Manifeste du parti communiste/Andler/II/Conclusion

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Traduction par Charles Andler.
Georges Bellais (tome 2p. 207-209).

CONCLUSION


Jusque dans sa formule finale le Manifeste reste ainsi fidèle au matérialisme historique, où se résume la philosophie prolétarienne.

Cette philosophie professe qu’il n’y a de vérité que dans la synthèse de la théorie et de la pratique. Elle a un triple sens :

1o Un sens métaphysique ; et elle affirme alors que la conscience ne s’éveille en l’homme et que la science ne s’élabore en son esprit que par les nécessités de l’action où elle le guide.

2o Un sens social ; et elle affirme que les relations sociales et les sentiments qui les accompagnent (sentiments de famille, de droit, de moralité) ne s’établissent que par la nécessité pour les hommes de gagner leur vie avec un certain outillage, et avec la division du travail que cet outillage requiert. »

3o Un sens politique ; et elle affirme que les relations politiques entre les hommes et les sentiments qui les accompagnent (sentiment de nationalité, de religion, idées générales) ne naissent que de la nécessité où se trouvent les hommes divisés en classes, de vivre ensemble dans un état de paix contrainte. Il y a une ou plusieurs classes opprimées qui servent d’outil aux classes dirigeantes et qui travaillent pour ces classes comme l’instrument inorganique travaille pour l’homme en général.

Le matérialisme constate que l’homme s’adapte au milieu, et donc à l’outil, comme il transforme le milieu par l’outil lui-même. C’est pourquoi, en dernière analyse, les classes exploiteuses devront s’adapter aux classes exploitées, leur outil nécessaire, ou périr. Cette suprématie des classes travailleuses se complétera à mesure que la nature elle-même sera vaincue par l’outillage scientifique, c’est-à-dire industriel ; et comme cette adaptation de l’homme à la nature est spontanée, la fin de l’antagonisme entre les hommes est inévitable.

Elle n’est pas inévitable d’une nécessité fatale ; mais à la condition que les hommes veuillent ne pas périr, et le matérialisme historique est un appel à leur énergie de vivre. Il amène une orientation de toute pensée vers la pratique et de toute pratique vers l’organisation réfléchie.

D’emblée il a exclu ainsi le dogmatisme. Il ne peut s’enfermer en des formules immobiles. Il absorbe en lui la teneur de toutes les théories et le profit de toutes les expériences. Il institue, comme l’a dit Engels dans son article sur Carlyle (1844), « un mouvement de pensée qui ne se lie à aucun résultat fixe, mais qui dépasse incessamment les résultats acquis ; une pratique qui ne s’attache à aucune position acquise, mais dépasse incessamment ces positions antérieures ».

En ce sens on peut dire de lui qu’il fonda la méthode révolutionnaire éternelle.