Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 47

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Chappitre XLVIIe
D’un evesque qui prescha sur les cointises


Je vous diray comment un saint homme evesque prescha nagaires, qui à merveilles estoit grant clerc, et estoit en un sermon où avoit grant foyson de dames et de damoyselles, dont il y en avoit d’attournées à la nouvelle guise qui couroit, et estoient bien branchues et avoient grans cornes. Dont le saint homme commença à les reprendre et à leur baillier moult de exemples, comment le deluge ou temps de Noë fut pour l’orgueil et desguiseures des hommes, et espécialement des femmes, qui se contrefaisoient de atours et de robbes. Dont l’ennemy vit leur orgueil et leurs desguiseures, et les fist cheoir en l’ordure du vil pechié de luxure, et, pour ceulx pechiés, il en desplust tant à Dieu qu’il fist plouvoir XL jours et XL nuis sans cesser, tant que les yaues surmontèrent la terre de X coudées sur la plus haute montaigne, et lors tout le monde fut nayé et perillié. Et ne demeura que Noë et sa femme et troiz filz et troiz filles les, et tout advint par celui pechié. Et après, quant l’evesque leur eust monstré cet exemple et plusieurs autres, il dist que les femmes qui estoient ainsy cornues et branchues ressamblent les limas cornus et les licornes, et que elles faisoient les cornes aux hommes cours vestus, qui monstroient leurs culz et leurs brayes et ce qui leur boce devant, c’est leur vergoigne, et que ainsi se mocquoient et bourdoient l’un de l’autre, c’est le court vestu de la cornue. Et encore dist-il plus fort, que elles ressamblent les cerfs branchus qui baissent la teste au menu boys, et aussy, quant elles viennent à l’esglise, regardes les moy, si l’en leur donne de l’eaue benoyste, elles baisseront les testes et leurs branches. Je doute, dist l’evesque, que l’ennemy soit assis entre leurs branches et leurs cornes ; et pour ce les fait-il baisser les têtes et les cornes, car il n’a cure d l’eaue benoyste. Si vous dy qu’il leur dist moult merveilles et ne leur cela rien de leurs espingles ou de leurs atours, tant qu’il les fist mornes et pensives, et eurent sy grant honte qu’elles bessoient les testes en terre, et se tenoient pour moquées et pour nices. Et y en a de celles qui ont depuis laissées celles branches et celles cornes et se tiennent plus simplement aujourd’huy ; quar il disoit que telles cointises et telles contrefaictures et telles mignotises ressambloyent à l’iraingne qui fait les raiz pour prendre les mousches ; tout aussy fait l’ennemy par sa temptacion la desguiseure aux hommes et aux femmes, pour ennamourer les uns des autres et pour prendre les musars aux deliz des folz regars, et, par les mignotises des foles plaisances qu’ilz croyent et ceulx folz regars et folles plaisances, l’ennemy les tempte et point, et les prent et lie, comme fait l’yraingne qui prent les mousches en ses rais et en ses tentes. Car telles contrefaictures et desguiseures sont les raiz et les tentes de l’ennemy comme l’yraingne les mousches, si comme racompte un saint hermite en la vie des pères, à qui il fut demontré par l’ange, si comme vous pourriez trouver escript plus à plain. Après ce leur dist que le plus du blasme du pechié estoit en celles qui premièrement prennent telles desguiseures, et que les plus folles estoient les plus hardies, et que toute bonne dame et saige doit bien soy craindre de les entreprendre jusqu’à ce que toutes communément les ayent entreprinses et que l’on ne puisse plus fouir selon le monde. Car, selon Dieu, les premières seront plus blasmées, et mises ès haulx sièges les derrenières. L’evesque, qui prudomme estoit, dist un bon exemple, sur le fait de celles qui se hastoient de prendre les premières nouvelletez et cointises, et dist ainsy :