Lettres de Jules Laforgue/145

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Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 199-201).
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CXLV

À TEODOR DE WYZEWA

Vendredi [15 juillet 1887].
Mon cher ami,

Vraiment, vous m’avez donné le droit de vous adresser de pareilles lettres. C’est sur votre recommandation que de Malherbe m’a dit à la remise de mon manuscrit : « Le livre ne paraîtra qu’en octobre, mais matériellement pour vous ce sera comme s’il paraissait aujourd’hui. Là-dessus il m’a renvoyé à lundi ; le lundi, il était content, mais il fallait voir M. May et il m’a renvoyé à mercredi : mercredi, je reçois une lettre me renvoyant à aujourd’hui (une lettre) et aujourd’hui je n’ai rien reçu. Et aujourd’hui me tombe sur la tête tout ce qui vous tombe sur la tête un quinze de trimestre.

Voici ce que je voulais vous dire. Il est impossible de désespérer de mon livre chez Quantin après les promesses de Malherbe, j’aurai de l’argent de ce côté-là. Or vous avez en Rzewuski une relation facile à la détente ; eh bien ! ce n’est pas un emprunt falot que je voudrais faire auprès de lui, mais un emprunt qui serait effacé dès que j’aurais touché chez de Malherbe, ou, en cas de malheur, j’essaierai chez Lemerre. Ce serait 350 à peu près dont j’aurais besoin.

J’ai attendu jusqu’à aujourd’hui pour vous remercier (répondre à) votre longue lettre de l’autre soir, longue, et comme toutes nos rencontres serviable.

Comment est-il possible que vous donniez huit heures de leçons par jour ? Je me rappelle encore ce soir d’automne où nous vous avons accompagné jusqu’à Passy, avec Kahn. J’espère que si une de vos leçons vous amenait par ici vous monteriez chaque fois vous reposer (nous n’avons plus de lait l’après-midi, mais toujours du fruit).

Avouez un peu que l’article pour Rzewuski est une petite comédie arrangée ; si vraiment c’est vrai je m’en acquitterai, comme de toute autre besogne, consciencieusement.

Quant à la campagne… Perreau est venu et nous a ébloui ; mais, hélas, il faut compter sur si peu. Moi qui espérais toucher aujourd’hui chez de Malherbe deux éditions.

Vous viendrez naturellement avant de partir pour la Hongrie. Bourget aussi part pour la campagne dans quelques jours.

Avez-vous vu que le tout jeune homme de la République française que je connais[1] a été décoré ? Il a de la santé, il a guéri son estomac avec six cures de Vichy.

Au revoir, mon véritable et rare ami. Il y a des mois que songeant, impotent, ce que je pouvais faire pour vous et je n’ai encore trouvé que cette chose falote que je n’ai jamais depuis le temps pensé à vous dire : vous dédier mes « nouvelles » que Dujardin éditerait.

Votre
Jules Laforgue.

  1. Théophile Delcassé.