Midraschim et fabliaux/Adonis

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Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 19-24).

Adonis était un bel homme,
Ne disant rien, mais bon chasseur,
Peu lettré, mais distingué comme…
Un buste en cire de coiffeur.

Vénus l’aima pourtant ; son âme,
En rêvant de lui constamment,
Trouva dans sa brûlante flamme
Ce qui manquait à son amant.

De Vénus le cœur en liesse,
Grandissant ainsi chaque jour,
L’aima tant et si bien, qu’en Grèce
On dit qu’il enfanta l’Amour.


En France, l’amour d’une femme
Ne rend pas un homme fameux ;
C’est tout au plus une réclame ;
En Grèce, il engendrait des Dieux.

Adonis n’était pas si tendre ;
 : De Vénus et du sanglier,
Disait-il, sans y rien comprendre :
À qui vaut-il mieux me fier ?

Pourtant, de le voir jamais lasse,
Ayant le cœur toujours dispos,
Vénus, le suivait à la chasse,
S’occupant de lui sans repos.

Mars, furieux de sa défaite,
Voulant d’Adonis se venger,
Chercha dans un truc d’opérette
Un moyen gai de l’égorger.

Donc, pour punir son infidèle,
À la fois chasseur et gibier,
Ce Dieu, dans sa rage cruelle,
Prend la forme d’un sanglier.


Et, devant son chasseur en transe,
Il passe et repasse soudain,
Et les traits qu’Adonis lui lance
Viennent se briser sur son sein.

Puis, tout à coup il se retourne
Et fond sur lui plein de fureur ;
Rapidement il le contourne
Et lui plonge un dard dans le cœur.

Vénus accourt, s’emporte, crie ;
Elle saisit le sanglier ;
Mars apparaît, Vénus s’oublie
Et se met à l’injurier.

« Quoi, c’est toi, Mars, Dieu de la guerre,
Qui, dans cet inégal duel,
As pris cette forme grossière,
Pour venir à bout… d’un mortel !

Va, tu n’es que le Dieu des lâches,
Courant au secours du vainqueur ;
Fi ! va retrouver tes bravaches,
Ensemble vous aurez moins peur.


Décidément, c’est Junon seule
Qui te conçut et t’enfanta,
Et Cybèle, ta grande aïeule,
De ses dons te déshérita.

Assassin du fils de Neptune,
Meurtrier de mon cher amant,
C’est trop braver mon infortune,
Ôte-toi de mes yeux, va-t’en. »

Mars lui répond : « Tu me dédaignes ;
Mais, puisque tu ne m’aimes pas,
Il me suffit que tu me craignes.
Ton amour donne le trépas. »

Mars s’éloigne ; Vénus plaintive
S’élance aussitôt vers le ciel,
Et, devant Jupiter, craintive,
Elle raconte le duel.

Puis, lentement elle s’incline
Et dit : « Récompense et punis ;
Et, puisque ta force est divine,
Père, ressuscite Adonis. »


— Mais c’est le fruit d’un adultère,
C’est le fils de cette Myrrha
Qui, pour Cinyras, pour son père,
Si follement s’énamoura !

— Mais l’inceste, dans nos familles,
Père, est presque un acte de foi ?
Les trois Grâces, qui sont mes filles,
Ne sortent-elles pas de toi ?

Tu le veux ! soit ; mais, partielle
Sera cette divinité,
Résidence semestrielle,
Le ciel l’hiver, l’enfer l’été.

(Chez Proserpine, que doit faire,
Pendant cette chaude saison,
Ce Dieu si frais, si sédentaire,
Si borné, dans son horizon ?)

— Le jour de sa dernière chasse,
De grands peuples prendront le deuil,
Et tous, après mainte grimace,
Pleureront autour d’un cercueil.


Trois jours après, les Adonites,
Fêtant sa résurrection,
Transformeront en joyeux rites
Leur lugubre adoration.

Il nous faut un nouveau mensonge,
L’esprit de l’homme est agité ;
L’os demande qu’un chien le ronge,
Et l’homme veut être exploité.

N’essayons pas d’autres manèges ;
Les peuples et les amoureux
Sont toujours pris aux mêmes pièges,
Faisons du neuf avec du vieux.

Ce n’est que par l’idolâtrie
Qu’on passionne les mortels ;
La vérité les contrarie !
Jamais Dieu pur n’aura d’autels.