Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 146

La bibliothèque libre.
Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 455-457).


CXLVI

Une extravagance


Je fis aussitôt passer dans la presse une note discrète annonçant que, sous quelques semaines, il allait paraître un journal d’opposition rédigé par le Dr Braz Cubas. Quincas Borba, après l’avoir lue, prit la plume, et, dans un élan de fraternité vraiment humaniste, ajouta cette phrases : « l’un des membres les plus distingués du dernier Parlement ».

Le jour suivant, je vis entrer Cotrim. Il était bouleversé, mais affectait un air tranquille et gai. Il avait lu la notice, et, en bon parent, il voulait me dissuader de ma résolution. C’était une erreur, une erreur fatale. J’allais me placer dans une situation difficile, et me fermer pour toujours les portes de la Chambre des députés.

Non seulement le ministère lui paraissait excellent, ce qui pouvait d’ailleurs ne pas être mon opinion, mais, qui plus est, il avait toutes les chances de durer longtemps. Que pouvais-je bien gagner en me vouant à l’ostracisme ? Quelques-uns des ministres me voulaient du bien. Il n’était pas impossible qu’à la première vacance…

Je l’interrompis pour lui dire que j’avais beaucoup médité avant de prendre une décision et que je ne reculerais pas d’une semelle. Je lui offris de lui lire mon programme, mais il se refusa énergiquement à l’entendre, en disant qu’il ne voulait aucunement prendre part à mon extravagance.

— Car c’en est une, vraiment ; prenez le temps de la réflexion, et vous verrez si je n’ai pas raison.

Sabine vint à la rescousse, le soir, au théâtre. Elle laissa son mari et sa fille dans la loge, me prit le bras, et m’entraîna dans le corridor.

— Mon petit Braz, qu’est-que tu vas faire ? me demanda-t-elle avec une visible tristesse. Quelle idée de provoquer le Gouvernement, sans nécessité, quand tu pourrais…

Je répliquai qu’il ne pouvait me convenir de mendier un fauteuil au Parlement ; que mon idée était de renverser le ministère, qui ne me paraissait pas opportun, et qui était en opposition avec mes conceptions philosophiques. Je lui promis de toujours employer un langage courtois, bien qu’énergique. La violence n’était pas mon fait. Sabine se donnait des tapes sur les doigts avec son éventail, dodelinait de la tête, insistant toujours, tantôt suppliante, et tantôt menaçante. Je répondais non, non et non.

— C’est bon, dit-elle, tu préfères les mauvais conseils d’étrangers envieux à ceux de ton beau-frère et aux miens. Fais ce qu’il te plaira. Nous avons rempli notre devoir. Et, me tournant le dos, elle rentra dans sa loge.