Lettres de Jules Laforgue/098

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Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 108-109).
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XCVIII

À M. CHARLES HENRY

Jeudi [janvier 1885].
Mon cher ami,

Merci pour les Poètes maudits.

Fait-il beau à Paris ? Ici j’ai dans les yeux en ce moment les Linden dans un joli brin de soleil d’hiver. Je songe à la place de Médicis par ce temps-là et je me sens rudement exilé.

Je ne fais rien depuis le 1er décembre, c’est-à-dire mon arrivée ici. J’ai le cœur vide de tout le vide de la province, et alors, comme tu sais, c’est la question féminine qui s’installe, plus insoluble que la question d’Orient. Je ne puis la résoudre ici et en à compte sur l’infini que par deux ou trois contemplations platoniques, et de hasardeux dérivatifs physiologiques. Tout cela pour dire que je m’embête inexprimablement. Je ne lis rien, je fume des pipes. J’entends du piano. (Kahn connaît-il les sonates du vieux, c’est-à-dire de Beethoven ?) Je me couche à 3 heures.

Mais je ne te dis pas tout cela d’une façon assez intéressante.

Et toi ? Quels papiers ? Quels rêves ? Quels Vincis préhistoriques ? À quand les lignes et le roman ?

Cros, à qui j’ai écrit pour l’Exposition d’ici, ne me donne pas signe de vie. Dis-lui, si tu le vois, qu’il s’agit presque de faire honneur à des engagements et qu’il a tout avantage de donner un coup de collier à cette occasion.

Dis-moi aussi, entre nom, ce que fait Kahn, où en sont ses vers, sa prose et son indépendance.

Après le Maître de forges d’Ohnet
Hoé !
Après Théodora
Holà !

Et le jeune Eliacin Marsolleau ?

Au revoir. À quand ?

Jules Laforgue.