Lotus de la bonne loi/Chapitre 23

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Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 253-260).
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CHAPITRE XXIII.

LE BÔDHISATTVA GADGADASVARA.

Ensuite le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., lança en cet instant un rayon de lumière du cercle de poils placé entre ses deux sourcils, l’un des signes caractéristiques des grands hommes. Cette lumière illumina de sa splendeur des centaines de mille de myriades de kôṭis de terres de Buddha situées à l’orient, en nombre égal à celui des sables de dix-huit Ganges. Par delà ces centaines de mille de myriades de terres de Buddha, en nombre égal à celui des sables de dix-huit Ganges, est situé l’univers nommé Vairôtchanaraçmi-pratimandita. Là se trouvait vivant, existant, le Tathâgata nommé Kamaladalavimala-nakchatrarâja-sam̃kusumitâbhidjña, vénérable, etc., qui, avec une vaste et immense assemblée de Bôdhisattvas, dont il était environnéf. 222 a. et suivi, enseignait la loi. Alors le rayon de lumière lancé du cercle placé entre ses sourcils par le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., illumina en cet instant d’une grande lumière l’univers Vairôtchanaraçmi-pratimaṇḍita. Or dans cet univers habitait le Bôdhisattva Mahâsattva nommé Gadgadasvara, qui avait fait croître les racines de vertu qui étaient en lui, qui avait vu jadis la lumière de semblables rayons lancés par beaucoup de Tathâgatas, vénérables, etc., et qui était en possession de nombreuses méditations. C’est ainsi qu’il avait acquis les méditations de Dhvadjâgrakêyûra (l’anneau de l’extrémité de l’étendard), de Saddharmapuṇḍarîka (le lotus blanc de la bonne loi), de Vimaladatta (celui qui est donné pur), de Nakchatrarâdjavikrîḍita (les plaisirs du roi des constellations), d’Anilam̃bha (celui qui ressemble au vent), de Djñânamudra (le sceau de la science), de Tchandraprabha (celui qui a l’éclat de la lune), de Sarvarutakâuçalya (l’habileté dans tous les sons), de Sarvapuṇyasamutchtchaya (le trésor extrait de toutes les vertus), de Prasâdavati (celle qui est favorable), de Rĭddhivikrîḍita (les plaisirs de la puissance magique), de Djñânôlkâ (la torche de la science), de Vyûharâdja (le roi de la construction), de Vimalaprabhâ (la splendeur sans tache), de Vimalagarbha (l’essence sans tache), d’Apkrĭtsna (qui enlève toute l’eau), de Sûryâvarta (la révolution du soleil) ; en un mot, il avait acquis des centaines de mille de myriades de kôṭis de méditations, en nombre égal à celui des sables du Gange.f. 222 b. Or cette lumière tomba sur le corps du Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara. Alors le Bôdhisattva Mahâsattva s’étant levé de son siége, rejetant sur son épaule son vêtement supérieur, posant à terre le genou droit, et dirigeant ses mains réunies en signe de respect, du côté où se trouvait le bienheureux Buddha, parla ainsi au Tathâgata Kamala…abhidjna, vénérable, etc. : J’irai, ô Bienheureux, dans l’univers Saha pour voir, pour honorer, pour servir le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., pour voir Mañdjuçrî Kumâra et les Bôdhisattvas Bhâichadjyarâdja, Pradânaçûra, Nakchatrarâdja­sam̃kusumitâ­bhidjña, Viçichṭatchâritra, Vyûharâdja, Bhâichadjya­râdjasamudgata.

Alors le bienheureux Tathâgata Kamala…abhidjna, vénérable, etc., parla ainsi au Bôdhisattva Mahâsattva :f. 223 a. Ne va pas, ô fils de famille, après t’être rendu dans l’univers Saha, en concevoir des idées misérables. Car ce monde-là, ô fils de famille, est couvert de hauteurs et de lieux bas ; il est fait d’argile, hérissé de Kâlaparvatas, rempli d’ordures. Le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., est d’une courte stature, ainsi que ses Bôdhisattvas Mahâsattvas, tandis que ta taille, ô fils de famille, s’élève à quarante-deux mille Yôdjanas, et la mienne à soixante-six fois cent mille Yôdjanas. Et toi, ô fils de famille, tu es aimable, beau, agréable à voir ; tu es doué de la perfection suprême de l’éclat et de la beauté. Tu es particulièrement distingué par plus de cent mille mérites. C’est pourquoi, ô fils de famille, après t’être rendu dans cet univers Saha, ne conçois pas des idées méprisables, ni des Tathâgatas, ni des Bôdhisattvas [qui s’y trouvent], ni de cette terre de Buddha.

Cela dit, le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara parla ainsi au bienheureux Tathâgata Kamala…abhidjña, vénérable, etc. : J’agirai, ô Bienheureux, selon que l’ordonne le Tathâgata ; j’irai, ô Bienheureux, dans cet univers Saha en vertu de la bénédiction du Tathâgata, de la production de son énergie, de ses plaisirs, de sa construction, de la science émanée du Tathâgata. Alors le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara, sans sortir de la terre de Buddha où il se trouvait, et sans quitter son siége, se plongea en ce moment dans une méditation telle, qu’immédiatement après qu’il s’y fut plongé, tout d’un coup, dans l’univers Saha, sur la montagne de Grĭdhrakûṭa, devant le trône de la loi du Tathâgata, apparurent quatre-vingt-quatre fois cent mille myriades de kôṭis de lotus, portés sur des tiges d’or, ayant des feuilles d’argent et parés des couleurs du lotus et du Kimçuka.

En ce moment le Bôdhisattva Mahâsattva Mañdjuçrî Kumâra voyant l’apparition de cette masse de lotus, s’adressa en ces termes au bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc. : De quelle cause, ô Bhagavat, ce que nous voyons est-il l’effet, et par qui sont produits ces lotus au nombre de quatre-vingt-quatre fois cent mille myriades de kôṭis, portés sur des tiges d’or, ayant des feuilles d’argent et parés des couleurs du lotus et du Kimçuka ?

Cela dit, Bhagavat répondit ainsi à Mañdjuçrî Kumâra : C’est, ô Mañdjuçrî, le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara qui, entouré et suivi par quatre-vingt-quatre fois cent mille myriades de kôṭis de Bôdhisattvas, et sortant de la région orientale, de l’univers Vâirôtchanaraçmi-pratimaṇḍita, de la terre de Buddha du bienheureux Tathâgata Kamala…abhidjña, vient dans cet univers Saha avec l’intention de me voir, de m’honorer, de me servir, et pour écouter cette exposition de la loi du Lotus de la bonne loi. Alors Mañdjuçrî Kumâra parla ainsi à Bhagavat : Quelle masse de racines de vertu a donc accumulée ce fils de famille, pour que par l’accumulation de cette masse de vertus, il ait acquis la supériorité qui le distingue ? Dans quelle méditation, ô Bhagavat, ce Bôdhisattva est-il plongé ? C’est là ce que nous désirons entendre, ô Bhagavat. Puissions-nous aussi, ô Bhagavat, nous plonger dans cette méditation ! Puissions-nous voir ce Bôdhisattva Mahâsattva, voir quelle est sa couleur, quelle est sa forme, quel attribut le distingue, quel est son état, quelle est sa conduite ! Que le Tathâgata consente à nous expliquer par quel prodige ce Bôdhisattva Mahâsattva a été tout d’un coup excité à venir dans l’univers Saha.

Ensuite le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., s’adressa en ces termes au bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, vénérable, etc., qui était entré dans le Nirvâṇa complet : Opère, ô Bienheureux, un prodige tel que le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara soit excité à venir dans l’univers Saha. Alors le bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, qui était entré dans le Nirvâṇa complet, opéra en ce moment un prodige à l’effet d’exciter le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara. Va, ô fils de famille, lui dit-il, dans l’univers Saha ; Mañdjuçrî Kumâra souhaite le plaisir de te voir. Alors le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara, après avoir salué, en les touchant de la tête, les pieds du bienheureux Tathâgata Kamala…abhidjña, vénérable, etc., après avoir tourné trois fois autour de lui en signe de respect, étant environné et suivi des quatre-vingt-quatre mille centaines de mille de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas, disparut tout d’un coup de l’univers Vâirôtchanaraçmi-pratimandita, et vint dans l’univers Saha, au milieu du tremblement des terres de Buddha, d’une pluie de fleurs de lotus, du bruit de cent mille myriades de kôṭis d’instruments ; il vint avec un visage dont les yeux ressemblaient à la feuille du lotus bleu, avec un corps de la couleur de l’or, orné de cent mille marques de pureté, resplendissant de beauté, brillant d’éclat, ayant les membres marqués des signes de la beauté, et un corps dont la charpente solide était l’œuvre de Nârâyana. Placé au sommet d’un édifice à étages élevés et fait des sept substances précieuses, il s’avançait suspendu dans l’air à la hauteur de sept empans, entouré, suivi par la troupe des Bôdhisattvas. S’étant rendu dans l’univers Saha, et, dans cet univers, au lieu où était situé Grĭdhrakûṭa, le roi des montagnes, il descendit du haut de sa demeure élevée,f. 224 a. et ayant pris un collier de perles du prix de cent mille [pièces d’or], il se dirigea vers le lieu où se trouvait Bhagavat. Quand il y fut arrivé, ayant salué, en les touchant de la tête, les pieds de Bhagavat, et ayant tourné sept fois autour de lui en le laissant à sa droite, il lui présenta ce collier pour l’honorer, et l’ayant présenté, il parla ainsi à Bhagavat : Le bienheureux Tathâgata Kamala…abhidjña, vénérable, etc., souhaite à Bhagavat peu de douleurs, peu de craintes, une position facile ; il lui souhaite l’énergie, l’habitude des contacts agréables ; car le Bienheureux a parlé ainsi : Est-il, ô Bhagavat, une chose pour laquelle tu aies besoin de patience et de persistance ? Les éléments [dont se compose ton être] sont-ils en parfaite harmonie ? Les créatures qui t’appartiennent sont-elles douées d’intelligence, faciles à discipliner, faciles à guérir ? Ont-elles le corps pur ? Leur conduite est-elle exempte des excès de l’affection, de la haine, de l’erreur ? Ces êtres, ô Bhagavat, sont-ils affranchis de l’envie, de l’égoïsme, de l’ingratitude à l’égard de leurs pères et mères, de la haine contre les Brahmanes, des fausses doctrines, de la révolte des pensées, du désordre des sens ? Ces êtres ont-ils, grâce à toi, détruit les obstacles que leur opposait Mâra ? Le Tathâgata Prabhûtaratna, qui est entré dans le Nirvâṇa complet, s’est-il rendu dans l’univers Saha pour entendre la loi, assis au milieu d’un Stûpa fait des sept substances précieuses ? Voici les vœux que le Bienheureux [qui m’envoie] adresse au bienheureux Prabhûtaratna :f. 224 b. « Est-il, ô Bienheureux, une chose pour laquelle le bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna ait besoin de patience et de persistance ? Le bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna restera-t-il longtemps ici ? » Et nous aussi, ô Bhagavat, puissions-nous voir la forme des reliques du bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, vénérable, etc. ! Que Bhagavat consente à nous montrer la forme des reliques du bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, vénérable, etc.

Alors le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., parla ainsi au bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, vénérable, etc., qui était entré dans le Nirvâṇa complet : Le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara, ô Bienheureux, désire voir le bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, vénérable, etc., qui est entré dans le Nirvâṇa complet. Alors le bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, vénérable, etc., parla ainsi au Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara : Bien, bien, ô fils de famille, il est bon que tu sois venu dans le désir de me voir, ainsi que le Tathâgata Bhagavat Çâkyamuni, vénérable, etc., et pour entendre cette exposition de la loi du Lotus de la bonne loi, et pour voir Mañdjuçrî Kumâra.

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Padmaçrî parla ainsi à Bhagavat : Quelle racine de vertu, ô Bhagavat,f. 225 a. le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara a-t-il fait croître autrefois, et en présence de quel Tathâgata ? Alors le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., parla ainsi au Bôdhisattva Mahâsattva Padmaçrî : Jadis, ô fils de famille, dans le temps passé, à une époque depuis laquelle se sont écoulés des Kalpas plus innombrables que ce qui est sans nombre, immenses, sans mesure et sans limite, dans ce temps et à cette époque, parut au monde le Tathâgata nommé Mêghadundubhisvararâdja, vénérable, etc., doué de science et de conduite, dans l’univers nommé Sarvabuddhasam̃darçana, dans le Kalpa Priyadarçana. Le Bôdhisattva Mahâsattva, vénérable, etc., honora le bienheureux Tathâgata Mêgha…râdja, en faisant résonner pour lui cent mille instruments de musique, pendant la durée de douze cent mille années. Il lui offrit quatre-vingt-quatre mille vases faits de substances précieuses. C’est alors qu’en vertu de la prédication du Tathâgata Mêgha…râdja, le Bôdhisattva Gadgadasvara acquit une beauté telle [que celle qu’il possède aujourd’hui]. Pourrait-il, après cela, ô fils de famille, te rester quelque incertitude, quelque perplexité, ou quelque doute ?f. 225 b. Il ne faut pas s’imaginer que dans ce temps et à cette époque il y eût un autre Bôdhisattva Mahâsattva, nommé Gadgadasvara, qui rendit ce culte au bienheureux Tathâgata Mêgha…râdja, qui lui offrit ces quatre-vingt-quatre mille vases. Pourquoi cela ? C’est que, ô fils de famille, c’était le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara lui-même qui rendit ce culte au bienheureux Tathâgata Mêgha…râdja, qui lui offrit ces quatre-vingt-quatre mille vases. C’est ainsi, ô fils de famille, que le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara a servi un grand nombre de Buddhas, qu’il a fait croître les racines de vertu qui étaient en lui sous un grand nombre de Buddhas, que, sous ces Buddhas, il s’est parfaitement purifié ; c’est ainsi que le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara a vu autrefois des Buddhas bienheureux en nombre égal à celui des sables du Gange. Vois-tu, ô Padmaçrî, sous sa propre forme, le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara ? Padmaçrî répondit : Je le vois, ô Bhagavat ; je le vois, ô Sugata. Bhagavat dit : Eh bien, ô Padmaçrî, le Bôdhisattva Gadgadasvara enseigne, en prenant beaucoup de formes différentes, l’exposition de la loi du Lotus de la bonne loi ; par exemple, il enseigne cette exposition de la loi du Lotus de la bonne loi, tantôt sous la forme de Brahmâ, tantôt sous celle de Rudra, tantôt sous celle de Çakra,f. 226 a. tantôt sous celle d’Içvara, tantôt sous celle de Sênâpati, tantôt sous celle de Çiva, tantôt sous celle de Vâiçravaṇa, tantôt sous celle d’un Tchakravartin, tantôt sous celle d’un Râdja commandant un fort, tantôt sous celle d’un chef de marchands, tantôt sous celle d’un maître de maison, tantôt sous celle d’un villageois, tantôt sous celle d’un Brahmane. Quelquefois c’est sous la forme d’un Religieux, d’autres fois sous celle d’une Religieuse, ou sous celle d’un fidèle de l’un ou de l’autre sexe, ou sous celle de la femme d’un chef de marchands, ou d’un maître de maison, où sous celle d’un enfant, ou sous celle d’une fille, que le Bôdhisattva Gadgadasvara a enseigné cette exposition de la loi du Lotus de la bonne loi. C’est sous l’apparence d’autant de formes différentes que le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara a enseigné aux créatures l’exposition de la loi du Lotus de la bonne loi. Sous l’apparence de ces différentes formes, ô fils de famille, le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara enseigne l’exposition de la loi du Lotus de la bonne loi aux créatures, et même à celles qui ont, les unes la forme de Yakchas, les autres celle d’Asuras, les autres celle de Garuḍas, les autres celle de Mahôragas. Le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara est le protecteur des êtres, même de ceux qui sont nés misérablementf. 226 b. dans les Enfers, dans des matrices d’animaux, dans le monde de Yama. Revêtant la forme d’une femme, le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara enseigne l’exposition de la loi du Lotus de la bonne loi aux créatures même qui sont renfermées dans l’intérieur des gynécées. Dans cet univers Saha, il a enseigné la loi aux créatures. Oui, il est le protecteur, ô Padmaçrî, des créatures qui sont nées dans l’univers Saha et dans l’univers Vâirôtchanaraçmi-pratimaṇḍita, ce Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara. C’est sous ces formes qu’il revêt miraculeusement, que le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara enseigne aux créatures l’exposition de la loi du Lotus de la bonne loi. Et il n’y a, ô vertueux personnage, ni diminution de la puissance surnaturelle du Bôdhisattva, ni anéantissement de sa sagesse. Telles sont, ô fils de famille, les manifestations de science par lesquelles le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara se fait connaître dans l’univers Saha. De même, dans d’autres univers égaux en nombre aux sables du Gange, il prend la figure d’un Bôdhisattva pour enseigner la loi aux créatures qui doivent être converties par un Bôdhisattva, celle d’un Çrâvaka pour l’enseigner aux créatures qui doivent être converties par un Çrâvaka, celle d’un Pratyêkabuddhaf. 227 a. pour l’enseigner aux créatures qui doivent être converties par un Pratyêkabuddha, celle d’un Tathâgata pour celles qui doivent être converties par un Tathâgata. À ceux qui ne peuvent être convertis que par les reliques du Tathâgata, il fait voir les reliques du Tathâgata. À ceux qui ne peuvent être convertis que par le Nirvâṇa complet, il se fait voir entrant lui-même dans le Nirvâṇa complet. Telle est, ô Padmaçrî, la force de la science dont le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara a obtenu la production.

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Padmaçrî parla ainsi à Bhagavat : Le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara a fait croître, ô Bhagavat, les racines de vertu qui étaient en lui. Quelle est, ô Bhagavat, la méditation par laquelle le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara, une fois qu’il y a été établi, a converti un aussi grand nombre d’êtres. Cela dit, le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., parla ainsi au Bôdhisattva Mahâsattva Padmaçrî : C’est, ô fils de famille, la méditation nommée la Manifestation de toutes les formes. C’est en étant ferme dans cette méditation que le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara a fait le bien d’un nombre immense d’êtres.

Pendant que cette histoire de Gadgadasvara était exposée, les quatre-vingt-quatre centaines de millef. 227 b. de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas qui étaient venues dans l’univers Saha avec le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara, devinrent possesseurs de la méditation de la Manifestation de toutes les formes ; et dans l’univers Saha, il y eut une foule de Bôdhisattvas dont le nombre dépasse tout calcul, qui devinrent également possesseurs de cette méditation.

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara, après avoir rendu un culte étendu et complet au bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., et au Stûpa qui contenait les reliques du bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, remontant de nouveau au sommet de son édifice élevé, fait des sept substances précieuses, au milieu du tremblement des terres de Buddha, des pluies de fleurs de lotus, du bruit de cent mille myriades de kôṭis d’instruments, entouré et suivi de ses quatre-vingt-quatre centaines de mille de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas, regagna de nouveau la terre de Buddha qu’il habitait, et y étant arrivé, il parla ainsi au bienheureux Tathâgata Kamala…abhidjna, vénérable, etc. : J’ai fait, ô Bienheureux, dans l’univers Saha, le bien des créatures. J’ai vu et j’ai honoré le Stûpa contenant les reliques du bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, vénérable, etc. ; j’ai vu et j’ai honoré le bienheureux Çâkyamuni ; Mañdjuçrî Kumâra, ainsi que le Bôdhisattva Mahâsattva Bhâichadjyarâdja qui a acquis l’impétuosité de la force de la science, et le Bôdhisattva Mahâsattva Pradânaçûra ont été vus par moi ;f. 228 a. et ces quatre-vingt-quatre centaines de mille de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas ont tous obtenu la méditation nommée l’Exposition de toutes les formes.

Or pendant qu’était exposé ce récit de l’arrivée et du départ du Bôdhisattva Mahâsattva Gadgadasvara, quarante-deux mille Bôdhisattvas acquirent la patience dans les lois surnaturelles ; et le Bôdhisattva Mahâsattva Padmaçrî obtint la possession de la méditation du Lotus de la bonne loi.


Notes du chapitre XXIII

CHAPITRE XXIII.

f. 222 a.Anilam̃bha.] Le nom de cette méditation ne peut signifier « qui ressemble au vent ; » il faudrait Anilâbha pour avoir ce sens ; Anilambha (qu’il vaut mieux écrire avec un m qu’avec un anusvâra), doit signifier « ce dont il n’y a pas de prise, imprenable. » De même encore Sarvapunyasamutchtchaya doit signifier « l’accumulation de toutes les vertus. » Au lieu de Apkrĭtsna, « eau en totalité, » les deux manuscrits de M. Hodgson lisent Asakrĭtsamâdhi, « la méditation répétée, » leçon très-préférable. Les mêmes manuscrits lisent encore Sûryagarbha, « celui dont le soleil est la matrice, » au lieu de Sûryâvarta. Je cite ces variantes non à cause de leur valeur intrinsèque, mais pour montrer quel arbitraire il y a dans les noms de ces exercices fantastiques de la pensée que les Buddhistes décorent du nom de « méditations, » ou selon une autre explication du mot, « d’empire exercé sur soi-même, » et dont ils se plaisent à imaginer qu’il existe des séries sans fin.

f. 223 b.Kim̃çuka.] Le Kim̃çuka est le butea frondosa, arbre de la famille des papilionacées, qui porte de belles fleurs rouges. Il y a ici dans le manuscrit de la Société asiatique une lacune assez considérable, depuis les mots « de la science émanée du Tathâgata, » jusqu’aux mots « opéra en ce moment un prodige, » p. 256. J’avais déjà comblé cette lacune à l’aide du manuscrit de Londres ; les deux manuscrits de M. Hodgson la remplissent exactement de la même manière, sauf quelques mots sans importance.

Que le Tathâgata consente à nous expliquer par quel prodige, etc.] La comparaison des deux manuscrits nouveaux de M. Hodgson permet de traduire plus exactement : « Que le Tathâgata veuille bien accomplir un prodige tel que le Bôdhisattva Mahâsattva excité par ce prodige vienne dans cet univers Sahâ. » La phrase suivante par laquelle Çâkyamuni invite Prabhûtaratna à faire le miracle qui lui a été demandé, prouve que le passage retraduit ici ne peut avoir un autre sens.

À la hauteur de sept empans.] Lisez, « de sept Tâlas. »

f. 224 a.Souhaite à Bhagavat peu de douleurs, etc.] Cette phrase exprime en termes spéciaux la manière dont il était d’usage de saluer Çâkyamuni ; du moins les mots dont elle se compose sont en quelque sorte stéréotypés dans une formule qui se répète toujours la même dans de nombreux textes, et qui est aussi familière aux Buddhistes du Sud qu’à ceux du Nord ; j’ai eu occasion de la signaler déjà au chap. xiv, f. 162 a, p. 412. En voici les termes tels que nous les donne le Lotus, et tels qu’on les retrouve dans les Sûtras simples du Divya avadâna : Alpâvâdhatâm pariprĭtchtchhaty alpâtag̃katâñtcha laghusthânatâñtcha (al. laghûtthânatântcha) yâtrâbalam̃ (al. yâtrâñtcha balañtcha) sukhasparçavihâratâñtcha (al. sukhañtchânavadyatâñtcha sparçavihâratâñtcha). Les termes placés entre parenthèses sont empruntés au Prâtihârya sûtra[1] ; c’est vers la fin seulement qu’ils introduisent quelque changement dans la formule. Je puis proposer maintenant, pour le texte de notre Lotus, une version plus littérale que celle que j’avais adoptée d’après le seul manuscrit de la Société asiatique : « Il souhaite à Bhagavat peu de peines et peu de douleurs, et une position facile ; il lui souhaite la force de la marche et l’habitude des contacts agréables. » Si l’on suit la version du Prâtihârya sûtra, il faudra traduire : « Il souhaite à Bhagavat peu de peines et peu de douleurs, et une exertion facile, et la marche, et la force, et le bonheur, et la considération, et l’habitude des contacts. » On voit sans peine qu’il s’agit ici presque exclusivement d’avantages physiques dont on souhaite que le Buddha soit en possession pour qu’il puisse se livrer plus librement à l’accomplissement de sa mission. C’est ce qu’on reconnaît de suite dans les deux premiers termes âvâdha et âtag̃ka, qui pour les Buddhistes, comme pour les Brâhmanes, signifient « peine et maladie. »

Le terme suivant n’est pas aussi clair, à cause de la double leçon que présentent les manuscrits. Suivant celle du Lotus, laghusthânatâ signifiera « l’avantage d’une situation facile, » soit qu’on désigne ainsi l’avantage de se tenir aisément debout, soit qu’on fasse allusion à ces longues et merveilleuses séances où, selon les Sûtras développés, Çâkyamuni restait un temps infini assis sans bouger dans la même position. La leçon du Prâtihârya sûtra donne ce sens, « l’avantage d’un effort facile, » ce qui est, je crois, la meilleure interprétation. Mais faut-il attacher une si grande valeur à cette différence d’orthographe, sthâna et utthâna ? ne doivent-elles pas rentrer l’une dans l’autre quant au sens ? Et alors s’il n’y a qu’une différence de forme, faudra-t-il attribuer cette différence à une variété de dialecte, comme quand on voit, dans le langage des édits de Piyadasi à Girnar, le mot usthâna, « effort, » conserver, selon la remarque de Lassen[2], la forme radicale plus fidèlement que le sanscrit utthâna ? Ces questions, toutes minutieuses qu’elles paraissent être, reçoivent cependant une certaine importance de leur rapport à une question plus générale, celle de la rédaction des livres primitifs et des livres remaniés, puisqu’il s’agit dans le Lotus de la bonne loi d’un Sûtra développé, et dans le Sûtra des miracles d’un Sûtra simple. Quant aux termes suivants, « la force de la marche » ou « la marche et la force, » la première version me paraît préférable ; ici la formule des Buddhistes du Sud semble donner l’avantage à la seconde version, puisqu’on n’y voit que balam, « la force ; » mais il n’y est pas question de yâtrâ, omission qui diminue la valeur de son témoignage. Je crois du reste que « la marche » ou « la force de la marche » fait allusion à la double nécessité où est Çâkyamuni, ainsi que tous les Religieux, de recueillir sa nourriture en mendiant, et de marcher de long en large sur la promenade des monastères. Je donne encore l’avantage à la leçon du Lotus sur celle du Prâtihârya, en ce qui touche les mots suivants, « et l’habitude des contacts agréables. » Outre que la leçon que je préfère est exactement celle de la formule des Buddhistes méridionaux, la version du Prâtihârya sûtra sépare vraisemblablement à tort l’idée exprimée par anavadyatâm, « la considération, le mérite de ne pas donner prise aux reproches, » de cet autre avantage de ne rencontrer que des contacts agréables ; et de plus, le terme « les contacts » se trouve isolé sans qualificatif qui le détermine. Voici maintenant la formule en pâli, telle qu’on la trouve fréquemment dans les Suttas des Buddhistes de Ceylan : Subhô mânavô nôdêyyaputtô bhagavantam ânandam appâbâdham̃ appâtam̃kam̃ lahuṭṭhânam̃ balam̃ phâsuvihâram̃ putchtchhati. « Le jeune Subha, fils du Nôdêyya, souhaite au bienheureux Ânanda peu de peines, peu de maux, une situation facile, la force et une existence aisée[3]. » Le mot lahuṭṭhâna que je traduis ici par « une situation facile » en le ramenant au sanscrit laghusthâna, peut également signifier « un effort facile, » si l’on en fait l’altération de laghûtthâna. Au reste, les deux formules sont bien certainement conçues dans le même esprit, et presque dans les mêmes termes ; et je crois, sauf erreur, que la plus ancienne des deux n’est pas la plus développée. Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est que je trouve une troisième rédaction de cette manière de compliment, très-rapprochée de celle des textes pâlis et plus brève encore, au début même de l’édit en forme de missive, que le roi Piyadasi adresse aux Religieux rassemblés dans le Magadha. On en trouvera l’explication à l’Appendice sous le no X.

f. 224 a.De la haine contre les Brahmanes.] J’ai peut-être traduit trop littéralement le terme abrâhmaṇya, qui doit plutôt signifier ici « l’impiété. »

f. 226 a.À celles qui ont, les unes la forme de Yakchas, etc.] Ces formes de Yakchas, d’Asuras et d’autres êtres surhumains ne sont pas seulement celles des créatures auxquelles Gadgadasvara est supposé enseigner la loi ; ce sont encore ici celles que Gadgadasvara lui-même revêt pour instruire ces diverses classes de créatures réelles ou imaginaires. Il faut donc traduire de la manière suivante la fin de cette phrase, après les mots aux créatures : « tellement qu’il prend pour les unes la forme d’un Yakcha, pour les autres celle d’un Asura, pour d’autres celle de Garuḍa, pour d’autres enfin celle d’un Mahôraga. »

  1. Divya avadâna, f. 78 a et 76 b.
  2. Indische Alterthumsk, t. II, p. 256, note 1.
  3. Subha sutta, dans Dîgha nikaya, f. 49 a ; Lôhitchtcha sutta , ibid. f. 58 b : Mahâparinibbâna sutta, ibid. f. 81 b.