que de détails à vous dire ! mais je serai à Paris dans deux mois.

Je m’arrête, au revoir.

Votre
Jules Laforgue.

  1. Il parut dans le numéro de juillet 1884 de la Gazette des Beaux-Arts, sous ce titre : Correspondance de Berlin. Exposition de M. Ad. Menzel à la National Galerie.