Manuel d’économique/2/1/4

La bibliothèque libre.


IV. — Le capital comme facteur de la production

1. Définition du capital[1].

85. Comment le capital a été défini. — La définition du capital est difficile à établir. Le mot « capital », comme tant d’autres mots que l’économique a empruntés à la langue usuelle, a déjà dans l’usage courant des sens multiples, et qui chevauchent les uns sur les autres. Les économistes sont arrivés par là-dessus qui ont voulu procéder à l’élaboration du concept de capital. Mais dans ce travail ils ont apporté des préoccupations diverses : les uns par exemple ont étudié le capital au point de vue des intérêts collectifs, les autres en considérant plutôt l’économie privée. Ils y sont entrés, d’autre part, ayant déjà pris parti sur des questions connexes, comme la question de la matérialité des biens. Le résultat est que dans la littérature économique on trouve une quantité formidable de définitions différentes du capital. Chaque auteur, presque, a la sienne : bien heureux lorsque les économistes prennent la peine de se constituer une terminologie précise ; et qu’il ne leur arrive pas de donner successivement au même mot plusieurs significations. Nous allons indiquer les principales de ces conceptions du capital que l’on rencontre dans la littérature économique.

1° La conception que l’on rencontre le plus souvent est celle qui consisté à considérer comme capitaux ces biens qui « rapportent », comme on dit vulgairement, en d’autres termes, ces biens qui donnent des plus-values.

Cette conception, toutefois, apparaît à l’ordinaire accompagnée de déterminations qui limitent plus ou moins l’extension de la notion de capital.

Il est des auteurs, par exemple, qui s’attachent à la manière dont est perçue la plus-value capitalistique : ils veulent, pour qu’on puisse parler de capital, que cette plus-value soit perçue sous la forme de « revenus », c’est-à-dire de biens distincts du bien qui les donne. Et ces mêmes auteurs veulent parfois encore qu’elle soit perçue par termes plus ou moins espacés, et non pas d’un coup. Ils se refuseront, ainsi, à voir un capital dans le vin qui se bonifie en vieillissant.

Pour beaucoup d’auteurs, ces biens qui constituent le capital doivent être des biens matériels.

Pour d’autres, les biens ne reçoivent le nom de capitaux que s’ils ont été créés par l’homme.

Souvent on ne veut admettre dans la catégorie des capitaux que les biens qui sont « productifs », c’est-à-dire les biens qui pour tout le monde sont des biens indirects, ceux dont l’utilité est de servir à produire d’autres biens. Certains auteurs à la vérité, comme Böhm-Bawerk, n’ont recours à cette détermination que pour distinguer le capital « social » du capital « privé ». Mais d’autres l’introduisent dans le concept général du capital.

Il est arrivé, même, qu’on a limité l’extension du concept de capital à ces biens qui rendent plus facile le travail productif, excluant ainsi de cette extension les matières premières, par exemple, que le travail met en œuvre. Il est arrivé aussi que l’on n’a voulu reconnaître comme capital que les avances faites aux ouvriers. Jevons prétend que le rôle du capital est « de faire subsister les travailleurs pendant la durée du travail où ils sont engagés », que « le capital, ce n’est pas le chemin de fer, mais la nourriture de ceux qui construisent ce chemin de fer »[2]. La même idée se retrouve chez Lassalle. Et on a quelque chose d’analogue chez Marx : car pour Marx le capital, c’est l’argent, en tant qu’il est employé à acheter des marchandises que l’on revendra avec un bénéfice[3] ; et comme d’après lui le bénéfice du capitaliste provient des conditions exceptionnelles dans lesquelles il se procure la marchandise travail, comme il est dû, en définitive, à cette partie de son capital avec laquelle ce capitaliste paie ses ouvriers, n’apparaît-il pas que dans la doctrine de Marx, c’est le capital-salaires qui est le capital par excellence ?

Voici, enfin, une dernière détermination dont on s’est servi pour distinguer, parmi les biens qui donnent des plus-values, ceux qu’il y aurait lieu d’appeler des capitaux. Les capitaux seraient les biens qu’on peut consommer — au sens étymologique du mot —, et qu’on ne « consomme » pas afin d’en tirer une plus-value. Et sans doute il y a lieu de remarquer que par rapport à ceux qui les possèdent, tous les biens économiques peuvent être en un certain sens l’objet d’une « consommation » immédiate, à savoir en ce sens qu’on peut les vendre et en « manger » le prix. Mais on exige parfois, pour qu’un bien puisse être regardé comme un capital, qu’il soit susceptible d’être « consommé » directement, si l’on peut ainsi dire. 2° On n’a pas toujours réservé le nom de capitaux à ces biens qui nous donnent des revenus. On a nommé capitaux, aussi, ces biens dont la consommation est différée, soit d’ailleurs que par là une plus-value doive être créée, soit qu’il ne doive pas en être ainsi. « Quiconque reçoit chaque année, a dit Turgot, plus de valeurs qu’il n’a besoin d’en dépenser, peut , mettre en réserve ce superflu et l’accumuler. Ces valeurs accumulées sont ce qu’on appelle un capital »[4].

3° Une troisième conception du capital se trouve chez Walras. Celui-ci nomme « capital en général tout bien durable » — on notera que cette expression est impropre — « toute espèce de la richesse sociale qui ne se consomme pas ou qui ne se consomme qu’à la longue, toute utilité limitée en quantité qui survit au premier usage qu’on en fait, en un mot, qui sert plus d’une fois »[5] : les terres, ainsi, seraient des capitaux, et les personnes[6].

Bien entendu, quand on s’attache à l’un ou à l’autre des deux caractères qui viennent d’être dits, on peut ajouter à ces caractères, pour former la définition du capital, telle ou telle détermination secondaire du genre de celles dont on a vu tantôt toute une série.

4° Il reste une dernière définition du capital, la plus vaste de toutes : celle qui identifie le capital avec le patrimoine, « On entend par capital, dit Du Cange dans son Glossaire, tous les biens qu’on peut posséder ». Cette définition a été reprise de nos jours par Fisher. Pour celui-ci, le capital d’un particulier, par exemple, c’est l’ensemble des biens que ce particulier possède dans un moment donné. Et si le revenu s’oppose au capital, c’est en ceci que le revenu est l’ensemble des « services » — entendons des va leurs d’usage — que l’on tire de son « capital » dans une période donnée. Le capital serait un « stock », ou un « fonds » de richesse, et le revenu un « flux ».

86. Comment il convient de le définir. — On n’attend pas, sans doute, que nous discutions la valeur de toutes ces conceptions du capital que nous venons d’indiquer. Nous nous bornerons à dire comment il nous semble qu’il convient de définir le capital.

Tout d’abord, notons que la notion du capital, dans l’usage de la langue, implique toujours une notion corrélative. Étymologiquement, le capital, c’est cette partie de la dette de l’emprunteur qui représente la somme qu’on lui a prêtée, c’est, comme on disait jadis, le principal de la dette, auquel les intérêts viennent s’ajouter comme un complément nécessaire. Le capital, par conséquent, ne saurait être défini en lui-même ; on ne peut le dé finir qu’en considérant une certaine opération dans laquelle il joue un rôle. Cette opération, c’est un prêt, c’est un placement quelconque ; on peut parler ici d’opération capitalistique ; on peul parler, encore, de capitalisation.

Quelle est donc l’essence de la capitalisation ? Elle consiste en ceci, essentiellement, que l’on renonce à percevoir tout de suite des valeurs d’usage, ou que l’on en retarde la perception, pour percevoir plus tard une somme de valeurs d’usage plus grande. C’est ainsi que le prêteur qui prête 1.000 francs pour un an renonce à disposer de ces 1.000 francs pour la satisfaction de ses besoins présents, ou pour la satisfaction des besoins qu’il sentira dans le cours de l’année : et il le fait à l’ordinaire — ce n’est d’ailleurs qu’à cette condition que son prêt sera une capitalisation — parce que l’emprunteur s’engage à lui rembourser à l’échéance 1.040 francs ou 1.050 francs, soit une somme qui lui sera plus utile à ce moment que les 1.000 francs avancés ne lui seraient utiles d’ici là.

La capitalisation étant cela, on aperçoit ce que sera le capital. Le capital, ce sont ces biens dont on pourrait faire sur l’heure une consommation destructive et que l’on ne consomme pas ainsi, que l’on pourrait consacrer exclusivement à la satisfaction de besoins immédiats et que l’on renonce à employer de cette manière, parce qu’on compte par là se procurer par la suite une somme de valeurs d’usage plus grande.

Cette définition du capital, dans l’application, coïncidera avec celle de Fisher par rapport aux individus. Comme il a été vu en effet, tous les biens qu’un individu possède peuvent être, d’une certaine façon, « consommés » immédiatement. Celui qui a une terre peut la vendre : la vendant, il se procurera tout de suite une somme qu’il pourra dépenser sur l’heure, et avec laquelle il obtiendra, dans le présent, plus de valeur d’usage que la possession de la terre ne saurait lui en fournir. Toutefois, la coïncidence des deux définitions n’existera que par rapport aux individus. Et même par rapport à eux, les deux définitions correspondront à deux concepts distincts, puisque la nôtre envisage les biens à un point de vue spécial. Cela étant, il conviendra de réserver pour le concept que nous avons indiqué le nom de capital, l’autre étant plus correctement désigné par les mots « patrimoine », « fortune » ou « avoir ».

2. Capitaux sociaux et capitaux individuels.

87. Comment on les a distingués. — On distingue fréquemment, dans la littérature économique, les capitaux qui ne sont tels que par rapport aux personnes qui les possèdent, ou, comme l’on dit, les capitaux purement individuels ou prives, et les capitaux sociaux[7] — il faut remarquer ici que tous les biens qui sont des capitaux pour la société sont en même temps des capitaux pour telles ou telles personnes, mais que l’inverse n’est pas vrai[8] —.

Comment convient-il de former les deux catégories des capitaux sociaux et des capitaux purement individuels ? En général on les identifie, respectivement, avec les deux catégories des capitaux qu’on appelle « productifs » et des capitaux qu’on appelle « lucratifs ». Une usine, par exemple, sera un capital « productif » : cette usine en effet sert à fabriquer telle ou telle marchandise. Quant aux capitaux « lucratifs », ce sont ces biens qui, rapportant à ceux qui les possèdent, sont cependant au point de vue social des biens directs. Les livres d’un cabinet de lecture constituent un capital « lucratif » : car si ces livres procurent des revenus à leur propriétaire, leur utilité pour ceux qui les lisent est une utilité directe.

Ajoutons qu’on assimile assez souvent aux capitaux « lucratifs » l’argent. L’argent n’est un bien direct pour personne, puisqu’il ne sert qu’à acquérir d’autres biens. Mais on ne saurait, dit-on, — du moins pour au tant qu’on ne considère pas globalement la totalité de l’argent en circulation — le regarder comme « productif ». L’argent qu’un individu possède n’est en quelque sorte qu’une créance qu’il a sur la richesse sociale : si notre individu n’avait pas cet argent, les biens qu’il en achètera seraient réclamés par d’autres ; Et sans doute l’argent joue un rôle très utile comme intermédiaire des échanges ; mais la quantité d’argent qui circule est socialement indifférente. L’argent en somme — encore une fois, si on considère ce que tel ou tel individu en délient — ne saurait constituer un capital social par la raison qu’il n’est pas, du point de vue social, un bien véritable.

On fait bien, certainement, d’exclure du capital social cet argent qui rapporte des revenus à ceux qui le possèdent. Il est exact en effet ou peu s’en faut, comme nous le verrons plus tard, que la quantité d’argent en circulation n’importe pas à la société : d’où il suit que l’argent employé d’une manière capitalistique par un individu ne saurait par lui-même, du point de vue social, donner une plus-value. Et il y a mieux à dire encore : c’est à savoir que l’argent ne saurait être regardé comme un capital, du point de vue social, parce que, de ce point de vue, il ne saurait être « consommé » — au sens étymologique du mot —.

Mais prenons maintenant les capitaux que l’on appelle lucratifs. Nous ne voyons pas qu’il faille les exclure de la catégorie des capitaux sociaux. Les livres du cabinet de lecture, pour revenir à l’exemple de tantôt, sont sans doute des biens directs pour ceux qui les lisent : ils n’en constituent pas moins un capital social, puisqu’ils pourraient être « consommés » sur l’heure — on pourrait les brûler pour se chauffer —, et que, ne les « consommant » pas, on assure à la collectivité une quantité d’utilités plus grande que celle qu’on en tirerait en les « consommant ». Ce qui fait que beaucoup d’auteurs n’ont pas voulu que les capitaux lucratifs fussent des capitaux sociaux, c’est que ces auteurs ont défini le capital d’une façon trop étroite. Ils n’ont admis au nombre des capitaux que les biens qui rapportent des revenus. Mais il convient d’entendre le capital d’une façon plus large. Ainsi les biens d’usage sont des capitaux par nature : un livre est un capital même pour celui qui le garde dans sa bibliothèque. Dès lors, il apparaîtra que les capitaux lucratifs — lorsqu’ils consistent en des biens d’usage — sont des capitaux par rapport à la société comme par rapport à l’individu qui les possède.

88. Comment il convient de les distinguer. — Comment donc distinguerons-nous les capitaux sociaux de ceux qui ne sont qu’individuels ? Nous regarderons comme des capitaux sociaux ces biens qui pourraient être « consommés » et qui, ne l’étant pas, doivent par là procurer à la société une plus grande quantité d’utilités. Et alors il apparaîtra que c’est de deux manières qu’un capital individuel peut ne pas être un capital social.

1° Un bien qui constitue un capital au point de vue individuel ne sera pas un capital social si, devant donner une plus-value à l’individu qui le possède, il ne doit pas en donner à la société.

2° Un bien qui est un capital pour l’individu qui le possède n’en sera pas un au regard de la société si, au regard de la société, il ne peut pas être l’objet d’une consommation destructive. C’est ainsi, par exemple, qu’une terre n’est point un capital pour la société, sauf peut-être dans la mesure où cette terre peut être épuisée par certaines méthodes de culture. Certaines améliorations de la terre que l’on réalise avec du travail ne sont pas non plus des capitaux pour la société.

La distinction des capitaux individuels et des capitaux sociaux étant établie de la sorte, on aperçoit sans peine comment il convient de classer, au point de vue qui nous occupe, les subsistances des ouvriers occupés à des productions capitalistiques. Ces subsistances représentent-elles un capital pour la société ? Certains économistes disent qu’oui, ils voient même en elles le seul capital de la société. Mais on peut leur répondre que les subsistances en question seront consommées tout aussi bien si l’on emploie la main-d’œuvre de nos ouvriers à des productions instantanées. Tout ce qu’il y a lieu d’en dire, dès lors, c’est qu’elles constituent une condition indispensable des productions capitalistiques. Il n’est possible d’entre prendre, en place de productions instantanées ou quasi instantanées, des productions plus ou moins allongées, qu’autant qu’il y aura de quoi faire vivre, pendant le temps que ces dernières dureront, ceux qui y seront employés.

Au sujet de la distinction des capitaux sociaux et des capitaux individuels, il a été dit plus d’une fois que le concept du capital social était une notion économique, et le concept du capital individuel une notion historico-juridique — ce qui signifie que le capital individuel ne serait apparu qu’à un moment donné de l’histoire, et qu’il ne saurait exister qu’autant qu’existent de certaines institutions juridiques —. Cette assertion est juste, si on l’entend bien. Un individu isolé pourra avoir des capitaux, bien que pour lui il n’y ait pas de droit. Mais dans la société, les individus ne pourront avoir des capitaux, cela est trop clair, qu’autant que la propriété individuelle sera admise par le droit en vigueur.

Terminons en indiquant que des deux notions du capital individuel et du capital social, c’est la deuxième qui est la plus importante pour la science économique, et que lorsque nous parlerons, par la suite, du capital sans spécifier, c’est à l’ordinaire au capital social que nous aurons affaire.


3. Le rôle du capital dans la production.


89. Importance de ce rôle. — Le rôle du capital dans la production est à coup sûr très grand. Il est peu de productions qui n’emploient aucun capital. On n’a guère à citer ici que la cueillette de ces fruits qui poussent tout seuls, la pêche, quand elle est pratiquée sans engin d’aucune sorte, et la prestation de certains services.

Convient-il, dans ces conditions, de regarder le capital comme un facteur de la production ? La question est discutée. Les partisans de la négative font observer que les capitaux sont des biens, et que tous les biens consistent en du travail ou de la terre, ou ont été produits avec du travail et de la terre. Ce qu’il faut dire, en somme, c’est que le capital n’est pas, dans la production, un facteur originaire ou primitif. Mais il y a lieu, cependant, de le tenir pour un des facteurs de la production. Les capitaux sont des biens, comme on l’a vu, dont on renonce pour un temps à retirer les utilités qu’ils pourraient fournir sur l’heure, que l’on renonce à utiliser pour l’unique satisfaction des besoins immédiats. Ainsi, avec le capital, c’est un élément vraiment nouveau qui s’introduit dans la théorie de la production.

90. En quoi il consiste. — Comment faut-il concevoir au juste le rôle du capital dans la production ? Pour expliquer ce rôle, Böhm-Bawerk suppose un homme qui a son habitation à une certaine distance d’une source, et qui se préoccupe de la boisson qui lui est nécessaire. Cet homme peut, à chaque fois qu’il a soif, faire les quelques minutes de chemin qui le séparent de la source. Si maintenant il consacre une journée à fabriquer un vase, ce vase lui permettra d’avoir chez lui une provision d’eau ; il pourra donc, le possédant, ne plus aller à la source que de loin en loin ; et après un certain temps il aura économisé, grâce à lui, plus de temps — par conséquent, ajouterons-nous, plus de valeur — que la fabrication du vase ne lui en aura coûté. Si notre homme, enfin, dépense quelques journées à construire une canalisation qui amènera l’eau de la source jusque chez lui, ces journées de travail seront plus que compensées, à la longue, par le fait qu’il n’aura plus besoin du tout d’aller à la source ; et cette avance sera sans doute plus productive encore que n’était la précédente[9].

Cet exemple de Böhm-Bawerk nous fait comprendre comment procède la production capitalistique. La production capitalistique comporte, par rapport à la production instantanée, ou à la production moins capitalistique, des détours. L’individu de Böhm-Bawerk, quand il veut « produire » de l’eau — si l’on peut ainsi parler — selon le mode capitalistique, au lieu d’aller tout simplement quérir celle eau chaque fois qu’il a soif, se procure de la terre, en façonne un vase ; il commence donc par allonger sa production. Et en outre il crée, dit Böhm-Bawerk, un produit intermédiaire. Grâce aux produits intermédiaires de cette sorte, on arrive à ce résultat de se procurer la même quantité de biens avec une dépense moindre, ou encore de se procurer plus de biens avec une même dépense[10].

Cette façon dont Böhm-Bawerk explique le rôle du capital dans la production des biens peut être acceptée. On prendra garde, toutefois, qu’il est nécessaire d’entendre dans un sens très large le concept de produit intermédiaire. Considérons le cultivateur qui veut avoir une récolte de blé : s’il se contente de semer du grain, sa récolte sera insignifiante ; il lui faut donner à sa terre diverses façons pour que cette récolte soit sérieuse, et ces façons constituent à coup sûr des avances capitalistiques. Si l’on voulait, toutefois, que les produits intermédiaires fussent des biens isolables, on ne trouverait rien ici pour en jouer le rôle.

91. Le schème de la productivité du capital d’après Böhm-Bawerk. — Avec du capital on peut, dans certaines productions, obtenir plus de biens qu’on n’en obtiendrait sans capital — et il y a beaucoup de productions, nous ajouterons, qui ne peuvent être que capitalistiques —. L’exemple de Böhm-Bawerk, cependant, met encore en lumière une autre vérité : c’est que — tout au moins dans certains cas et dans de certaines limites — le produit obtenu devient d’autant plus abondant que la production devient plus capitalistique. Sur ce point, Böhm-Bawerk a émis une théorie qui mérite d’être exposée et discutée[11]. Mais pour comprendre la théorie de Böhm-Bawerk, il faut expliquer tout d’abord la notion de la durée du processus productif, qui y tient une très grande place.

La durée de la production peut être mesurée tout d’abord par la distance qui sépare le premier acte du processus productif de la terminaison de ce processus. Ce concept, toutefois, n’est d’aucun intérêt pour la science économique ; et ce n’est pas à lui que Böhm-Bawerk s’attache. Il considère, non pas la durée absolue de la production, mais le temps moyen que l’on attend le produit, l’intervalle moyen qui sépare les dépenses de la production de la perception du fruit qu’on en retirera.

Soit un ouvrier qui, travaillant seul, et sans interruption, à fabriquer un objet, met 5 ans à achever son ouvrage. La durée absolue de la production aura été de 5 ans, et la durée moyenne de l’attente deux fois plus courte. Mais ce rapport simple n’existe que dans des cas tout à fait exceptionnels. À l’ordinaire, les choses ne se présentent pas ainsi. Imaginons par exemple une machine qui coûte à construire le travail de 100 ouvriers pendant une année, et qui dure 20 ans. Le deuxième stade de la production — celui dans lequel on emploie la machine — exige lui aussi le travail de 100 ouvriers, et dure un an. Par suite, pendant le temps que la machine fonctionnera on consommera chaque année : 1° 100 années de travail dépensées dans l’année même, et qui lorsque le produit s’en trouve terminé, sont anciennes en moyenne de 6 mois ; 2° un vingtième de la machine, soit 5 années de travail qui sont anciennes, en moyenne, de 10, 5 ans — en effet, le travail de construction de la machine a précédé l’achèvement de celle-ci, en moyenne, de 6 mois, il s’est écoulé en moyenne 9, 5 ans entre l’achèvement de la machine et le commencement du deuxième stade de la production, et ce deuxième stade implique à son tour une attente moyenne de 6 mois —. La durée moyenne de l’attente est donc, pour l’ensemble de cette production où notre machine intervient — car c’est cela qu’il faut envisager ici — de , soit d’une année environ[12].

Nous savons comment on doit estimer la durée de l’attente capitalistique. Pour Böhm-Bawerk donc, employer plus de capital dans une production, c’est allonger cette attente, c’est allonger le processus productif. Bien entendu, il faut concevoir ici que le surplus du capital ne sert pas simplement à donner une extension plus grande à la production, mais qu’on adopte une méthode productive nouvelle. C’est comprise dans ce deuxième sens que la proposition de tantôt se présente à Böhm-Bawerk comme évidente. Tous les détours de production n’allongent pas la durée de la production : pour avoir un fruit qui pend à un arbre, il est plus expéditif souvent de se faire une gaule que de grimper à l’arbre. Mais qui dit production plus capitalistique, degré capitalistique supérieur de la production, dit par cela même, d’après Böhm-Bawerk, attente plus longue du produit.

Plus de capital, c’est une attente plus longue. Mais en même temps, employer plus de capital, c’est, en règle générale, se donner la possibilité d’obtenir pour chaque unité de dépense plus de produit. Tout d’abord, le produit augmentera plus vite que la durée de l’attente. Puis un moment viendra — plus ou moins tôt selon les productions, très tôt en général — où il commencera à croître moins vite que l’attente capitalistique. Et il croîtra ensuite de moins en moins vite ; mais il croîtra cependant indéfiniment : quelque mode que l’on adopte pour une production déterminée, toujours on aura la possibilité, en allongeant la durée de la production, d’accroître le produit. Une unité de travail dépensée dans une certaine année pourra donner par exemple, selon qu’on en percevra le fruit immédiatement, ou qu’on devra attendre un an, 2 ans, 3 ans, 4 ans, 5 ans, 6 ans, etc., un produit égal à 80, à 200, à 280, à 350, à 400, à 440, à 470, etc.

92. Critique. — Tel est le schème — très simple comme on peut voir — que Böhm-Bawerk adopte pour la « productivité » du capital. Il ne nous parait pas possible de l’accepter ; et voici pourquoi :

1° Les deux concepts de la quantité du capital et de la durée du processus productif ne coïncident pas nécessairement. Imaginons une culture qui comporte, dans les habitudes des agriculteurs, une préparation préalable de la terre, des semailles, puis toute une série d’opérations diverses, enfin la récolte. L’agriculteur qui s’aviserait de supprimer quelqu’une des opérations qui précèdent de peu la récolte — un binage, une irrigation, la destruction de tels ou tels parasites — diminuerait par là ses avances ; et il se pourrait très bien cependant qu’il augmentât la durée moyenne de sa production.

2° On ne peut pas, en allongeant la durée de la production, augmenter indéfiniment la quantité du produit que chaque unité de dépense donnera. Nous avons, pour l’établir, un exemple qui apparaîtra tout de suite comme convaincant : c’est celui qui nous est fourni par la technique des exploitations forestières[13]. Un individu plante des arbres d’une certaine essence. Les avances qu’il a à faire, il les fait presque toutes au moment de la plantation : on peut donc être assuré, s’il attend davantage pour commencer ses coupes, qu’il allonge en même temps la durée du processus productif. Eh bien, l’on sait assez qu’à retarder les coupes, si on accroît tout d’abord le rendement en bois de l’exploitation, on ne l’accroît pas indéfiniment : il est un âge qu’on n’a aucun intérêt — au point de vue technique où nous sommes placés ici — à laisser dépasser aux arbres. Que si l’on considère la possibilité de planter, au lieu d’une essence donnée, une autre essence, notre thèse subsiste : cette nature d’arbre dont le produit en bois augmente le plus longtemps avec l’âge ne gagne toujours, sous ce rapport, que pendant un nombre d’années déterminé.

3° Attachons-nous maintenant, non plus à la durée du processus productif, mais à la quantité du capital avancé, puisque, comme on l’a vu tantôt, ce sont là deux choses différentes. Pas plus que par l’allongement de la production, ou ne peut pas, par l’adoption de méthodes productives exigeant des avances plus fortes, accroître indéfiniment la quantité du produit, cette quantité étant rapportée aux dépenses faites. Un pêcheur, en péchant sans capital, c’est-à-dire sans engins, prend chaque jour deux livres de poisson. Il s’avise de construire un engin dont la fabrication lui demande trois journées ; cet engin, lorsqu’il l’emploiera, — nous supposons qu’il ne dure qu’un jour — lui permettra de prendre, en une journée, 11 livres de poisson : ainsi chaque journée de travail que la fabrication de l’engin a coûté aura rapporté , soit 1 livre de poisson. Y a-t-il donc des engins coûtant plus de travail, et donnant plus de produit ? Certainement. Et quelque engin, quelque matériel dépêche que l’on consi dère, on aura toujours, semble-t-il, la possibilité — ne serait-ce qu’en construisant un matériel semblable à celui-là, mais plus soigné — d’augmenter le produit. Mais si le produit absolu de l’avance capitalistique augmente indéfiniment, il n’en ira pas de même du produit relatif, de ce produit qui correspondra à une quantité donnée décapitai avancé. Un matériel de pèche qui coûte à construire 1.000 journées de travail permettra d’accroître le produit de la pèche, pendant le temps qu’il durera, de beaucoup plus de 9 livres de poisson ; mais permettra-t-il de l’accroître de plus de 3.000 livres, c’est-à-dire de plus de 3 livres par journée de travail dépensée ? Cela est douteux. Et il est douteux même qu’il accroisse le produit de la pêche des 2.000 livres de poisson qu’on prendrait, sans capital aucun, dans les 1.000 journées de travail que la construction de ce matériel a exigées.

En définitive, si nous ordonnons les modes divers selon lesquels une production peut être conduite d’après la somme des avances capitalistiques qu’ils exigent — il est entendu que pour chaque quantité d’avances on adopte le mode de production le plus productif —, alors, considérant les quantités de produit qui correspondent aux différentes avances, on a une courbe dans le genre de celle de la figure 4, à savoir une courbe qui monte toujours, encore que d’une manière irrégulière, et


qui dans l’ensemble monte de plus en plus lentement. Mais rapportons les quantités de produit à une quantité de capital déterminée ; c’est alors une courbe du genre de la courbe de la figure 5 que nous aurons. Cette courbe est irrégulière elle aussi : mais elle ne monte pas tout le temps, elle a des ascensions et des descentes. En joignant les uns aux autres ses sommets successifs A B C D E…, on a une ligne brisée qui monte et descend alternativement, mais qui a un sommet culminant.

4. Différentes classifications des capitaux productifs.

93. Classifications à écarter. — Les capitaux productifs peuvent être classés en différentes manières. Parmi les classifications qui ont été proposées, il en est qui présentent peu d’intérêt ; il en est même qui reposent sur des idées fausses. Marx par exemple appelle capital variable le capital-salaires de l’entrepreneur, et capital constant tout le reste du capital que cet entrepreneur met en œuvre. Cette distinction se rapporte à la théorie marxiste d’après laquelle le capital-salaires seul donnerait un « profil », et elle est fondée eu dernière analyse sur cette thèse que la valeur des biens dépend uniquement de la quantité de travail incorporée en eux. Mais cette thèse est insoutenable, comme nous le verrons plus tard ; et par suite la distinction du capital constant et du capital variable est une distinction qu’il faut abandonner.

94. Capital de premier établissement et fonds de roulement. — Une distinction intéressante est celle que l’on fait, quand des capitaux sont engagés dans une entreprise, entre le capital de premier établisse ment et le fonds de roulement. Prenons un individu qui veut créer un vignoble. Il achète une terre en friche ; il la clôture, il la défonce, il y plante de la vigne, il y construit les bâtiments nécessaires pour l’exploitation. Toutes ces dépenses sont incontestablement des dépenses de premier établissement. Mais jusqu’à quand les dépenses de premier établissement du seront-elles ? En négligeant certaines complications possibles, ce sera jusqu’à la vente du vin de la première récolte. Ainsi, si notre vigneron décide de ne vendre son vin que lorsqu’il aura 3 ans d’âge, il faudra ranger dans les dépenses de premier établissement les frais de culture des trois années qui suivront la première récolte. Pour parler exactement, la période du premier établissement — nous supposons ici une exploitation qui arrive à faire ses frais — cesse quand les rentrées commencent à balancer les dépenses. On concevra d’ailleurs que ce moment ne puisse être fixé avec une absolue rigueur : et cela, sans aller chercher autre chose, parce que la comparaison des rentrées et des dépenses sera faite toujours par rapport à une certaine période de la durée, dont la détermination sera nécessairement quelque peu arbitraire.

Les rentrées sont devenues égales, ou supérieures, aux dépenses. Pour quoi faut-il, dès lors, un fonds de roulement ? et de quoi dépendra l’importance de ce fonds ?

Imaginons un instant que les rentrées aient lieu d’une manière continue, et que les dépenses se fassent de même : il ne sera pas besoin de fonds de roulement. Imaginons encore que les rentrées et les dépenses, étant discontinues, soient toujours simultanées, les rentrées étant toujours égales ou supérieures aux dépenses — ; imaginons un industriel qui à chaque fin de mois ait 12.000 francs à toucher et 10.000 francs à payer : il n’aura pas besoin de fonds de roulement ; mais à chaque fin de mois il retirera de son entreprise 2.000 francs, qui représenteront l’intérêt de son capital de premier établissement, plus peut-être un gain supplémentaire.

Ainsi donc, ce qui rend nécessaire la constitution d’un fonds de roulement, c’est que les rentrées de l’exploitation et les dépenses ne se correspondent pas exactement. Et le fonds de roulement devra être d’autant plus important que l’on sera plus éloigné de cette correspondance exacte, soit d’ailleurs que l’on ne puisse prévoir à l’avance quelles seront les rentrées et les dépenses, ni quand elles seront effectuées, soit qu’on puisse le pré voir, mais que ces rentrées et ces dépenses doivent être irrégulières, soit même enfin qu’elles doivent se produire selon un cycle périodique.

Parmi les faits qui empêchent la correspondance exacte des rentrées et des dépenses, il convient de mentionner la nécessité où l’entrepreneur se trouve, de temps en temps, de remplacer certains capitaux fixes. En prévision du moment où il lui faudra s’imposer ces dépenses, l’entrepreneur procède à l’amortissement de ces capitaux fixes. S’il doit au bout de 10 ans être obligé de remplacer une machinerie qui lui a coûté 100.000 fr., il mettra chaque année 10.000 fr. de côté. Toutefois, lorsqu’il s’agit ainsi de dépenses à supporter qui ne se reproduisent que de loin en loin et qui sont exceptionnellement fortes, les sommes qu’on accumule pour y faire face ne sont pas regardées comme faisant partie du fonds de roulement.

Ajoutons que le fonds de roulement est quelque chose d’élastique. Un industriel peut, par exemple, ne laisser que 10.000 fr. dans la caisse de son établissement. Si quelque jour celle somme vient à être insuffisante pour faire face à des dépenses urgentes, il recourra au crédit, ou encore il prélèvera ce qui sera nécessaire sur l’argent qu’il a chez lui pour ses dépenses de consommation, il vendra des valeurs qu’il avait achetées. La détermination exacte du fonds de roulement d’une entreprise est réglée par des considérations de commodité.

95. Capital fixe et capital circulant. — Le capital employé dans une entreprise est en partie fixe et en partie circulant. On appelle capital fixe l’ensemble de ces capitaux qu’on emploie dans les entreprises et qui servent à accomplir une série d’actes de production ; les capitaux circulants au contraire sont ceux qui ne servent qu’une fois. Parmi les capitaux circulants il faut ranger, par exemple, le combustible avec lequel un industriel alimente ses machines ; les matières premières que ses ouvriers ouvragent. Le combustible en effet se détruit quand il brûle ; les matières premières s’incorporent dans le produit que l’on vendra. Les sommes que notre industriel dépense on salaires sont aussi des capitaux circulants. On mettra parmi les capitaux fixes, en revanche, les sacs ou les tonneaux dans lesquels on livre les marchandises produites, s’ils doivent faire plusieurs voyages, les outils des ouvriers, les machines, qui ont une durée beau coup plus longue, les bâtiments, etc.

On dit souvent que le progrès économique est caractérisé par une augmentation continue de l’importance des capitaux fixes. Il est certain que d’une manière absolue les capitaux fixes se développent. L’application plus étendue de méthodes productives déjà connues en fait employer de plus grandes quantités. Des productions nouvelles apparaissent, des procédés techniques sont introduits sans cesse qui ont ce même effet. Mais il s’agit ici de savoir comment varie le rapport de capitaux fixes aux capitaux circulants. Or nous voyons bien que les frais de main-d’œuvre, d’une façon générale, vont baissant relativement au capital fixe employé : les machines, notamment, remplacent de plus en plus la main-d’œuvre. Mais dans l’industrie, en même temps que le capital fixe s’accroît, la quantité des matières premières traitées s’accroît aussi, et il semble que parfois elle s’accroisse plus vite. Si bien qu’en définitive on ne doit tenir que pour probable cette assertion que nous avons dite[14].

Quand dans une exploitation le capital fixe, relativement à l’ensemble des capitaux engagés, est augmenté, il faut qu’il en résulte un accroissement de la production. Cette augmentation du capital fixe, en effet, a des inconvénients. D’une part, elle accroît la durée moyenne des avances capitalistiques de l’exploitation : et par là elle représente un sacrifice plus grand pour le capitaliste, comme le fera comprendre la théorie de l’intérêt que nous exposerons plus tard. De plus, une attente plus longue du pro duit que doivent donner les capitaux implique des risques plus grands, les prévisions que l’on peut faire au sujet du prix, par exemple, auquel ce produit se vendra étant d’autant plus incertaines qu’elles se rapportent à un avenir plus éloigné.

Au sujet des risques qu’entraîne l’emploi du capital fixe, on remarquera que ces risques peuvent être atténués par la possibilité qu’aura le capitaliste de détourner son capital fixe, en tout ou en partie, vers d’autres productions que celle à laquelle il était tout d’abord destiné. Cette possibilité n’existera pas toujours ; quand elle existe, elle atténue les risques dans une mesure très variable. Les bâtiments d’une usine peuvent, si l’exploitation de cette usine cesse d’être rémunératrice, n’avoir plus aucune valeur : car il se peut qu’aucun industriel ne trouve avantagea y entreprendre quelque production nouvelle, et que les matériaux de l’usine, en raison de l’éloignement de tout lieu habité, ne puissent pas être utilisés. Certaines machines peuvent ne pas être transportables : et alors elles ne vaudront plus que ce que valent les matières — métal ou bois — qu’on en retirera. D’autres machines au contraire pourront être achetées par quelque industriel un prix voisin de celui qu’elles ont coûté. Cette considération de la mesure dans laquelle les capitaux fixes peuvent être dégagés de l’emploi auquel ils ont été premièrement affectés ne laisse pas d’avoir une importance pratique sérieuse.

5. Instruments et machines.

96. Les instruments. — Parmi les capitaux fixes, il est deux catégories qui méritent une attention spéciale : les instruments et les machines.

La catégorie des instruments est extrêmement vaste et diverse ; et l’on est un peu embarrassé pour la définir exactement. Il semble toutefois conforme à l’usage de la langue française de réserver le nom d’instruments à ces biens indirects qui dans la production paraissent — tout au moins — jouer un rôle passif, et qui en outre sont plus ou moins mobiles. On ne mettra sans doute pas parmi les instruments les routes et autres voies de communication, qui rendent la circulation des gens et le transport des choses commode ou possible. On regardera plus facilement comme des instruments le bateau, la charrette, la brouette. Et tout le monde s’accordera à appeler de ce nom le treuil ou le palan.

Les appareils sont des instruments qui se distinguent par la complexité de leur structure et la délicatesse de leurs organes. Un bateau, pour re prendre un des exemples donnés ci-dessus, peut être mû par les machines les plus compliquées ; il est essentiellement une masse de bois ou de fer qui Hotte sur l’eau. Mais une transmission téléphonique ne se ferait pas, un microscope ne vaudrait rien si les parties du téléphone, du microscope n’avaient pas été agencées avec le soin le plus minutieux.

Les outils sont des instruments également. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils sont maniés par l’homme. Ils représentent comme des prolongements de la main, à laquelle ils permettent de déployer plus de force, d’exécuter mieux toutes sortes de besognes qu’elle sait faire, voire même — que l’on pense au vilebrequin — d’en exécuter auxquelles elle est inapte.

97. Les machines[15]. — Qu’est-ce maintenant que les machines ? Comment les distinguer des outils, et d’une façon générale des instruments ?

On ne dira pas que le propre de la machine, c’est de produire de la force ; car cette définition est celle d’une certaine classe de machines : elle convient aux locomotives, et elle ne convient pas aux métiers a tisser.

La machine cependant exécute toujours des travaux qui impliquent d’une manière manifeste une certaine dépense de force. On parle dans les traités de physique de la machine électrique de Ramsden : c’est une ma chine, parce qu’un déploiement de force mécanique est visiblement nécessaire pour la faire marcher, et que c’est ce déploiement de force qui pro duit — pour parler le langage des apparences — l’électricité. Mais on ne donnera pas le nom de machine à une batterie d’accumulateurs, parce qu’ici on ne voit pas que de la force mécanique se dépense.

Dans ce qui précède, il n’y a rien encore qui différencie la machine de l’outil, par exemple. Voici ce qui établit la démarcation. L’outil n’apparaît aucunement comme indépendant de la main qu’il prolonge. Et cela est dû à sa simplicité : tout le monde, à première vue, comprend comment il aide celui qui s’en sert. La machine, elle, ne fait plus l’effet de quelque chose de purement passif ; elle semble avoir son action indépendante — souvent d’ailleurs elle l’a en effet, en un certain sens : et alors l’ouvrier ne s’en sert pus, il la surveille — . C’est qu’en raison de sa complexité, on n’aperçoit pas tout de suite comment elle fonctionne ; qui comprendrait du premier coup, en voyant le chauffeur mettre du charbon dans le foyer, comment la locomotive se met en marche ? qui comprendra du premier coup, de même, — ici cependant tous les organes de la machine sont visibles — comment le métier à tisser accomplit sa besogne ? Comme l’a dit très bien Hobson, le travail de l’outil révèle surtout l’habileté de l’ouvrier qui le manie ; celui de la machine, au contraire, indique l’intelligence de l’inventeur qui a imaginé telle-ci.

Au reste, la distinction de la machine et de l’instrument, ainsi faite, ne permet pas d’établir une démarcation parfaitement nette entre les deux choses. La « machine à écrire 1, le piano, sont-ils des machines ou des instruments ? Il ne saurait guère y avoir de doute pour la première : il a fallu, en effet, un don d’invention remarquable à celui qui l’a créée pour nous donner le moyen d’écrire des mots en appuyant sur des touches. Pour ce qui est du piano, Hobson en fait une machine encore. Mais on peut

wissenchaften, t. V ; il est suivi d’une bibliographie. Voir encore Gide, Principes d’économie politique, liv. I, 1re partie, chap. 1, v-vi, Hobson, The evolution of modern capitalisam, nouv. éd., Londres, The Walter Scott Co., 1906, chap. 4. Consulter enfin le Thirteenth annual report of the commissioner of labor : Hand and machine labor, 2 vol., Washington, 1899. aussi bien, sinon mieux, voir en lui un instrument : car le principe dont il représente la réalisation est un principe très simple, et qui se fait comprendre immédiatement de tout le monde. L’usage, d’ailleurs, de notre langue se refuse à ce qu’on l’appelle autrement que du nom d’instrument.

On sait, maintenant, qu’il y a des machines-outils. Elles ont été très heureusement nommées. Ce sont des machines, en effet, puisqu’elles déploient une force qui ne leur est pas fournie par l’ouvrier, et qu’elles ont des dispositifs ingénieux et compliqués. Et ce sont des outils en même temps, non point parce qu’elles exécutent des travaux que l’on peut faire avec des outils proprement dits — la scie mécanique remplace un outil et n’est aucunement un outil —, mais parce que c’est l’ouvrier qui les dirige, et que cette direction qu’il leur donne est ici quelque chose d’essentiel.

98. Leur utilité. — Pourquoi les machines sont-elles utiles dans la production ? C’est souvent parce qu’elles permettent de tirer un meilleur parti de certaines forces, ou encore parce qu’elles permettent de faire exécuter à ces forces des travaux qu’elles n’exécuteraient pas autrement. Un ouvrier, avec un métier à main, peut filer beaucoup plus de laine qu’une femme ne peut faire avec un rouet : il y a ici une meilleure utilisation de la force humaine. S’il s’agit d’un métier mû par une autre machine — une machine à vapeur —, on verra la force que cette deuxième machine fournit exécuter des tâches que sans le métier elle ne pourrait aucunement exécuter.

Souvent aussi, cependant, les machines ont pour rôle tout d’abord de capter des forces naturelles qui seront ensuite employées — soit par ces mêmes machines, soit par d’autres — pour tels ou tels travaux productifs. Il y a des machines qui captent la force des eaux courantes et des cascades, soit en lui conservant sa nature primitive, soit en la transformant en énergie électrique. D’autres captent la force des vents. Les machines à vapeur retiennent et emploient la force d’expansion de la vapeur que dégage l’eau en ébullition. Certaines machines utilisent, d’une manière analogue, la force d’expansion des gaz que produisent certaines combinaisons chimiques : ce sont les moteurs à pétrole et à alcool. Il y en a qui mettent à notre disposition l’énergie électrique qui est diffuse dans tout l’univers. Et il est à prévoir qu’à ces machines, dont certaines sont d’invention toute récente, d’autres du même genre viendront s’ajouter. On réussira sans doute à tirer profit, quelque jour, de cette quantité formidable de force que représentent les mouvements des marées et l’agitation des vagues. La chaleur solaire sera captée, elle aussi. Et ce ne sont pas là, dans l’ordre d’idées qui nous occupe, les seuls progrès qu’on puisse rêver.

Est-il besoin de montrer à quel point l’invention des machines a amélioré la technique productive, et combien de choses elle nous permet de faire qui eussent paru prodigieuses à nos ancêtres ? Gide cite l’exemple de ces bateaux qui ont des machines de 30.000 chevaux ; comme le cheval-vapeur fait le travail d’à peu près 20 hommes, chacun de ces bateaux porte en lui l’équivalent de quelque 600.000 rameurs ; on peut d’ailleurs remarquer que dans un navire le nombre des rameurs ne saurait être accru indéfiniment, et que la vitesse imprimée au mouvement du navire par la manœuvre des rames est très limitée. Le même auteur cite encore certain journal dont chaque numéro contient la matière d’un volume, en sorte que pour copier à la main les 100.000 exemplaires quotidiens dans les 6 heures que les machines mettent à les imprimer, il faudrait deux millions de copistes. Dans le tissage du coton, le travail à la machine de mande, selon les diverses opérations, de 9 à 4.140 fois moins de temps que le travail à la main ; au total, le rapport entre le temps qu’exige le travail à la machine et celui qu’exige le travail à la main peut varier, selon que les circonstances sont plus ou moins favorables à l’un et à l’autre, de 1:79 à 1:246 (2).

On peut se proposer de rechercher comment de tels résultats sont obtenus, d’où vient, d’une manière générale, la supériorité de la machine sur la main -d’œuvre. Ce qui a été dit plus haut de la domestication des forces naturelles par les machines constitue une réponse partielle à cette question. Les machines produisent souvent des forces que l’homme ne saurait fournir ; et elles donnent ainsi des effets que la main-d’œuvre serait incapable d’obtenir directement. Quand elles exécutent des travaux purement mécaniques, que la main-d’œuvre, par conséquent, peut exécuter elle aussi, elles atteignent, grâce à l’utilisation qu’elles font des forces de la nature, une puissance énorme. Mais ce n’est pas tout. La machine, là où la main-d’œuvre peut lui faire concurrence, ne se contente pas de travailler plus que l’homme ; elle travaille mieux aussi, du moins dans beaucoup de cas. Voici quelques-unes des raisons pour lesquelles il en est ainsi.

1° La machine peut accomplir certaines opérations avec une vitesse supérieure à celle que la main-d’œuvre donnerait : et la vitesse est souvent une condition de la bonne exécution des opérations.

2° La machine fonctionne avec une régularité et une précision à peu près parfaites. Et les avantages de cette régularité, de cette précision, sont multiples. Il en est de directs que l’on concevra sans peine. En outre, la régularité et la précision du travail permettent, quand il s’agit de fabriquer

(1) Le cheval-vapeur fournit un travail de 75 kilogrammètres : c’est 8 fois environ ce que peut faire un homme. Mais il faut tenir compte de ce que la machine travaille, si l’on veut, 24 heures par jour, tandis que l’homme travaille une dizaine d’heures seulement.

(2) Sur les économies réalisées grâce aux machines, voir dans les Principles of economics de Sehgman (New-York, Longmans, 2e éd., 1906) le tableau mis en regard du § 127. les pièces de telle ou telle sorte d’objets, d’obtenir l’identité, par suite l’interchangeabilité des pièces semblables que l’on fabrique en nombre plus ou moins grand : l’agriculteur, par exemple, qui emploie une machine même compliquée est assuré, si une pièce de sa machine vient à se casser, de pouvoir la remplacer par une pièce exactement pareille ; et cela parce que les machines agricoles, en Amérique notamment, sont fabriquées avec des machines.

3° La machine permet souvent une utilisation plus heureuse ou plus complète de la matière première. Ainsi la scie mécanique permet de débiter les bois les plus menus.

99. Histoire et statistique des machines. — Nous ne ferons pas une histoire détaillée des machines. On sait que le moulin à eau date de l’antiquité, le moulin à vent du moyen-âge, mais que c’est dans la seconde moitié du XVIIIe siècle seulement, grâce au perfectionnement de la machine à vapeur, à l’invention des métiers à filer et à tisser, que le rôle des machines dans la production a commencé à devenir considérable. Essayons de voir quelle est aujourd’hui l’importance de ce rôle.

Il y a deux sortes de machines : celles qui produisent de la force et celles qui, actionnées d’une manière ou de l’autre, exécutent tels on tels travaux. Ces deux catégories de machines, au reste, ne sont pas toujours séparées avec soin. Dans une statistique des machines, on ne séparera sans doute pas, considérant les moulins à eau ou à vent, les roues ou les ailes des meules : car ce sont des choses qui apparaissent comme étroitement unies. C’est pour les machines travailleuses — si l’on peut les appeler ainsi — que l’on est le moins bien renseigné. Cela tient sans doute à la diversité très grande de ces machines, qui empêche qu’un recensement général en puisse être fait. Il en est de toutes les dimensions, de toutes les sortes ; les travaux qu’elles exécutent sont infiniment variés. Et d’autre part, c’est ici qu’il est malaisé de distinguer la machine de l’instrument : que l’on pense, en particulier, aux machines et aux instruments agricoles. On n’aura donc, pour cette catégorie de machines, que des statistiques parti culières. On pourra connaître, par exemple, le nombre des métiers employés par l’industrie textile. Dans le Royaume-Uni, le nombre des métiers mécaniques était, en 1890, de 615.714 pour le coton — 719.398 en 1904 —, de 61.831 pour la laine — 104.000 en 1901 —, de 11.464 pour la soie, et au total, pour tous les établissements textiles, de 822.489. Aux États-Unis, la même année, le nombre des métiers à tisser était de 324.900 pour le coton et de 66.876 pour la laine. En France, les chiffres correspondants étaient 138.000 — en 1900 — et 70.081 — en 1887 —. En Allemagne, il y avait en 1901 211.811 métiers pour le tissage du coton ; et il y en avait, en 1895, 99.747 dans l’industrie de la laine[16].

On est un peu mieux renseigné sur le nombre des machines productrices de forces. Il y a peu de statistiques des moulins à eau ou à vent, des machines électriques, des moteurs à pétrole ou à alcool (1) ; il en existe davantage pour les machines à vapeur, qui sont plus importantes. En France, la statistique donne, pour l’année 1904, les indications suivantes (2) :

Nombre de» Puissante, en cheveu machines à vapeur Industries chimiques, tanneries . . . 15.757 9.686 78.597 — — — — — — — -- — 104.040 0.835.758 1.148.576 2.172.442 357.064 404.080 149.063 212.154 93.782 452.777 59.841 385.709 57.972 10.156.776

En Allemagne on avait en 1895 (3) :

Machines motrices employées dans l’industrie : Machines à vapeur .... » à air comprimé. . 1 Machines de la flotte marchande . Nombre Puissance on ehernux — — — — 16.047 2.591 2 721.218 629.065 53.309 11.0S5 7.288.650 973.110


Wollenindustrie, I du Handwiirlerbuth dur Staatswissensehaften (t. II et VII). pai’ Juraschek, Baumicolle, Baumwollindustrie du Wiirterbuch der Volkswirtschaft (t. 1), par Wirminghnus. On trouvera plus loin (au § 161) des renseignements statistiques sur les machines travailleuses employées par l’agriculture. (1) Voir cependant la statistique française officielle des Moteurs hydrauliques (Publications de l’Office du travail, Paris, 1901), etc. (2 ; Annuaire statistique (1905 ;, pp. 184 et 42*. (3) Ce tableau, comme les suivants, est fait avec des chiffres empruntés à l’article de Lexis, Maschinenwesen, déjà cité. 100 Ce qu’on peut attendre des machines

187 On a pour le Royaume-Uni : Puissance en chevaux, des machine* employées ,1899) (1898) 6 millions plus de 5 » plus de 2,S » 5*6 » 515.808 ( » ) Industrie Industrie textile (1889) (1871) Voici enfin quelques chiffres relatifs aux Etals-Unis : Puissance «n chevaux Industrie (moins l’agriculture et les mines) En particulier, industrie du bois . meunerie . . . . coton papier Mines En particulier, mines de charbon et métaux non précieux . . . . Chemins de 1er Bateaux (1890) ( » ) ( » ) ( » ) ( » ) (1870) (1880) (1885 ; ( » ) MaRuineu à Machine* a ’.1U vapeur 1.203.343 4.662.024 789.078 383.8 ?2 198.982 151.593 Ensemble Jet machines i.954.655 961.31(5 752.365 464.881 242.176 109.111 182.051 200.000 040.000 ÎOO. Ce qu’on peut attendre du développement du machinisme. — Des statistiques précédentes on peut tirer des enseignements précieux, touchant la nature des avantages que l’invention des machines a procurés à l’humanité, et par conséquent des espérances que l’on peut fonder sur le développement futur du machinisme. Pour ce qui est des machines motrices, elles servent pour la plus grande partie, comme Gide l’a montré excellemment, au transport des hommes et des marchandises. Attachons-nous aux seules marchandises : à prendre les choses en gros, la facilité plus grande des transports permet une utili sation meilleure des forces productives dont l’humanité dispose ; mais il ne faut pas s’exagérer l’importance de ce bénéfice. On remarquera, d’aulre part, que les progrès du machinisme ne profi tent pas également à toutes les branches de la production. Le machi nisme, par exemple, n’a reçu jusqu’ici qu’une application limitée dans l’agriculture, et encore qu’il soit destiné à s’y étendre beaucoup, il ne pourra jamais y jouer un rôle aussi important que dans telles autres industries : c’est qu’en effet l’emploi des machines suppose, au point de vue technique, une uniformité des tâches à exécuter qui ne se réalise que très imparfaitement dans les travaux agricoles, et que, au point de vue proprement économique, il exige en régle générale une continuité des tâches qui, dans les travaux agricoles, est très loin d’exister. Ajoutons que dans l’agriculture les machines permettent, à l’ordinaire, d’avoir autant de produit à moins de frais, mais non point d’accroître le produit. Or, l’industrie agricole, comme on le verra bientôt, occupe entre toutes les industries une place spéciale : d’une certaine manière, dans une certaine mesure, tout le progrès économique est conditionné par l’accroissement de la production agricole.


  1. Sur la définition du capital, voir Böhm-Bawerk, Positive Theorie des Capitales, liv. I, iii, Kleinwächter, Die volkswirtschaftliche Produition im Allgemeinen (Handbuch de Schönberg, t. I), § 14, Fisher, Capital and income chap. 4, et Landry, L’intérêt du capital, chap. 1.
  2. Stanley Jevons, The theory of political economy, ch, 7, p. 242 (3e éd., Londres, Macmillan, 1888).
  3. Das Kapital, I, chap. 4.
  4. Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, § 59.
  5. Éléments d’économie politique pure, § 167. À côté du capital « en général », Walras met le capital « proprement dit », qui est un concept plus restreint.
  6. Rappelons ici que les personnes, dans les sociétés non esclavagistes, ne sont pas des biens économiques. Elles ne peuvent donc pas être des capitaux. Et il en est de même pour ces inventions, ces connaissances générales dont Tarde, comme nom l’avons vu, fait un capital ; cela du moins quand elles ne sont pas susceptibles d’être appropriées, ou quand elles sont tombées dans le domaine public.
  7. Voir Böhm-Bawerk, Positive Théorie des Capitales, liv. I, iv, Wagner, Grundlegung, § 129 (trad. fr., t. 1).
  8. Les manufactures qu’un État possède, en tant qu’elles appartiennent à cet État, lequel est une personne morale, doivent être assimilées aux capitaux individuels ou privés. On prendra garde ici de ne pas se laisser tromper par l’équivoque que créent ces expressions, à la vérité peu heureuses.
  9. Voir la Positive Théorie des Capitales, liv. 1, ii.
  10. Pour Böhm-Bawerk, ce sont les produits intermédiaires qui constituent le capital — au sens social du mot —.
  11. Voir la Positive Théorie des Capitales, liv. II, i, pp. 86-97, et particulièrement les pages 89-91 ; voir aussi Landry, L’intérêt du capital, §§ 98, 136-137.
  12. Nous avons signalé dans notre livre sur L’intérêt du capital, au § 132, le rapport assez étroit qui existe entre la notion de l’attente moyenne du produit, telle qu’on la trouve chez Böhm-Bawerk, et la notion de la rotation du capital, qui tient une grande place dans les spéculations de Marx (voir Le capital, liv. II, chap. 9, trad. fr., Paris, Giard et Briére, 1900). Dans l’exemple donné ci-dessus, Marx déterminerait la rotation du capital de la manière suivante. Chaque année le capitaliste retrouve dans le produit obtenu l/20 de sa machine, plus tout le travail du deuxième stade, en tout 105 années de travail. Si dans un an il retrouve la valeur de 105 années de travail, il trouvera la valeur des 200 années de travail qu’il a avancées en 200/105 années : c’est à peu près le double de l’attente capitalistique de Böhm-Bawerk. Au reste, il ne semble pas qu’il soit aucunement utile d’étudier davantage la notion marxiste.
  13. À la vérité, Böhm-Bawerk n’a pas prétendu que son schème s’appliquât à toutes les productions ; il ne lui a attribué qu’une portée très générale. Un exemple contraire ou deux, par conséquent, ne suffisent pas par eux-mêmes pour renverser l’assertion que nous discutons ici, ni non plus celle qui sera discutée sous le numéro 3 dans les exemples que nous donnons, il faut voir la valeur typique que ces exemples possèdent.
  14. On trouvera des indications statistiques, sur les points auxquels nous touchons ici, chez Mayo-Smith, Statistics and economics, chap. 5, pp. 165-172. Le Censu américain des manufactures de 1905 nous apprend qu’entre 1890 et 1905, dans l’ensemble des manufactures des États-Unis, le total des salaires payés est monté de 1.891 millions de dollars à 3.014, cependant que la valeur des matériaux employés passait de 5.162 millions à 9.497, et les « capitaux » employés de 6.525 à 13.872 millions (Publications du Bureau du Census, no 57, p. 13).
  15. Voir l’article Maschinenwesen, par Lexis, dans le Handwörterbuch der Staats
  16. Ces chiffres sont extraits des articles Baumwollindustrie, I, et Wolle und