Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 061

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 227-228).


LXI

Un projet


Je dînai tristement. Ce n’était pas la perte de la montre qui me désolait ; c’était le souvenir de l’auteur du vol, et les images d’autrefois, et le contraste et la conclusion… Depuis le potage, la fleur jaune et morbide du chapitre xxv s’ouvrit en moi, et je dînai à la hâte pour me rendre chez Virgilia. Elle était le présent ; je voulais me réfugier en elle, pour échapper aux impressions du passé, car la rencontre de Quincas Borba m’avait ramené vers un passé, non pas réel, mais vers un passé imaginaire, abject, loqueteux, mendiant et voleur.

Je sortis, mais il était encore trop tôt. Je les aurais trouvés à table. L’idée me vint alors de retourner au jardin public pour y chercher Quincas Borba. La pensée de le régénérer surgit en moi, forte et impérative. Il était déjà parti. Je m’adressai au garde ; il me répondit qu’en effet « cet individu » apparaissait de temps à autre.

— À quelle heure ?

— Il n’a pas d’heure.

Il n’était donc pas impossible de le rencontrer. Je me promis de revenir. La nécessité de le régénérer, de le ramener au travail et au respect de lui-même me remplissait le cœur. Je commençai à sentir un bien-être, une sublimation, une admiration de moi-même… La nuit tombait, j’allai retrouver Virgilia.