Mémoires historiques/Appendice 6

La bibliothèque libre.
Volume III Appendice III
Le calendrier des Mémoires historiques
◄   Chapitre XXVI *   ►

Volume III Appendice III

Le calendrier des Mémoires historiques (101).


A


§ 1. — p.646 Le tableau placé à la fin du traité sur le calendrier comprend une période de 76 années. Cette période de 76 ans est ce qu’on appelle la période pou ; elle est la période la plus courte qui, dans le calendrier lunisolaire des Chinois, mette l’accord entre les trois éléments qu’il s’agit de concilier, à savoir les jours, les lunaisons et les années solaires ; en d’autres termes, c’est au bout de 76 ans seulement, et c’est tous les 76 ans, que le nombre des jours écoulés, celui des lunaisons et celui des années sont exprimés tous trois par des nombres entiers. Pour le faire comprendre, il est nécessaire de montrer comment était constitué le calendrier qui nous est exposé dans les Mémoires historiques. ,

§ 2. -Explication de la seconde colonne du tableau. - En premier lieu les lunaisons et les années sont mises d’accord par l’institution des mois intercalaires. La durée de la lunaison étant évaluée à 29 jours et 499/940, douze lunaisons ne faisaient que 354 jours et 1/4 ; or l’année solaire était estimée à 365 jours et 1/4 ; au bout de moins de trois ans, la différence entre l’année lunaire et l’année solaire devenait supérieure à la durée d’une lunaison, et alors on ajoutait un mois intercalaire. Or, en partant des valeurs attribuées plus haut à l’année et à la lunaison, si en 19 années on admet 7 mois intercalaires, à la fin de p.647 la dix-neuvième année ; les lunaisons et les années seront toutes deux exprimées par des nombres entiers et embrasseront le même espace de temps. En effet :

  • 19 années solaires =

(365 + 1/4) x 19 = 6939 + 3/4 jours ;

  • 19 années lunaires =

[(29 + 499/940) x 12 x 19] + [(29 + 499/940) x 7]

                             = (6733 + 32/940) + (206 + 673/940) 
                             = 6939 + 3/4 jours.


Cette période de 19 années au bout de laquelle l’accord était rétabli entre les temps de la lune et ceux du soleil s’appelait une période tchang. Elle est l’équivalent exact de l’ennéadécaétéride que Méton introduisit en 432 avant notre ère dans le calendrier grec.

La deuxième colonne du tableau des Mémoires historiques nous montre comment les sept années embolismiques étaient réparties dans la période tchang. En désignant par a les années de 12 mois et par b les années de 13 mois, la période tchang, supposée commençant en 104 avant J.-C., sera exprimée par la formule :

a a b a a b a a b a b a a b a a b a b.

§ 3. - Explication de la première colonne du tableau. - Le début de chaque période tchang est marqué par la coïncidence entre les commencements de la lunaison et de l’année, c’est-à-dire dans le système chinois, entre la syzygie de conjonction et le solstice d’hiver. Cette coïncidence ne se produit pas toujours à la même heure. En effet, l’année comprend 365 jours et 4 ; si donc, au début de la première année du premier tchang, la coïncidence s’est produite à minuit, la première année du second tchang commencera après le temps suivant :

19 x (365 + 1/4) = n + 3/4 jours ;

en d’autres termes, la syzygie de conjonction et le solstice d’hiver coïncideront à 6 heures avant minuit. La première année du troisième tchang commencera après le temps suivant :

38 x (365 + 1/4) = n + 2/4 jours ;

p.648 en d’autres termes la syzygie de conjonction et le solstice d’hiver coïncideront à midi. Enfin la première année du quatrième tchang commencera après le temps suivant :

57 x (365 + 1/4) = n + 3/4 jours ;

en d’autres termes, la syzygie de conjonction et le solstice d’hiver coïncideront à 6 heures du matin.

L’application de cette théorie constitue ce qu’on appelle la méthode des quatre principes. En pratique, les quatre principes se réduisaient à trois puisque la coïncidence à midi entre la syzygie de conjonction et le solstice d’hiver était inobservable. Plus tard, on crut que la constatation de cette coïncidence devait se faire seulement à 6 heures du soir, mais les anciens avaient connu les trois moments d’observation.

L’indication des quatre principes est donnée dans le tableau des Mémoires historiques sous une forme qui paraît au premier abord un peu énigmatique. Dans la première colonne de ce tableau on voit en effet. que le nord est la direction qui correspond au moment où la syzygie de conjonction et le solstice d’hiver coïncident au début de la première période tchang ; de même l’ouest, le sud et l’est correspondent respectivement aux commencements des trois autres périodes tchang. La correspondance entre ces directions et ces époques nous est expliquée par un moyen terme qui est la série cyclique de 12 caractères 1 ; d’une part, en effet, ces 12 caractères servent à désigner les 12 heures doubles dont l’ensemble forme la journée ; le caractère tse désignant minuit, mao sera 6 heures du matin, ou sera midi, yeou sera 6 heures du soir. D’autre part, ces mêmes caractères sont distribués sur l’horizon de manière à le diviser en douze parties égales : tse indique le nord ; mao, l’est ; ou, le sud ; yeou l’ouest. Ainsi, dire que le commencement du premier tchang correspond au nord, c’est dire qu’il se produit à l’heure tse ou à minuit ; de même, le commencement du second p.649 tchang correspond à l’ouest parce qu’il se produit à l’heure yeou ou à 6 heures du soir ; le commencement du troisième tchang correspond au sud, parce qu’il se produit à l’heure ou ou à midi ; le commencement du quatrième tchang correspond à l’est parce qu’il se produit à l’heure mao ou à 6 heures du matin.

§ 4. - Pour achever le calendrier, il restait à trouver le nombre d’années nécessaire pour obtenir un nombre entier, non seulement de mois et d’années, mais aussi de jours. Il fallait accorder les jours, d’une part avec les années lunaires, d’autre part avec les années tropiques.

a) Explication de la troisième et de la quatrième colonnes du tableau. — L’année de 12 lunaisons compte 354 jours et 348/940 ; elle comprend 5 cycles de 60 jours avec un surplus de 54 jours et 348/940 ; les 54 jours sont ce que le tableau (3e colonne) appelle le grand reste ; les 348/940 de jour sont ce qu’il appelle le petit reste (4e colonne, où le numérateur seul est exprimé). Ce surplus s’ajoute au total de la seconde série de 12 lunaisons qui comprend donc un nombre de jours égal à :

354 + 348/940 + 54 + 348/940 = 408 + 636/940. Or ce nombre peut se décomposer en six cycles de 60 jours et il y a un surplus de 48 jours (3e colonne du tableau) et 696/940 (4e colonne) qui doit se reporter sur la troisième série de 12 lunaisons. Mais, d’autre part, on est obligé d’ajouter à la troisième année un mois intercalaire. La troisième série de 12 lunaisons se trouve donc grevée, outre le surplus dont nous venons de parler d’une lunaison supplémentaire ; par conséquent elle comprendra un nombre de jours qu’exprime la formule suivante :

354 + 348/940 + 48 + 696/940 + 29 + 499/940 = 432 + 603/940.

Or ce nombre peut se décomposer en 7 cycles de 60 jours et il y a un surplus de 12 jours (3e colonne du tableau) et 603/940 (4e colonne).

En continuant ces opérations, on trouve que le surplus des jours p.650 reste un nombre fractionnaire jusqu’à la 76e année, à la fin de laquelle le surplus est de 39 jours exactement. Si nous nous reportons en effet au tableau des Mémoires historiques, nous voyons que la 76e année est grevée d’un surplus de 15 jours et 93/940 (p. 337 colonnes 3 et 4, dernière ligne) ; or cette année comporte un mois intercalaire ; donc elle comprendra un nombre de jours exprimé comme suit :

354 + 348/940 + 15 + 93/940 + 29 + 499/940 = 399.

Or ce nombre peut se décomposer en 6 cycles de 60 jours et il y a un surplus de 39 jours exactement.

b) Explication de la cinquième et de la sixième colonnes du tableau. — Nous abordons la dernière phase du problème : il faut concilier les jours avec l’année tropique ; celle-ci compte 365 jours et 1/4 ; comme les Mémoires historiques supposent une division du jour en 32 parties, ils expriment la valeur en jours de l’année tropique par le nombre 365 + 8/32.

Puisque la fraction de jour qui se répète chaque année est 1/4, il est évident qu’au bout de 4 ans le nombre des jours sera un nombre entier. Plus tard, les Chinois s’aperçurent que cette fraction n’était pas aussi simple, et l’ancienne méthode, qui est celle que nous trouvons dans les Mémoires historiques, resta connue sous le nom de « Méthode de la division par quarts ».

On ne peut pas cependant s’arrêter après la quatrième année, puisque, à ce moment, si les nombres des jours et des années sont des nombres entiers, il n’en est pas de même du nombre des lunaisons. On poursuivra donc l’addition des jours que l’année tropique renferme en plus d’un nombre exact de cycles de 60 jours, jusqu’à ce qu’on arrive à une époque où les nombres des jours, des lunaisons et des années soient des nombres entiers. La première année compte 365 jours et 8/32, c’est-à-dire 6 cycles de 60 jours, plus 5 jours et 8/32 ; 5 est le grand reste (5e colonne du tableau) ; 8/32 est le petit reste (6e colonne du p.651 tableau, où le numérateur seul est exprimé ; ; ce surplus s’ajoutera à l’année suivante qui comptera donc :

(365 + 8/32) + 5 + 8/32) = 370 jours et 16/32.

c’est-à-dire 6 cycles de 60 jours, plus 10 jours et 16/32 ; ce surplus s’ajoutera à l’année suivante qui comptera 375 jours et 24/32, c’est-à-dire 6 cycles de 60 jours, plus 15 jours et 24/32 ; la quatrième année aura un surplus de 21 jours exactement, puisque la fraction sera devenue 32/32 = 1. On continue ces opérations jusqu’à ce que le surplus des jours dépasse 60 (ce qui arrive après la 12e année), et on ne compte alors comme surplus que les jours au-delà du soixantième.

Il est évident qu’à la soixante-seizième année le surplus des jours sera un nombre entier, puisque tous les 4 ans ce nombre est entier et que 76 est un multiple de 4. Il est certain d’autre part que ce surplus sera le même que le surplus des jours par rapport aux lunaisons (cf. p. 650, lignes 1-2), puisque ces deux surplus sont le nombre qui s’ajoute à une quantité déterminée de cycles de 60 jours pour former le total des jours d’un seul et même laps de temps. Ces deux surplus sont tous deux de 39 jours. En effet, la 76e année est grevée d’un surplus de 33 jours et 24/32 (p. 337, colonnes 5 et 6, dernière ligne), à la fin de cette année, il restera donc un surplus de :

(33 + 24/32) + (5 + 8/32) = 39 jours.

La période pou de 76 ans est ainsi celle au bout de laquelle on obtient des nombres entiers de jours, de lunaisons et d’années, c’est-à-dire au bout de laquelle on trouve des quantités exactes des trois unités qu’il s’agissait de concilier. Cette période comprend :

      76 années

(12 x 6) + (4 x 7) = 940 lunaisons.

(462 x 60) + 39 = 27759 jours.

Cette période est celle même par laquelle l’astronome grec Callippe compléta en 330 avant J.C. le système des cycles de Méton.


B


§ 5. — p.652 Chaque année, dans le tableau des Mémoires historiques, est affectée de deux dénominations, dont l’une fait partie d’un cycle de dix, et l’autre d’un cycle de douze noms ; ces deux cycles sont combinés ensemble de manière à former un cycle de soixante termes doubles.

Considérons d’abord le cycle de dix noms.

On le trouve mentionné, non seulement dans le tableau des Mémoires historiques, mais encore dans le chapitre Che t’ien du Eul ya, qui indique les équivalences de ces dix noms avec les dix caractères cycliques kia, i, ping, ting, etc. On relève entre le texte du Eul ya et celui des Mémoires historiques des différences notables, comme le montre le tableau ci-dessous :


L’ordre des termes n’est point le même dans les deux énumérations ; pour ne parler que de ce qui est incontestable, il est évident que le 5e, p.653 le 8e et le 10e termes des Mémoires historiques sont identiques respectivement au 6e, au 10e et au 7e termes du Eul ya. Si ce cycle avait été d’un usage réel et fréquent pour la numération des années, on ne comprendrait guère qu’il s’y fût introduit de pareilles interversions ; de fait, si on excepte les lettrés qui, pour faire preuve de bel esprit, se sont servis de la notation indiquée par le Eul ya, on ne trouve aucun monument où le cycle de dix noms soit employé ; les inscriptions de l’époque des Han qui, comme nous le verrons plus loin, se servent volontiers du cycle duodénaire dont le premier terme est cho-t’i-ko, ne font jamais usage du cycle dénaire ngo-fong, tchan-mong, etc. D’autre part, même quand les termes sont identiques dans le Eul ya et dans les Mémoires historiques, comme cela est le cas par exemple pour les quatre premiers termes des deux séries, on remarquera que les caractères chinois affectés à ces termes diffèrent grandement dans les deux textes. Il semble qu’on soit en présence de noms étrangers pour la transcription desquels on pouvait prendre n’importe quels caractères pourvu qu’ils fussent homophones. L’origine de cette liste de dix noms reste obscure.

§ 6. — La série duodénaire qui est citée dans le chapitre XXVI des Mémoires historiques se retrouve dans le chapitre XXVII de ce même ouvrage, et, avec des variantes sans importance, dans le IIIe chapitre de Hoai-nan-tse, dans le chapitre Che t’ien du Eul ya et dans le chapitre T’ien wen tche du Ts’ien Han chou. Ce cycle de douze noms dépend indirectement des mouvements de la planète Jupiter ; il convient donc de le rapprocher d’un autre cycle plus ancien qui exprimait directement les positions successives de cette planète, appelée la planète de l’année. Je prends dans un commentaire du Tcheou li (chap. XXVI, article du fong siang che), intitulé wang che siang chouo, l’exposé de ce cycle ancien que je reproduis ci-dessous à gauche (A), et je mets à droite (B) l’énumération des Mémoires historiques, afin de rendre manifestes les relations qui existent entre les deux cycles. p.654 A. La planète de l’année (Jupiter) tourne à droite et accomplit en 12 ans sa révolution autour du ciel. B. Le T’ai soei ou Soei yn tourne à gauche, en corrélation constante avec Jupiter.


p.655 Les Chinois avaient remarqué que la planète Jupiter accomplissait en douze ans sa révolution autour du ciel ; leur première idée fut donc d’observer les douze places que cette planète occupait successivement dans le firmament, et d’attribuer un nom particulier à chacune des années correspondantes (cycle A du tableau ci-dessus). Nous verrons au § 7 que cette notation des années est en effet la plus ancienne dont il soit possible de retrouver la trace dans la littérature chinoise.

Ce système offrait cependant un inconvénient. Tandis que le mouvement

apparent du soleil va de l’orient à l’occident, celui des planètes, et par conséquent de Jupiter, va de l’occident à l’orient. Or les douze caractères du cycle tse, tch’eou, yn, mao, etc., sont distribuées sur l’horizon suivant la marche du soleil, c’est-à-dire en allant de l’est au midi, puis à l’ouest ; par conséquent lorsqu’on suivait l’évolution de la planète de l’année, on allait en sens inverse de l’ordre adopté dans ce cycle. Pour concilier le cycle de Jupiter et celui de la série tse, tch’eou, yn, mao, etc., on imagina un point qui occuperait toujours une position symétrique à celle de Jupiter par rapport à un diamètre de la circonférence céleste. Ce point qui s’appelait le yn de l’année, c’est-à-dire le principe antithétique de Jupiter ou du principe yang, avait sa marche réglée par celle de Jupiter, mais il est évident qu’il se mouvait en sens inverse, c’est-à-dire dans p.656 le sens même suivant lequel sont ordonnés les caractères cycliques (cf. cycle B du tableau de la p. 654 ). C’était la position de ce point qui indiquait l’année.


La figure de la page précédente exprime cette relation constante entre Jupiter et le yn de l’année, relation qui est d’ailleurs exposée tout au long dans le XXVIIe chapitre des Mémoires historiques :

« Dans l’année cho-t’i-ko, le yn de l’année se meut vers la gauche et est dans yn ; la planète de l’année (Jupiter) tourne vers la droite et est dans tch’eou .... Dans l’année tan-ngo, le yn de l’année est dans mao et la planète (Jupiter) se trouve dans tse .... Dans l’année tche-siu, le yn de l’année est dans tch’en et la planète (Jupiter) se trouve dans hai ..., etc.

§ 7. Reprenons maintenant le cycle qui correspondait directement à la position de la planète Jupiter (cycle A du tableau de la p. 654 ) et recherchons les textes anciens où il est employé pour la chronologie.

Il est nécessaire cependant de faire une remarque préliminaire. La planète Jupiter n’accomplit pas sa révolution en 12 années exactement, comme l’admettaient les Chinois ; la durée exacte de cette révolution est de années 11,86 ; une chronologie fondée sur les mouvements de Jupiter est donc, chaque 12 ans, en retard de année 0,14 sur la chronologie réelle ; ces retards, en s’accumulant, produiront rapidement une divergence notable entre les deux chronologies. Aussi lorsque les Chinois renoncèrent à noter les années au moyen de la position de Jupiter et eurent recours à la nomenclature cho-t’i-ko, tan-ngo, etc. (ou, ce qui revient au même, aux caractères cycliques tse, tch’eou, yn, mao, etc.), s’aperçurent-ils que leur chronologie se trouvait en retard de deux ans sur la chronologie réelle. Il faut donc, quand on trouve une date exprimée avec le cycle A (tableau de la p. 654), prendre la date correspondante dans le cycle B et lui ajouter deux années pour obtenir la date réelle. Des exemples nous feront mieux comprendre.

Dans le Kouo yu, section Tsin yu, chap. IV, p. 1 v° et 2 r°, nous lisons la phrase suivante :

« L’année est dans Cheou-sing ; quand p.657 elle atteindra Choen-wei, vous vous emparerez de ce territoire.

Cheou sing (p. 654, cycle A) est la position de Jupiter qui correspond au caractère cyclique tch’en ; quand Jupiter est en tch’en, le yn de l’année est en hai, comme on peut le voir par la figure de la page 655 ; ajoutons 2 années à l’année marquée du signe hai. nous obtenons une année marquée du signe tch’eou ; et, en effet, l’année dont il est question est la 16e année du duc Hi de Lou (644 av. J.-C.), année qui est désignée dans la notation actuelle par les caractères ting tch’eou. — Passons à la seconde partie de la phrase : Choen-wei (p. 654, cycle A) est la position de Jupiter qui correspond au caractère se ; quand Jupiter est en se, le yn de l’année est en siu (cf. la figure de la p. 655) ; ajoutons 2 années à l’année marquée du signe siu ;nous obtenons une année marquée du signe tse ; c’est donc à la 27e année du duc Hi (633 av. J.-C.), marquée des signes ou-tse que devrait se rapporter la prédiction relative à la prise du territoire de Ou-lou ; si le Tso tchoan rapporte cet événement à la 28e année du duc Hi, au 6e jour du 1er mois, c’est parce que le Tso tchoan se sert de la computation des Tcheou qui considérait comme le 1er mois d’une année nouvelle, le mois qui était le 11e de l’année précédente dans la computation des Hia ; si l’on s’en tient à la computation des Hia, c’est bien en l’année marquée des signes ou-tse qu’est survenue la prise de Ou-lou.

Nous passerons plus rapidement sur les autres textes :

Dans le Kouo yu, section Tsin yu (chap. IV, p. 15 r°), nous trouvons les indications suivantes : la 23e année du duc Hi (637 av. J.-C.), marquée des signes kia chen, est dite se trouver en Ta-leang c’est-à-dire en yeou ; or yeou correspond à ou dans le cycle B ; en ajoutant 2 ans, on obtient une année marquée du signe chen, ce qui est le cas de l’année 637 avant J.-C. — p.658 Dans ce même passage, la 24e année du duc Hi (636 av. J.-C.), marquée des signes i yeou, est dite se trouver en Che-tch’en. La 5e année du duc Hi (655 av. J.-C.), marquée des signes ping-yn, est dite se trouver en Ta-ho. Dans le Tso tchoan, à la 28e année du duc Siang (545 av. J.-C.), marquée des signes ping tch’en on lit que l’année aurait dû être en Sing-ki, mais qu’elle était allée irrégulièrement en Hiuen-hiao. Sing-ki équivaut au signe tch’eou qui correspond lui-même au signe yn dans le cycle B (page 654) ; ajoutons 2 années, nous obtenons une année marquée du signe tch’en, ce qui est le cas de l’année 545 avant J.-C.

Dans le Tso tchoan, à la 30e année du duc Siang, nous lisons une prédiction qui fut prononcée la 19e année du duc Siang (554 av. J.-C.), marquée des signes ting-wei ; l’année était alors en Hiang-leou ; Hiang-leou équivaut au signe siu et correspond au signe se dans le cycle B ; ajoutons 2 années, nous obtenons une année marquée du signe wei, ce qui est le cas de l’année 554 avant J.-C. — De même, l’année à laquelle se rapporte la prédiction, à savoir l’année 543 avant J.-C. marquée des signes ou-ou, est dite se trouver en Tsiu-tse. Dans le Tso tchoan encore, à la 8e année du duc Chao (534 av. J.-C.), marquée des signes ting mao, on lit que l’année est en Si-mou ; Si-mou est l’équivalent de yn qui correspond à tch’eou dans le cycle B ; en ajoutant 2 ans, on obtient une année marquée du signe mao, ce qui est le cas de l’année 534 avant J.-C. — Dans ce même texte on trouve une indication qui ne laisse pas que d’être importante pour la chronologie : c’est quand l’année p.659 était dans Choen ho que l’ancien empereur Tchoan-hiu passe pour être mort ; Choen-ho équivaut à ou qui correspond à yeou dans le cycle B ; ajoutons 2 ans, nous obtenons, comme année de la mort de Tchoan-hiu, une année marquée du signe hai. Prenons maintenant le Tchou chou ki nien ; nous y voyons que la 1e année du règne de Yao était une année ping-tse (2145 av. J.-C.) ; Yao fut précédé, par Tche qui régna 9 ans (102) et avant lui, par l’empereur K’ou qui régna 63 ans. Comme Tchoan-hiu régna immédiatement avant l’empereur K’ou, la date de sa mort serait donc 2145 + 9 + 63 + 1 = 2218 avant J.-C. Or l’année 2218 avant J.-C. est marquée des signes koei-hai et il est donc exact de dire qu’elle est en Choen-ho. Cela ne prouve point assurément que l’empereur Tchoan-hiu soit effectivement mort en 2218 avant J.-C. ; mais cela démontre l’antiquité et l’importance de la chronologie du Tchou chou ki nien, puisque c’est cette chronologie que suppose un texte du Tso tchoan de l’année 534 avant J.-C. (Sur la chronologie du Tchou chou ki nien, qui est en réalité celle de Se-ma Ts’ien, cf. tome I, Introduction, p. CXCIII-CXCV.)

§ 8. — Abordons maintenant l’étude du cycle B (p. 654) dont le premier terme est Cho-t’i-ko et recherchons les textes où il est fait usage de cette notation.

Lu Pou-wei, qui mourut en 235 avant J.-C., dit, dans p.660 son Tch’oen ts’ieou (chap. XII, début du dernier paragraphe) : « Or, la 8e année de Ts’in, l’année étant dans T’oen-t-an ... » La 8e année de Ts’in est ici la 8e année du prince tcheng qui prit plus tard le titre de Che-hoang-ti ; c’est donc l’année 239 avant J.-C., marquée des signes jen siu. Or, T’oen-t’an (cf. cycle B, page 654), correspond au signe chen ; et il faut ajouter 2 ans pour trouver une année marquée du signe siu. Ce texte est très important parce qu’il nous montre que, en 239 avant J.-C., si l’on avait déjà substitué le cycle B au cycle A (page 654), on n’avait point encore fait la correction de 2 ans qui est nécessaire pour que les dates coïncident avec la notation actuelle. Au contraire, tous les autres textes que nous allons citer impliquent que cette correction a été faite.

Kia I, qui vécut de 198 à 165 avant J.-C., dit, au commencement d’un de ses poèmes (Se-ma Ts’ien, chap. LXXXIV, p. 5 r°) : « En l’année Tan-ngo, au 4e mois, qui est le premier de l’été, au jour keng-tse, au coucher du soleil... » Cette date correspond au 7 juin 174, l’année étant marquée des signes ting-mao.

Dans un chant composé à l’occasion de l’arrivée à la capitale, en l’an 101 avant J.-C., d’un cheval merveilleux de Ta-yuan, il est dit (Ts’ien Han chou, chap. XXII, p. 10 r°) : « Tche-siu est bien l’époque (où ce cheval devait arriver) ». Tche-siu correspond au signe tch’en et l’année 101 avant J.-C. est en effet marquée des signes keng-tch’en.

Dans l’inscription intitulée [] (ap. Kin che kou wen, chap. IV, p. 6 r°), il est dit : « La 2e année p.661 yong-cheou, le Dragon vert étant dans T’oen-t’an ». T’oen-t’an correspond au signe chen ; or la 2e année yong-cheou est l’année 156 après J.-C., marquée des signes ping-chen.

Dans l’inscription intitulée [] (ap. Kin che kou wen, chap. VI, p. 4 r°), il est dit : « La 3e année hi-p’ing, l’année étant dans Cho-t’i ». Cho-t’i correspond au signe yn ; or la 3e année hi-p’ing est l’année 174 après J.-C., marquée des signes kia-yn. Dans une inscription élevée en 181 après J.-C. en l’honneur d’un jeune garçon nommé Fong Cheng (ap. Kin che kou wen, chap. IX, p. 4 r°), on lit que ce jeune garçon mourut à 12 ans, l’année étant hie-hia. Hie-hia correspond au signe wei ; l’année de la mort doit donc être l’année 179 après J.-C., marquée des signes ki-wei. Dans l’inscription intitulée [] (ap. Kin che tsoei pien, chap. XVIII, p. 16 v° et suiv.), on lit : « La 3e année tchong-p’ing l’année étant dans Cho-t’i. » Cho-t’i correspond au signe yn ; or la 3e année tchong-p’ing est l’année 186 après J.-C., marquée des signes ping-yn. Dans une inscription de l’an 205 après J.-C., intitulée [] (ap. Kin che kou wen, chap. V, p. 10 v°), on lit que le défunt mourut lorsque l’année était en Hie-hia ; Hie-hia correspond au signe wei ; l’année de la mort a donc dû être l’année 203 après J.-C., marquée des signes koei-wei. p.662 Rappelons enfin que l’inscription nestorienne de Si-ngan-fou est datée de la manière suivante : « La 2e année kien-tchong, l’année étant dans Tso-ngo ». Tso-ngo correspond au signe yeou ; or, la 2e année kien-tchong est l’année 781 après J.-C., marquée des signes sin-yeou.

Il eût été facile de multiplier ces citations ; celles qu’on vient de lire suffisent du moins à prouver que le cycle duodénaire dont le premier terme est Cho-t’i-ko fut d’un usage très fréquent, surtout à l’époque des deux dynasties Han ; mais il est toujours employé isolément et on ne le trouve point en combinaison avec le cycle dénaire dont le premier terme est Yen-fong.

§ 9. — Les termes de ce cycle duodénaire ne semblent pas être, comme on l’a parfois soutenu (103), des transcriptions de mots étrangers. Considérons le premier de ces termes, Cho-t’i-ko. Une difficulté se présente, parce que le mot Cho-t’i peut avoir deux sens, au dire de Se-ma Ts’ien lui-même ; d’une part, il désigne la planète Jupiter (104) ; d’autre part, un double astérisme composé des étoiles ?, ?, ? du Bouvier et ?, ?, ? de la même constellation. Lequel de ces deux sens est impliqué dans l’expression Cho-t’i-ko ? La solution nous est fournie par Se-ma Ts’ien lui-même qui dit, en parlant de la constellation Cho-t’i :

« Le Cho-t’i est la constellation que désignent en ligne droite les étoiles de la queue de la Grande-Ourse ; aussi fixe-t-elle les saisons et les époques ; c’est pourquoi on dit Cho-t’i-ko (105).

En effet ko signifie règle, limite. La constellation Cho-t’i est la règle au moyen de laquelle on détermine les saisons et les époques. C’est donc de la constellation, et non de la planète, qu’il est question. Maintenant, pourquoi la première année du cycle était-elle appelé Cho-t’i-ko? Quel rapport y avait-il entre, d’une part, la ligne droite tirée de la queue de la Grande-Ourse jusqu’à la constellation Cho-t’i, et, d’autre part, la place de Jupiter dans le ciel p.663 en cette année-là ? C’est un problème que je me contenterai de poser sans essayer d’en donner la solution.

Quant aux onze autres termes tan-ngo, tche-siu, etc., ils désigneraient, s’il faut en croire le commentateur Li Siun (fin de la dynastie des Han orientaux), le plus ou moins de force ou d’expansion avec lequel se manifeste le principe yang aux divers mois de l’année. Ces termes désignent donc, à l’origine, les mois ; si on a pu les appliquer aux années, c’est probablement pour la raison suivante : la 1e année, c’est pendant le 1er mois que Jupiter émerge à l’horizon au point du jour ; la 2e année, c’est pendant le 2e mois que ce produit ce phénomène ; la 3e année, c’est pendant le 3e mois, et ainsi de suite. Telle est du moins l’explication que nous suggère le texte des Mémoires historiques (cf. plus haut, pp. 357-362 ).

§ 10. — Outre la nomenclature particulière aux années, nous remarquons dans le XXVIe chapitre des Mémoires historiques un vestige d’une nomenclature spéciale des mois ; le premier mois y est en effet appelé pi-tsiu (cf. p. 332 ) ; le mot pi correspond au caractère cyclique kia ; le mot tsiu correspond au caractère cyclique yn ; le mois pi-tsiu n’est autre que le mois kia-yn. Le Eul ya (section Che t’ien) nous fournit la liste complète des douze noms de mois et leur équivalence avec les caractères cycliques modernes. p.664


Cette notation des mois paraît avoir été fort peu usitée. On n’en cite guère que deux exemples. L’un se trouve au début du poème intitulé Li-sao, dont l’auteur est le poète K’iu Yuen ; il y est question du mois tseou (106). Le second nous est fourni par le Kouo yu, section Yue yu, 2e partie, à la 11e année de la seconde période du roi Keou-ts’ien (479 av. J.-C.) ; on lit cette phrase : « arrivé au mois hiuen ... ; et un peu plus loin le roi dit: « maintenant, c’est la fin de l’année » ; cette indication concorde avec le Eul ya qui assigne le nom de hiuen au neuvième mois.


C


§ 11. — p.665 Qu’est-ce que le calendrier qui nous a été conservé par Se-ma Ts’ien? L’hypothèse qui paraît la plus naturelle consisterait à admettre que nous sommes en présence du calendrier t’ai-tch’ou qui fut institué en 104 avant J.-C. et à la rédaction duquel Se-ma Ts’ien lui-même collabora. En effet, les noms des périodes d’années qui se succédèrent à partir de la période t’ai-tch’ou sont distribués régulièrement dans le tableau des Mémoires historiques et ce tableau paraît donc bien, à première vue, prendre son point de départ, comme le calendrier t’ai-tch’ou, en l’année 104 avant J.-C.

Il est à remarquer cependant que ces noms de périodes d’années sont donnés jusqu’en l’an 29 avant J.-C. Ils sont donc une interpolation manifeste, car Se-ma Ts’ien dut mourir au commencement du règne de l’empereur Tchao (86-74 av. J.-C.). Ils ont sans doute été introduits dans le texte des Mémoires historiques par Tch’ou Chao-suen (cf. tome I, Introduction, p. CCIII). Dès lors la présence de ces noms de périodes n’a plus l’autorité qu’elle aurait eue si nous la devions à Se-ma-Ts’ien lui-même.

D’autre part, d’après les tableaux des pages 652 et 654, 1’année yen-fong cho-t’i-ko correspond dans la notation moderne à une année kia-yn, 51e du cycle. Or, la première année t’ai-tch’ou (101 av. J.-C.) est une année ting-tch’eou, 14e du cycle. Par conséquent l’année yen-fong cho-t’i-ko par laquelle commence le calendrier des Mémoires historiques, ne peut être identique à l’année 104 avant J.-C. qui est le point de départ du calendrier t’ai-tch’ou.

Enfin le calendrier t’ai-tch’ou était fondé sur un rapport entre la mesure du temps et les proportions musicales ; comme 81 était le nombre qui exprimait les dimensions du tuyau sonore rendant la note fondamentale kong, le jour était divisé en 81 parties et on disait que la lunaison se composait de 29 jours et 43/81 de jour (107). Nous ne trouvons pas cette évaluation chez Se-ma Ts’ien qui estime la lunaison à 29 jours et 348/940 de jour. Le calendrier des Mémoires historiques n’a donc rien de commun avec le calendrier t’ai-tch’ou.

p.666 Cette remarque avait été déjà faite par le mathématicien Mei Wen-ting (1633-1721) qui disait:

« Le système que donne le duc grand astrologue (c’est-à-dire Se-ma Ts’ien) n’est pas celui qui avait cours à son époque ; c’est en effet le calendrier des Yn, et non le calendrier des Han». Ce calendrier des Yn (qu’on appelait ainsi parce qu’on prétendait en faire remonter l’institution à l’antique dynastie des Yn) continua, même après Se-ma Ts’ien, à être l’objet de la prédilection des astrologues officiels ; sous le règne de l’empereur Tchao (86-74 av. J.-C.), le grand astrologue Tchang Cheou-wang se signala par les efforts qu’il fit pour remettre en vigueur le calendrier des Yn (108). Ce calendrier était donc resté, malgré les innovations, le texte sur lequel se fondaient les astrologues pour s’acquitter des devoirs de leur charge ; aussi n’est-il point surprenant de voir le grand astrologue Se-ma-Ts’ien le reproduire dans les Mémoires historiques.

Notes

(101. ) Cet appendice se rapporte au chap. XXVI des Mémoires historiques, et plus particulièrement aux pages 333-337 de la présente traduction ; il est, en partie, la reproduction d’un article publié dans le Journal asiatique de nov.-déc. 1890, pp. 463-510, sous le titre : « Le Calendrier des Yn ».

(102. ) Il est à remarquer que dans les éditions modernes du Tchou chou ki nien, les caractères cycliques ne sont indiqués qu’à partir de la 1e année de l’empereur Yao (2145 av. J.-C.). Si les caractères cycliques ne sont pas donnés pour les années antérieures, c’est parce qu’il y a quelque incertitude au sujet de l’empereur Tche ; les uns prétendent qu’il régna 9 ans, les autres disent qu’il fut pendant 9 ans héritier présomptif, mais ne régna pas. Dans notre raisonnement, il faut donc supposer une restriction : le texte du Tso tchoan relatif à l’année de la mort de Tchoan-hiu est conforme à la chronologie du Tchou chou ki nien, à la condition d’admettre pour l’empereur Tche un règne de 9 ans.

(103. ) Chalmers, Astronomy of the ancient Chinese, dans le vol. III des Chinese Classics de Legge, prol., p. 97.

(104. ) T’ien koan chou, p. 8 r°.

(105. ) T’ien koan chou, p. 3 r°.

(106. ) On pourrait être tenté de chercher à déduire de ce texte la date de la naissance de K’iu Yuen ; j’ai essayé moi-même de le faire dans mon article sur « Le Calendrier des Yn » ; mais je dois retirer comme inexact ce que j’ai dit à ce sujet.

(107. ) Ts’ien Han chou, chap. XXI, 1e partie, p. 7 v°.

(108. ) Ts’ien Han chou, chap. XXI, 1e partie, p. 8 r° :

« Le calendrier de (Tchang) Cheou-wang, c’était le calendrier des Yn tel que s’en servaient les grands astrologues officiels.





◄   Chapitre XXVI Sommaire   ►