Mélanges/Tome I/72

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LES « PREMIÈRES POÉSIES »
D’EUDORE ÉVANTUREL


7 mai 1878.


J’ai lu, oui j’ai lu les « Premières Poésies » de M. Eudore Évanturel. Je voudrais les critiquer, mais je sens que la tâche est au-dessus de mes forces. Je ne me suis jamais trouvé en face d’un pareil livre. En le parcourant, j’ai éprouvé des sensations nouvelles et impossibles à décrire : un mélange d’indignation, d’étonnement, de stupéfaction, de tristesse et d’hilarité.

D’abord, c’est l’indignation qui s’est emparée de moi. J’ai voulu prendre un ton solennel et dire de gros mots, tels que sottises, inepties, niaiseries, platitudes, que sais-je encore. Peine inutile. La langue française ne contient pas de termes assez énergiques pour rendre ma pensée. Renonçons au genre tragique ; essayons de rire, peut-être cela nous soulagera-t-il un peu.

Est-il donc vrai que ce jeune homme n’a pas un ami assez sincère et assez charitable pour lui dire qu’il n’est pas poète et qu’il ne le deviendra jamais ? Cet ami n’est certes pas notre grand romancier, M. Marmette, car c’est lui qui s’est chargé d’écrire la préface du livre et de présenter au public le musagète débutant.

La préface est digne de l’ouvrage. M. Marmette est à la hauteur du sujet et nul autre que lui n’aurait pu produire un morceau de prose qui cadrât si bien avec les vers de M. Évanturel.

L’auteur de Charles et Eva, il va de soi, nous parle d’abord de lui-même et de l’été qu’il a passé au Bout-de-l’Île. C’est dans cet endroit enchanteur que le grand romancier a rencontré le petit poëte ; c’est là qu’ils ont flâné ensemble et qu’ils ont conçu le néfaste projet de publier ce volume. Pourquoi ces détails ? N’était-ce pas assez de nous infliger ce livre, sans nous faire connaître le lieu où vous avez tramé ce noir complot contre le bon sens ? Qui voudra désormais visiter l’Île d’Orléans ? Assurément, pas une seule des personnes qui liront les Premières poésies. Au reste, le nombre en sera fort restreint.

M. Marmette s’extasie devant les vers de M. Évanturel. Notre grand romancier en extase n’est pas ce qu’il y a de moins désopilant au monde.

M. Marmette trouve chez son ami toutes les qualités imaginables. Et M. Évanturel est sans doute convaincu que M. Marmette a de l’esprit. Heureux M. Marmette ; heureux M. Évanturel !

Les vers de M. Évanturel, dit M. Marmette, ont un air de contentement — est-ce que cela signifie que l’auteur a l’air content de lui ? — et de gaieté, des notes tristes et même des sanglots immortels. Enfin une infinité de choses remarquables que le lecteur superficiel n’observe pas à l’œil nu. Son cher Eudore « butine sur les fleurs, comme les abeilles », tout en se ménageant, dans l’occasion, des « élans hardis. » Par ses « allures cavalières » — et certes il en a — M. Évanturel « offre un air de parenté avec Alfred de Musset. » En effet, la ressemblance entre de Musset et Eudore doit se borner à des « allures cavalières ». Je ne connais guère de Musset, Dieu merci, mais on m’affirme qu’il a de l’harmonie, de la verve, de l’inspiration, même du génie, toutes choses qui manquent absolument à l’auteur de Crâne et cervelle.

Ce n’est pas tout. M. Marmette nous apprend que son auteur « s’efforce de se rapprocher de Theuriet, de Copée, de Sully Prudhomme et d’Alphonse Daudet. » Mais en homme prudent, il se garde bien de dire que M. Évanturel réussit dans ses efforts.

Je ne puis résister plus longtemps à la tentation de citer textuellement un passage de M. Marmette :

« Ainsi que la belle fille célébrée dans le sonnet bien connu de Joséphin Soulary, laquelle enferme son corps souple dans une robe juste et collante qui fait valoir toute l’exquise perfection de ses formes, les petits drames dont se composent le grand nombre des productions de M. Évanturel, s’agitent dans un cadre de peu de dimension et veulent suppléer à la profusion des ornements par la délicatesse des lignes et le fini des contours. »

D’abord, une question : Connaissez-vous Joséphin Soulary et son sonnet bien connu ? Je le demande aux hommes qui s’occupent de littérature. Ou si vous les connaissez, n’est-ce pas M. Jacques Auger qui vous les a fait connaître ?

Puis, comment trouvez-vous la toilette de la belle fille ? Je me trompe peut-être, mais il me semble que M. Marmette a un goût très-prononcé, trop prononcé même pour les costumes « justes et collants. »

Après ces réflexions d’une haute portée morale, M. Marmette prend la peine de citer plusieurs morceaux de M. Évanturel, qu’on peut lire vingt pages plus loin, sous prétexte d’en faire ressortir des beautés imaginaires. C’est un misérable truc pour faire lire ces vers deux fois. Je le dénonce comme « manœuvre frauduleuse. »

Mais puisque M. Marmette nous en donne le fâcheux exemple, citons des vers de M. Évanturel :

J’étais sorti, croyant la voir après la messe.
J’attendis vainement jusqu’au soleil couché,

Je revins cependant sans paraître fâché,
Très lentement, les yeux levés, la tête haute.
Mais j’ai battu mon chien en entrant. C’est sa faute.

M. Marmette nous donne sa parole de romancier que ce dernier vers est un « trait piquant de joyeuseté, un jet d’humeur. » Je suis bien aise de le savoir, car franchement je n’y voyais d’abord qu’une platitude, pour ne pas dire une stupidité. Et même avec l’aide des lumières de M. Marmette, je ne comprends pas trop en quoi consiste le « trait piquant de joyeuseté. » Peut-être que le chien, la partie la plus intéressée dans l’affaire, pourrait nous donner quelques éclaircissements sur ce sujet.

Mais glissons là-dessus. Écoutons plutôt M. Marmette qui va nous citer encore des vers. C’est le poëte qui fait ses adieux à sa muse. Yoyez comme il s’y prend d’une curieuse façon :

Tout est fini. Fermons la porte,
Et mettons la barre aux volets,
Fais tes malles, petite ! Emporte
Tes colliers d’or, tes bracelets.

Vite défais ta robe neuve,
Détache ton tablier blanc,
Rajuste ta coiffe de veuve
Donne un baiser à ton amant.

Il eût été plus convenable, ce me semble, que le poëte se retirât pendant que sa muse changeait de toilette. Puis, comment feront-ils pour sortir de l’appartement, puisqu’ils ont fermé la porte et mis la barre aux volets ? Je ne vois d’autre issue que la cheminée. Et depuis quand, je vous en prie, les muses portent-elles des coiffes de veuve, même lorsqu’elles sont abandonnées de leurs amants ? M. Marmette nous déclare que c’est « là de la poésie de genre. » Libre au lecteur d’ajouter au mot genre l’épithète qu’il croira « la plus appropriée à la circonstance » : bête, par exemple.

Nous touchons à la fin de la préface, heureusement. Mais en terminant, M. Marmette commet une dernière inconvenance. Il ose accoler le nom d’Eudore Évanturel à celui de Crémazie. C’est un crime de lèse-littérature contre lequel je proteste de toutes mes forces.

Abordons maintenant l’ouvrage même. Notre travail ne sera pas bien long, car, par bonheur, il y a beaucoup de papier blanc. Plût au ciel qu’il y en eût davantage, le papier non imprimé étant la partie la mieux réussie du livre.

Citer les vers de M. Évanturel, c’est les critiquer. Si l’espace me le permettait, je reproduirais tout le volume, sans commentaire, et j’aurais vengé le bon sens outragé dans chaque ligne. Mais il y a des degrés partout, même dans la bêtise ; je me bornerai par conséquent aux morceaux les plus ineptes.

M. Évanturel commence par les quatre saisons, qu’il habille les unes après les autres. Le printemps porte une cravate de soleil, avril tient un parasol à la main et mai, qui le suit par derrière, a une rose à la boutonnière ; juillet est coiffé d’un chapeau de paille et.

Le blé promet, la fraise est mûre,
Quand vient le soir, tant l’air est bon,
La lune en quête d’aventure
Se promène sur son balcon.

Parlant de l’automne, le poète fait des révélations saisissantes, startling, comme disent les Anglais.

Les nuits sont froides ; — l’on s’enrhume ;
Soir et matin le ciel est noir.
Les nuits sont froides ; — le toit fume ;
La boue encadre le trottoir.

Après avoir cité ces vers, M. Napoléon Legendre, membre actif de la société d’admiration mutuelle, s’exprime comme suit :

Voici, à mon avis, quelque chose qui sort de l’ordinaire et du commun. Les pensées sont neuves et habillées dans un langage élégant. Le vers est bien fait et l’idée y est à l’aise.

Ainsi, dire qu’en automne l’on s’enrhume et que la boue encadre le trottoir, c’est formuler des pensées neuves, c’est sortir de l’ordinaire et du commun. M. Legendre a bien fait de le dire, car personne ne s’en serait douté. Mais en y réfléchissant un peu, ou se convaincra qu’il y a là réellement du neuf et de l’extraordinaire : C’est de voir qu’il existe des hommes capables de trouver de la poésie dans un rhume de cerveau.

M. Legendre dit que l’idée est à l’aise dans le vers. Certes, oui on pourrait y mettre encore plusieurs autres idées de cette force sans rien gêner.

Mais laissons les quatre saisons à l’admiration de M. Legendre ; passons par-dessus l’Inconnue qui se cachait le pied dans la mousse amoureuse ; passons par-dessus l’écolier, dont les « trous de son habit laissent voir sa chemise. » — M. Legendre prétend que c’est de la « véritable poésie » — ; passons aussi par-dessus le Pastel, représentant, entre autres choses, des ogives et des vieux ponts qui prennent « à qui mieux mieux des airs de nostalgie » ; arrêtons-nous un instant devant Les amoureux. Ce morceau commence par les merveilleux vers que voici :

Cet amour réchauflé s’anime aux feux de l’âtre.
Ils s’étaient rencontres au sortir du théâtre,
Comme ceci ; l’instant de se dire au revoir.

La société d’admiration mutuelle devrait offrir une récompense honnête à celui qui trouvera une explication plausible à cette charade.

Dans la pièce intitulée. : Fatalité, le poëte se montre sous ses véritables couleurs. Une jeune fille est occupée à l’aire sa toilette, et le musagète ne craint pas d’avouer qu’il la regarde par la porte entr’ouverte. C’est là, sans doute, une de ces « allures cavalières » que M. Marmette signale, à l’admiration du public.

Les transitions de M. Évanturel sont parfois heureuses. Exemple :

Le poëte entre dans la demeure d’un homme qui s’est fait tuer par le tonnerre :

…le cadavre avait la face noire.
À la cloison pendait un crucifix d’ivoire.
Pas de feu. La misère et le deuil à la fois.
L’ouragan descendait de la cime des bois,
Et, courant vers les flots, semblait vouloir les tordre.
Le vieux chien se dressa sous le lit pour me mordre,
J’eus peur. Un nouveau né dormait sur l’établi.

Ce vieux chien qui se dresse tout à coup au milieu de la tempête, sous le lit, fait un charmant tableau. Si le désordre était toujours un effet de l’art, ce passage devrait être classé parmi les chefs-d’œuvre de l’esprit humain, car il serait difficile, je crois, de trouver autant de confusion en aussi peu de lignes.

Je cite en entier le morceau suivant, où le poëte se peint lui-même.

J’ai rêvé bien souvent d’aller mourir à Nice,
Seul, au milieu d’un bois, dans un vieux châlet de Suisse,
Près d’un lac ; mais surtout j’ai souhaité d’avoir,
Un marquisat bien riche avec un beau manoir.
Ou plutôt un castel bâti sous Charlemagne,
J’aurais voulu vivre, autrefois, en Champagne.

(Si le poète voulait être franc, il avouerait qu’il ne sait pas du tout ce qu’il veut. Mais c’est un détail.)

Du temps de Louis quinze et de la Pompadour,
L’été dans mon domaine, et l’hiver dans la cour,
J’aurais servi mon roi, le peuple et la noblesse.
Aux soupers clandestins du baron de Gonesse,
Plus tard, Lebel m’aurait fait voir la Dubarry.
Partout, dans mon castel, au château de Marly,
Même au grand Trianon, aux pieds d’une marquise,
J’aurais relu Rousseau — La nouvelle Héloïse.

Je n’ai pas besoin de faire ressortir la profonde immoralité de ce dernier passage. Ceux qui connaissent l’histoire, ceux qui connaissent la Nouvelle Héloïse de Rousseau comprendront toute la dépravité des goûts de ce jeune homme.

Dans un autre endroit, M. Évanturel se vante de lire Alfred de Musset sous un if. Il a lu cet auteur dangereux, j’en suis convaincu, mais non sous un if, attendu qu’il n’y en a pas dans le pays. Le pauvre garçon admet qu’il rêve, la nuit, à Don Paez. Dans ce cas, ses rêves sont aussi mauvais que ses vers, car Don Paez, m’assure-t-on, est un véritable Don Juan parisien, un Lovelace doublé de la grossièreté d’un Picounoc.

Ainsi les deux seuls morceaux qui renferment une pensée quelconque respirent la volupté, la luxure, les passions les plus dégradantes. Je veux croire que M. Évanturel a le cœur moins gâté qu’il le dit, mais s’il continue ses mauvaises lectures il finira pas tomber aussi bas que les tristes personnages qu’il chante.

Les finales de M. Évanturel sont toujours pénibles On dirait qu’il fait un suprême effort pour terminer chaque morceau par un vers encore plus vide que les autres. Et, règle générale, il réussit à merveille. Yoyons-le plutôt à l’œuvre.

Ce sera le dernier (cadeau) d’une flamme mourante ;
Et quand tu briseras ce coffret pour le voir,
Mon cœur — que la lame aura blessé, méchante ! — (vers de onze pieds !)
Tombera tout saignant de son papier en noir.

Quelle chute, grand Dieu ! Et c’est devant ces vers que MM. Marmette et Legendre se pâment d’admiration.

Autre exemple d’une chute douloureuse.

Une fenêtre. Un rideau rouge.
Et sur le canapé de crin,
Un enfant qui dort. Rien ne bouge,
Il est dix heures du matin.

C’est textuel. Ca finit comme ça et pas autrement. Par bonheur, le bambin ne monte jamais bien haut, il se contente de grimper sur les meubles ; sans cette précaution, les plongeons qu’il fait à chaque instant pourraient avoir une issue fatale.

M. Évanturel, nous assure M. Marmette, « joint au coloris beaucoup d’esprit d’observation. » Exemple :

Ce vieillard est toute une étude ;
Le regarde-t-on fixement
On reste avec la certitude
Que ses yeux roulent dans du sang.

Voilà à quoi se réduisent son étude et son esprit d’observation.

La platitude ici dorlote l’innocence.

La pièce de résistance est intitulée : En revenant des eaux. Il faut lire ce morceau en entier pour en saisir toute l’inénarrable inanité. C’est en revenant des eaux que M. Évanturel a

… rêvé des regards découpés en amande,


qu’il a adoré un œil battu, qu’il a demeuré sur le pont d’un bateau, une heure entière, par une pluie battante, sans l’ombre d’une raison ou d’un parapluie, et qu’il a commis mille autres folies, too numerous to mention, comme disent les encanteurs.

Avoir longtemps senti l’odeur de ses cheveux,


c’est ce qu’on fait à vingt ans, paraît-il, au bal.

Le poëte a fait un rêve qu’il s’empresse de raconter au public en le qualifiant de fort étrange. En effet, c’est un rêve assez curieux, puisqu’il rêvait qu’il rêvait. Après avoir parcouru, dans ce rêve rêvé, le monde parfait, en compagnie d’une jeune femme quelconque, à l’épaule de laquelle pendait une aile de duvet, il revient à lui, et

Je pressais sur mon cœur — c’est tout ce qui me reste,
Le rameau toujours vert de l’arbre de la foi,

Le poëte trouve qu’il ne lui reste pas grand’chose de son voyage. Je ne partage pas son opinion. Ce rameau me paraît unique, et si M. Évanturel voulait entrer en négociations avec Barnum, il pourrait vendre ce trophée, j’en suis convaincu, un prix fabuleux.

M. Évanturel a réimprimé ses Trois sonnets. Un homme qui a eu la faiblesse de faire un sonnet est tenu en honneur de le livrer au public. C’est la seule pénitence qui puisse racheter sa faute. À ce propos, je ferai remarquer, en passant, que M. Jacques Auger doit encore à son pays une amende honorable. Il a fait des sonnets qui n’ont pas vu le jour, si ce n’est dans un ouvrage de M. Soulary, bien connu du seul M. Marmette. Ce n’est pas bien ; d’autant plus que M. le syndic s’était solennellement engagé les publier dans le Journal de Québec, ce refuge des pécheurs littéraires. On attend avec anxiété ces sonnets, afin de pouvoir décerner à M. Auger le diplôme de grand écrivain qu’il réclame depuis si longtemps. Mais évitons les digressions.

Les sonnets de M. Évanturel ressemblent à tous les sonnets du monde, only more so. La rime y est, les vers ne dépassent pas le nombre voulu par la loi et les strophes sont disposées suivant les règles de l’art. Il ne manque qu’une chose : l’idée. Mais c’est une bagatelle dont il ne faut pas tenir compte.

Je cite quatre vers du troisième sonnet ; c’est assez :

Vous serez toujours là, penchée avec mystère,
Promenant ça et là votre front étonné,
Sur ce sonnet qu’un soir ma main a crayonné,
Ayant, à son insu, vos grands yeux pour lumière.

On admettra qu’il y a dans un sonnet de M. Évanturel de quoi nous faire promener ça et là notre front étonné.

M. Évanturel a la manie de commencer ex abrupto. Il faut presque toujours deviner le sujet. Cette manière de procéder n’est pas sans inconvénients, comme on peut le voir par les lignes suivantes, les premières d’un morceau intitulé : Cadeau de noce :

Contrat de mariage ! ô jabot de notaire !
Tu sentiras trembler ton âme dans ta voix,
Quand, tes prénoms signés, ta lèvre avec mystère,
Fera chanter ce oui sur un air de ton choix.

C’est soit le contrat de mariage, soit le jabot de notaire qui sent trembler son âme et dont la lèvre fera chanter ce oui ! Quel contrat, et surtout quel jabot !

N’en déplaise à M. Marmette, son jeune protégé n’a pas le moindre sentiment de la vraie poésie. Un véritable poëte ne saurait écrire, en face de la mort, des vers comme ceux-ci :

C’est demain que tu pars, c’est demain qu’un archange
Sous son aile, en passant, va venir te chercher.

Remarquez bien que la personne dont il s’agit est déjà morte et qu’elle va être enterrée le lendemain. Ce n’est donc pas l’âme, mais le corps que l’archange emportera sous son aile.

Et plus loin, dans la même pièce devers on trouve la profanation suivante :

On chantera pour toi quelque chose à l’église ;
Peut-être les adieux que tu chantais un soir.

Il faut être incapable de comprendre la musique et la poésie, il faut être insensible aux beautés de notre culte, pour qualifier de quelque chose la messe de requiem, le Dies iræ, le Libera, ces chants sublimes et touchants à la fois qui font verser des larmes à tout homme qui croit à l’immortalité de l’âme.

M. Évanturel rabaisse tout ce qu’il touche. Il lui est impossible de concevoir une pensée noble et élevée.

Elle mourut, la pauvre femme,
Dieu se fit apporter son âme,
Sur les ailes d’une chanson,

Cette pensée est aussi révoltante que ridicule ; ce n’est pas ainsi que les poëtes parlent de l’âme.

Mais pourquoi continuer plus longtemps nos recherches ? Nous ne trouverons dans ce recueil que de la « mauvaise prose dans laquelle les vers se sont mis, » pour me servir de l’expression d’un homme d’esprit.

M. Marmette, M. Legendre, le Journal de Québec et le Mercury auront beau faire, ils ne réussiront pas à empêcher les Premières Poésies de tomber à plat. On dira de ce prétendu poëte ce qu’un satirique français a dit de l’auteur d’une mauvaise pièce de théâtre :

…Il ne fut pas sifflé,

Non pas même sifflé ; ce fut la chute morne,
De l’ennuyeux parfait devant l’ennui sans borne.
L’asphyxie empêcha même qu’on pût gémir,
On craignit de siffler tant on voulait dormir,