Ma religion (Tolstoï, trad. Ourousov)/XI

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Traduction par L. D. Ourousov.
Fischbacher (p. 212-246).
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XI

La doctrine de Jésus rétablit le règne de Dieu sur la terre.

Il n’est pas vrai que la pratique de cette doctrine soit difficile ; non seulement elle n’est pas difficile, mais elle s’impose naturellement à tout homme qui en a reconnu la vérité. Cette doctrine donne la seule chance de salut possible pour échapper à l’anéantissement inévitable qui menace la vie personnelle. Enfin l’accomplissement de cette doctrine, non seulement n’attire pas aux hommes des privations et des souffrances dans cette vie, mais nous délivre des neuf dixièmes des souffrances que nous endurons au nom de la doctrine du monde.

Après avoir compris cela, je me demandai pourquoi donc je n’avais pas pratiqué jusqu’ici cette doctrine qui me donne le bonheur, le salut et la joie, et pourquoi, au contraire, j’en avais pratiqué une tout autre qui me rendait malheureux. Pourquoi ? La réponse est bien simple. Parce que je ne connaissais pas la vérité. — Elle m’avait été cachée.

Quand le vrai sens de la doctrine chrétienne se révéla à moi pour la première fois, j’étais loin de croire que cette découverte m’amènerait à rejeter la doctrine de l’Église. Je redoutais cette séparation. Aussi, pendant mes investigations, non seulement je ne recherchais les erreurs de la doctrine de l’Église, mais je tâchais au contraire de fermer les yeux sur les propositions qui me semblaient obscures et singulières, sans être en contradiction apparente avec ce qui était pour moi la substance de la doctrine chrétienne.

Cependant, plus j’avançais dans l’étude des Évangiles, plus le sens de la doctrine de Jésus se découvrait à moi et plus le choix me devenait inévitable : ou bien la doctrine de Jésus, — raisonnable, claire, d’accord avec ma conscience et me donnant le salut, — ou bien une doctrine diamétralement opposée, en désaccord avec ma raison et ma conscience, et ne me donnant rien, excepté la certitude de ma perdition et de celle des autres. Et je ne pus faire autrement que de rejeter, l’une après l’autre, les propositions de l’Église. Je le faisais à contre-cœur, en luttant, avec le désir de mitiger autant que possible mon désaccord avec l’Église, de ne pas m’en séparer, de ne pas me priver du plus grand bonheur que procure la religion, — la communion avec mes semblables. Mais, quand j’eus terminé mon travail, je vis que, malgré tous mes efforts de maintenir au moins quelque chose de la doctrine de l’Église, il n’en était rien resté. C’était bien peu, il est vrai ; mais je dus me convaincre qu’il n’en pouvait rien rester.

Je vais raconter l’incident qui se produisit quand je terminais déjà mon travail. Un enfant, — mon fils, vint me dire qu’il y avait une discussion entre deux de nos domestiques, gens sans aucune instruction, sachant à peine lire, à propos d’un passage de je ne sais quel livre religieux dans lequel il était dit que ce n’est pas un péché de tuer les criminels et de tuer des ennemis à la guerre. Je ne pouvais pas croire que cela fût imprimé, et je demandai à voir le livre. C’était un volume intitulé : Livre de prières raisonné (Folkovay Molitrennik), troisième édition (huitième dizaine de mille), Moscou, 1879. On lit dans ce livre, page 163 :

« Quel est le sixième commandement de Dieu ? — Tu ne tueras pas. »

Ne tue pas, tu ne tueras pas.

Qu’est-ce que Dieu défend par ce commandement ? « Il défend de tuer, c’est-à-dire d’ôter la vie d’un homme. Est-ce un péché de punir de mort, d’après la loi, un criminel et de tuer l’ennemi à la guerre ?

« Non ; ce n’est pas un péché. On ôte la vie à un criminel pour mettre fin à tout le mal qu’il fait ; on tue l’ennemi à la guerre, parce qu’à la guerre on se bat pour son souverain et sa patrie. » Voilà comment on explique pourquoi la loi de Dieu est abrogée. Je n’en croyais pas mes yeux.

On me demanda mon avis au sujet du différend. Je dis à celui qui soutenait la vérité de ce qui était imprimé que cette explication n’était pas correcte.

« Pourquoi donc imprime-t-on des explications incorrectes contre la loi ? » me demanda-t-il. Je ne trouvai rien à lui répondre. Je gardai le volume et le parcourus en entier. Ce livre contient : 1o trente et une prières avec instructions sur les génuflexions et la manière de joindre les doigts ; 2o explication du Credo ; 3o citation du cinquième chapitre de Matthieu sans aucune explication, — appelé on ne sait pourquoi : « Commandement pour entrer en possession des béatitudes ; » 4o les dix commandements accompagnés de commentaires qui en abrogent la plupart ; 5o des cantiques pour chaque fête.

Comme je l’ai dit, non seulement je tâchais d’éviter de blâmer la religion de l’Église, mais je tâchais de la voir sous son meilleur jour et je ne recherchais pas ses côtés faibles ; c’est pourquoi, connaissant à fond sa littérature académique, je n’avais pas du tout approfondi sa littérature populaire. Ce livre de prières, répandu à une si énorme quantité d’exemplaires et qui éveillait des doutes chez les gens les plus simples, me fit réfléchir.

Je ne pouvais croire que le contenu de cet ouvrage purement païen, sans aucun rapport avec le christianisme, fût une doctrine sciemment propagée dans le peuple par l’Église. Pour vérifier cela, j’achetai tous les livres édités par le synode ou avec sa « bénédiction » (blagoslovenie), qui contiennent les brefs exposés de la religion de l’Église pour les enfants et le peuple, et je les lus.

Leur contenu était presque nouveau pour moi. À l’époque où l’on m’enseignait la religion, ils n’avaient pas encore paru. Autant que je puis m’en souvenir, les commandements sur les béatitudes n’existaient pas plus que la doctrine qui enseigne que ce n’est pas un péché de tuer. Dans tous les anciens catéchismes de Platon, cela ne se trouve pas. Cela ne se rencontre pas non plus dans celui de Pierre Maguila, ni dans celui de Beliokof, ni dans les catéchismes catholiques abrégés. Cette innovation a été introduite par le métropolitain Philarète, qui a rédigé également un catéchisme pour la classe militaire. Le « Livre de prières raisonné » a été composé d’après ce catéchisme. L’ouvrage qui a servi de base est le Catéchisme chrétien de l’Église orthodoxe à l’usage de tous les Chrétiens orthodoxes, édité par ordre suprême de S. M. Impériale.

Le livre est partagé en trois parties : « De la Foi, de l’Espérance et de l’Amour. » La première contient l’analyse du Symbole de la foi du concile de Nicée. La seconde, l’analyse du Pater noster et des huit premiers versets du cinquième chapitre de Matthieu, qui servent d’introduction au sermon sur la Montagne, et appelé, on ne sait pourquoi « Commandements pour entrer en possession des béatitudes ». (Ces deux parties traitent des dogmes de l’Église, des prières et des sacrements, mais ne contiennent aucune règle pour la vie.) La troisième partie contient un exposé des devoirs du chrétien. Cette partie, intitulée : « de l’Amour, » est un exposé, non pas des commandements de Jésus, mais des dix commandements de Moïse. Et cet exposé des commandements de Moïse semble être fait uniquement dans le but d’enseigner aux hommes à ne pas les observer, mais à faire le contraire. Après chaque commandement, une réticence qui anéantit le commandement. À propos du premier commandement, qui ordonne le culte de Dieu seul, le catéchisme enseigne le culte des saints et des anges, sans parler de la mère de Dieu et des trois personnes de Dieu. (Catéchisme détaillé, pages 107-108). À propos du second commandement : « Ne te fais pas d’idoles, » le catéchisme enseigne le culte des images (page 108). À propos du troisième commandement : « Tu ne prononceras pas de serment en vain, » le catéchisme enseigne de prêter serment au premier signe de l’autorité légitime (page 111). À propos du quatrième commandement : « La célébration du Sabbat, » le catéchisme enseigne la célébration du dimanche, de treize fêtes principales et d’une quantité de fêtes moins importantes et l’observance de tous les carêmes, ainsi que du jeûne les mercredis et les vendredis (pages 112-115). À propos du cinquième commandement : « Honore ton père et ta mère, » le catéchisme prescrit d’honorer : le souverain, la patrie, les pères spirituels, les chefs sous tous les rapports, et sur la manière d’honorer les chefs, — trois pages, avec énumération de toutes espèces de chefs et d’autorités : les autorités des collèges, les autorités civiles, les juges, les autorités militaires, les maîtres, en leur qualité de propriétaires de serfs (pages 116-119). Mes citations sont tirées de la soixante-quatrième édition du catéchisme datée de 1880. Vingt années se sont passées depuis l’abolition de l’esclavage, et personne ne s’est donné la peine de rayer même cette phrase qui, à propos du commandement de Dieu, d’honorer ses parents, a été introduite dans le catéchisme pour soutenir et justifier le servage.

À propos du sixième commandement : « Tu ne tueras point », les instructions du catéchisme apprennent à tuer dès les premières lignes.

Question : Que défend le sixième commandement ?

Réponse : Le meurtre, ôter la vie au prochain de quelque manière que ce soit.

Question : Est-ce que tout meurtre est une transgression de la loi ?

Réponse : Le meurtre n’est pas une transgression de la loi quand on ôte la vie en vertu de son mandat. Par exemple :

1o Quand on punit de mort un criminel condamné en justice.

Quand on tue à la guerre pour son souverain et sa patrie. (Les italiques sont dans l’original.)

Et plus loin :

Question : Quels sont les cas de meurtre où l’on transgresse la loi ?

Réponse : Quand quelqu’un cache un meurtrier on lui donne la liberté (sic).

Et tout cela s’imprime par centaines de milliers d’exemplaires et s’enseigne à tous les Russes, sous le titre de doctrines chrétiennes, obligatoirement, forcément, sous peine de châtiment.

On enseigne cela à tout le peuple russe. On enseigne cela à tous ces innocents — aux enfants, à ces enfants que Jésus recommande de ne point éloigner de lui, car c’est à eux qu’appartient le royaume de Dieu, — à ces enfants auxquels nous devons ressembler pour entrer dans le royaume de Dieu, auxquels nous devons ressembler par l’ignorance de ces fausses doctrines, — à ces enfants que Jésus voulait sauvegarder en disant : « Malheur à celui qui scandaliserait un de ces petits ». Et c’est à ces enfants qu’on enseigne tout cela obligatoirement, en leur disant que c’est la loi de Dieu unique et sacrée.

Ce ne sont pas là des proclamations répandues clandestinement et punies de travaux forcés ; ce sont des proclamations qui entraînent le châtiment des travaux forcés pour tous ceux qui ne seraient pas d’accord avec elles.

En écrivant ces lignes en ce moment, j’éprouve même un sentiment d’insécurité, uniquement parce que je me permets de dire qu’on ne peut pas abroger la loi fondamentale de Dieu, inscrite dans tous les Codes et dans tous les cœurs, par ces mots qui ne disent rien : On ne transgresse pas la loi divine quand on tue en vertu de son mandat… pour son souverain et sa patrie, — parce que je me permets de dire qu’on ne peut pas enseigner cela aux enfants.

Oui, nous voyons se passer juste ce dont Jésus avertissait les hommes (Luc, xi, 33-36, et Matth., vi, 23), en disant : « Prenez donc garde que la lumière qui est en vous ne soit ténèbres. Si la lumière qui est en toi est ténèbres, combien seront profondes les ténèbres ? »

La lumière qui est en nous est devenue ténèbres. Et les ténèbres dans lesquelles nous vivons sont épouvantables.

« Malheur à vous, a dit Jésus, malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez aux hommes le royaume de Dieu ; vous n’y entrez pas vous-mêmes et vous n’y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous dévorez les maisons des veuves et que vous faites, pour l’apparence, de longues prières ; à cause de cela vous serez jugés plus sévèrement. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et quand il l’est devenu, vous l’avez fait pis qu’il ne l’a été. Malheur à vous, guides aveugles… »

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes et ornez les sépulcres des justes. Et vous dites : « Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes. Vous témoignez ainsi, contre vous-mêmes, que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les prophètes. Comblez donc la mesure des iniquités de vos pères… et voici, je vous enverrai des prophètes, des sages et des scribes. Vous tuerez et crucifierez les uns, vous battrez de verges les autres dans vos synagogues et vous les exilerez de ville en ville. Qu’il retombe donc sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre depuis Abel… »

« Tout blasphème (calomnie) sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera point pardonné. »

On dirait vraiment que cela a été écrit hier contre ces hommes qui ne courent plus la mer et la terre en calomniant l’Esprit saint et en convertissant les hommes à une religion qui les rend pires qu’ils n’étaient, mais qui forcent tout simplement les gens à embrasser leur religion, et persécutent et font périr tous les prophètes et tous les justes qui tentent de dévoiler leurs mensonges.

Et j’acquis la conviction que la doctrine de l’Église, quoiqu’elle ait pris le nom de « chrétienne », ressemble singulièrement à ces ténèbres contre lesquelles luttait Jésus et contre lesquelles il recommande à ses disciples de lutter.

La doctrine de Jésus, comme toute doctrine religieuse — contient deux parties : 1o une partie morale, éthique, où il est enseigné comment les hommes doivent vivre chacun séparément et tous ensemble ; 2o une partie métaphysique ou se trouve expliqué pourquoi il faut que les hommes vivent ainsi et non autrement. — L’une est la conséquence et en même temps la raison de l’autre. L’homme doit vivre ainsi parce que telle est sa destinée, ou bien : la destinée de l’homme est telle, par conséquent, il doit vivre ainsi. Ces deux parties de toute doctrine existent dans toutes les religions du monde, dans la religion des brahmines, de Confucius, du Bouddha, de Moïse comme dans la religion du Christ. Mais il en a été de la doctrine de Jésus comme de toutes les autres : judaïsme, bouddhisme, brahmanisme. Les hommes s’écartent de la doctrine qui règle la vie, et il se trouve toujours quelqu’un qui se charge de justifier ces écarts. Ces gens qui s’assoient, selon l’expression de Jésus, dans la chaire de Moïse, expliquent la partie métaphysique de telle sorte que les prescriptions éthiques de la doctrine cessent d’être considérées comme obligatoires, et sont remplacées par le culte extérieur, — par le cérémonial. Ce phénomène est commun à toutes les religions, mais jamais, me semble-t-il, il ne s’est manifesté avec autant d’éclat que dans le christianisme. Il s’y est manifesté avec plus d’éclat : 1o parce que la doctrine de Jésus est la doctrine la plus élevée ; je dis qu’elle est la plus élevée parce que la métaphysique et l’éthique, dans la doctrine de Jésus, sont si indissolublement liées l’une à l’autre, et se fondent si complètement l’une dans l’autre, qu’il est impossible de détacher l’une de l’autre sans dépouiller cette doctrine de sa raison d’être ; 2o parce que la doctrine de Jésus est par elle-même une protestation contre toute forme, c’est-à-dire la négation, non seulement du cérémonial judaïque, mais même de toute espèce de culte extérieur. C’est pourquoi, dans le christianisme, la séparation arbitraire de la métaphysique et de l’éthique devait complètement défigurer la doctrine et la dépouiller de toute espèce de sens. C’est ce qui est arrivé en effet. Cette séparation a commencé avec la prédication de Paul, qui ne connaissait qu’imparfaitement la doctrine éthique formulée dans l’Évangile de Matthieu, et qui prêchait une théorie métaphysico-cabalistique étrangère à la doctrine de Jésus, et elle a été consommée sous Constantin, quand on trouva possible de proclamer chrétienne toute l’organisation sociale païenne sans aucun changement, en la couvrant du manteau chrétien. Depuis Constantin, païen par excellence (que l’Église admet, pour tous ses forfaits et ses vices, au nombre des saints de la chrétienté), commencent les conciles, et le centre de gravité du christianisme se déplace définitivement et repose sur la partie métaphysique de la doctrine. Et cette doctrine métaphysique avec le cérémonial qui y est attaché, s’éloignant de plus en plus de son vrai sens primitif, arrive à être ce qu’elle est actuellement : une doctrine qui vous explique les mystères de la vie céleste les plus inaccessibles à la raison humaine, vous donne les formules les plus compliquées, mais ne vous donne aucune doctrine religieuse réglant votre vie terrestre.

Toutes les religions, excepté la religion de l’Église chrétienne, demandent à ceux qui les professent, en dehors des cérémonies, de pratiquer certaines bonnes actions et de s’abstenir de mauvaises. Le judaïsme prescrit la circoncision, l’observance du sabbat, les aumônes, l’année jubilaire, etc. Le mahométisme prescrit la circoncision, la prière cinq fois par jour, le décime des pauvres, le pèlerinage à la tombe du Prophète et bien d’autres choses encore. Il en est de même pour toutes les autres religions. Que ces prescriptions soient bonnes ou mauvaises, ce sont des prescriptions qui exigent des actes. Seul, le pseudo-christianisme ne prescrit rien. Il n’y a rien qu’un chrétien doive observer obligatoirement, si on ne compte pas les carêmes et les prières que d’ailleurs l’Église elle-même reconnaît non obligatoires. Tout ce qu’il faut pour le pseudo-chrétien, c’est : le sacrement. Mais le sacrement ne s’accomplit pas par le croyant ; d’autres le lui administrent. Le pseudo-chrétien n’est obligé de rien faire ou de s’abstenir de rien pour son salut, l’Église lui administre tout ce dont il a besoin. Elle se charge de le baptiser, de l’oindre, de le faire communier, de lui donner l’extrême-onction, de le confesser, même quand il a perdu connaissance, de prier pour lui, — et le voila sauvé. L’Église chrétienne depuis Constantin n’a prescrit aucune activité à ses membres. Elle n’a même jamais exigé qu’on s’abstienne de n’importe quoi. L’Église chrétienne a reconnu et sanctionné le divorce, l’esclavage, les tribunaux, tous les pouvoirs existants, ainsi que les exécutions et les guerres ; elle n’exigeait (et cela seulement dans les commencements) que le renoncement au mal à l’occasion du baptême ; mais plus tard, quand on introduisit le baptême des nouveau-nés, elle cessa d’exiger même cela.

L’Église, reconnaissant en paroles la doctrine, de Jésus, la reniait en fait dans la vie.

Au lieu de guider le monde, dans sa vie, l’Église, par complaisance pour le monde expliqua à sa manière la doctrine métaphysique de Jésus, de façon qu’il n’en découlait aucune obligation pour la vie, et par conséquent nulle nécessité pour les hommes de vivre mieux qu’ils ne vivaient. L’Église a capitulé devant le monde, et, après avoir cédé une fois, elle se mit à sa remorque. Le monde faisait tout ce qui lui plaisait, laissant à l’Église le soin de se tirer d’affaire, comme elle pourrait, dans ses explications du sens de la vie. Le monde organisait sa vie d’une façon absolument contraire à la doctrine de Jésus, et l’Église imaginait des compromis dans le but de démontrer que les hommes, tout en vivant contrairement à la loi de Jésus, vivent d’accord avec cette loi. Il en résulta finalement que le monde se mit à vivre d’une existence pire que l’existence des païens et que l’Église, non seulement justifia cette vie, mais prouva que c’est précisément en cela que consiste la doctrine de Jésus.

Mais vint un temps où la lumière de la vraie doctrine de Jésus qui se trouvait dans les Évangiles se fit jour malgré l’Église qui, se sentant coupable, tâchait de l’étouffer (par exemple en prohibant la traduction de la Bible) ; vint un temps où cette lumière pénétra jusqu’au peuple par l’intermédiaire des sectaires, même des libres-penseurs mondains, et la fausseté de la doctrine de l’Église fut mise au grand jour devant les hommes qui commencèrent à changer leur ancienne existence justifiée par l’Église.

Ainsi les hommes eux-mêmes, indépendamment de l’Église, abolirent l’esclavage justifié par l’Église, abolirent le pouvoir des empereurs et des papes sanctifié par l’Église, et ont procédé maintenant à l’abolition de la propriété et de l’État. Et l’Église n’a rien défendu de tout cela, et ne peut rien défendre maintenant, parce que l’abolition de ces iniquités est en conformité avec cette même doctrine chrétienne que prêche et qu’a prêchée l’Église après l’avoir faussée.

Ainsi, la doctrine de la vie des hommes s’est émancipée de l’Église et a pris de l’autorité indépendamment d’elle.

L’Église ne garda que ses explications, mais ses explications de quoi ? Une explication métaphysique n’a de l’importance que quand il y a une doctrine de la vie qu’elle sert à expliquer. Mais l’Église ne possède que l’explication d’une organisation qu’elle avait jadis sanctionnée et qui n’existe plus. L’Église n’a plus rien, excepté les temples, les images, les draps d’or et les mots.

L’Église a porté la lumière de la doctrine chrétienne à travers dix-huit siècles et, voulant la cacher dans ses vêtements, elle s’est brûlée elle-même à cette lumière. Le monde, avec son organisation sanctifiée par l’Église, a repoussé l’Église au nom de ces mêmes principes du christianisme que l’Église apporta involontairement, et le monde existe sans elle. C’est un fait accompli, et il est impossible de le cacher. Tout ce qui vit vraiment, mais ne se morfond pas dans un isolement haineux, tâchant de gâter la vie aux autres ; tout ce qui est vivant dans notre monde européen s’est détaché de l’Église, de toutes les Églises et vit de son existence, indépendamment de l’Église. Et qu’on ne dise pas qu’il en est ainsi dans l’Europe occidentale tombée en pourriture ; notre Russie par ses millions de chrétiens rationalistes, civilisés et non civilisés, qui ont repoussé la doctrine de l’Église, prouve incontestablement que, sous le rapport de l’émancipation du joug de l’Église, elle est, Dieu soit loué, beaucoup plus pourrie que l’Europe.

Tout ce qui est vivant est indépendant de l’Église.

Le pouvoir de l’État est basé sur la tradition, sur la science, sur le suffrage du peuple, sur la force brutale, sur tout ce que vous voudrez, mais non sur l’Église.

Les guerres, les relations d’État à État, reposent sur le principe de nationalité, d’équilibre, sur tout ce que l’on voudra, mais non sur le principe de l’Église. Les institutions de l’État ignorent carrément l’Église, L’idée que l’Église puisse servir de base à la justice, à la propriété, n’est que plaisante à notre époque. La science, non seulement ne soutient pas la doctrine de l’Église, mais, sans le vouloir, est toujours hostile à l’Église dans son développement. L’art, qui ne servait jadis que l’Église, l’a complètement abandonnée. C’est peu de dire que la vie humaine s’est entièrement émancipée de l’Église ; elle n’a aujourd’hui d’autre rapport avec l’Église que le mépris, tant que l’Église ne se mêle pas de ses affaires, et que la haine, aussitôt que l’Église tente de lui rappeler ses anciens droits. Si la formule que nous appelons Église existe encore, c’est uniquement parce que les hommes ont peur de briser le vase qui contenait jadis quelque chose de précieux. C’est la seule manière de s’expliquer l’existence, à notre époque, du catholicisme, de l’orthodoxie et des différentes Églises protestantes.

Toutes les Églises — catholique, orthodoxe, protestante — ressemblent à des sentinelles qui gardent soucieusement un prisonnier, alors que le prisonnier est depuis longtemps en liberté, se promène parmi les sentinelles, et leur fait même la guerre. Tout ce qui constitue actuellement la vie, c’est-à·dire l’activité des sociétés humaines dans le sens du progrès vers le bien : le socialisme, le communisme, les nouvelles théories politico-économiques, l’utilitarisme, la liberté et l’égalité des hommes, des classes sociales et des femmes, tous les principes moraux de l’humanité, la sainteté du travail, de la raison, de la science, de l’art, tout ce qui donne l’impulsion au monde et paraît hostile à l’Église, tout cela n’est autre chose que des débris de la même doctrine, apportée par l’Église, mais qu’elle s’efforçait de cacher soigneusement.

De notre temps, la vie du monde va son train, tout à fait en dehors de la doctrine de l’Église. Cette doctrine est restée si loin en arrière, que les hommes du monde n’entendent plus la voix des docteurs de l’Église. Cela se comprend, parce que l’Église parle d’une organisation de la vie du monde, qui n’existe plus ou qui se détruit rapidement.

Des gens naviguaient en bateau et ramaient, le pilote gouvernait. Ces gens se fiaient au pilote, et le pilote gouvernait bien ; mais plus tard le bon pilote fut remplacé par un autre, qui ne gouvernait pas. Le bateau marchait vite et sans effort. Au début, ces gens ne remarquaient pas que le nouveau pilote ne gouvernait pas, et ils ne songeaient qu’à se réjouir de ce que le bateau marchait facilement. Mais bientôt, convaincus que le nouveau pilote était de trop, ils se moquèrent de lui et le chassèrent.

Tout cela ne serait rien ; malheureusement, ces gens, mécontents du pilote maladroit, oublièrent que sans pilote on fait fausse route. C’est ce qui arrive à notre société chrétienne. L’Église ne gouverne pas, on navigue facilement, et nous sommes allés bien loin. La science moderne, dont est si fier le xixe siècle, semble parfois s’égarer ; cela vient de l’absence de pilote. Nous avançons, mais où allons-nous ? Nous vivons et nous organisons notre vie sans savoir le moins du monde pourquoi nous l’organisons ainsi et pas autrement. Mais on ne peut pas plus naviguer sans savoir où l’on va qu’on ne peut vivre sans savoir pourquoi.

Si les hommes ne pouvaient rien faire par eux-mêmes, s’ils n’étaient pas responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent, ils pourraient raisonnablement répondre à la question : « Pourquoi êtes-vous dans cette situation ? — Nous ne le savons pas ; nous sommes dans cette situation et nous la subissons. » Mais les hommes sont eux-mêmes les artisans de leur situation et surtout de celle de leurs enfants ; c’est pourquoi, quand on demande : Pourquoi réunissez-vous des millions de troupes, et pourquoi vous faites-vous soldat vous-mêmes pour vous entre-tuer et vous estropier les uns les autres ? Pourquoi avez-vous dépensé et dépensez-vous une somme énorme de forces humaines, qu’il faut chiffrer par milliards, à construire des villes inutiles et malsaines ? Pourquoi organisez-vous vos tribunaux ridicules et envoyez-vous des gens, que vous considérez comme criminels, de France à Cayenne, de Russie en Sibérie, d’Angleterre en Australie, quand vous savez vous-mêmes que c’est insensé ? Pourquoi abandonnez-vous l’agriculture, que vous aimez, pour travailler aux fabriques et aux usines que vous n’aimez pas ? Pourquoi élevez-vous vos enfants de façon qu’ils continuent à mener cette existence que vous n’approuvez pas ? Pourquoi faites-vous tout cela ? À toutes ces questions, vous ne pouvez pas vous abstenir de répondre. Si tout cela était pour vous chose agréable et que vous y trouviez votre plaisir, même alors vous seriez tenus de donner une réponse et de dire pourquoi vous agissez ainsi. Mais du moment que ce sont des choses terriblement difficiles et que vous les accomplissez avec effort et murmure, vous ne pouvez pas ne pas réfléchir sur le motif qui vous pousse à faire tout cela. Il faut cesser de le faire ou expliquer pourquoi vous le faites.

Jamais les hommes ne sont restés sans répondre à cette question. À toutes les époques, on rencontre une réponse.

Le Juif vivait comme il vivait, c’est-à-dire faisait guerre, exécutait les criminels, bâtissait le Temple, organisait toute son existence d’une façon et pas d’une autre, parce que tout cela était prescrit par la loi que Dieu lui-même, selon sa conviction, avait promulguée.

On peut dire la même chose de l’Hindou, du Chinois, la même chose du Romain et du mahométan ; c’était la réponse du chrétien, il y a de cela un siècle, et la réponse est encore la même maintenant pour la masse ignorante des chrétiens.

Le chrétien qui ignorait encore ces questions faisait les réponses suivantes : « La conscription, les guerres, les tribunaux, la peine de mort, tout cela existe en vertu la loi de Dieu, qui nous est transmise par l’Église. Le monde d’ici-bas est un monde déchu. Tout le mal qui existe, existe par la volonté de Dieu, comme punition pour les péchés des hommes. C’est pourquoi nous ne pouvons pas remédier à ce mal. Nous pouvons seulement sauver notre âme par la foi, les sacrements, les prières et la soumission à la volonté de Dieu, qui nous est transmise par l’Église.

« L’Église nous enseigne que tous les chrétiens doivent obéir sans hésitation aux souverains, — les oints du Seigneur, — et aux chefs préposés par eux ; — qu’ils doivent défendre par la force leur propriété et celle des autres, faire la guerre, infliger la peine de mort et s’y soumettre au premier signal des autorités instituées par Dieu. »

Bonnes ou mauvaises ces explications suffisaient à un chrétien croyant, comme à un juif, ou à un mahométan, pour lui faire comprendre toutes les particularités de la vie, et l’homme ne renonçait pas à sa raison en vivant d’après une loi qu’il reconnaissait comme divine. Mais voici que nous vivons dans un temps où il n’y a que les gens les plus incultes qui ajoutent foi à ces explications, et le nombre de ces gens diminue chaque jour et à chaque heure. Arrêter ce mouvement est tout à fait impossible. Tous les hommes suivent irrésistiblement ceux qui marchent en avant et tous arriveront là où se tient l’avant-garde. Et l’avant-garde est au bord de l’abîme. Cette avant-garde se trouve dans une terrible situation ; ceux qui la composent organisent la vie pour eux-mêmes, la préparent pour tous ceux qui suivent et ne savent absolument pas pourquoi ils font ce qu’ils font. Pas un homme civilisé marchant en tête du progrès n’est en état de donner maintenant une réponse à la question directe : « Pourquoi mènes-tu la vie que tu mènes ? Pourquoi fais-tu tout ce que tu fais ? » J’ai essayé de poser cette question et je l’ai posée à des centaines de gens, et jamais je n’ai obtenu une réponse directe. Au lieu d’une réponse directe à une question directe : « Pourquoi mènes-tu cette existence et agis-tu ainsi ? » — j’ai toujours reçu une réponse non pas à ma question, mais à une question que je n’avais pas faite.

Un catholique croyant, un protestant, un orthodoxe, quand on lui demande pourquoi il mène l’existence qu’il mène, c’est-à-dire une existence contraire à la doctrine de Jésus notre Dieu qu’il confesse, commence toujours, au lieu de répondre directement, à parler du regrettable état de scepticisme de la génération actuelle, des gens mal intentionnés qui sèment l’incrédulité, — de l’importance et de l’avenir de l’Église véritable. Mais il ne répond pas pourquoi lui-même ne fait pas ce que lui commande sa religion. Au lieu de parler de lui-même, il vous parle de la situation générale de l’humanité et de l’Église, comme si sa vie à lui n’avait pour lui aucune signification et que sa préoccupation fût le salut de l’humanité et de ce qu’il appelle l’Église.

Un philosophe, de quelque école qu’il soit : idéaliste, spiritualiste, pessimiste ou positiviste, si on lui demande : Pourquoi est-ce qu’il vit comme il vit, c’est-à-dire en désaccord avec sa doctrine philosophique, commencera aussitôt à parler du progrès de l’humanité, de la loi historique de ce progrès qu’il a trouvée et suivant laquelle l’humanité gravite vers le bien. Mais jamais il ne répondra directement à la question : Pourquoi lui-même, pour son compte, ne fait pas ce qu’il reconnaît comme raisonnable. Le philosophe, tout comme le croyant, est, on le dirait, préoccupé, non pas de sa vie personnelle, mais du soin d’observer l’action des lois générales sur l’humanité.

L’homme « moyen, » c’est-à-dire l’immense majorité des gens civilisés, moitié sceptiques, moitié croyants, — ceux qui tous, sans exception, se plaignent de l’existence, de son organisation et prédisent la destruction de toute chose, — cet homme moyen, à la question : Pourquoi vit-il, lui, de cette vie qu’il blâme sans rien faire pour l’améliorer, commencera aussitôt, au lieu de répondre directement, à parler non pas de lui-même, mais des choses en général : de la justice, du commerce, de l’État, de la civilisation. S’il est sergent de ville ou procureur, il dira : Et que deviendrait l’État, si moi, pour améliorer mon existence, je cessais de le servir ? Et que deviendra le commerce ? dira-t-il s’il est marchand. Et que deviendra la civilisation, si je cesse d’y travailler pour ne m’occuper que de l’amélioration de ma propre existence ? Sa réponse sera toujours conçue dans ce sens, comme si la tâche de sa vie ne consistait pas à faire le bien auquel sa nature le porte, mais à servir l’État, le commerce, la civilisation. L’homme moyen répond exactement ce que répondent le croyant, le philosophe, etc. À la place de la question personnelle, il glisse, la question générale, et ce subterfuge, le croyant, le philosophe, l’homme moyen l’emploient également, parce qu’ils ne peuvent faire aucune réponse à la question personnelle : Qu’est-ce que ma vie ? parce qu’ils n’ont aucune doctrine positive de la vie. Et ils en sont inquiets, parce qu’ils se sentent dans la situation humiliante de gens qui ne possèdent, n’ont pas même le moindre soupçon d’une doctrine de la vie, tandis que l’homme, en réalité, ne peut pas vivre en paix sans doctrine de la vie. Ce n’est que dans notre monde chrétien, qu’au lieu de mettre en relief la doctrine de la vie et de chercher à s’expliquer pourquoi la vie actuelle doit être telle et non pas autre, on s’en tient à l’explication d’une organisation fantastique qui n’existe plus. Ce n’est que dans notre monde chrétien qu’on a commencé à donner le nom de religion à quelque chose qui n’est bon à rien et à personne et que la vie s’est émancipée de toute doctrine, c’est-à-dire est restée sans aucune définition. Ce n’est pas tout ; la science, comme d’habitude, a érigé cette situation fortuite et anormale de notre situation en loi humanitaire. Les savants comme Tiele, Spencer et d’autres traitent fort sérieusement de la religion, en sous-entendant par ce mot la doctrine métaphysique du principe universel, sans soupçonner qu’ils ne parlent pas de la religion tout entière, mais seulement d’une de ses parties.

De là provient ce merveilleux phénomène que nous observons dans notre siècle. Nous voyons des hommes savants et intelligents, naïvement persuadés qu’ils se sont affranchis de toute religion, uniquement parce qu’ils rejettent toutes les explications métaphysiques du principe universel qui jadis suffisaient à la vie d’une génération disparue. Ils ne font pas cette réflexion qu’on ne saurait vivre de néant ; chaque être humain vit au nom d’un principe quelconque, et ce principe, au nom duquel il vit d’une certaine manière, n’est autre chose que sa religion. Ces gens sont persuadés qu’ils ont des convictions raisonnables, mais qu’ils n’ont aucune religion. Pourtant, quelles que soient leurs allégations, ils ont une religion, du moment qu’ils commettent des actes raisonnés, car un acte raisonné est déterminé par une foi quelconque. Leur foi a pour objet les ordres qu’ils reçoivent. La foi des gens qui nient la religion est la religion de l’obéissance à tout ce qui se fait par la majorité puissante, c’est-à-dire en deux mots : la soumission aux pouvoirs établis.

On peut vivre d’après la doctrine du monde, c’est-à-dire de la vie animale, sans reconnaître rien de plus élevé, de plus obligatoire pour notre conscience, que les règlements du pouvoir établi. Mais celui qui vit ainsi ne peut pourtant pas affirmer qu’il vit raisonnablement. Avant d’affirmer que nous vivons raisonnablement, il faut répondre à la question : Quelle est la doctrine de la vie que nous reconnaissons comme raisonnable ? Hélas ! malheureux que nous sommes ! non seulement nous manquons totalement d’une semblable doctrine, mais nous avons perdu même toute conscience de la nécessité d’une doctrine raisonnable de la vie.

Demandez aux gens de notre siècle, croyants ou sceptiques, quelle est la doctrine qu’ils suivent dans la vie. Ils seront obligés de convenir qu’ils ne suivent qu’une doctrine : celle qui résulte des lois rédigées par les employés affectés à ce travail ou par les assemblées législatives, et mises en vigueur par la police. — C’est l’unique doctrine reconnue par nous autres Européens. — Ils savent que cette doctrine ne vient pas d’en haut, ni des prophètes, ni des sages ; ils blâment constamment les règlements rédigés par ces employés ou ces assemblées législatives, mais ils les reconnaissent tout de même et se soumettent à la police chargée de les mettre en vigueur ; ils s’y soumettent sans murmure et cèdent aux exigences les plus terribles. Ces employés ou ces assemblées statuent que tout jeune homme doit être prêt à saisir les armes, à mourir lui-même et à tuer les autres, et tous les pères et les mères qui ont des fils adultes obéissent à cette loi, rédigée la veille par un employé mercenaire et révocable le lendemain.

L’idée d’une loi raisonnable en elle-même et obligatoire pour chacun dans son for intérieur est à tel point perdue dans notre société que l’existence, chez les Hébreux, d’une loi qui réglait toute la vie, d’une loi qui n’était pas obligatoire, puisqu’elle s’appuyait, non sur la force, mais sur la conscience de chacun, — est considérée comme un attribut exceptionnel du peuple hébreu.

Ainsi, que les Hébreux n’aient obéi qu’à ce qu’ils reconnaissaient dans leur for intérieur comme la vérité incontestable venue directement de Dieu, c’est-à-dire qu’ils n’aient obéi qu’à leur conscience, voilà qui est considéré comme un trait particulier aux Hébreux. Mais l’état normal, naturel à l’homme civilisé, c’est, paraît-il, d’obéir à ce qui est rédigé, au su de tout le monde, par des hommes méprisables, à des lois qu’on met en vigueur avec le concours de sergents armés de pistolets.

Le trait distinctif de l’homme civilisé, c’est d’obéir à ce qui est considéré par la plupart des gens comme inique, c’est-à-dire contraire à la conscience.

En vain je cherche dans notre monde civilisé quelques bases morales de la vie clairement formulées. Il n’y en a pas.

La conscience de leur nécessité n’existe pas. Il s’est même formé à cet égard une étrange conviction : on prétend qu’elles sont superflues ; que la religion n’est pas autre chose que certaines sentences sur la vie future, sur Dieu ; certaines cérémonies fort utiles pour le salut de l’âme selon les uns, et bonnes à rien selon les autres ; mais que la vie se fait toute seule, d’elle-même, et qu’elle n’a besoin d’aucune base ni d’aucune règle, qu’il n’y a qu’à faire ce qu’on vous ordonne.

Des deux parties substantielles de la foi, la doctrine qui règle la vie et l’explication du sens de la vie, la première est considérée comme peu importante et ne faisant pas partie de la foi ; la seconde, c’est-à-dire l’explication d’une existence qui fut jadis, ou les spéculations et les conjectures sur la marche historique de la vie, — est considérée comme la plus sérieuse et la plus importante.

Pour tout ce qui constitue la vie de l’homme, l’ensemble de ses actes, quand il faut qu’il opte entre tuer ou ne pas tuer, juger ou ne pas juger, élever ses enfants ainsi ou autrement, — pour tout cela, les personnes de notre monde se fient sans objection à des gens qui, pas plus qu’elles-mêmes, ne savent pourquoi ils vivent et pourquoi ils prescrivent aux autres de vivre d’une certaine façon et pas d’une autre.

Et c’est une pareille existence que les hommes considèrent comme raisonnable, et ils n’en ont pas honte !

L’antagonisme entre les explications de l’Église, qui passent pour la foi, et la vraie foi de notre génération, qui consiste à obéir aux lois sociales et à celle de l’État, est entré dans une phase aiguë, et la majorité des gens civilisés n’a pour régler sa vie que la foi dans le sergent de ville et la gendarmerie.

Cette situation serait épouvantable si elle était complètement telle ; mais heureusement il y a des gens, les meilleurs de notre époque, qui ne se contentent pas de cette religion, mais qui ont une foi toute différente, relativement à ce que doit être la vie des hommes.

Ces hommes sont considérés comme les plus malfaisants, les plus dangereux et principalement les plus incroyants de tous les êtres, et pourtant ce sont les seuls hommes de notre temps croyant à la doctrine évangélique, si ce n’est dans son ensemble, au moins en partie.

Ces gens ne connaissent pas le plus souvent la doctrine de Jésus, ne la comprennent pas, et n’admettent pas, tout comme leurs adversaires, la base principale de la religion de Jésus, qui est de ne pas résister au méchant ; souvent même ils haïssent Jésus ; mais toute leur foi relativement à ce que doit être la vie est inconsciemment puisée dans ce fonds de vérité humanitaire et éternelle renfermée dans la doctrine chrétienne.

On aura beau les persécuter et les calomnier, ce sont les seuls qui ne se soumettent point sans protester aux ordres du premier venu ; par conséquent, ce sont les seuls à notre époque qui vivent d’une vie raisonnée, non pas de la vie animale ; ce sont les seuls qui aient de la foi.

Le lien qui reliait le monde à l’Église et que l’Église se chargeait de justifier est devenu de plus en plus faible. Aujourd’hui, il n’est plus qu’une entrave. L’union entre l’Église et le monde n’a plus de raison d’être.

C’est le procédé mystérieux de l’enfantement, et il s’accomplit sous nos yeux. Soudain se rompt le dernier lien avec l’Église, et, en même temps, l’organisme vital commence à fonctionner d’une façon indépendante.

La doctrine de l’Église avec ses dogmes, ses conciles, sa hiérarchie, est indubitablement liée à la doctrine de Jésus-Christ. Ce lien est tout aussi évident que le lien qui reliait à sa mère l’enfant qui vient de naître ; mais comme le cordon ombilical et l’arrière-faix deviennent, après la naissance, des morceaux de chair inutiles que l’on enterre avec soin par égard pour ce qu’ils contenaient, ainsi l’Église est devenue un organe inutile qui a fait son temps, qu’il faut conserver dans des archives quelconques par égard pour ce qu’elle a été auparavant. Aussitôt que la respiration et la circulation du sang sont établies, le lien qui était auparavant la source de la nutrition devient un obstacle. Insensés seraient les efforts que l’on ferait pour maintenir ce lien et forcer l’enfant qui voit le jour à se nourrir par le cordon ombilical et non par la bouche et les poumons.

Mais la délivrance de l’enfant sorti du sein de sa mère n’est pas encore la vie. La vie du nouveau-né dépend du nouveau lien qui s’établit entre lui et sa mère pour sa nourriture.

C’est ce qui doit advenir de notre monde chrétien. La doctrine de Jésus a porté ce monde et lui a donné le jour. L’Église, un des organes de la doctrine de Jésus, a rempli son mandat et est devenue inutile, une entrave. Le monde ne peut pas être guidé par l’Église ; mais la délivrance du monde de la tutelle de l’Église n’est pas encore la vie. La vie commencera quand le monde aura la conscience de sa faiblesse et sentira la nécessité d’une nouvelle nourriture. Et c’est ce qui va s’accomplir dans notre monde chrétien : il doit crier, sentant son impuissance ; ce n’est que la conscience de son impuissance, la conscience de l’impossibilité de se nourrir comme auparavant, et de l’impossibilité de toute autre nourriture que le lait qui le poussera vers le sein de sa mère tout gonflé de lait.

Ce qui se passe avec notre monde européen si sûr de lui-même en apparence, si hardi, si décidé et dans son for intérieur si effrayé, si éperdu, ressemble à la situation d’un animal nouveau-né : il se tord, il se jette de tous côtés et pousse des cris ; il a l’air de se fâcher et ne peut comprendre ce qu’il doit faire. Il sent que la source de sa nourriture antérieure est tarie, mais il ne sait pas encore où chercher la nouvelle.

Un agneau qui vient de naître remue les oreilles et les yeux, il frétille de la queue, il bondit, il rue. Il nous paraît, d’après ses mouvements décidés, qu’il sait tout, — mais le pauvret ne sait rien. Toute cette impétuosité, cette énergie, est le fruit des sucs de la mère, dont la transmission vient d’être interrompue sans plus pouvoir se renouveler. Il est dans une situation bienheureuse et en même temps désespérée. Il est plein de jeunesse et de force, mais il est perdu s’il ne saisit la mamelle de sa mère.

C’est justement ce qui se passe dans notre monde européen. Voyez quelle vie complexe, énergique, on dirait raisonnable, bouillonne dans notre monde européen. On dirait que tous ces gens savent tous ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Voyez avec quelle énergie, — quelle vigueur, — quelle jeunesse, les gens de notre monde font tout ce qu’ils font. Les arts, les sciences, l’industrie, l’activité publique et gouvernementale, tout est plein de vie. Mais tout cela n’est vivant que parce que cela se nourrissait encore tout récemment des sucs de la mère par le cordon ombilical. Il y avait l’Église par l’entremise de laquelle la vérité de la doctrine de Jésus se communiquait à la vie du monde. Chaque phénomène du monde y puisait sa nourriture, grandissait et se développait. Mais l’Église a fait son œuvre et s’est atrophiée.

L’organisme du monde est vivant ; la source de son ancienne nourriture est tarie et il n’a pas encore trouvé la nouvelle ; et il la cherche partout, seulement pas chez sa mère. Il est comme un agneau encore plein de l’ancienne nourriture, et il n’est pas encore arrivé à comprendre que cette nourriture n’est nulle part ailleurs que chez la mère, mais qu’elle ne peut plus lui être transmise comme auparavant.

La tâche qui s’impose maintenant au monde consiste à comprendre que la période de l’ancienne nourriture inconsciente est finie et qu’un nouveau procédé de nutrition — conscient — est indispensable.

Ce nouveau procédé consiste à reconnaître consciemment la vérité de la doctrine de Jésus, qui auparavant s’infiltrait inconsciemment dans l’humanité par l’organe de l’Église ; car les vérités exprimées dans cette doctrine ont toujours été la force vitale de l’humanité. Les hommes doivent relever le flambeau qui naguère encore éclairait leur vie, mais qu’on leur a caché, et le placer bien haut devant eux et devant les hommes et vivre consciemment de cette lumière.

La doctrine de Jésus, comme religion qui règle la vie des hommes et leur en explique le sens, est là maintenant devant le monde comme elle l’était il y a dix-huit cents ans. Mais, jadis le monde avait les explications de l’Église, qui, en lui cachant la doctrine, offraient comme des explications satisfaisantes ; aujourd’hui, le moment est venu où l’Église a fait son temps et le monde n’a aucune explication de sa nouvelle vie, et ne peut pas ne pas sentir son impuissance, par conséquent ne peut pas ne pas recourir à la doctrine de Jésus.

Jésus enseigne aux hommes : premièrement de croire à la lumière, tant que la lumière est en eux.

Jésus enseigne aux hommes d’élever au-dessus de tout cette lumière de la raison ; de vivre en se guidant par cette lumière, de ne pas faire ce qu’eux-mêmes regardent comme contraire à la raison.

Considérez-vous comme insensé d’aller tuer les Turcs ou les Allemands — n’y allez pas ; considérez-vous comme insensé de vous approprier par la force le travail des pauvres pour être vêtus à la mode, vous et vos femmes, ou pour organiser un salon qui vous ennuie mortellement, — ne le faites pas ; considérez-vous comme insensé d’entasser dans des prisons, c’est-à-dire de vouer à l’oisiveté absolue et à la dépravation la plus hideuse des gens déjà corrompus par l’oisiveté et la dépravation, — ne le faites pas ; trouvez-vous insensé de vivre dans l’air pestilentiel des villes, quand vous pouvez vivre dans un air pur ; trouvez-vous absurde d’enseigner à vos enfants, avant tout et par-dessus tout, les grammaires des langues mortes, — ne le faites pas. Ne faites pas, en un mot, ce que fait actuellement tout notre monde européen : — il vit et il considère sa vie comme insensée ; il agit et considère ses actes comme insensés ; il n’a pas confiance dans sa raison et vit en désacord avec elle.

La doctrine de Jésus est la lumière. La lumière luit et les ténèbres ne peuvent pas l’envelopper. On ne peut pas disputer contre elle, il est impossible de ne pas l’accepter. Il faut bien se rendre à la doctrine de Jésus qui enveloppe toutes les erreurs dans lesquelles vivent les hommes et sans entrer en collision avec ces erreurs les pénètre toutes, comme l’éther dont parlent les physiciens enveloppe le monde. La doctrine de Jésus est également inévitable pour chaque homme de notre monde, dans quelque situation qu’il se trouve. La doctrine de Jésus ne peut pas ne pas être reconnue par les hommes, non pas parce qu’on ne peut pas nier l’explication métaphysique de la vie qu’elle donne (on peut tout nier), mais parce qu’elle seule donne ces règles de la vie sans lesquelles l’humanité n’a jamais pu et ne peut pas vivre, sans lesquelles nul être humain n’a vécu et ne peut vivre, s’il veut vivre comme un homme, c’est-à-dire de la vie raisonnable.

La puissance de la doctrine de Jésus n’est pas dans son explication du sens de la vie, mais dans la doctrine qui règle la vie. La doctrine métaphysique de Jésus n’est pas neuve, c’est toujours la même doctrine de l’humanité qui est inscrite dans le cœur des hommes et qui a été prêchée par tous les vrais sages du monde. Mais la force de la doctrine de Jésus est dans l’application de cette doctrine métaphysique à la vie.

La base métaphysique de l’ancienne doctrine des Hébreux et celle de Jésus est la même : l’amour de Dieu et du prochain. Mais l’application de cette doctrine à la vie est très différente s’il s’agit de Moïse ou de Jésus. D’après la loi de Moïse, comme l’entendaient les Hébreux, pour l’appliquer à la vie, il fallait remplir six cent treize commandements, souvent absurdes, cruels, et qui tous se basaient sur l’autorité des Écritures. D’après la loi de Jésus, la doctrine de la vie, qui découle de la même base métaphysique, est formulée en cinq commandements raisonnables et bienfaisants, renfermant en eux-mêmes leur sens et leur justification, et enveloppant toute la vie humaine.

La doctrine de Jésus ne peut pas ne pas être acceptée par un juif, un disciple de Confucius, un bouddhiste, un mahometan sincère, qui serait arrivé à douter de la vérité de sa religion ; encore moins peut-elle ne pas être acceptée par les hommes de notre monde chrétien, qui n’ont maintenant aucune loi morale.

La doctrine de Jésus ne peut contrarier en aucune façon les hommes de notre siècle sur leur manière d’envisager le monde ; elle est d’avance d’accord avec leur métaphysique, mais elle leur donne ce qu’ils n’ont pas, ce qui leur est indispensable et ce qu’ils cherchent : elle leur donne le chemin de la vie, non pas un chemin inconnu, mais un chemin exploré et familier à chacun.

Supposons que vous êtes un chrétien sincère de n’importe quelle confession. Vous croyez à la création du monde, à la Trinité, à la chute et à la rédemption de l’homme, aux sacrements, aux prières, à l’Église. La doctrine de Jésus, non seulement ne combat pas votre manière de voir, mais elle est absolument d’accord avec votre cosmogonie ; elle vous donne seulement ce que vous n’avez pas. En conservant votre religion, vous sentez que la vie du monde, comme la vôtre, est remplie de maux, et vous ne savez comment les éviter. La doctrine de Jésus (obligatoire pour vous, parce que c’est la doctrine de votre Dieu) vous donne des règles simples et pratiques qui vous délivreront sûrement, vous et les autres, de ces maux qui vous tourmentent.

Croyez à la résurrection, au Paradis, à l’Enfer, au pape, à l’Église, aux sacrements, à la rédemption ; priez conformément aux prescriptions de votre religion, faites vos dévotions, chantez des hymnes, tout cela ne vous empêche pas de pratiquer ces cinq commandements qui vous ont été révélés par Jésus pour votre bien : Ne vous mettez pas en colère ; Ne commettez pas l’adultère ; Ne prêtez pas serment ; Ne vous défendez pas par la violence ; Ne faites pas la guerre.

Il peut arriver que vous manquiez à une de ces règles ; vous céderez peut-être à l’entraînement, et vous violerez l’une d’elles comme vous violez maintenant les règles de votre religion, les articles du Code civil ou ceux du code mondain. De même, vous manquerez peut-être, dans un moment d’entraînement, aux commandements de Jésus. Mais, dans les moments de calme, ne faites pas ce que vous faites maintenant ; ne vous organisez pas une existence qui rend si difficile la tâche de ne pas se mettre en colère, de ne pas commettre l’adultère, de ne pas prêter serment, de ne pas se défendre par la violence, de ne pas faire la guerre ; organisez-vous une existence qui rendrait difficile de faire tout cela. Vous ne pouvez pas ne pas le reconnaître, car c’est votre Dieu lui-même qui vous a commandé tout cela.

Supposons que vous êtes un incrédule, un philosophe de n’importe quelle école. Vous affirmez que les choses se passent dans le monde en vertu d’une loi que vous avez découverte. La doctrine de Jésus ne s’élève pas contre vous, elle reconnaît la loi que vous avez découverte. Mais, outre cette loi, en vertu de laquelle dans mille ans le monde sera comblé des bienfaits que vous souhaitez, il y a encore votre vie personnelle que vous pouvez dépenser en vivant conformément à la raison ou en contradiction avec elle ; et, précisément pour cette vie, vous n’avez actuellement aucune règle, sauf celles qui sont rédigées par des hommes que vous n’estimez pas et mises en vigueur par la police. La doctrine de Jésus vous donne ces règles, qui, assurément, sont d’accord avec votre loi, parce que votre loi de « l’altruisme » ou de la volonté unique n’est pas autre chose qu’une mauvaise paraphrase de cette même doctrine de Jésus.

Supposons que vous êtes un homme moyen, à demi croyant, à demi sceptique, qui n’a pas le temps d’approfondir le sens de la vie humaine et qui n’a aucune manière de voir déterminée ; vous faites ce que fait tout le monde. La doctrine de Jésus ne vous contrarie nullement. Elle dit : C’est bien ; vous êtes incapable de raisonner, de vérifier la vérité des doctrines qu’on vous enseigne ; il vous est plus facile de faire comme tout le monde ; mais, quelque modeste que vous soyez, vous sentez tout de même, dans votre for intérieur, le juge qui tantôt approuve vos actes, tantôt les désapprouve. Quelque modeste que soit votre position sociale, tout de même vous avez des occasions pour réfléchir et vous demander : Ferai-je comme tout le monde ou d’après mon idée ? Précisément, dans ces occasions, c’est-à-dire quand vous serez dans le cas de résoudre un de ces dilemmes, les commandements de Jésus apparaîtront devant vous dans toute leur puissance. Et ces commandements donneront sûrement une réponse à votre question, parce qu’ils embrassent toute votre existence. Ils vous donneront une réponse d’accord avec votre raison et votre conscience. Si vous êtes plus près de la foi que de l’incrédulité, en agissant suivant ces commandements, vous agissez d’accord avec la volonté de Dieu ; si vous êtes plutôt libre penseur, en agissant ainsi, vous agissez d’accord avec les règles les plus raisonnables qu’il y ait au monde, ce dont vous pouvez vous convaincre, parce que les commandements de Jésus contiennent en eux-mêmes leur sens et leur justification.

Jésus dit : Jean, xii, 31 : « Maintenant a lieu le jugement de ce monde, maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. »

Il a dit encore, Jean, xvi, 33 : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ayez la paix en moi. Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais prenez courage : J’ai vaincu le monde. »

Et en effet, le monde, c’est-à-dire le mal dans le monde, est vaincu.

S’il existe encore un monde où domine le mal, il n’est plus que comme une chose inerte, il n’existe plus que par l’ancienne force d’inertie ; il ne contient plus le principe de vitalité. Il n’existe plus pour ceux qui ont foi dans les commandements de Jésus. Il est vaincu par le réveil de la conscience, par le réveil du Fils de l’homme.

Un train qui a pris son élan file encore tout droit dans l’ancienne direction ; mais, au signal donné, l’effort intelligent du mécanicien se fait déjà sentir pour le diriger dans le sens contraire.

« Car tout ce qui est né de Dieu (solidaire avec la vérité) triomphe du monde. Et la victoire qui a triomphé du monde, c’est votre foi. » Première épître de Jean, v, 4. La foi qui triomphe des doctrines du monde, c’est la foi dans la doctrine de Jésus.