Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette/Tome 2/5

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CHAPITRE XVI.

Affaire de Favras. — Son procès et sa mort. — On présente imprudemment ses enfans à la reine. — Projet formé pour enlever la famille royale. — Anecdote. — Étrange lettre de l’impératrice Catherine à Louis XVI. — La reine ne veut pas devoir aux émigrés le rétablissement du trône. — Anecdote. — Mort de l’empereur Joseph II. — Gravures envoyées par lui à Marie-Antoinette, et qui représentaient des moines et des religieuses d’Espagne. — Premier pourparler entre la cour et Mirabeau. — Louis XVI et sa famille habitent Saint-Cloud. — Nouveaux projets d’évasion.

En février 1790, l’affaire du malheureux Favras inquiéta beaucoup la cour ; ce particulier avait conçu le projet d’enlever le roi et de faire ce qu’on appelait alors une contre-révolution[1]. Monsieur, probablement par pure bienveillance, lui avait donné quelque argent, et le bruit s’était répandu qu’il voulait par-là favoriser l’exécution de cette entreprise. La démarche que fit Monsieur, en se rendant à l’Hôtel-de-Ville pour s’expliquer sur cette affaire, fut ignorée de la reine ; il est plus que probable que le roi en avait eu connaissance. Lorsque M. de Favras fut mis en jugement, la reine ne me cacha pas ses craintes sur les aveux des derniers momens de cet infortuné.

J’avais envoyé une personne de confiance à l’Hôtel-de-Ville ; elle vint apprendre à la reine que le condamné avait demandé à être conduit de Notre-Dame à l’Hôtel-de-Ville, pour faire une déclaration finale et donner des détails justificatifs. Ces détails n’avaient compromis personne ; Favras avait corrigé son testament de mort après l’avoir écrit, et s’était rendu au supplice avec le courage et le sang-froid de l’héroïsme. Le conseiller rapporteur, qui lui lut sa condamnation, lui dit que sa vie était un sacrifice qu’il devait à la tranquillité publique. On assura dans le temps que Favras fut livré comme victime, pour satisfaire le peuple et sauver M. le baron de Besenval, qui était dans les prisons de l’Abbaye[2].

Le dimanche qui suivit cette exécution, M. de la Villeurnoy[3] vint le matin, chez moi, me dire qu’il devait ce jour même conduire, au dîner public du roi et de la reine, la veuve Favras et son fils, en deuil l’un et l’autre de ce brave Français immolé pour son roi, et que tous les royalistes s’attendaient à voir la reine combler de ses bienfaits la famille de cet infortuné. Je fis tout ce qui dépendait de moi pour empêcher cette démarche ; je prévis l’effet qu’elle produirait sur le cœur sensible de la reine, et la contrainte douloureuse qu’elle éprouverait, ayant l’horrible Santerre, commandant de bataillon de la garde parisienne, derrière son fauteuil, pendant le temps de son dîner. Je ne pus faire entendre mes raisons à M. de la Villeurnoy : la reine était déjà à la messe, environnée de toute la cour, et je n’avais pas même la facilité de la faire prévenir.

Lorsque le dîner fut fini, j’entendis frapper à la porte de mon appartement qui ouvrait dans le corridor près de celui de la reine : c’était elle-même. Elle me demanda si je n’avais personne chez moi ; j’étais seule : elle se jeta sur un fauteuil, et me dit qu’elle venait pleurer tout à son aise, avec moi, sur l’ineptie des exagérés du parti du roi. « Il faut périr, disait-elle, quand on est attaqué par des gens qui réunissent tous les talens à tous les crimes, et défendu par des gens fort estimables, mais qui n’ont aucune idée juste de notre position. Ils m’ont compromise vis-à-vis des deux partis, en me présentant la veuve et le fils de Favras. Libre dans mes actions, je devais prendre l’enfant d’un homme qui vient de se sacrifier pour nous, et le placer à table entre le roi et moi ; mais, environnée des bourreaux qui viennent de faire périr son père, je n’ai pas même osé jeter les yeux sur lui. Les royalistes me blâmeront de n’avoir pas paru occupée de ce pauvre enfant ; les révolutionnaires seront courroucés en songeant qu’on a cru me plaire en me le présentant. » Cependant la reine ajouta qu’elle connaissait la position de madame de Favras ; qu’elle la savait dans le besoin, et m’ordonna de lui envoyer le lendemain, par une personne sûre, quelques rouleaux de cinquante louis, en la faisant assurer qu’elle veillerait toujours à son sort et à celui de son fils.

La reine voulut envoyer un homme dévoué à la cause du roi porter des lettres aux princes qui étaient alors à Turin. Elle jeta les yeux sur un officier, chevalier de Saint-Louis, intimement lié avec la famille de M. Campan, et dont elle m’avait souvent entendu parler avec éloge. Je ne balançai pas un instant entre le plaisir de voir un de mes amis chargé d’une commission honorable, et le danger de la faire confier à un homme que j’avais la douleur de voir entraîné par les funestes opinions du temps[4]. Je le dis à la reine, et la priai de faire un autre choix. Sa Majesté me sut gré de cette sincérité ; la commission fut donnée à M. de J*** qui, depuis ce temps, n’a jamais cessé d’unir à la plus grande discrétion, à la sagacité la plus reconnue, un zèle qui ne s’est jamais ralenti.

Au mois de mars suivant, j’eus occasion de connaître le véritable sentiment du roi, sur les évasions qui lui étaient sans cesse proposées. Un soir, vers dix heures, M. le comte d’Inisdal, député par la noblesse, vint me prier de l’entendre en particulier, ayant une chose importante à me communiquer. Il me dit que, dans cette même nuit, on devait enlever le roi ; que la section de la garde nationale, commandée ce jour-là par M. d’Aumont[5], était gagnée, et que les attelages de chevaux donnés par de bons royalistes, étaient posés en relais à des distances convenables ; qu’il venait de quitter une partie de la noblesse réunie pour l’exécution de ce projet, et qu’on l’avait envoyé vers moi pour que j’obtinsse, avant minuit, un consentement positif du roi par le moyen de la reine ; que le roi avait connaissance de leur plan ; mais que jamais Sa Majesté n’avait voulu se prononcer d’une manière précise ; et qu’à l’instant d’agir, il était nécessaire qu’elle consentît à cette entreprise. Je me rappelle que je désobligeai beaucoup le comte d’Inisdal en exprimant mon étonnement de ce que la noblesse, à l’instant d’exécuter un plan de cette importance, m’envoyait trouver, moi, première femme de la reine, pour obtenir un consentement qui aurait dû être la base de tout projet bien concerté. Je lui dis aussi qu’il m’était impossible de descendre en ce moment chez la reine, sans que ma présence fixât l’attention des antichambres ; que le roi jouait avec la reine et sa famille, et que je ne paraissais dans cet intérieur que lorsque j’y étais appelée. Cependant j’ajoutai que M. Campan avait ce genre d’entrée ; et que s’il voulait lui faire la même confidence, il pouvait compter sur lui. Mon beau-père, auquel le comte d’Inisdal répéta ce qu’il m’avait dit, se chargea de la commission, et passa chez la reine. Le roi jouait au wisk avec la reine, Monsieur et Madame ; madame Élisabeth était à genoux sur une voyeuse auprès de la table. M. Campan raconta à la reine ce qui venait de se passer chez moi ; personne ne dit mot. La reine prit la parole, et dit au roi : « Monsieur, entendez-vous ce que Campan vient de nous dire ? — Oui, j’entends, » dit le roi, en continuant de jouer. Monsieur, qui avait l’habitude de placer très-souvent, dans sa conversation, des passages de comédie, dit à mon beau-père : « M. Campan, répétez-nous, s’il vous plaît, ce joli couplet ; » et pressa le roi de répondre. Enfin la reine dit : « Il faut pourtant bien dire quelque chose à Campan. » Alors le roi adressa ces propres mots à mon beau-père : « Dites à M. d’Inisdal que je ne puis consentir à ce qu’on m’enlève. » La reine insista pour que M. Campan observât de rendre fidèlement cette réponse : « Vous entendez bien, ajouta-t-elle, le roi ne peut consentir à ce qu’on l’enlève. » M. le comte d’Inisdal fut très-mécontent de la réponse du roi, et sortit, en disant : « J’entends, il veut d’avance jeter tout le blâme sur ceux qui se dévoueront. » Il partit, et je pensai que le projet serait abandonné. Cependant la reine resta seule avec moi, jusqu’à minuit, à préparer ses cassettes, et m’ordonna de ne point me coucher. Elle pensait qu’on interpréterait la réponse du roi comme un consentement tacite, et simplement comme un refus de participer à l’entreprise. J’ignore ce qui se fit chez le roi, pendant cette nuit ; mais je regardais de temps en temps aux fenêtres : je voyais le jardin libre ; je n’entendais aucun bruit dans le palais, et le jour vint me confirmer dans l’idée que le projet avait été abandonné. « Il faudra pourtant bien s’enfuir, me dit la reine peu de temps après : on ne sait pas jusqu’où iront les factieux. Le danger augmente de jour en jour[6]. » Cette princesse recevait des conseils et des mémoires de toutes parts. Rivarol lui en adressa plusieurs dont je lui fis lecture. Il y avait fourré beaucoup d’esprit ; mais la reine trouvait qu’ils ne contenaient rien d’essentiellement utile pour leur position. Le comte de Moustier remit aussi des mémoires et des plans de conduite. Je me souviens que, dans un de ses écrits, il disait au roi : « Relisez Télémaque, Sire, ce livre qui a charmé l’enfance de Votre Majesté, et vous y trouverez les premières semences de ces principes qui, mal suivis par des têtes ardentes, amènent l’explosion du moment. » J’ai lu un si grand nombre de ces mémoires, que j’en rendrais un compte peu fidèle, et je ne veux consigner dans cet écrit que les événemens dont j’ai été témoin, ou les paroles dont, malgré le laps de temps, le son retentit encore en quelque sorte à mes oreilles.

M. le comte de Ségur, à son retour de Russie, fut quelque temps employé par la reine, et eut de l’influence sur elle ; mais cela dura peu. Le comte Auguste de La Marck se dévoua de même à des négociations utiles au roi, auprès des chefs des factieux. M. de Fontanges, archevêque de Toulouse, avait aussi la confiance de la reine ; mais rien de ce qui se faisait dans l’intérieur ne pouvait amener des résultats satisfaisans. L’impératrice Catherine II fit aussi parvenir à la reine son opinion sur la situation de Louis XVI, et la reine m’a fait lire quelques lignes de la propre écriture de l’impératrice, qui se terminaient par ces mots : « Les rois doivent suivre leur marche sans s’inquiéter des cris du peuple, comme la lune suit son cours sans être arrêtée par les aboiemens des chiens. » Je ne discuterai sûrement pas sur cette maxime de la despotique souveraine de Russie ; mais elle était bien peu applicable à la position d’un roi déjà prisonnier.

Tous ces conseils particuliers, soit du dehors, soit de l’intérieur, n’amenaient aucune décision dont la cour pût profiter. Cependant le parti de la révolution suivait son audacieuse entreprise d’un pas ferme, et sans éprouver d’opposition. Les conseils du dehors, tant de Coblentz que de Vienne, influaient diversement sur les membres de la famille royale, et ces cabinets n’étaient pas d’accord. J’ai eu souvent occasion de juger, par ce que me disait la reine, qu’elle pensait, qu’en laissant tout l’honneur du rétablissement de l’ordre au parti de Coblentz, Louis XVI serait mis en tutelle, au retour des émigrés, ce qui augmenterait encore ses propres malheurs. Souvent elle me disait : « Si les émigrés réussissent, ils feront long-temps la loi ; il sera impossible de leur rien refuser ; c’est contracter avec eux une trop grande obligation que de leur devoir la couronne. » Il m’a toujours paru qu’elle désirait que sa famille balançât, par des services désintéressés, le mérite des émigrés. Elle redoutait M. de Calonne, et c’était à juste titre. Elle avait acquis la preuve que ce ministre était devenu son plus cruel ennemi, et qu’il se servait pour noircir son caractère, des moyens les plus vils et les plus criminels. Je puis attester que j’ai vu dans les mains de la reine un manuscrit des mémoires infâmes de la femme Lamotte, qu’on lui avait apporté de Londres, et qui était corrigé, de la main même de M. de Calonne, dans tous les endroits où l’ignorance totale des usages de la cour avait fait commettre à cette misérable de trop grossières erreurs.

Les deux gardes du roi qui avaient été blessés à la porte de Sa Majesté, le 6 octobre, étaient MM. du Repaire et de Miomandre de Sainte-Marie ; le second, dans l’affreuse nuit du 6 octobre, avait pris le poste du premier, aussitôt que celui-ci eût été mis hors d’état d’y rester.

M. de Miomandre était, à Paris, lié avec un autre garde, nommé Bernard, qui avait reçu, le même jour, un coup de fusil des brigands, dans une autre partie du château. Ces deux officiers, soignés et guéris ensemble, à l’infirmerie de Versailles[7], se quittaient peu ; on les reconnut au Palais-Royal ; ils y furent insultés. La reine jugea qu’il fallait qu’ils quittassent Paris. Elle me dit d’écrire à M. de Miomandre de Sainte-Marie de se rendre chez moi, à huit heures du soir, et de lui communiquer le désir qu’elle avait de le voir en sûreté, et m’ordonna, quand il serait décidé à partir, de lui ouvrir sa cassette, et de lui dire, en son nom, que l’or ne payait point un service tel que celui qu’il avait rendu : qu’elle espérait bien être un jour assez heureuse pour l’en récompenser comme elle le devait ; mais qu’une sœur offrait de l’argent à un frère qui se trouvait dans la situation où il était dans ce moment, et qu’elle le priait de prendre tout ce qui était nécessaire pour acquitter ses dettes à Paris et payer les frais de son voyage. Elle me dit aussi de lui mander d’amener avec lui son ami Bernard, et de lui faire la même offre qu’à M. de Miomandre.

Les deux gardes arrivèrent à l’heure prescrite, et acceptèrent, je crois, chacun cent ou deux cents louis. Un moment après, la reine ouvrit ma porte ; elle était accompagnée du roi et de madame Élisabeth ; le roi se tint debout, le dos contre la cheminée ; la reine s’assit dans une bergère, madame Élisabeth, assez près d’elle ; je me plaçai derrière la reine, et les deux gardes restèrent en face du roi. La reine leur dit que le roi avait voulu voir, avant leur départ, deux des braves qui lui avaient donné les plus grandes preuves de courage et d’attachement. Miomandre prit la parole et dit tout ce que ces mots touchans et honorables pour les gardes devaient lui inspirer. Madame Élisabeth parla de la sensibilité du roi ; la reine reprit de nouveau la parole pour insister sur la nécessité de leur prompt départ : le roi garda le silence ; son émotion pourtant était visible, et des larmes d’attendrissement remplissaient ses yeux. La reine se leva, le roi sortit, madame Élisabeth le suivit ; la reine avait ralenti sa marche, et, dans l’embrasure d’une fenêtre, elle me dit : « Je regrette d’avoir amené le roi ici ! et je suis bien sûre qu’Élisabeth pense comme moi : si le roi eût dit à ces braves gens le quart de ce qu’il pense de bien pour eux, ils auraient été ravis ; mais il ne peut vaincre sa timidité. »

L’empereur Joseph venait de mourir. La douleur de la reine fut assez modérée : ce frère, dont elle avait été si fière, qu’elle avait aimé si tendrement, avait probablement perdu une grande partie de son affection ; elle lui reprochait quelquefois, quoique avec beaucoup de ménagement, d’avoir adopté plusieurs des principes de la philosophie moderne, et peut-être savait-elle qu’il envisageait nos troubles plus en souverain d’Allemagne qu’en frère de la reine de France[8].

Mirabeau n’avait pas perdu l’espoir de se rendre la dernière ressource de la cour opprimée ; et je me rappelle qu’il y eut déjà à cette époque quelques communications entre la reine et lui. Il s’agissait alors d’un ministère à lui donner. On en eut connaissance, et ce doit être vers ce temps que l’Assemblée décréta qu’aucun député ne pourrait remplir les fonctions de ministre du roi, que deux ans après que ses fonctions législatives auraient été terminées. Je sais que la reine fut très-affligée de cette décision, et la regarda comme un moyen puissant qui était enlevé à la cour.

L’habitation du palais des Tuileries, très-désagréable en été, fit désirer à la reine d’aller à Saint-Cloud. Ce voyage fut décidé sans éprouver d’opposition : la garde nationale de Paris y suivit la cour : à cette époque, on présenta de nouveaux projets d’évasion ; rien n’était plus facile alors que de les exécuter. Le roi avait obtenu de sortir sans gardes, et de n’être accompagné que par un aide-de-camp de M. de La Fayette. La reine en avait de même un de service auprès d’elle, ainsi que M. le dauphin. Le roi et la reine sortaient souvent à quatre heures après-midi, et ne rentraient qu’à huit ou neuf heures du soir.

Voici un projet de départ que la reine me communiqua, et dont l’exécution paraissait infaillible. La famille royale devait se rendre dans un bois à quatre lieues de distance de Saint-Cloud ; des personnes bien dévouées eussent accompagné le roi, qui, d’ailleurs, était toujours suivi de ses écuyers et de ses pages ; la reine l’eût rejoint avec sa fille et madame Élisabeth : ces princesses avaient, de même que la reine, des écuyers et des pages dont les sentimens n’étaient pas douteux. Le dauphin eût été, de son côté, au rendez-vous avec madame de Tourzel : une grande berline et une chaise de suite suffisaient pour toute la famille ; on aurait pu alors gagner les aides-de-camp, ou les soumettre. Le roi devait laisser sur son bureau, à Saint-Cloud, une lettre pour le président de l’Assemblée nationale. Le service du roi et de la reine aurait attendu sans inquiétude jusqu’à neuf heures du soir, puisque la famille ne rentrait quelquefois qu’à cette heure-là. Cette lettre ne pouvait être remise à Paris que vers dix heures au plus tôt. L’Assemblée alors n’était pas réunie ; il eût fallu trouver le président chez lui ou dans une autre maison ; on aurait atteint minuit, avant que l’Assemblée eût été convoquée, et qu’on eût fait partir des courriers pour faire arrêter la famille royale, qui aurait déjà eu l’avance de six ou sept heures, étant partie à six lieues de distance de Paris ; et, à cette époque, on voyageait encore très-facilement en France. La reine avait approuvé ce plan ; mais je ne me permettais pas de la questionner, et je pensais même, que s’il s’exécutait, elle me le laisserait ignorer. Un soir du mois de juin, à neuf heures, les gens du château, ne voyant pas revenir le roi, se promenaient avec inquiétude dans les cours. Je croyais au départ, je respirais à peine dans le trouble de mes vœux, lorsque j’entendis le bruit des voitures. J’avouai à la reine que je l’avais crue partie ; elle me dit qu’il fallait d’abord attendre que Mesdames fussent sorties de France, et voir ensuite si le projet pourrait s’accorder avec ceux du dehors[9].


  1. Voyez dans les éclaircissemens les détails donnés par Bertrand de Molleville sur ce tragique épisode de la révolution (lettre F).
    (Note de l’édit.)
  2. La Biographie universelle donne les détails qu’on va lire, sur les desseins, le procès et la mort de cet infortuné.

    « Favras (Thomas-Mahy, marquis de), né à Blois, en 1745, entra au service dans les mousquetaires et fit avec ce corps la campagne de 1761 ; il fut ensuite capitaine et aide-major dans le régiment de Belsunce, puis lieutenant des Suisses de la garde de Monsieur, frère du roi ; il se démit de cette charge en 1775, pour se rendre à Vienne, où il fit reconnaître sa femme comme fille unique et légitime du prince d’Anhalt-Schauenbourg. Il commandait une légion en Hollande, lors de l’insurrection contre le Stathouder, en 1787. Avec une tête ardente et fertile en projets, Favras ne cessait d’en proposer dans toutes les circonstances et sur tous les objets. Il en avait présenté un grand nombre sur les finances ; et au moment de la révolution, il en présenta sur la politique, qui le rendirent suspect au parti révolutionnaire. On sait que, dans l’état d’exaltation où se trouvaient alors les esprits, il suffisait aux meneurs de désigner une victime pour qu’il lui devînt impossible d’échapper à la fureur populaire. Favras fut accusé, dans le mois de décembre 1789, d’avoir tramé contre la révolution ; d’avoir voulu introduire, la nuit, dans Paris, des gens armés, afin de se défaire des trois principaux chefs de l’administration, d’attaquer la garde du roi ; d’enlever le sceau de l’État, et même d’entraîner le roi et sa famille à Péronne. Arrêté par ordre du comité des recherches de l’Assemblée nationale, il fut traduit au Châtelet, où il se défendit avec beaucoup de calme et de présence d’esprit, repoussant avec force les accusations portées contre lui par les sieurs Morel, Turcati et Marquié. Ces témoins déclarèrent avoir reçu de lui la communication de son plan, qui devait être exécuté par 12,000 Suisses et 12,000 Allemands qu’on devait réunir à Montargis, pour de-là marcher sur Paris, enlever le roi et assassiner MM. Bailly, La Fayette et Necker. Il nia la plupart de ces faits, et déclara que les autres n’avaient de rapport qu’à la levée d’une troupe destinée à favoriser la révolution qui se préparait dans le Brabant. Le rapporteur ayant refusé à Favras de lui faire connaître son dénonciateur, il s’en plaignit à l’Assemblée, qui passa à l’ordre du jour. Sa mort était évidemment devenue inévitable. Pendant tout le temps que dura la procédure, la populace ne cessa de menacer les juges et de crier : À la lanterne ! Il fallut même que des troupes nombreuses et de l’artillerie fussent constamment en bataille dans la cour du Châtelet. Les juges qui venaient d’acquitter M. de Besenval dans une affaire à peu près semblable, craignirent sans doute les effets de cette fureur. Les juges ayant refusé de faire entendre ses témoins à décharge, il les compara au tribunal de l’inquisition. La principale charge contre lui fut une lettre d’un M. de Foucault, qui lui demandait : Où sont vos troupes ? par quel côté entreront-elles à Paris ? je désirerais y être employé. Favras fut condamné à faire amende honorable devant la cathédrale, et à être pendu en place de Grève. Il entendit cet arrêt avec un calme admirable, et il dit à ses juges : « Je vous plains bien, si le témoignage de deux hommes vous suffit pour condamner. » Le rapporteur lui ayant dit : « Je n’ai d’autres consolations à vous donner que celles que vous offre la religion, » il répondit avec noblesse : « Mes plus grandes consolations sont celles que me donne mon innocence. » (Biographie universelle, ancienne et moderne, tome XIV, page 221.)

    (Note de l’édit.)
  3. M. de la Villeurnoy, maître des requêtes, fut déporté à Sinamary, lors de la journée du 18 fructidor, par le directoire exécutif, et y mourut.
    (Note de madame Campan.)
  4. En 1791, cet homme se fit élire à l’Assemblée législative. Tant que je n’avais eu qu’à combattre ses opinions, je n’avais pas cessé de le recevoir. Lorsque je pus craindre ses actions, je le priai, dès le jour de l’installation à son Assemblée, de cesser de venir chez moi. Il a depuis été conventionnel… Mais je devais à mes principes et à ma prudence le bonheur d’avoir cessé depuis long-temps toute espèce de communication avec un homme qui s’était rangé parmi les ennemis de mes souverains et qui devint un de leurs bourreaux.
    (Note de madame Campan.)
  5. Frère de M. de duc de Villequier qui avait embrassé le parti de la révolution, homme nul et sans considération, qui se faisait appeler Jacques Aumont, bien opposé à son brave frère, qui s’est toujours montré entièrement dévoué à la cause de son roi.
    (Note de madame Campan.)
  6. Si l’anecdote suivante n’est pas vraie, elle est du moins très-vraisemblable d’après ce qu’on vient de lire :

    « L’effervescence du 13 avril 1790, occasionée par la chaleur des débats sur l’imprudente motion de dom Gerle à l’Assemblée nationale, ayant fait craindre que les ennemis de la patrie ne voulussent tenter d’enlever le roi au milieu de la capitale, M. de La Fayette promit de faire bonne garde, et dit à Louis XVI que s’il reconnaissait dans les mécontens des dispositions alarmantes, il l’en avertirait par un coup de canon, tiré de la batterie d’Henri IV, au pont Neuf. La même nuit, quelques coups de fusil, sans objet, furent entendus de la terrasse des Tuileries. Le roi, que ce bruit trompa, vola chez la reine ; il ne la trouva point dans son appartement ; il courut chez M. le dauphin que la reine tenait embrassé. — « Madame, lui dit le roi, je vous cherchais et vous m’avez inquiété. » La reine lui répondit, en lui montrant son fils : « J’étais à mon poste. » Ce mot est bien digne des sentimens maternels de la reine. » (Anecdotes du règne de Louis XVI.)

    (Note de l’édit.)
  7. Un grand nombre de gardes-du-corps, blessés le 6 octobre, s’étaient rendus à l’infirmerie de Versailles. La présence d’esprit de M. Voisin, chirurgien-major de cette infirmerie, leur sauva la vie. Les brigands voulaient pénétrer à l’infirmerie et les y massacrer. M. Voisin court à la pièce d’entrée, les invite à se rafraîchir, fait apporter du vin, et trouve le moyen de dire à la sœur supérieure de faire transférer les gardes dans une salle destinée aux indigens, et de les revêtir des bonnets et des casaques que l’hospice leur fournissait. Les bonnes sœurs exécutèrent cet ordre avec tant de célérité, que les gardes furent transférés, habillés en pauvres, et leurs lits réparés, pendant que les assassins s’amusaient à boire. Ils parcoururent toutes les salles et crurent n’y voir que des pauvres malades ; les gardes furent sauvés.
    (Note de madame Campan.)
  8. L’empereur Joseph avait envoyé à la reine une gravure qui représentait des religieuses et des moines défroqués. Les premières essayaient des modes, les derniers se faisaient friser ; cette gravure était toujours restée dans un cabinet sans y être suspendue. La reine me dit de la faire emporter ; qu’elle souffrait de voir combien les philosophes avaient de pouvoir sur l’esprit et les actions de son frère*.
    (Note de madame Campan.)

    *. Les Jésuites et les moines n’ont pas eu d’ennemi plus déclaré, plus redoutable que Joseph II. On jugera, par plusieurs lettres que renferment les éclaircissemens (Lettre G), de la haine qu’il portait aux premiers. Quant aux moines, les passages qu’on va lire, et qui sont extraits de la Correspondance de ce prince, donnent, pour ainsi dire, l’explication de la gravure qu’il avait envoyée à la reine. On doit ajouter que Joseph II portait, dans la destruction des établissemens religieux, un zèle philosophique qui avait aussi son fanatisme.

    « Le monachisme est porté, en Autriche, à un excès intolérable ; le nombre des chapitres et des couvens s’est multiplié à l’excès. Jusqu’à présent, les moines ont su, en s’armant de je ne sais quelle règle et quelles lois, se soustraire à l’influence du gouvernement, qui n’a eu que fort peu de droits sur leurs personnes, et pourtant ils sont les sujets les plus inutiles comme les plus dangereux d’un État ; car ils cherchent à se soustraire à l’observation des lois civiles, et s’adressent à tout propos au pontifex maximus de Rome.

    » Mon ministre d’État, baron de Kusel, l’éclairé Van-Swieten, le prélat Rautentrauch, et plusieurs autres hommes de grand mérite, feront partie d’une commission que j’ai chargée d’un travail relatif à la suppression des couvens superflus, et j’espère que j’obtiendrai, de leur zèle pour la bonne cause et de leur dévouement pour la couronne, tous les bons et loyaux services qu’ils sont capables de rendre à la patrie.

    » Quand j’aurai arraché le masque au monachisme et converti le moine contemplateur en un citoyen producteur, c’est alors, je l’espère, que plus d’un de ces esclaves factieux raisonnera autrement de mes réformes.

    » Ma tâche est difficile : ce ne sera pas peu de chose que de réduire cette armée de moines, et faire des hommes de ces faquirs devant la tête tondue desquels le vulgaire se prosterne avec respect, eux qui ont su prendre plus d’empire sur le cœur du peuple que nul autre objet capable de faire impression sur l’esprit humain.


      » Au cardinal Herzan, envoyé impérial et royal à Rome.

       » M. le cardinal,

    » Depuis que je porte le premier diadème du monde, la philosophie a été constamment la régulatrice de mes actions. L’Autriche doit donc prendre une nouvelle forme. L’autorité des ulemas sera restreinte, et les droits du souverain reprendront leur ancienne splendeur. Il est indispensable que j’écarte du domaine de la religion certaines choses qui n’auraient jamais dû en faire partie.

    » Comme je déteste la superstition et les saducéens, je veux en affranchir mon peuple. À cet effet, je chasserai les moines, je supprimerai leurs couvens, et je les soumettrai aux évêques de leurs diocèses. Ils me dénonceront à Rome, j’en suis sûr, comme ayant attenté au droit divin ; ils s’écrieront que la gloire d’Israël est déchue. On me reprochera d’avoir enlevé les tribunes au peuple, et d’avoir voulu mettre une ligne de démarcation entre les idées du dogme et de la philosophie ; mais on s’irritera encore bien davantage de ce que j’aurai entrepris une réforme sans l’autorisation préalable des serviteurs de Dieu.

    » Voilà ce qui a amené la décadence de l’esprit humain. Jamais un serviteur de l’autel ne voudra souffrir que le souverain le mette à la place qui lui appartient, et qu’il ne lui laisse que l’Évangile en partage. En effet, n’est-ce pas un sacrilége d’empêcher par des lois que les fils de Lévi ne fassent le monopole de l’esprit humain ?

    » Le principe du monachisme, depuis le père Pacôme jusqu’à nos jours, a été en opposition directe avec le sens commun. Du respect pour les fondateurs des ordres on a passé jusqu’à l’adoration, au point que nous avons vu reparaître le temps où les Israélites allaient processionnellement à Béthel pour adorer les veaux dorés.

    » Ces faux principes se sont répandus dans le vulgaire qui ne connut plus Dieu et espéra tout de ses saints.

    » L’influence des évêques que je rétablirai a surtout pour but de détruire cette erreur du peuple. À l’avenir, c’est l’Évangile seul qui sera prêché, et par des hommes du monde, et non par les moines qui ne débitent que les rêveries des gens exaltés.

    » J’aurai soin que le nouvel édifice que je veux élever soit durable. Les séminaires-généraux seront des pépinières où se formeront de sages ecclésiastiques ; les curés qui en sortiront apporteront un esprit éclairé dans le monde, et le communiqueront au peuple par une sage instruction.

    » C’est ainsi qu’après des siècles d’erreur il y aura de vrais chrétiens qui, lorsque mon plan sera accompli, connaîtront enfin leurs devoirs envers Dieu, la patrie et leur prochain. Nos neveux nous béniront de les avoir affranchis de la tyrannie de Rome, et d’avoir ramené les prêtres à leur devoir, en soumettant leur avenir à Dieu, mais leur présent à la patrie. » (Lettres inédites de Joseph II, empereur d’Allemagne. Paris, 1822.)

    (Note de l’édit.)
  9. Au retour d’un voyage de Saint-Cloud, le roi écrivait à la duchesse de Polignac :

    « J’arrive de la campagne ; l’air nous a fait du bien ; mais que ce séjour nous a paru changé ! Le salon du déjeuner, qu’il était triste ! Aucun de vous n’y était. Je ne perds pas l’espoir de nous y retrouver ensemble : dans quel temps ? je l’ignore. Que de choses nous aurons à nous dire ! La santé de votre amie se soutient malgré toutes les peines qui l’accablent. Adieu, Madame la duchesse, parlez de moi à votre mari, et à tout ce qui vous entoure. Dites-vous bien que je ne serai heureux que le jour où je me retrouverai avec mes anciens amis. »

    « Plus la première Assemblée nationale avançait dans ses travaux, ajoute Montjoie qui rapporte cette lettre, et plus la reine se voyait malheureuse. On en a une preuve dans ce peu de mots d’un autre billet de Louis XVI à madame la duchesse de Polignac :

    « Depuis dix-huit mois, il n’y a ici que des choses bien tristes à voir et à entendre : on ne prend pas d’humeur, mais on est peiné, attristé d’être contrarié partout, et surtout d’être mal jugé. »

    Dans une première lettre du roi à la duchesse, on trouve ces mots :

    « Votre amie est malheureuse et bien mal jugée ; mais je me flatte qu’un jour on lui rendra justice. Cependant les méchans sont bien actifs ; on les croit plus que les bons ; vous en êtes bien une preuve. » (Histoire de Marie-Antoinette, par Montjoie, page 262.)

    (Note de l’édit.)