Littérature orale de la Haute-Bretagne/Première partie/II/IX

La bibliothèque libre.
◄   II - 8 II - 9 II - 10   ►

IX.

Les Trois dons.

Il y avait une fois un petit gars qui perdit sa mère, et son père se maria en secondes noces.

Mais sa belle-mère ne lui valait rien : elle ne lui donnait pour se nourrir que de vieilles croûtes de pain moisi, et quand il allait aux champs, il les mettait à tremper dans la fontaine avant de les manger.

Un jour qu’il était accroupi près de l’eau, un pauvre passa par là et lui dit :

— Que fais-tu, mon petit gars ?

— Je suis à tremper dans la fontaine les croûtes de pain moisi que ma belle-mère m’a données, car c’est tout ce que j’ai pour me nourrir.

— Donne-m’en une ou deux, petit gars.

L’enfant lui offrit quelques-unes de ses croûtes de pain ; le mendiant les mangea, puis il lui dit :

— Tu viens de faire une bonne action, et pour ta récompense, tu as trois choses à souhaiter. Que veux-tu ?

Le petit garçon se gratta la tête, puis il dit :

— Chaque fois que je regarderai ma belle-mère, elle se mettra à péter et à foirer jusque sur ses chausses.

Le chercheur de pain ne répondit rien, et le petit gars continua :

— Je voudrais un petit pistolet pour tirer sur les oiseaux, et je désirerais que tous ceux qui me verront tirer soient forcés de courir après la balle.

Le mendiant tira de sa poche un petit pistolet et le donna à l’enfant en disant :

— Et quel est ton troisième souhait ?

— C’est d’avoir une clarinette, et quand j’en jouerai tous ceux qui me verront ou m’entendront seront forcés de danser.

Le mendiant lui donna une clarinette, et il disparut.

Le petit gars retourna à la maison ; sa belle-mère était à l’étable en train de rattacher ses vaches ; il alla la voir et dès qu’il l’eut regardée, elle se mit à péter et embrena toutes ses chausses, ou si vous aimez mieux ses bas, et chaque fois que le petit gars la regardait, pareille chose lui arrivait.

Le lendemain, elle était invitée à des noces, et elle dit à son mari d’enfermer son fils dans un appentis auprès de la maison, car elle avait peur qu’il ne lui causât encore quelque accident.Vers midi, le père du petit gars lui ouvrit la porte et lui dit :

— Va voir ce que fait ta belle-mère.

Celle-ci était à table, assise entre deux beaux messieurs ; le petit gars alla à une fenêtre et regarda sa belle-mère, qui aussitôt se mit à péter et à embrener ses chausses, si bien que tout le monde se bouchait le nez. Et les messieurs ordonnèrent à leurs domestiques de jeter dehors cette bonne femme malpropre.

Le petit gars s’en retourna bien vite dans l’appentis, et quand sa belle-mère revint à la maison, elle alla voir s’il était là, et le trouva enfermé comme s’il n’était jamais sorti.

— Bien sûr, se dit-elle, il y a là-dessous quelque magie.

Le lendemain, dès le matin, elle fut à confesse et raconta au recteur ce qui lui était arrivé.

— J’irai le voir, dit le prêtre, et je lui ferai avouer le sortilège qu’il emploie.

Il vint dans le champ où était la fontaine et vit le petit gars qui trempait dans l’eau ses croûtes de pain.

— Que fais-tu là ? lui dit-il.

— Je mets à tremper les croûtes de pain moisi que ma belle-mère me donne.

— On prétend que tu as de la magie.

— Ah ! non, monsieur le recteur.

— Si tu veux me dire la vérité, je te donnerai une belle image dimanche prochain.

— Non, je ne tiens pas à l’image, répondit le petit garçon ; mais si vous voulez vous mettre tout nu, je vous conterai tout.

Le prêtre ôta sa soutane et ses culottes, et resta en caleçon et en chemise ; mais le petit gars dit qu’il fallait qu’il fût tout nu, et le prêtre, voyant que personne n’était là, se dépouilla des vêtements qui lui restaient.

Alors le petit gars tira un coup de pistolet dans un buisson de ronces ; aussitôt le recteur courut après la balle, et quand il fut rendu au milieu du buisson, le petit gars se mit à jouer de la clarinette, et le recteur dansait malgré lui, accrochant sa peau nue aux piquants des ronces, et, tout en tournant, il criait :

— Tu as de la magie ! tu as de la magie ! Je te ferai prendre ! je te ferai prendre !

À la fin, le petit gars se lassa de jouer, et le recteur, éraflé et tout sanglant, put reprendre ses habits et s’en retourner. Il alla raconter à la justice le tour pendable qui lui avait été joué ; les gendarmes amenèrent le petit gars devant les juges, et il fut condamné à mort. Quand on fut sur le point de le mener au supplice, le juge lui demanda s’il désirait quelque chose.

— Oui, dit-il, je voudrais aller me promenersur le bord de l’étang, tirer un coup de pistolet et jouer un air de clarinette.

Cette demande lui fut accordée ; mais le prêtre criait :

— C’est de la magie ! liez-moi ! liez-moi !

Les gens disaient :

— Le pauvre recteur est fou !

Et on finit par l’attacher.

Tous ceux qui étaient présents à l’audience allèrent sur le bord de l’étang avec le petit gars qui était entre deux gendarmes. Dès qu’il y fut arrivé, il tira un coup de pistolet, et aussitôt tout le monde se précipita, pour chercher la balle, au milieu de l’étang. Quand ils y furent, le petit garçon joua un air de clarinette, et ceux qui étaient dans l’eau se mirent à danser ; mais ils finirent tout de même par se noyer.

Le petit gars alla ensuite délier le prêtre, et ils s’en retournèrent gaîment tous deux.

(Conté en décembre 1879 par Françoise Dumont, d’Ercé près Liffré.)


Les Trois dons ressemblent en beaucoup de points à un récit portant le même titre (Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° VII) que j’ai recueilli dans le même pays. Dans ce conte le pauvre est remplacé par une fée, le pistolet par une arbalète et la clarinette par une petite musique en chaume vert. La belle-mère pète toutes les fois que son beau-fils éternue, et la plus disgracieuse de ses aventures lui arrive à l’église.

Le prêtre n’est point contraint de se mettre nu ; c’est sa soutane seule qui est déchirée, et le dénoûment est moins tragique. Conduit devant le juge de paix, le petit garçon fait danser tout le monde et ne s’arrête que lorsqu’on lui a accordé sa grâce.

L’instrument de musique, qui force à danser ceux qui l’entendent, se retrouve dans la Flûte du berger Meyot, de Cénac-Moncaut ; le Petit Bossu, de Cosquin ; le Violon merveilleux, de Carnoy ; les Trois souhaits, de Luzel, cinquième rapport ; dans l’Air merveilleux, conte irlandais de Crooker, abrégé par M. L. Brueyre qui, à la suite, p. 166, cite un assez grand nombre de contes analogues ; et l’épisode de la musique jouée sur l’échafaud est aussi dans Cénac-Moncaut, mais le dénoûment a lieu à la satisfaction générale, comme dans le conte si connu de Grimm, le Juif dans les épines.

L’arc qui atteint son but a son similaire dans le Poirier aux poires d’or, le Corps sans âme, les Trois souhaits, contes bretons de Luzel ; dans le Petit Bossu, de Cosquin (flèche qui perce tout ce qu’on veut) ; Peronik l’idiot, de Souvestre (boule de fer qui, après avoir frappé, revient d’elle-même à son maître).

Voir, pour les contes étrangers où cet épisode se trouve, Brueyre, Contes populaires de la Grande-Bretagne, p. 27, et R. Kœlher, Zeitschrift für Romanische Philologie, t. III, p. 312.