Lettres de Jules Laforgue/121

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Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 160-161).
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CXXI

À M. FÉLIX FÉNÉON

Arlon, mardi
[21 septembre 1886].
Mon cher Fénéon,

Est-ce que l’on parle toujours de la crise à Paris ? j’espère bien passer au travers. En attendant, je vais être obligé d’emprunter le logement de Kahn pour ma première semaine, lui étant recueilli par l’armée. Je suis content que ma petite amie « Andromède » vous ait charmé : elle est plus moderne que l’antique, et je me félicite de lui avoir fait un sort.

Le pianiste Ysaye a fait votre connaissance à la même occasion que moi chez Henry. Il vous envoie ses salutations et l’on se reverra sans doute à Paris où il rentre avec moi. C’est l’aîné qui se marie et va habiter Bruxelles.

Je suppose que vous ne connaissez pas Arlon. Nous demeurons hors de la ville, à deux pas de la frontière du Luxembourg. Nous rentrions la semaine dernière par des clairs de lune magnifiques, nous avons vu faucher à 1 h. du matin sur fond de ciel vaguement étoile.

On voit ici, le dimanche, des pantalons rouges de Longwy qui ont passé la frontière. Je suis monté pour la première fois dans ma triste existence sur les petits chevaux de bois, et j’ai fait des prouesses à un tir.

À part cela, je fais des besognes concernant Berlin, et je songe aux tuiles qui vont bien pouvoir tomber sur ma tête à Paris.

Au revoir, mon cher Fénéon, au masque connu, et poignée de main.

Votre
Jules Laforgue.