Lotus de la bonne loi/Chapitre 13

La bibliothèque libre.
Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 167-179).
◄  XII
XIV  ►


CHAPITRE XIII.

LA POSITION COMMODE.

Ensuite Mañdjuçrî Kumâra parla ainsi à Bhagavat : C’est une chose difficile, ô Bhagavat, c’est une chose extrêmement difficile que l’effort que ces Bôdhisattvas Mahâsattvas auront à faire à la fin des temps, dans la dernière période, par suite de leur respect pour Bhagavat ; comment ces Bôdhisattvas, ô Bhagavat, pourront-ils expliquer, à la fin des temps, dans la dernière période, cette exposition de la loi ? Cela dit, Bhagavat répondit ainsi à Mañdjuçrî Kumâra : C’est, ô Mañdjuçrî, à un Bôdhisattva Mahâsattva fermement établi dans les quatre lois, f. 148 b.qu’il appartient d’expliquer à la fin des temps, dans la dernière période, cette exposition de la loi. Et quelles sont ces quatre lois ? C’est, ô Mañdjuçrî, à un Bôdhisattva Mahâsattva, ferme dans ses pratiques et dans la sphère de son activité, qu’il appartient d’expliquer à la fin des temps, dans la dernière période, cette exposition de la loi. Et comment, ô Mañdjuçrî, un Bôdhisattva Mahâsattva est-il ferme dans ses pratiques et dans la sphère de son activité ? C’est, ô Mañdjuçrî, quand un Bôdhisattva Mahâsattva est patient et discipliné ; qu’il est arrivé au degré où l’on est discipliné, qu’il est soumis, que son cœur ne connaît ni la colère ni l’envie ; quand, enfin, ô Mañdjuçrî, il ne pratique aucune loi, quelle qu’elle soit, qu’il comprend ou qu’il contemple tel qu’il est le propre caractère des lois. Or l’action de ne pas rechercher, de ne pas méditer ces lois, c’est là, ô Mañdjuçrî, ce qui s’appelle les pratiques d’un Bôdhisattva Mahâsattva. Et quelle est, ô Mañdjuçrî, la sphère de l’activité d’un Bôdhisattva Mahâsattva ? C’est, ô Mañdjuçrî, quand un Bôdhisattva Mahâsattva ne recherche ni un roi, ni un fils de roi, ni le grand ministre d’un roi, ni les serviteurs d’un roi ; quand il ne leur rend ni devoirs ni hommages, et quand il ne va pas auprès d’eux ; quand il ne recherche pas les hommes d’une autre secte, les ascètes, les mendiants errants, ceux qui vivent d’aumônes, ceux qui vont nus, ceux dont l’esprit est exclusivement occupé de la lecture d’ouvrages poétiques, et quand il ne leur rend ni devoirs ni hommages ; f. 149 a.quand il ne recherche pas les Lôkâyatikas(149 a) qui lisent les Tantras de leur secte, qu’il ne les honore pas, qu’il n’entretient aucun commerce avec eux ; quand il ne va pas voir les Tchaṇḍâlas, les bateleurs, ceux qui vendent des porcs, ceux qui font commerce de poules, les chasseurs d’antilopes, ceux qui vendent de la viande, les acteurs et les danseurs, les musiciens et les lutteurs, et qu’il ne se rend pas dans les lieux où d’autres vont satisfaire leurs sens ; quand il n’entretient aucun commerce avec ces diverses espèces de gens, à moins que ce ne soit pour exposer, de temps à autre, la loi à ceux qui s’approchent de lui, et cela, sans même s’arrêter ; quand il ne recherche ni les Religieux ni les fidèles des deux sexes qui sont entrés dans le véhicule des Çrâvakas, qu’il ne leur rend ni devoirs ni hommages, qu’il n’entretient aucun commerce avec eux, qu’il n’a pas avec eux d’objets communs de conversation dans une promenade, ou dans un Vihâra, à moins que ce ne soit pour exposer, de temps à autre, la loi à ceux qui s’approchent de lui, et cela, sans même s’arrêter : c’est là, ô Mañdjuçrî, la sphère d’activité d’un Bôdhisattva Mahâsattva.

Encore autre chose, ô Mañdjuçrî ; un Bôdhisattva Mahâsattva ne va, par un motif quelconque d’attachement, enseigner constamment la loi à des femmes, et il ne désire pas sans cesse voir des femmes ; il ne recherche pas les familles ; il ne songe pas sans cesse à enseigner la loi à une fille, à une jeune femme, à une matrone, ni à causer de la joie à de telles personnes ; f. 149 b.il n’enseigne pas la loi à un hermaphrodite, il n’entretient aucun commerce avec lui, et ne cherche pas à lui causer de la joie. Il n’entre pas seul dans une maison pour y recevoir l’aumône, à moins qu’il n’y aille en rappelant à son esprit le souvenir du Tathâgata. S’il enseigne la loi à une femme, ce n’est pas par passion pour la loi même qu’il l’enseigne ; à plus forte raison ne doit-il pas l’enseigner par passion pour la femme elle-même. Il ne montre pas même une rangée de ses dents, à plus forte raison une vive émotion sur son visage ; il n’adresse la parole ni à un novice, ni à une novice, ni à un Religieux, ni à une Religieuse, ni à un jeune homme, ni à une jeune fille ; il n’entretient aucun commerce avec eux ; il ne recherche pas avec empressement le repos complet ; il ne se repose même pas ; enfin, il ne se livre pas continuellement au repos. C’est là ce qu’on appelle, ô Mañdjuçrî, la première sphère d’activité d’un Bôdhisattva Mahâsattva.

Encore autre chose, ô Mañdjuçrî : un Bôdhisattva Mahâsattva considère toutes les lois comme vides ; il les voit comme elles existent, privées de toute essence, établies directement, subsistant dans la perfection absolue, à l’abri de toute agitation, immobiles, ne revenant pas, ne devenant pas, subsistant constamment dans la perfection absolue, ayant la nature de l’espace, échappant à toute définition et à tout jugement, n’ayant pas été, composées et simples, agrégées et isolées, non existantes et non privées d’existence, inexprimables par le discours, établies sur le terrain du détachement, manifestées au dehors par de fausses conceptions. f. 150 a.C’est de cette manière, ô Mañdjuçrî, que le Bôdhisattva Mahâsattva considère constamment toutes les lois ; et quand il observe cette doctrine, il se tient ferme dans la sphère de son activité. C’est là, ô Mañdjuçrî, la seconde sphère de l’activité d’un Bôdhisattva Mahâsattva.

Ensuite Bhagavat, pour exposer ce sujet plus amplement, prononça dans cette occasion les stances suivantes :

1. Le Bôdhisattva qui, intrépide et inaccessible au découragement, désirerait exposer ce Sûtra pendant la redoutable époque de la fin des temps,

2. Doit observer ce qui regarde les pratiques et la sphère d’activité d’un Bôdhisattva ; il doit être pur et retiré dans le calme du silence ; il doit s’interdire constamment tout commerce avec les rois et les fils des rois.

3. Il ne doit pas avoir de rapports avec les serviteurs des rois, non plus qu’avec les Tchaṇḍâlas, les bateleurs, ceux qui vendent des liqueurs fermentées, et les Tîrthakas en général.

4. Qu’il évite les Religieux livrés à l’orgueil, et qu’il recherche ceux qui observent avec docilité les commandements de la loi ; et que, ne pensant qu’aux Arhats(150 a), il fuie les Religieux qui ont une mauvaise conduite.

5. Qu’il fuie toujours la Religieuse qui aime à rire et à causer, et les fidèles connus pour ne pas être fermes [dans le devoir](150 a 2).

6. Les fidèles de l’autre sexe qui cherchent le Nirvâṇa dans les conditions extérieures, doivent être évités par lui ; c’est là ce qu’on appelle la pratique [d’un Bôdhisattva].

7. Si quelqu’une de ces personnes, venant à l’aborder, l’interroge sur la loi, pour connaître l’état de Bôdhi, il doit, sans s’arrêter, la lui communiquer, toujours ferme et inaccessible au découragement.

8. Il doit s’interdire tout commerce avec les femmes et les hermaphrodites ; il doit éviter également dans les familles, f. 150 b.les jeunes femmes et les matrones.

9. Qu’il ne cherche pas à leur causer de la joie, en leur souhaitant, [quand il les aborde,] du bonheur et de l’habileté ; qu’il évite tout rapport avec les bouchers et avec les vendeurs de porcs.

10. Ceux qui tuent des êtres vivants de diverses espèces, pour en tirer quelques jouissances, ceux qui vendent de la chair de boucherie, doivent être évités par ce Bôdhisattva.

11. Il ne doit avoir aucun commerce avec ceux qui entretiennent des femmes [pour les plaisirs des autres], ni avec les acteurs, les musiciens(150 b), les lutteurs et autres gens de cette espèce.

12. Qu’il ne recherche pas les femmes publiques, non plus que celles qui vivent de plaisir ; et qu’il fuie d’une manière absolue les amusements qu’on prend avec elles.

13. Quand ce sage enseigne la loi à des femmes, il ne doit pas s’éloigner seul avec elles, ni s’arrêter pour rire.

14. Lorsqu’il entre dans un village pour demander à plusieurs reprises de la nourriture, il doit chercher un autre Religieux, ou se rappeler le Buddha.

15. Je viens de t’exposer quelles sont les premières pratiques et la première sphère d’activité [d’un Bôdhisattva] ; ceux qui, parfaitement sages, suivent cette règle de conduite, posséderont ce Sûtra.

16. Quand le sage reste absolument étranger à toute espèce de lois, aux supérieures, aux moyennes et aux inférieures, aux composées comme aux simples, à celles qui existent comme à celles qui n’existent pas ;

17. Lorsqu’il ne se dit pas : « C’est une femme, » et qu’il n’en fait pas l’objet de son action ; lorsqu’il ne s’arrête pas à cette réflexion, f. 151 a.« C’est un homme ; » lorsqu’en cherchant, il n’aperçoit aucune loi, parce qu’il n’en est aucune de produite,

18. Je dis que c’est là généralement la conduite des Bôdhisattvas ; écoutez l’explication que je vais vous donner de la sphère de leur activité.

19. Toutes les lois ont été développées comme n’étant pas, comme n’apparaissant pas à l’existence, comme n’étant pas produites, comme reposant sur le vide, comme perpétuellement immobiles ; ces considérations sont la sphère des sages.

20. Les sages se représentent les lois comme des conceptions qui se contredisent, comme n’étant pas et étant, connue n’ayant pas été et ayant été, comme non produites, comme n’étant pas nées, comme nées et comme ayant été, en un mot, comme des conceptions contradictoires.

21. L’esprit fixé sur un seul objet et parfaitement recueilli, toujours stable comme du mont Mêru, qu’il envisage, placé dans cette situation, toutes les lois comme ayant la nature de l’espace,

22. Comme perpétuellement semblables à l’espace, comme privées de substance, de mouvement, et du sentiment de la personnalité ; qu’il se dise : « Ces lois existent constamment ; » c’est là ce qui s’appelle la sphère d’activité des sages.

23. Le Religieux qui, lorsque je serai entré dans le Nirvâṇa complet, observera fidèlement la règle de conduite que je trace, exposera certainement ce Sûtra dans le monde, et il ne connaîtra jamais le découragement.

24. Le sage, après avoir réfléchi pendant le temps convenable, s’étant retiré dans sa demeure, et s’y étant enfermé, doit, f. 151 b.après avoir envisagé toutes les lois d’une manière approfondie, sortir de sa méditation et les enseigner sans que son esprit connaisse le découragement.

25. Les rois le protègent en ce monde, ainsi que les fils des rois qui écoutent la loi de sa bouche ; les Brahmanes et les maîtres de maison, réunis tous autour de lui, composent son assemblée.

Encore autre chose, ô Mañdjuçrî : le Bôdhisattva Mahâsattva voulant expliquer cette exposition de la loi, quand le Tathâgata est entré dans le Nirvâṇa complet, à la fin des temps, dans la dernière période, dans les cinq cents dernières années [du Kalpa], quand la bonne loi est en décadence, le Bôdhisattva, dis-je, doit se placer dans une situation commode, et placé de cette manière, il prêche la loi. En prêchant la loi aux autres, soit qu’il la possède en lui-même, soit qu’elle se trouve renfermée dans un volume, il ne se laisse pas aller outre mesure à faire des reproches ; il ne censure pas un autre Religieux interprète de la loi ; il n’en dit pas de mal ; il ne laisse pas échapper [sur son compte] des paroles de blâme ; en prononçant le nom d’autres Religieux entrés dans le véhicule des Çrâvakas, il ne l’accompagne pas de paroles de blâme ; ne faisant pas attention aux injures, il n’a pas même la pensée d’y répondre. Pourquoi cela ? C’est qu’il s’est placé dans une situation commode. Il enseigne la loi aux auditeurs réunis pour l’entendre, avec le dessein de leur être utile, et sans aucun sentiment de jalousie. Évitant toute discussion, f. 152 a.il ne répond rien lorsqu’une question lui est adressée par un auditeur entré dans le véhicule des Çrâvakas ; mais il résout la difficulté de manière que la science de Buddha soit parfaitement obtenue.

Ensuite Bhagavat prononça dans cette occasion les stances suivantes :

26. Le sage est toujours commodément assis, et c’est dans une bonne position qu’il prêche la loi, après s’être fait dresser un siége élevé destiné à son usage, sur un terrain pur et agréable ;

27. Couvert de vêtements purs, et parfaitement teints avec de bonnes couleurs ; enveloppé d’une pièce de laine de couleur noire, et vêtu d’une longue tunique ;

28. Assis sur un siège muni d’un marchepied et bien couvert d’étoffes de coton de diverses espèces, sur lequel il n’est monté qu’après avoir lavé ses pieds et avoir relevé l’éclat de son visage et de sa tête, en les frottant de substances onctueuses.

29. Après qu’il s’est assis de cette manière sur le siége de la loi, et quand tous les êtres qui se sont rassemblés autour de lui sont parfaitement attentifs, qu’il fasse entendre des discours nombreux et variés aux Religieux et aux Religieuses,

30. Aux fidèles des deux sexes, aux rois et aux fils des rois, que ce sage tienne toujours un langage agréable, exempt de tout sentiment de jalousie, relatif aux sujets les plus divers.

31. Si alors ses auditeurs lui adressent des questions, qu’il continue d’exposer régulièrement le sujet commencé ; f. 152 b.mais qu’il l’expose de telle façon, qu’après l’avoir entendu, ses auditeurs aient atteint l’état de Buddha.

32. Inaccessible à l’indolence, le sage ne conçoit pas même l’idée de la douleur ; et chassant loin de lui la tristesse, il fait comprendre à l’assemblée réunie la force de la charité.

33. Nuit et jour il expose la loi excellente, à l’aide de myriades de kôṭis d’exemples ; il parle devant l’assemblée et la comble de joie, et jamais il ne lui demande rien.

34. Nourriture, aliments, riz, boissons, étoffes, lits, siéges, vêtements, médicaments pour les malades, rien de tout cela n’occupe sa pensée, et il ne fait rien connaître à l’assemblée [du besoin qu’il en peut avoir].

35. Au contraire, son esprit éclairé est toujours occupé de cette réflexion : « Puissé-je devenir Buddha ! Puissent ces êtres le devenir aussi ! Oui, en faisant entendre la loi au monde dans son intérêt, je possède tous les moyens de m’assurer le bonheur. »

36. Le Religieux qui, lorsque je serai entré dans le Nirvâṇa, prêchera ainsi, sans aucun sentiment de jalousie, n’éprouvera jamais ni douleur, ni désastre, ni chagrin, ni désespoir.

37. Jamais personne ne lui causera d’effroi ; personne ne le frappera, ni ne lui dira d’injures ; jamais il ne sera chassé d’aucun lieu ; d’ailleurs, il sera fermement établi dans la force de la patience.

f. 153 a.38. Assis dans une situation commode, assis comme je viens de vous le dire, ce sage possède plusieurs centaines de kôṭis de qualités ; il faudrait plus que des centaines de Kalpas pour en faire l’énumération.

Encore autre chose, ô Mañdjuçrî : le Bôdhisattva Mahâsattva qui, lorsque le Tathâgata est entré dans le Nirvâṇa complet, à la fin des temps, quand a péri la bonne loi, le Bôdhisattva, dis-je, qui expose ce Sûtra, n’est ni envieux, ni fourbe, ni trompeur. Il ne dit pas d’injures aux autres personnages qui sont entrés dans le véhicule des Bôdhisattvas ; il ne les blâme pas, il ne les déprime pas. Il ne reproche pas leur mauvaise conduite aux autres Religieux et fidèles des deux sexes, ni aux personnages qui sont entrés dans le véhicule des Pratyêkabuddhas, ou dans celui des Bôdhisattvas. Il ne leur dit pas : Vous êtes bien éloignés, ô fils de famille, de l’état suprême de Buddha parfaitement accompli ; vous ne vous y montrez pas arrivés ; livrés comme vous l’êtes à une excessive légèreté, vous n’êtes pas capables d’acquérir la connaissance complète de la science du Tathâgata. Il n’emploie pas ce langage pour reprocher ses fautes à celui, quel qu’il soit, qui est entré dans le véhicule des Bôdhisattvas. Il ne prend pas plaisir aux discussions sur la loi, il ne fait pas de la loi un objet de dispute. À l’égard de tous les êtres, il n’abandonne pas la force de la charité ; à l’égard de tous les Tathâgatas, il se les représente comme des pères ; f. 153 b.à l’égard de tous les Bôdhisattvas, il se les représente comme des maîtres. Tous les Bôdhisattvas Mahâsattvas qui se trouvent dans le monde, dans les dix points de l’espace, il ne cesse de les honorer de ses attentions et de ses respects. Quand il enseigne la loi, il n’enseigne ni plus ni moins que la loi, n’obéissant qu’à l’attachement impartial qu’il a pour elle ; et lorsqu’il est occupé à en faire l’exposition, il n’accorde pas à qui que ce soit une preuve de bienveillance plus grande qu’à un autre, fût-ce même par attachement pour la loi.

Telle est, ô Mañdjuçrî, la troisième condition dont est doué le Bôdhisattva Mahâsattva qui, lorsque le Tathâgata est entré dans le Nirvâṇa complet, à la fin des temps, quand a péri la bonne loi, expliquant cette exposition de la loi, et montrant quels sont les contacts agréables, vit dans ces contacts, et explique, sans être en butte à la violence, cette exposition de la loi. Et il aura des compagnons dans ces assemblées de la loi, et il lui naîtra des auditeurs de la loi qui écouteront l’exposition qu’il en fera, qui y auront foi, qui la comprendront, la saisiront, la répéteront, la pénétreront, l’écriront, la feront écrire, et qui, après l’avoir écrite et réduite en un volume, l’honoreront, la respecteront, f. 154 a.la vénéreront et l’adoreront.

Voilà ce que dit Bhagavat ; et après avoir ainsi parlé, Sugata le Précepteur dit en outre ce qui suit :

39. Que le sage, interprète de la loi, qui désire expliquer ce Sûtra, renonce d’une manière absolue au mensonge ; à l’orgueil et à la médisance, et ne conçoive jamais aucun sentiment d’envie.

40. Qu’il ne prononce jamais sur qui que ce soit des paroles de blâme ; qu’il n’élève jamais de discussion sur les opinions hétérodoxes ; qu’il ne dise jamais à ceux qui persistent dans une mauvaise conduite : Vous n’obtiendrez pas cette science supérieure.

41. Ce fils de Sugata est toujours doux et aimable, toujours patient ; pendant qu’il explique la loi à plusieurs reprises, il n’éprouve jamais le sentiment de la douleur.

42. Les Bôdhisattvas, pleins de compassion pour les êtres, qui existent dans les dix points de l’espace, sont tous, [se dit-il,] mes précepteurs ; et alors cet homme sage leur témoigne le respect qu’on doit à un Guru.

43. Se rappelant les Buddhas qui sont les Meilleurs des hommes, il considère sans cesse les Djinas comme des pères ; et renonçant à toute idée d’orgueil, il est alors à l’abri de tout désastre.

44. Le sage qui a entendu une loi de cette espèce, doit alors l’observer fidèlement ; parfaitement recueilli pour obtenir une position commode, il est sûrement gardé par des millions de créatures.

Encore autre chose, ô Mañdjuçrî : le Bôdhisattva Mahâsattva qui, lorsque le Tathâgata est entré dans le Nirvâṇa complet, à la fin des temps, quand a péri la bonne loi, f. 154 b.quand la bonne loi est méprisée, désire posséder cette exposition de la loi, doit vivre bien loin des maîtres de maison et des mendiants, il doit vivre avec eux selon la charité ; il doit éprouver de l’affection pour tous les êtres qui sont arrivés à l’état de Buddha(154 b). Il doit faire les réflexions suivantes : Certes, ils ont une intelligence bien pervertie, les êtres qui n’entendent pas, qui ne connaissent pas, qui ne comprennent pas le sens du langage énigmatique du Tathâgata, ce résultat de son habileté dans l’emploi des moyens dont il dispose, qui ne s’en informent pas, qui n’y ajoutent pas foi, qui n’y ont pas confiance ; que dirai-je de plus ? ces êtres ne comprennent ni ne connaissent cette exposition de la loi. Mais moi, les conduisant à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, je vais, par la force de mes facultés surnaturelles, faire que chacun d’eux, dans la position où il se trouve, [me] donne son assentiment, croie, comprenne, et arrive à une parfaite maturité.

Telle est, ô Mañdjuçrî la quatrième condition dont est doué le Bôdhisattva Mahâsattva qui, lorsque le Tathâgata est entré dans le Nirvâṇa complet, explique cette exposition de la loi, et cette condition le met à l’abri de tout désastre. Il est l’objet des honneurs, des respects, des adorations et du culte des Religieux et des fidèles des deux sexes, des rois, des fils des rois, des ministres des rois, de leurs grands conseillers, f. 155 a.des maîtres de maison, des Brahmanes, des habitants des provinces et des villages. Les Divinités qui traversent le ciel se mettent avec foi à sa suite pour entendre la loi ; et les fils des Dêvas seront sans cesse attachés à ses pas pour le protéger ; soit qu’il aille dans un village, soit qu’il entre dans un Vihâra, ils l’aborderont afin de l’interroger la nuit et le jour sur la loi, et ils seront satisfaits et auront l’esprit ravi d’entendre de lui la prédiction de leurs destinées futures. Pourquoi cela ? C’est que cette exposition de la loi, ô Mañdjuçrî, a été bénie par tous les Buddhas ; elle l’a été [et le sera] perpétuellement, ô Mañdjuçrî, par les Tathâgatas, vénérables, etc., passés, présents et futurs. Il est difficile à obtenir, ô Mañdjuçrî, [même pour celui qui habite] dans beaucoup d’univers, le son, le bruit ou l’écho de cette exposition de la loi.

C’est, ô Mañdjuçrî, comme s’il y avait un roi Balatchakravartin qui aurait, par sa force, conquis son royaume. Qu’à cause de cela, des rois ses adversaires, ses ennemis, des rois opposés, viennent à entrer en discussion et en guerre avec lui. Que ce monarque Balatchakravartin ait des soldats de diverses espèces, et qu’avec ces soldats il combatte ses ennemis ; qu’ensuite ce monarque voyant combattre ses soldats, soit satisfait de leur courage ; qu’il en ait l’âme ravie, et que, f. 155 b.dans son contentement, il donne également(155 b) à tous ses soldats des présents de diverses espèces, par exemple un village ou les terres d’un village, une ville ou les terres d’une ville, des vêtements et des coiffures, des ornements pour les mains, pour les pieds, pour le col, pour les oreilles, des parures d’or, des guirlandes, des colliers, des monnaies d’or, de l’or brut, de l’argent, des joyaux, des perles, du lapis-lazuli, des conques, du cristal, du corail, des éléphants, des chevaux, des chars, des piétons, des esclaves des deux sexes, des chariots, des litières. Mais il ne donne à personne le joyau qui décore son diadème. Pourquoi cela ? C’est que ce joyau ne se place que sur la tête d’un roi ; si un roi, ô Mañdjuçrî, venait à le donner, l’armée tout entière du roi, composée de quatre corps de troupes, serait frappée d’étonnement et de surprise. De la même manière, ô Mañdjuçrî, le Tathâgata aussi, vénérable, etc., qui est le maître de la loi, le roi de la loi, exerce avec justice l’empire de la loi dans les trois mondes qu’il a soumis par la vigueur de son bras, par la vigueur de sa vertu. Mâra le pécheur vient alors attaquer les trois mondes soumis au roi. Alors les Aryas, qui sont les soldats du Tathâgata, combattent contre Mâra. f. 156 a.Alors, ô Mañdjuçrî, le Tathâgata, vénérable, etc., ce roi de la loi, ce maître de la loi, voyant ces Aryas, ses soldats, leur expose divers Sûtras par centaines, pour réjouir les quatre assemblées ; il leur donne la ville du Nirvâṇa, la grande ville de la loi ; il les séduit avec le Nirvâṇa ; mais il ne leur fait pas une exposition de la loi comme celle que j’expose en ce moment. Tout de même, ô Mañdjuçrî, que ce roi Balatchakravartin, surpris du grand courage de ses soldats qui combattent, leur distribue ensuite également tout ce qu’il possède, tout jusqu’au joyau même qui décore son diadème, générosité qui est pour tout le monde un objet d’étonnement, un fait à peine croyable ; et de même, ô Mañdjuçrî, que ce joyau était pour le roi un bien qu’il a gardé longtemps, qui ne quittait pas son front ; de même le Tathâgata aussi, vénérable, etc., ce grand roi de la loi, qui exerce avec justice l’empire de la loi dans les trois mondes, quand il voit des Çrâvakas et des Bôdhisattvas combattre contre le Mâra des conceptions, contre le Mâra de la corruption [du mal], quand il voit que ses soldats en combattant ont, par leur grand courage, détruit l’affection, la haine et l’erreur, qu’ils sont sortis des trois mondes, et ont anéanti tous les Mâras ; alors le Tathâgata aussi, vénérable, etc., plein de contentement, fait également pour ces Aryas, qui sont ses soldats, f. 156 b.cette exposition de la loi, avec laquelle le monde entier doit être en désaccord, à laquelle il ne doit pas croire, qui n’a jamais été prêchée ni expliquée auparavant. Le Tathâgata donne à tous les Çrâvakas la possession de l’omniscience, laquelle ressemble au grand joyau qui décore le diadème d’un roi. C’est là, ô Mañdjuçrî, le suprême enseignement des Tathâgatas ; c’est là la dernière exposition de la loi des Tathâgatas. Entre toutes les expositions de la loi, c’est la plus profonde ; c’est une exposition avec laquelle le monde entier doit être en désaccord. De même, ô Mañdjuçrî, que le roi Balatchakravartin, détachant de son diadème le joyau qu’il a gardé pendant longtemps, le donne à ses soldats, de même le Tathâgata explique aujourd’hui cette exposition de la loi, ce mystère de la loi qu’il a longtemps gardé, cette exposition qui est au-dessus de toutes les autres, et qui doit être connue des Tathâgatas.

Ensuite Bhagavat voulant exposer ce sujet avec plus de développement, prononça dans cette occasion les stances suivantes :

45. Montrant sans cesse la force de la charité, constamment pleins de compassion pour tous les êtres, expliquant une loi semblable à celle que j’expose, les Tathâgatas ont célébré cet éminent Sûtra.

46. Celui qui enseigne la force de la charité à tous les maîtres de maison, f. 157 a.aux mendiants, et à ceux qui, à l’époque de la fin des temps, seront des Bôdhisattvas, se dit : Puissent-ils ne pas mépriser cette loi après l’avoir entendue !

47. Quant à moi, lorsqu’après avoir acquis l’état de Bôdhi, je serai fermement établi dans le degré de Tathâgata, alors employant les moyens convenables, je vous comblerai de mes dons, je ferai entendre l’excellent état de Bôdhi.

48. C’est comme un roi Balatchakravartin, qui distribue à ses soldats des présents variés, et qui, rempli de joie, leur donne de l’or, des éléphants, des chevaux, des chars, des piétons, des villes, des villages.

49. Aux uns il donne, dans sa satisfaction, des ornements pour les mains, de l’argent, des cordes d’or, des perles, des joyaux, des conques, du cristal, du corail et des esclaves de diverses espèces.

50. Mais quand il est frappé de l’héroïsme incomparable d’un de ses soldats, et qu’il reconnaît que l’un d’eux a fait une action merveilleuse, alors déliant le bandeau qui ceint sa tête, il lui donne le joyau qui la décore.

51. De la même manière, moi qui suis le Buddha, le roi de la loi, moi qui ai la force de la patience, et qui possède le trésor abondant de la sagesse, je gouverne avec justice ce monde entier, désirant le bien, miséricordieux et plein de compassion.

52. Et voyant tous les êtres qui combattent, je leur expose des milliers de kôṭis de Sûtras, quand je reconnais l’héroïsme de ceux qui, doués d’une pureté parfaite, triomphent en ce monde de la corruption [du mal].

53. Alors le roi de la loi, le grand médecin, expliquant des centaines de milliers d’expositions, quand il reconnaît que les êtres sont pleins de force f. 157 b.et de science, leur montre ce Sûtra qui est semblable au joyau d’un diadème.

54. C’est le Sûtra que j’expose le dernier au monde, ce Sûtra qui est le plus éminent de tous, que j’ai gardé pour moi, et que je n’ai jamais exposé ; je vais aujourd’hui le faire entendre ; écoutez-le tous.

55. Voici les quatre espèces de mérites que devront rechercher, dans le temps où je serai entré dans le Nirvâṇa complet, ceux qui désirent l’excellent et suprême état de Bôdhi, et ceux qui remplissent mon rôle.

56. Le sage ne connaît ni le chagrin, ni la misère, ni l’altération de la couleur naturelle de son corps, ni la maladie ; la teinte de sa peau n’est pas noire, et il n’habite pas dans une ville misérable.

57. Ce grand Rĭchi, dont l’aspect est constamment agréable à voir, est digne du culte qu’on doit à un Tathâgata ; de jeunes fils des Dêvas sont sans cesse occupés à le servir.

58. Son corps est inattaquable au glaive, au poison, au bâton et aux pierres ; la bouche de celui qui, en ce monde, lui dit des injures, se ferme et devient muette.

59. Il est en ce monde l’ami des créatures, il parcourt la terre dont il est la lumière, en dissipant les ténèbres de plusieurs milliers d’êtres, celui qui possède ce Sûtra, pendant le temps que je suis entré dans le Nirvâṇa complet.

60. Il voit pendant son sommeil des formes de Buddha, des Religieux et des Religieuses ; il les voit assis sur un trône(157 b), expliquant la loi dont il existe de nombreuses espèces.

f. 158 a.61. Il voit en songe des Dêvas, des Yakchas, des Asuras et des Nâgas de diverses espèces, en nombre égal à celui des sables du Gange, qui tiennent les mains jointes en signe de respect, et il leur expose à tous la loi excellente.

62. Il voit en songe le Tathâgata enseignant la loi à de nombreux kôṭis de créatures, qui lance de son corps des milliers de rayons, dont la voix est agréable, et dont la couleur est semblable à celle de l’or.

63. Et les êtres sont là, les mains jointes en signe de respect, célébrant le Solitaire, qui est le Meilleur des hommes ; et le Djina, ce grand médecin, prêche la loi excellente aux quatre assemblées.

64. Ce sage est satisfait de l’entendre, et, rempli de joie, il lui rend un culte ; et il obtient en songe les formules magiques, après avoir rapidement touché à la science qui ne retourne pas en arrière.

65. Et le Chef du monde connaissant ses intentions lui prédit qu’il parviendra au rang de héros parmi les hommes : Fils de famille, lui dit-il, tu toucheras ici, dans un temps à venir, à la science éminente et fortunée.

66. Et la terre que tu habiteras sera immense, et tu auras comme moi quatre assemblées qui écouteront la loi vaste et parfaite, en tenant respectueusement les mains jointes.

67. Puis le sage se voit lui-même occupé à concevoir la loi dans les cavernes des montagnes ; et quand il l’a conçue, quand il a touché à cette condition, maître alors de la méditation, il voit le Djina.

68. Et après avoir vu en songe la forme du Djina, dont la couleur est celle de l’or et qui porte les marques des cent vertus, f. 158 b.il entend la loi, et après l’avoir entendue, il l’explique à l’assemblée ; ce sont là les choses qu’il voit pendant son sommeil.

69. Après avoir tout abandonné en songe, royaume, gynécée, parents, il sort de sa demeure ; après avoir renoncé à tous les plaisirs, il se rend au lieu où se trouve l’essence de l’état de Bôdhi.

70. Là, assis sur un trône placé auprès du tronc d’un arbre, et cherchant à obtenir l’état de Bôdhi, il parvient au bout de sept jours à la science des Tathâgatas.

71. Et quand il a atteint à l’état de Bôdhi, se relevant alors de sa méditation, il fait tourner la roue parfaite, et enseigne la loi aux quatre assemblées, pendant d’inconcevables milliers de kôṭis de Kalpas.

72. Après avoir expliqué en ce monde la loi parfaite, après avoir conduit au Nirvâṇa de nombreux kôṭis d’êtres savants, il y entre lui-même, semblable à une lampe dont la flamme est éteinte ; telle est la forme sous laquelle il se voit en songe.

73. Ils sont nombreux, ô Mañdjuçrî, ils sont infinis, les avantages que possède constamment celui qui, à la fin des temps, exposera ce Sûtra de mon excellente loi, que j’ai parfaitement expliquée.


Notes du chapitre XIII

CHAPITRE XIII.

f. 149 a. Les Lôkâyatikas.] Il n’y a pas de raison de croire que ce terme désigne chez les Buddhistes autre chose que la secte connue chez les Brâhmanes pour se rattacher à la doctrine athéiste des Tchârvâkas. Le pâli pourrait suggérer ici une autre interprétation ; comme lôkâyata y signifie « histoire fabuleuse, roman[1], » il serait permis de supposer que les Lôkâyatikas de notre Lotus désignent les auteurs ou les lecteurs de pareils ouvrages, dans lesquels les passions et les affaires du monde forment le sujet principal.

f. 150 a St. 4. Et que ne pensant qu’aux Arhats.] La comparaison des manuscrits de M. Hodgson avec celui de la Société asiatique me donne le moyen de rectifier cette traduction avec certitude : « et les Religieux, estimés des Arhats ; qu’il fuie, etc. »

St. 5. Et les fidèles connus pour ne pas être fermes dans le devoir.] Tel est le sens que j’avais cru pouvoir tirer du texte manifestement altéré de la Société asiatique. Mais depuis, un des manuscrits de M. Hodgson m’a fourni une leçon intelligible avec un sens plus satisfaisant ; il faut donc substituer à la phrase finale de la stance la traduction qui résulte de cette nouvelle leçon : « et qu’il évite les fidèles assises dans un chariot. »

f. 150 b. St. 11. Les musiciens.] C’est par conjecture que je donne ce sens au mot du texte rĭllaka, que nos trois manuscrits reproduisent de la même manière. Ce mot doit avoir de l’analogie avec celui de rĭllari qui désigne certainement un instrument de musique, ci-dessus, chap. ii, f. 31 b, p. 359. Cependant si la substitution d’un djha au initial de ce mot devenait nécessaire, il faudrait lire djhallaka et traduire par « joueur de bâton, » du sanscrit djhalla.

f. 154 b. Qui sont arrivés à l’état de Buddha.] Lisez, « qui sont partis pour l’état de Buddha. »

f. 155 b. Et que, dans son contentement, il donne également.] Le mot que je traduis par également est samânah, pour lequel je suis l’autorité du sanscrit classique, au moins quant au sens spécial de samâna, « uniforme, égal, ». Mais je doute aujourd’hui de l’exactitude de cette interprétation, et je soupçonne que le samâna que nous trouvons ici et qui se répète plusieurs fois dans le cours de cette parabole, est employé comme le même mot en pâli, c’est-à-dire à la place du participe présent san, « étant, » dont il serait grammaticalement la forme moyenne. Je remarque en effet que samâna ne se rencontre jamais qu’après des adjectifs, exactement à la place où paraît san dans le style des commentateurs brahmaniques. En voici un exemple très-caractéristique que j’emprunte au Sâmaññaphala sutta, dont on trouvera la traduction au no II de l’Appendice. Le roi Adjâtaçatru rappelant que des Brahmanes réputés savants n’ont pas pu répondre à une question qu’il leur avait proposée, s’exprime ainsi : Katham̃ hi nâma sandiṭṭhikam sâmaññaphalam puṭṭhô samânô vikkhêpam̃ vyâkarissati. « Comment étant interrogé sur le résultat général et prévu, exposera-t-il une doctrine de perplexité[2] ? J’en ajoute ici une seconde preuve : un jeune homme dont les parents sont tombés dans la misère, vient d’entendre de la bouche de Çâkyamuni l’exposition du Sutta qui a pour titre Mâtapôsaka, « celui qui nourrit sa mère, » et touché de la morale charitable qui en forme le but, il se dit à lui-même : Idânim̃ pana pabbadjdjitô samânô mâtâpitarô pôsissâmi. « Mais aujourd’hui étant Religieux, je nourrirai mes parents[3]. » Ici samânô signifie sans aucun doute étant, et la glose barmane ne laisse sur ce point aucune incertitude, puisqu’elle remplace ce terme pâli par phratch lyak, « si je suis, étant. » Le doute n’est pas plus possible en ce qui touche l’exemple suivant que j’emprunte au Sônadaṇḍa sutta : Samâṇô khalu bhô gôtamô daharô samânô susukâlakêsô bhadrêna yôbbanêna samannâgatô paṭhamêna vayasâ agârasmâ anagâriyam̃ pâbbadjdjitô. « Certainement le Samaṇa Gôtama, étant tout jeune, ayant les cheveux parfaitement noirs, étant doué d’une jeunesse fortunée, est sorti de la maison dans la fleur de l’âge, pour se faire Religieux[4]. » Il paraît même qu’on rapprochait volontiers samâna à la forme moyenne de santa à la forme active ; car je trouve dans la curieuse dispute du jeune Ambhaṭṭha, disciple de Pôkkharasâdi, avec Çâkyamuni, la phrase suivante où il reproche aux Çâkyas de ne pas honorer les Brahmanes : Ibbhâ santâ ibbhâ samâna na brâhmanô sakkarônti. « Étant riches, se trouvant riches, ils ne traitent pas honorablement les Brahmanes[5]. » Si cette forme curieuse était reconnue authentique, ce serait un fait nouveau à ajouter au chapitre déjà si riche de M. Bopp, sur la théorie des participes dans les langues ariennes[6]. L’Abhidhâna ppadîpikâ confirme du reste cette explication de samâna, sinon au point de vue grammatical, du moins quant au sens, puisqu’aux significations de semblable, seul, qu’il assigne à samâna, il ajoute celle de santê (pour le sanscrit sati), « étant, existant[7]. » Il est vrai qu’en comparant l’Abhidhâna ppadîpikâ avec l’Amarakocha, on pourrait interpréter santê par vertueux[8] ; cependant Clough, ne donne pas ce sens. J’ajouterai pour l’intelligence du dernier exemple cité, que le pâli ibbha doit répondre au sanscrit ibhya, « riche, opulent, » que Weber a cité d’après le Tchhândôgya upanichad[9].

f. 157 b St. 60. Il les voit assis sur un trône.] J’avais suivi la leçon du seul manuscrit que je pusse consulter, celui de la Société asiatique, qui donne âtmabhâvân, « les corps, » au pluriel ; mais les deux nouveaux manuscrits de M. Hodgson ont au singulier âtmabhâvam, et la comparaison de la stance 60 avec la stance 61 prouve qu’il s’agit du sage qui se voit lui-même en songe occupé à expliquer la loi. Il faut donc maintenant traduire d’après ces manuscrits : « il se voit lui-même assis sur un trône. » Au reste, de ce que je rends ici âtmabhâva par « lui-même, » il n’en faudrait pas conclure que les Buddhistes n’emploient ce mot que dans cette acception restreinte. Chez ceux du Nord âtmabhâva, comme attabhâva chez ceux du Sud, signifie également « le corps. » Le mot se présente avec ce sens dans un très-grand nombre de passages du Lotus : il me suffira donc d’en alléguer ici un exemple concluant pris à un autre livre : Yat tasyâivam̃rûpa âtmabhâvaḥ syât tad yathâpinâma sumêruḥ parvatarâdjaḥ. « Que s’il avait un corps tel, à savoir comme le Sumêru, roi des montagnes[10]. » Quant aux Buddhistes du Sud, il suffirait du témoignage de l’Abhidhâna ppadîpikâ, qui compte attabhâva parmi les synonymes de sarîra, « corps[11]. » C’est dans ce sens que Mahânâma parle de la dernière existence de Çâkyamuni, avant qu’il vînt au monde comme fils du roi Çuddhôdana : vêssantaraitabhâvê ṭhitô, « quand il était dans le corps de Vêssantara[12]. » On sait en effet que Vêssantara est, chez les Buddhistes de Ceylan, le nom d’un personnage sous la figure duquel l’âme de Çâkyamuni parut au monde. Sous ce nom, qui répond au sanscrit Vâiçyântara et qui fait allusion à la caste des Vâiçyas dont il sortait, l’être privilégié qui devait être plus tard un Buddha remplit d’une manière héroïque les devoirs de l’aumône en abandonnant comme offrande religieuse ses trésors, sa femme et ses enfants[13]. Quant à ce qui regarde le mot âtmabhâva et attabhâva, objet principal de cette note, on le rencontre fréquemment avec cette acception même de corps, dans les légendes publiées par Spiegel[14].


  1. Abhidhâna ppadîpikâ, l. I, chap.  ii, sect. 2, st. 8 ; Clough, p. 13.
  2. Sâmaññaphala sutta, dans Dîgh. nik. f. 16 a.
  3. Suvaṇṇasâma djâtaka, man. Bibl. nat. f. 6 b, p. 43 de ma copie.
  4. Sônadanda, dans Dîgh. nik. f. 33 b.
  5. Ambhattha sutta, dans Dîgh. nik. f. 24 b.
  6. Vergleich. Grammatik, p. 1100 et suiv.
  7. Âbhidhâna ppadîpikâ, l. III, chap. iii, st. 138 ; Clough, p. 120.
  8. Amarakocha, l. III, chap. iv, sect. 18, st. 130 ; Wilson, Sanscr. Dict. au mot samâna.
  9. Tchhând. upanich. dans Roer, Bibl. Ind. t. II, p. 80 ; Weber, Ind. Stud., t. I, p. 255 et 476.
  10. Vadjratchtchhêdika, f. 23 a.
  11. Abhidhâna ppadîpikâ, l. I, chap.  ii, sect. 5, st.7 ; Clough. p. 17.
  12. Mahâvamsatîkâ, f. 24b.
  13. Clough, Singhalese Diction. t. II, p. 673 et 674. On trouve une analyse succincte de cette légende qui jouit à Ceylan d’une grande célébrité, dans un petit opuscule intitulé The miniature of Buddhism, p. 4 et 5, qui parut à Londres en 1833, et qui avait pour but de décrire un temple buddhique transporté de Ceylan à Londres par quelques Buddhistes de cette île. Les Singhalais qui avaient conçu l’idée de cette spéculation, étaient possesseurs d’un assez grand nombre de manuscrits qu’ils mirent en vente ; je fus assez heureux pour en obtenir un petit nombre, mais à des prix singulièrement élevés. Ces manuscrits font la base de ma collection buddhique singhalaise. Le Vêssantaradjâtaka ne se trouve pas parmi ces ouvrages ; mais la Bibliothèque nationale en possède un exemplaire en pâli avec une traduction barmane.
  14. Anecdota pâlica, p. 19, 24, 62 et 72.