Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/VI/2

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II


CHAPITRE II.


histoire de basquine.


Plus j’examinais Basquine, plus je remarquais en elle une élégance de manières, dont je n’avais pas été tout d’abord frappé, et qui me rappelaient vaguement Régina, car je ne pouvais juger d’après un autre point de comparaison, ma vie s’étant jusqu’alors passée dans les plus infimes conditions.

La révélation du talent de Basquine m’avait causé plus d’admiration que de surprise ; il me paraissait la conséquence, le développement presque logique de ses dons naturels, déjà si remarquables dès son enfance ; mais cette grâce, cette distinction de manières, qui ne s’acquiert que par l’habitude du grand monde, comment Basquine les possédait-elle ? comment son langage était-il devenu toujours correct, réservé, souvent choisi, quelquefois éloquent et élevé ?

Bamboche, avec sa verve cynique, railleuse et son éducation de prison, alimentée par une foule de lectures bonnes ou mauvaises, parlait le langage qu’il devait tenir, et son geste trivial, ses façons grossières ou violentes ne démentaient en rien ses paroles ; mais, chez Basquine, d’où venait cette harmonie si complète, entre la distinction de ses manières, et celle de son langage ? Comment avait-elle pu désapprendre, à ce point, les enseignements vulgaires, ignobles, obscènes, de la mère Major, de la Levrasse et du paillasse, horribles enseignements dont la corruption avait infecté son enfance ?

Ce mystère dont j’étais vivement préoccupé, devait bientôt s’expliquer.

— Tu vas entendre Basquine, — me dit Bamboche, — tu verras ce que la pauvre petite a souffert… auprès d’elle… je menais en prison une vie de sybarite.

— J’ai toujours subi le malheur avec résignation… — dit Basquine, — mais l’humiliation, le mépris… l’insulte, oh ! c’est de cela… que j’ai le plus souffert.

Après un moment de silence, Basquine reprit :

— Écoute, Martin, et tu verras que nos destinées, sans doute diverses, sont du moins pareilles en misères… Bamboche te l’a dit, en le voyant tomber sous le coup de pistolet du cul-de-jatte, l’épouvante me rendit à-peu-près folle ; je pris la fuite en criant au secours !… à l’assassin !.. Le cul-de-jatte me poursuivit sans doute pour me tuer aussi… mais la frayeur me donna une telle célérité, qu’échappant au bandit, je me jetai dans un taillis, où il perdit mes traces. Ces souvenirs sont pour moi très-vagues, car l’épouvante troublait complètement ma raison ; je passai la nuit blottie dans ce taillis. Au point du jour, je sortis et marchai à l’aventure, il paraît que je rencontrai dans la campagne un bouvier qui conduisait son troupeau à la foire d’hiver de Limoges.

— Comment : il paraît que tu rencontras ? — dis-je à Basquine, surpris de cette expression dubitative.

— Je dis : il paraît, mon bon Martin, parce que c’est seulement plusieurs jours après cette rencontre, que je sortis peu-à-peu de l’hébétement où m’avait plongée la vue du meurtre de Bamboche ; j’appris alors par le bouvier les détails de ma rencontre avec lui : le tintement des clochettes que portaient quelques-unes de ses vaches, ayant probablement attiré mon attention, je me dirigeai du côté de ce troupeau, et je l’accompagnai pendant assez long-temps, rendant même quelques services au bouvier avec un instinct purement machinal, en aidant ses chiens à conduire son bétail. Cet homme eut pitié de moi ; il me prit pour une idiote dont on avait voulu se débarrasser en l’abandonnant et en la perdant ; à la couchée, il me fit donner à souper et une bonne litière dans l’étable ; au point du jour, je fus sur pied, malgré la neige qui tombait avec abondance, je suivis courageusement le bouvier. Plusieurs jours se passèrent ainsi, pendant lesquels, à la croissante surprise de mon protecteur, mon hébétement se dissipa peu-à-peu ; ma raison commençait à se remettre de son violent ébranlement ; enfin la veille, je crois, de notre arrivée à Limoges, après une nuit passée dans un profond et lourd sommeil, je m’éveillai complètement revenue de cette longue aberration. Ma première pensée fut de m’écrier, presque machinalement, en regardant autour de moi : — Bamboche ! Martin !… puis seulement alors j’eus vaguement conscience de ce qui m’était arrivé, tout étonnée de me trouver seule couchée dans une étable… Entre ce réveil de ma raison et l’instant du meurtre de Bamboche, il existait une lacune que je tâchais en vain de combler ; le bouvier entra et me dit : — Allons, en route, petite. — Je lui demandai ce qu’il me voulait, comment je me trouvais dans cette étable, et je lui racontai (sauf quelques détails) l’aventure qui m’avait rendue sans doute folle d’épouvante ; la commisération de ce digne homme augmenta, et il me dit comment il m’avait rencontrée et regardée comme une idiote abandonnée. Je sus de lui que je me trouvais alors à trente ou quarante lieues de l’endroit où Bamboche avait été tué, (je le croyais mort) et où tu avais sans doute été arrêté, Martin. Malgré la pitié que je lui inspirais, le bouvier ne pouvait me garder à sa suite, son commerce forain le conduisait d’une province à une autre, et, son troupeau vendu, il devait acheter des mulets dans les environs de Limoges. — Je ne peux pourtant pas, petite, te laisser comme ça sur le pavé, — me dit-il ; — l’hôtesse chez qui je loge ordinairement dans mes voyages, est une bonne femme ; je lui demanderai de te prendre pour aider ses servantes ; tu auras, du moins, en attendant mieux, du pain et un abri. Nous arrivâmes le soir dans un des faubourgs de Limoges, à l’auberge où s’arrêtait ordinairement le bouvier ; sa demande en ma faveur fut assez mal accueillie par l’aubergiste ; mais enfin elle consentit à me garder. Je restai quelque temps dans cette auberge, servante des autres domestiques ; vivant de leurs restes, et couchant dans un coin de l’écurie. Je croyais Bamboche mort, quarante lieues peut-être me séparaient de l’endroit où je t’avais perdu, mon bon Martin, et si dure que me semblât ma position dans l’auberge de Limoges, je n’osais pas en sortir pour recommencer seule une vie vagabonde comme l’avait été la nôtre. Depuis un mois je vivais dans cette auberge, lorsque j’en sortis par une étrange aventure…

Et comme Basquine semblait hésiter à continuer :

— Peut-être ces aveux te sont pénibles — lui dis-je en voyant sa physionomie s’attrister.

— Non… — reprit-elle avec son sourire amer et glacé, — non… souvent, au contraire, j’évoque ce souvenir et bien d’autres… Ils retrempent mon courage, mon énergie, ma volonté… j’y puise de nouvelles forces pour marcher opiniâtrement vers le but que je veux atteindre… et je l’atteindrai, oh ! oui… je l’atteindrai !

Je fus frappé de l’inflexible résolution avec laquelle Basquine prononça ces dernières paroles, et du sombre éclat de ses grands yeux.

— Quel est donc ce but que tu poursuis ? — dis-je à Basquine en interrogeant aussi Bamboche du regard.

— Je n’en sais rien, — me répondit-il ; — il y a trois ans que je l’ai vue, et elle ne m’a fait là-dessus aucune confidence… n’est-ce pas, Basquine ?

— Non, — reprit-elle.

Et elle continua après un nouveau silence :

— J’étais donc servante des servantes dans cette auberge. Elle se trouvait à mi-côte d’une pente rapide où les voitures ne pouvaient cheminer que très-lentement. Un jour où le givre glacé, tombé pendant la nuit, rendait cette montée presque impraticable, je me trouvais assise sur un banc à la porte de l’auberge, lorsque je vis passer d’abord un courrier vêtu de rouge, magnifiquement galonné d’or ; il précédait de peu de temps plusieurs voitures appartenant, selon ce que j’entendis dire autour de moi, au milord-duc de Castleby, grand seigneur irlandais, immensément riche, voyageant avec une suite nombreuse. Il avait séjourné pendant deux jours à Limoges, et ses cuisiniers étaient partis la veille au soir avec deux fourgons remplis de provisions pour aller préparer son repas dans la ville où il devait passer la nuit.

— Quel luxe ! — m’écriai-je.

— Cela n’était rien, mon pauvre Martin, — reprit Basquine, — le matin même un autre fourgon rempli d’un mobilier portatif, accompagné d’un valet de chambre tapissier, devançait ce haut et puissant seigneur qui trouvait ainsi, à son arrivée dans toutes les auberges, plusieurs chambres meublées de la manière la plus splendide et la plus commode.

— Tant de prodigalités, c’est à n’y pas croire…

— Le gaillard entendait la vie, — dit Bamboche.

— Et que dirais-tu donc, mon bon Martin, — reprit Basquine, — si je te parlais d’une espèce de voiture qui terminait la suite du duc de Castleby, et où se trouvaient deux chevaux de selle[1], avec leurs palefreniers, car il se pouvait que monseigneur eût la fantaisie de faire une partie de la route à cheval.

— Faire voyager des chevaux en voiture ? que dis-tu de cela, Martin ? — me demanda Bamboche.

Et comme je regardais fixement Basquine, croyant qu’elle se jouait de ma crédulité, elle reprit d’un ton sardonique :

— Sans doute ces prodigalités étaient folles, mais le duc de Castleby jouissait de près de quatre millions de rentes en terres, et quelqu’un de sa suite me disait plus tard, que bien des fois il avait vu en Irlande, dans les domaines de sa seigneurie, des familles entières de paysans rester nues sur la paille pourrie de leur tanière, pendant que la mère ou une des filles lavait au ruisseau les haillons de ces misérables… Que veux-tu, mon bon Martin, sans ces contrastes, le monde serait d’une désolante platitude…

Ce froid sarcasme, chez cette jeune fille de seize ans, me navrait et m’effrayait à la fois. Basquine continua :

— J’étais donc assise sur un banc à la porte de l’auberge, regardant de tous mes yeux cette file d’équipages qui s’avançaient lentement, lorsque tout-à-coup la première voiture, celle du duc, s’arrêta, d’après l’ordre transmis aux postillons, par un des domestiques placés sur le siège de devant. À travers la glace de la portière de cette voiture, j’aperçus deux petits yeux d’un bleu clair dont je n’oublierai jamais l’expression, attachés opiniâtrement sur moi ; je ne vis que ces deux yeux, car la figure du personnage qui me regardait si obstinément, disparaissait presque entièrement cachée au milieu des fourrures d’une pelisse et d’un bonnet de voyage.

Toutes les voitures s’étaient arrêtées. Au bout de quelques minutes d’attente et de plusieurs allées et venues de la part de différentes personnes de la suite du duc qui, le chapeau à la main, venaient lui parler à la portière, je vis une femme de trente ans environ, d’une figure agréable et distinguée, descendre de l’une des voitures de suite, se diriger vers l’auberge et demander l’hôtesse : « Va conduire cette dame à notre bourgeoise au lieu de rester là à regarder les mouches, » — me dit une des servantes en me poussant rudement par le bras. — « C’est justement ce que je désirais, ma chère fille, » — dit l’étrangère à la servante avec un accent anglais assez prononcé, puis me prenant par la main elle me dit du ton le plus caressant : — « Conduisez-moi à la maîtresse de l’auberge, mon enfant. » Je conduisis l’étrangère, elle resta quelques moments enfermée avec l’aubergiste et celle-ci me dit en sortant : « Petite, tu es ici par charité, tu n’as pas de chemise sur le dos, on ne sait pas d’où tu viens, tu n’as pas de parents, je ne pourrais pas te garder long-temps, parce que tu manges plus que tu ne gagnes. Cette dame te trouve gentille, elle a pitié de toi ; si tu veux aller avec elle, tu monteras dans ces belles voitures que tu vois, et tu seras bien heureuse ; décide-toi. Mais je te préviens que si tu refuses une si bonne aubaine, demain je te mets à la porte, vrai comme je te le dis. »

— Pauvre enfant ! comment refuser une pareille offre, dans la misérable position où tu te trouves, — dis-je à Basquine.

— Aussi j’acceptai bien vite, — me répondit-elle. — Et pourtant, non sans un serrement de cœur inexplicable, quoique tout cela me parût un beau rêve. La dame que je nommerai désormais miss Turner, me prit par la main, ayant sans doute l’ordre de ne pas me présenter alors au duc de Castleby : elle me fit monter dans la voiture qu’elle occupait, et la file d’équipage poursuivit sa route. Lorsque je fus un peu remise de ma stupeur, je regardai autour de moi ; je me trouvais dans une berline à quatre places, toutes occupées, car j’étais entre miss Turner et une jeune négresse aux traits non pas difformes et épatés, mais d’une grande régularité ; son manteau de voyage laissait entrevoir un costume d’une originalité charmante : à ses bras nus, polis comme de l’ébène, brillaient des bracelets d’argent ; en face de moi, je vis deux autres jeunes femmes, l’une très-grasse, d’une blancheur éblouissante, avait les cheveux d’un blond très-pâle, les yeux bleu-clair et les joues très-roses : celle-ci était flamande ; enfin la quatrième, d’une figure commune, quoique assez piquante, était coiffée d’une marmotte, et vêtue avec luxe, des riches écaillères de Paris lorsqu’elles s’endimanchent. Catherine (elle s’appelait ainsi) était en effet une fille du quartier des Halles. Elle avait l’air gouailleur, insolent, hardi, et, ainsi que je l’ai su depuis, elle empruntait presque toujours son langage à ce vocabulaire toléré au carnaval. Ces grossièretés ne manquaient pas d’un certain esprit, et divertissaient fort le duc de Castleby, qui souvent, après boire, s’amusait du cynisme effronté de cette créature, ramassée par le duc lui-même dans l’un des cloaques les plus fangeux de Paris.

— C’est impossible, — m’écriai-je… — de notre temps de pareilles mœurs ! Cette espèce de sérail voyageant à la suite d’un homme.

— Pauvre Martin, il s’étonne encore de quelque chose, — dit Basquine à Bamboche.

— Basquine n’invente rien, et ne dit même pas tout, — reprit Bamboche. — Ce milord-duc a existé. J’ai connu dans la plus que mauvaise société où je vis, des témoins ou des complices de ses… bizarreries.

— Que veux-tu ? Martin, — reprit Basquine avec son rire sardonique, — on naît tout-puissant par la fortune, et par le rang on est blasé vite et tôt ; il faut alors du nouveau, de l’étrange… je ne vis d’ailleurs, à bien dire, que ce jour-là les créatures qui composaient le sérail du duc, car une fois arrivée au terme de ma destination, ma vie fut la plus isolée et la plus étrange du monde. Au relais suivant miss Turner, mandée auprès du milord-duc, me quitta un instant, revint bientôt, et me fit signe de la suivre. Je quittai la voiture du sérail, et, seule avec miss Turner, je m’installai dans une calèche ordinairement occupée par l’intendant et le secrétaire du duc de Castleby ; mais cette fois ces importants personnages se placèrent comme ils purent, dans d’autres voitures de suite. Dans la première ville où nous passâmes, miss Turner m’acheta de quoi me vêtir convenablement, je voyageai toujours seule avec elle ; on nous servait à part dans les auberges, et je partageais sa chambre. Très-silencieuse, très-réservée, cette jeune femme ne répondait que par monosyllabes à toutes mes questions, et ses réponses, empreintes d’ailleurs d’une sorte de déférence, se bornaient à-peu-près à ceci : — Soyez tranquille, Mademoiselle, Monseigneur vous donnera l’éducation qu’il donnerait à sa fille. — Vous ne savez pas le bonheur que vous avez eu de rencontrer Monseigneur sur votre route. — Il n’est pas de seigneur meilleur, plus généreux.

— Tout ceci est bien étrange, — dis-je à Basquine.

— Plus étrange encore que tu ne peux le penser, Martin ; du reste, lorsque nous fûmes arrivées au château du duc, je m’abandonnai complètement aux douceurs d’un bien-être si nouveau pour moi. La femme de chambre de miss Turner me servait ; la table du duc était d’une délicatesse, d’une somptuosité inouïe, mais nous mangions séparément. Ma santé, appauvrie par les privations, devenait de plus en plus florissante ; miss Turner s’extasiait sur ma beauté croissante, disant qu’en quelques jours je n’étais plus reconnaissable ; j’occupais un appartement, meublé avec une élégance, un luxe, une recherche dont il est difficile de se faire une idée ; tous les jours je montais en voiture avec miss Turner, et nous nous rendions dans un parc réservé, où je pouvais courir et jouer à des jeux de toute espèce. Souvent aussi miss Turner me faisait monter sur un charmant petit cheval, doux et apprivoisé comme un chien ; la fille du plus grand seigneur ne pouvait, je crois, avoir une existence comparable à la mienne.

— Et tu n’avais pas encore vu le milord-duc ? — lui dis-je.

— Non. Je ne lui fus présentée que trois semaines environ après notre arrivée au château, résidence toute royale, j’oubliais de te le dire, et si admirablement située, au milieu d’un des plus beaux sites du Midi de la France, que la température y était, disait-on, aussi douce qu’à Hières ; c’est là que milord-duc passait souvent une partie de l’hiver.

— Mais pourquoi tardait-on ainsi à te présenter à cet homme ? — demandais-je à Basquine.

— On attendait l’arrivée de plusieurs caisses d’habillements composant un magnifique trousseau, commandé pour moi à Paris, chez les meilleures faiseuses… Avant de poursuivre, je dois te dire, Martin, que miss Turner était une personne de manières accomplies, et qu’elle m’avait sans cesse repris avec douceur et fermeté sur tous les manques d’usage et sur les grossières expressions qui m’étaient familières. Je m’étudiais, pour lui complaire, à observer ses recommandations. La veille du jour où je fus présentée au duc de Castleby, miss Turner me dit : — « Vous voilà presque une petite lady accomplie, pour les manières et pour le savoir-vivre ; j’espère que Monseigneur sera très-content de ce que vous avez si bien profité de mes leçons. » Le jour de la présentation arriva. Si j’entre dans quelques détails sur ma toilette, mon bon Martin, c’est non par coquetterie, mais parce qu’elle avait, d’après les ordres du duc, un caractère enfantin très-prononcé : mes cheveux séparés au milieu de mon front tombaient en grosses boucles sur mon cou et sur mes épaules, j’avais les bras nus et une robe de magnifique mousseline des Indes brodée, avec un pantalon pareil, des bas de soie blancs à jours et de petits souliers de satin noir ; à force de m’entendre répéter par miss Turner et sa femme de chambre que j’étais charmante ainsi, je finis par me regarder dans une psyché, placée dans mon cabinet de toilette (il va sans dire que mon appartement était des plus complets depuis l’antichambre jusqu’à la salle de bain) ; après m’être ainsi contemplée, j’avoue en toute humilité que je me trouvai très-belle. — Maintenant, — me dit miss Turner de son air grave et compassé en tirant d’une caisse une magnifique poupée, — voici une poupée que Monseigneur vous donne ; il faudra l’en remercier, entendez-vous ? — Oui, miss Turner, — dis-je en admirant ce jouet, véritable merveille, sans oser y toucher. — Prenez donc votre poupée, — me dit ma gouvernante. — Mais, — lui répondis-je, — est-ce que nous n’allons pas chez Monseigneur ? — Si, Mademoiselle, nous y allons, et Monseigneur désire que vous apportiez votre poupée avec vous. — Assez surprise, je l’avoue, de cette recommandation, je suivis ma gouvernante chez Monseigneur.

Cette dernière partie du récit de Basquine me déroutait complètement, et, dans ma naïveté, je dis à la jeune fille :

— Ces soins, cette éducation que l’on te donnait, prouvent du moins que ce milord-duc n’était pas un méchant homme.

Basquine me regarda fixement et partit d’un éclat de rire sardonique qui me fit frémir.




  1. Ces sortes de voiture s’appellent des caravanes ; elles sont conduites en poste et servent au transport des chevaux de course ou des chevaux de chasse, lorsqu’on veut leur éviter les fatigues d’une longue route.