Lettres de Jules Laforgue/123

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Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 165-167).
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CXXIII

À M. CHARLES HENRY

Paris, lundi [4 octobre 1886].
Mon cher ami,

J’ai quitté Arlon le 30, j’ai passé la nuit à Verviers, de Verviers à Bruxelles où passé un jour, puis à Calais et de Calais rentré à Paris dans la nuit de samedi. Passé le dimanche seul (je loge chez Kahn).

Je n’ai vu Kahn que dans la nuit.

Il n’a pu me dire que des choses vagues, autant dire rien, sur cette vacance au Musée de Versailles. C’est toi, paraît-il, qui lui en as parlé, et tu as vu cela dans le Temps.

J’allais t’écrire à Colmar, mais j’ai eu le bon esprit d’aller quai d’Anjou, où l’on m’a donné ta véritable adresse — où je t’écris.

Peux-tu m’envoyer un mot, me dire où tu as vu quelque chose sur cette place (si tu peux m’indiquer le numéro du Temps), sur quel papier timbré écrire, à qui adresser, que dire, et jusqu’à quand on a pour cette demande.

Je crois pouvoir me faire fort du reste. Mon principal titre, depuis cinq ans à la Gazette, ira bien ; j’ai, dans le numéro du 1er octobre, un article[1] pour lequel le Gonse m’a écrit des remerciements.

Mais, tu comprends, au lieu d’aller dire à Ephrussi, etc. : il y a une place vacante à Versailles, proposez-moi, j’aime mieux poser, comme sans doute beaucoup d’autres, simplement ma candidature, et puis mettre en œuvre les influences nécessaires quand on me demandera mes titres et qu’on ira aux renseignements.

J’ai donné ma démission à l’Imp., il y a deux semaines. De ce côté-là, c’est fini.

Paris et l’avenir à Paris (comme toute la vie d’ailleurs) m’ont apparu bien changés. J’ai, depuis le 10 septembre, une énorme et fatale influence dans ma vie. Ça devait arriver, étant donné Moi et mes droits à l’existence selon Moi. Je me sens non seulement fécondé, mais comblé, vraiment, entre nous. Je ne suis plus une ganache pusillanime. Je me sens heureux et pour longtemps (pour ne pas dire à jamais). Mais assez parlé de moi, en attendant, ô homme savant et très distingué, que je t’en parle de vive voix.

Et toi ? ta vie, c’est-à-dire tes travaux ? Nous avons eu si peu l’occasion de causer de vie en juin et juillet derniers.

Ta concierge m’a dit que tu revenais le 8. J’irai te voir au plus tôt.

J’ai des affaires avec l’Illustration[2]. Mon livre sur Berlin avance et me promet.

Ton vieil ami distingué.

Laforgue.

  1. Exposition du centenaire de l’Académie royale des Beaux-Arts de Berlin (Gazette des Beaux-Arts, 1er octobre 1886).
  2. La mort de l’empereur d’Allemagne était alors tenue pour imminente. L’Illustration eût incontinent publié sur la Cour de Berlin un numéro rédigé par Laforgue. Ce sont les éléments de ce numéro qui forment une partie du livre Berlin, la cour et la ville, et qui parurent dans le supplément littéraire du Figaro (29 janvier, 12 février, 12 mars et 17 septembre 1887).