Maroussia/Nota bene

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J. Hetzel (p. 269-270).


N. B. — Une légende ne va jamais seule. Une autre tradition populaire a complété d’une part, et de l’autre modifié, sur le point le plus important, celle de Marko Wovzog, qui nous a le plus souvent guidé.

En même temps que s’élevait le kourgane et non loin de là, sur le sommet d’un roc qui lui faisait face, s’était construit, disaient les anciens, et avec une rapidité étonnante, un monastère dont les tourelles dominaient le pays. Il était à peine achevé que les gens qui avaient de bons yeux pouvaient distinguer le pâle et noble visage d’une religieuse qui, accoudée sur le parapet de la terrasse de la plus haute des tourelles de ce monastère, ne perdait pas de vue un instant le travail opiniâtre du Cosaque élevant, poignée à poignée, le tombeau de la petite fille. Cette religieuse n’était autre, affirmait-on, qu’une belle et héroïque princesse. Après avoir pris part à la dernière guerre de l’indépendance de l’Ukraine, la noble femme s’était retirée dans cet asile et avait fait vœu de n’en plus sortir. Mais, et c’est là que la légende se complique, elle ne s’y serait pas retirée seule, et souvent, à côté d’elle, on aurait pu voir une jeune fille d’une beauté saisissante, entrée au couvent en même temps qu’elle, et sous le même vœu de claustration perpétuelle.

Ceux qui ne veulent pas que ce qu’ils aiment ait pu mourir, prétendaient que cette jeune fille n’était autre que Maroussia. Méphodiévna elle-même, après avoir reçu le mouchoir troué, serait venue pieusement retirer l’enfant qu’elle chérissait du milieu des roseaux où la balle du cavalier tartare l’avait abattue, pour ne pas la laisser sans sépulture. L’enfant dévouée aurait failli mourir, mais ne serait pas morte en effet. Rappelée à la vie, puis guérie par sa grande amie, elle l’aurait suivie dans sa retraite pour ne pas voir l’asservissement de l’Ukraine.

Enfin, car il ne faut oublier ni rien ni personne, entre le kourgane et le roc sur lequel avait été bâti le monastère, une maison ukrainienne, semblable en tout à celle où Maroussia était née, aurait fini par apparaître un beau jour entourée d’un jardin si pareil à celui des cerisiers, qu’on aurait pu s’y méprendre, et les habitants de cette maison auraient été les parents mêmes de Maroussia. L’Ukraine morte, tous ces dévoués de la patrie n’avaient plus rien à se dire, mais par l’arrangement du kourgane, de la maison et du monastère, ils auraient trouvé moyen d’être unis encore par le lien des yeux tout en vivant séparés. C’est au lecteur à choisir celle de ces conclusions qui ira le mieux à son sentiment. J’ai reçu des lettres d’enfants encore humides de larmes où l’on me reprochait durement la fin de Maroussia. C’est bien injuste. En écrivant son histoire, n’ai-je pas essayé de la faire revivre, au contraire, autant qu’il était en moi, pour renseignement de tous ?

P.-J. Stahl.