Marguerite, ou Deux Amours/Ch. 13

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Marguerite, ou Deux Amours
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome III (p. 108-116).


XIII.

Comme tous les mauvais sujets, M. de la Fresnaye était très-prude. Les mauvais sujets ont, en général, une grande austérité de principes ; ils ne reconnaissent que la vertu absolue ; pour eux, il n’y a que deux catégories de femmes : les courtisanes et les matrones romaines, les Cléopâtres et les Octavies, c’est-à-dire les femmes qui aiment tout le monde et celles qui n’aiment personne ; les femmes dont on parle toujours et celles dont on ne parle jamais. Pour celles qui ont aimé quelqu’un et dont on a parlé une fois, ils n’ont aucune indulgence, ils n’admettent point d’excuse ; pour eux, les faiblesses du cœur, les passions, les fatalités ne comptent point. Il y a une chose qu’ils ne pardonnent jamais à leur maîtresse ; c’est d’être leur maîtresse, quels que soient ses remords et sa fidélité. Pour leurs sœurs, ils se montrent d’une sévérité, d’une susceptibilité farouche ; ils les surveillent, ils les espionnent, ils les enfermeraient volontiers… Et dans les sermons qu’ils leur adressent, ils trouvent, pour flétrir l’inconduite des femmes du monde, des expressions de mépris et d’opprobre qu’envierait un prédicateur tonnant. Un mauvais sujet, c’est un ancien complice devenu juge, et juge inexorable : il ne reconnaît point de circonstances atténuantes ; ne lui confiez jamais une faiblesse, même seulement rêvée, c’est un confesseur sévère, d’une austérité désespérée ; il ne croit ni au repentir ni à la pénitence.

La duchesse de Bellegarde avait plu à Robert précisément à cause de sa bonne réputation et de l’amour qu’elle avait pour son mari, et du jour où elle eut trompé ce mari tant aimé, elle perdit aux yeux de Robert tout son prestige. Elle descendit de son piédestal et rentra dans la foule des femmes vulgaires qu’on peut quitter sans égard, parce qu’elles peuvent se consoler sans peine. Cependant la manière noblement résignée, affectueusement digne, dont elle avait accepté ses aveux lui avait fait retrouver une partie de son estime, et sans doute s’il ne s’était agi que d’un autre amour, il aurait eu le courage de sacrifier cet amour et de rester tout à elle ; mais il s’agissait de sa destinée entière. Marguerite était pour lui plus qu’une beauté brillante, qu’une conquête flatteuse : c’était la femme de ses rêves, la femme auprès de laquelle il voulait passer sa vie, la femme qu’il voulait épouser. M. de la Fresnaye se disait : « Si je n’épouse pas Marguerite, je ne me marierai jamais ; » et comme il jugeait qu’il était convenable qu’il se mariât, il s’attachait doublement à Marguerite, parce qu’il sentait que jamais une autre femme ne lui inspirerait en même temps ces deux sentiments si contraires, qui seuls pouvaient, l’entraîner, sentiments qu’il est bien rare d’éprouver ensemble : la confiance et la passion.

Le soir même, Robert rencontra chez sa tante madame d’Arzac. Il voulut la saluer, elle affecta de ne le point voir et lui tourna le dos. « Maintenant, pensa-t-elle, il n’osera plus venir chez ma fille. » Et puis elle commença à lancer indirectement contre lui une mitraille d’épigrammes : c’étaient des allusions détournées, mais qui allaient droit au but comme une flèche, des sous-entendus transparents comme du cristal, des réticences pleines d’abîmes, des traits mordants, acérés, empoisonnés, qui devaient tuer un homme sur l’heure. M. de la Fresnaye était devant la cheminée et il regardait rouler ce torrent d’injures sans mot dire. Madame d’Arzac voulut voir comment il supportait cette attaque, elle leva hardiment les yeux sur lui… Ô rage ! ô mystification sans pareille ! le monstre la contemplait avec une extrême bienveillance, il avait un air doux et heureux qui semblait dire : « Vous avez peur, c’est donc possible ? »

Quelques jours après, il rencontra sur le boulevard M. d’Arzac. Étienne le salua, mais avec hauteur et en pâlissant. « Bon ! pensa Robert, voilà des gens qui m’encouragent. » Il alla voir madame de Meuilles.

On lui dit qu’elle était sortie ; mais Gaston, qui avait entendu les chevaux de M. de la Fresnaye piaffer à la porte et qui le guettait au passage, lui cria : « Ne les croyez pas, maman est chez elle ! ». Puis il alla en courant chez sa mère, et lui dit :

— N’est-ce pas, maman, qu’on ne doit pas le renvoyer, lui ?

— Jamais, répondit Marguerite malgré elle, en apercevant Robert ; et ce fut la mère qui parla. Quand Gaston était présent, elle ne voyait plus dans Robert que l’homme qui avait sauvé son fils. « Madame de Bellegarde est partie ce matin, pensa-t-elle ; il la rejoindra dans quelques heures, je puis le recevoir sans crainte. »

M. de la Fresnaye entra avec Gaston, et, posant la main sur la tête de l’enfant :

— Lui, au moins, dit-il, n’est pas mon ennemi. N’est-ce pas, Gaston, si on m’attaquait, tu me défendrais ?

— Oh ! je vous défends ! répondit le naïf accusateur.

— Bien ; et qui est-ce qui m’attaque le plus ?

Gaston allait répondre ; sa mère le regarda, il se mit à rire et s’enfuit ; elle le rappela bientôt, ne voulant pas rester seule avec M. de la Fresnaye ; mais M. Berthault parut, il réclama son élève, c’était l’heure de la leçon d’anglais.

— Je vous croyais parti, dit Marguerite avec un embarras mêlé d’impatience… La manière dont Robert l’observait commençait à la troubler.

— J’ai retardé encore mon départ, je ne peux pas me décider à vous quitter.

— Ah ! je vais vous y aider, dit-elle en essayant de rire.

— Rien ne vous est plus facile, et vous pouvez me renvoyer d’un mot ; mais tant que vous n’aurez pas dit ce mot, je resterai. Que voulez-vous, je n’y songeais plus, moi ; jamais je n’aurais eu de moi-même une si bonne idée, je ne suis, pas fat, et je partais bien complètement désolé et bien malheureux, Dieu le sait ! Ce n’est pas ma faute si on m’a donné de l’espoir.

Marguerite fit un mouvement d’indignation qui trahissait un superbe orgueil offensé.

— Ce n’est pas vous, madame, reprit-il ; vous, au contraire, me découragez sans pitié ; mais les personnes qui vous entourent me donnent tant de confiance, elles semblent si alarmées pour vous de ma présence, et si inquiètes pour elles-mêmes, qu’elles m’inspirent, malgré moi et malgré elles sans doute, une présomption inaccoutumée qui m’enivre ; car enfin elles vous connaissent mieux que moi ; et si elles éprouvent tant d’effroi de me voir occupé de vous, c’est qu’elles imaginent que ce n’est pas sans danger… pour elles… oh ! je ne dis pas pour vous. Mais certainement il y a dans mon caractère, dans mes défauts, quelque chose qu’elles jugent devoir vous plaire ; elles savent cela mieux que moi ; je m’en rapporte à elles…. Comment expliquerais-je, si ce n’était par cette crainte qui les trouble, comment expliquerais-je la haine que me montre madame votre mère ? Cette grande haine n’est-elle pas un symptôme flatteur ? Qu’ai-je fait pour la mériter, quel crime a-t-elle à me reprocher ? J’ai sauvé la vie à son petit-fils, je l’ai empêché d’être dévoré par une louve qui se jetait sur lui. Ce n’est pas là une méchanceté ! Eh bien, j’aurais livré votre enfant à cette bête féroce, je serais cette bête féroce elle-même, que madame votre mère ne me témoignerait pas plus d’horreur. Que dois-je voir dans cet acharnement d’une personne qui vous adore contre moi qui vous aime ? Je n’y peux voir qu’une jalousie qui m’honore et m’encourage. Votre mère reconnaît dans ma tendresse une rivalité, et elle a raison.

— Vous vous trompez, interrompit Marguerite, irritée de la justesse de ces observations et cherchant à se défendre ; ma mère ne hait pas ceux qui m’aiment ; elle a pour M. d’Arzac une profonde affection ; elle n’est pas jalouse de lui…

Elle crut avoir donné une leçon de convenance à M. de la Fresnaye par cette réponse qui rappelait ses engagements ; mais il s’écria :

— Oh ! je le crois bien qu’elle n’est pas jalouse de lui, il vous aime en esclave ; il ne lui ôte rien de son autorité. Il fera ce que vous voudrez, et comme ce que vous voulez est ce qu’elle veut, elle est tranquille, vous resterez sous son empire. Sa tendresse impérieuse et l’amour docile d’Étienne s’entendent à merveille, ils sont associés pour vous aimer… Mais dans ma pensée, à moi, elle devine une rivalité, une autorité au-dessus de la sienne, et elle voit juste, car si vous me permettiez d’avoir l’honneur de vous aimer, je vous aimerais en maître absolu.

Il dit ces derniers mots d’un ton très-respectueux, mais il jeta sur Marguerite un regard qui la fit frémir.

— Ah ! mon Dieu, dit-elle avec une petite toux affectée, que j’aurais peur d’être aimée ainsi !

— Vous croyez ? C’est alors que vous ne tenez pas à être aimée.

— On peut aimer autrement.

— Non ; vous vous imaginez peut-être que d’Arzac vous aime !

— Oui vraiment, et comme je veux qu’on m’aime.

Elle fut très-contente d’avoir trouvé cette malice qu’elle jeta d’un ton dédaigneux.

— Oh ! je le reconnais, il vous est complètement attaché, dévoué, consacré ; mais ce dévouement n’est pas de l’amour….

Elle allait se fâcher ; il feignit de plaisanter.

— Sans doute, continua-t-il, Étienne fera pour vous toutes sortes de belles actions, de nobles choses… moi, je ne ferais rien que du mal… mais je le ferais bien et avec ardeur ; lui vous aime pour vous, moi je vous aimerais pour moi… Par exemple il se jetterait au feu pour vous ; moi je vous jetterais au feu pour moi… mais avec quelle passion !… Lui, enfin, aimerait mieux mourir que de vous voir souffrir, que de vous causer le plus léger chagrin ; moi… si j’étais inquiet, jaloux ou mécontent de vous, je vous ferais des scènes affreuses, et loin d’éprouver la moindre pitié, je vous verrais souffrir, pleurer, sangloter avec délices… parce que, moi, je vous aime et que lui ne vous aime pas. Non, le sentiment qu’il a pour vous n’est pas de l’amour.

— Qu’est-ce donc ?

— C’est… une appréciation exaltée. Croyez-moi, ces natures si nobles, si généreuses, ça ne sait point aimer, ça ne sait que se sacrifier… Eh bien, quand on se sacrifie, c’est tout de suite fini : on vous oublie ; tandis que lorsqu’on tourmente, cela dure, on pense à vous. Le sacrifice est borné, mais le tourment est si varié ! Pour bien aimer, il faut être méchant ; les bonnes âmes ne valent rien en amour.

— En amour, soit ; mais en ménage, je ne rêve nullement ce tyran passionné dont la joie serait de tourmenter ma vie.

— Vous avez raison de ne pas le rêver, mais s’il existe, vous auriez tort de ne pas le choisir.

— Il existe peut-être, mais je ne le connais pas.

— Vraiment ! reprit-il avec un accent de reproche plein de douceur, vous n’avez jamais rencontré un regard qui attirât le vôtre par une force irrésistible… et vous n’avez pas senti dans cette sympathie toute-puissante une loi, ou, comme vous l’appelez, une tyrannie de l’amour !… Dites, soyez de bonne foi… Non ?

Elle n’osa dire non ; elle retrouvait ce regard qui l’avait tant émue ; elle subissait son charme… Pouvait-elle le nier ?

La malheureuse jeune femme était en proie à une angoisse indicible, mélange de tendresse et de haine, de répulsion et d’attrait. Elle était bien faible pour une lutte si terrible ! Un moment il lui sembla qu’elle allait devenir folle… Quel supplice ! Ne pouvoir commander à son cœur !… Sentir qu’il vous trahit, qu’il vous échappe… L’avoir donné loyalement, volontairement à qui l’a mérité, et le voir se donner lui-même, malgré vous, à qui n’a rien fait pour le conquérir ! Ne pouvoir plus gouverner son regard, le sentir brûler et ne pouvoir l’éteindre… comprendre qu’il dément chacune de vos paroles et ne pouvoir reprendre ce qu’il a dit malgré vous !… C’est le supplice du coupable que de menteurs récits allaient justifier et qu’un témoignage sincère vient tout à coup confondre… Elle luttait pourtant avec courage… Mais le combat lui-même était un aveu, un aveu qu’il acceptait avec ivresse ! Pourquoi baissait-elle les yeux prudemment ? c’est qu’elle redoutait leur langage. Pourquoi donnait-elle à sa voix des accents durs et saccadés ? c’est qu’elle sentait sa pauvre voix s’attendrir à chaque instant malgré elle ; c’est qu’elle tâchait de déguiser, sous une fausse impatience, son invincible amour.

— Ah ! vous êtes bien coupable, madame, dit-il en se levant comme s’il partait, car vous allez vous lier à jamais à un honnête homme que vous n’aimez pas.

— Monsieur de la Fresnaye ! dit Marguerite révoltée.

— Pourquoi vous fâcher ? En quoi ma conduite vous semble-t-elle un affront ? Est-ce que je veux vous perdre, vous compromettre, vous afficher ? Je veux vous donner ma vie, est-ce une injure ? Je veux vous épouser… parce que je crois que je vous conviens mieux que personne et qu’il est dans notre destin de nous aimer. Pourquoi feindre ? Pensez-vous donc que je ne souffre pas autant que vous ? Cette émotion violente que vous cachez si mal sous une fausse dignité, cette émotion qui vous fait pâlir, rougir, trembler comme moi, je la ressens aussi, et j’ai bien le droit de la reconnaître, c’est la mienne !… Pensez-vous donc qu’on l’éprouve deux fois dans sa vie, cet amour-là, et jugerez-vous qu’un homme soit un fou, un insolent, lorsqu’il rencontre une femme qui le lui inspire et qui le lui rend, de faire tout au monde pour obtenir cette femme, pour l’empêcher de lui échapper et de se mésallier à un autre ? Oui, la véritable alliance, c’est celle-là, c’est l’harmonie de deux natures, c’est la sympathie invincible. Il y a des milliers de créatures qui meurent sans avoir jamais connu cet amour. Certes, on peut se passer de lui tant qu’on l’ignore… ; mais dès qu’on le rencontre, il est impossible de ne pas se dire tout de suite : C’est lui ! parce qu’il ne ressemble en rien aux autres. Dès qu’on le trouve, on ne peut plus vivre que par lui… Vous comprenez alors si on le regrette quand, l’ayant trouvé, on l’a repoussé ! Ô Marguerite, je vous en supplie, il est encore temps, interrogez-vous sincèrement. Demandez-vous si l’affection profonde et sans doute méritée que vous inspire votre cousin… mon Dieu, je me rends justice, il vaut beaucoup mieux que moi… si cet amour de naissance, de circonstance, d’habitude, de consentement, de parenté même, ressemble en rien à cet amour fatal, involontaire, impérieux, tout-puissant qui nous attire l’un vers l’autre, malgré nous, qui nous opprime, nous écrase… qui vous rend si belle, Marguerite, et qui me fait mourir !

Il se laissa tomber sur un canapé loin de madame de Meuilles et n’osa pas la regarder.

Marguerite était éperdue. Jamais Robert ne lui avait semblé plus séduisant, plus dangereux. Elle sentait bien qu’il avait raison et que toute son âme était à lui, mais sa volonté lui restait, à elle… elle ne l’aimait pas encore avec sa volonté. Elle résista vaillamment.

— J’avoue, dit-elle, que je vous trouve très-aimable et que vous auriez pu prendre sur moi beaucoup d’empire… mais j’aime mon cousin.

— Non ! s’écria Robert avec violence, vous ne l’aimez pas !… Tenez, demandez-le-lui ; il sait cela mieux que nous !

Madame de Meuilles, épouvantée, retourna la tête et elle aperçut derrière elle M. d’Arzac. Robert l’avait vu entrer dans le premier salon. Un moment elle crut que M. de la Fresnaye allait lui poser nettement cette question. Il en était bien capable ; elle eut peur… Mais Étienne avait un air d’insouciance qui les déconcerta d’abord tous les deux. Il fit à Robert un salut très-gracieux, et tendant la main à Marguerite, il lui dit à la hâte, comme un homme qui est attendu : — Je viens vous demander pardon, ma chère cousine, je suis obligé de vous faire ce soir une infidélité.

À ce mot, Marguerite rougit. Étienne continua :

— J’ai un dîner d’adieu ; nous embarquons ce soir notre brave capitaine Gérard. Il va faire le tour du monde. J’avais d’abord refusé, mais il m’a dit : « Viens, viens… qui sait ? nous ne nous reverrons peut-être jamais ; ne perds pas cette occasion… Si c’était la dernière ! » J’ai accepté.

Elle retrouva un peu de voix pour lui dire : — Vous viendrez tard ?

— Je viendrai de bonne heure demain ; des marins, ça dîne pendant vingt-quatre heures… À demain ! on m’attend…

Il sortit en courant et laissa toutes les portes ouvertes.

Madame de Meuilles et Robert restèrent stupéfaits de cette apparition. Mais leur étonnement avait une cause différente. Une profonde tristesse se peignait sur les traits de Robert, ses yeux exprimaient une pitié navrante.

— Pauvre jeune homme ! dit-il en se parlant à lui-même.

— Vous le plaignez, reprit Marguerite, parce qu’il me quitte pour s’amuser ?

— Ah ! vous croyez donc au départ du marin, vous ?

— Sans doute.

— Et vous dites que vous l’aimez !… Et vous n’avez pas vu qu’il était fou de désespoir, ivre de jalousie… qu’il avait le cœur déchiré ?

— Non, dit-elle confondue et avec humilité.

— Eh bien, moi qui ne l’aime pas, mais qui sais ce qu’un malheureux qui aime peut souffrir, moi je vous apprends qu’il n’a rien à faire ce soir, qu’il n’a pas d’ami dans la marine, qu’il va s’enfermer chez lui, et que là, seul, désolé, il va vous écrire vingt lettres qui commenceront toutes par ces mots : « Je vous rends votre parole, Marguerite. »

— Si c’est ainsi, dit-elle, c’est moi qui vais lui écrire.

— Bien. Écrivez-lui, c’est votre devoir, mais ne lui dites pas que vous l’aimez.

— Oh ! vous vous trompez… Étienne riait, il avait l’air heureux et confiant.

— Par respect pour lui, ne dites plus cela.

— Vous m’inquiétez ; je vais tout de suite envoyer chez lui.

Elle sonna. Un domestique vint. M. de la Fresnaye la salua et sortit.

— Courez chez M. d’Arzac, dit-elle, et priez-le de passer un instant ici avant d’aller dîner ; j’ai à lui parler.

Le domestique partit à la hâte.

Dès que Marguerite fut seule, elle s’abandonna à toute sa douleur. « Mon Dieu ! s’écria-t-elle, il a dit vrai, je l’aime ! Que vais-je devenir ? je l’aime !… » Puis elle rassembla toutes ses forces : « Oui, je l’aime, dit-elle, mais je ne veux pas l’aimer !… »