Midraschim et fabliaux/Cassandre

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Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 15-18).
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Cassandre était une princesse
D’une incomparable beauté ;
Son cœur, rebelle à la tendresse,
Ne cherchait que la vérité.

Apollon, Dieu de la lumière,
En devint follement épris ;
Pour la voir, il venait sur terre
Quoiqu’il n’en reçût que mépris.

Enfin, un jour, lassé d’attendre,
Il lui dit : « Vous posséderez,
Si vous consentez à m’entendre,
Le don que vous demanderez. »


Cassandre, étant un peu sceptique,
Répondit, par malignité :
« Jusque dans son sens prophétique,
Je veux le don de vérité. »

De cette force, sans égale,
Le Dieu possédant le pouvoir
Le lui remit ; mais la vestale
Demanda quelque temps, pour voir.

Lors, Apollon, dans sa colère,
Lui dit : « Tu ne profiteras
Ni de ta conduite légère,
Ni de tes superbes appas.

Fille de Priam, tu détestes
Le Dieu qui ne songeait qu’à toi ;
Ajax et la mère d’Oreste
Puniront ton manque de foi.

La vérité que tu possèdes
Et que je ne puis te ravir,
Bien loin de te venir en aide,
Va, de tous, te faire haïr.


Cette vérité toute nue,
Précipitée au fond d’un puits,
N’en sortira que méconnue
Par ceux-là qu’elle avait instruits.

L’ignorance et la calomnie
La feront jeter en prison,
Il faudra payer de sa vie
L’honneur de parler en son nom.

— Tu n’es pas un Dieu, dit Cassandre !
Pourquoi, si je t’ai rebuté,
Si je n’ai pas voulu t’entendre,
Pourquoi punir la vérité ?

Quoi, pour la faute d’une femme,
Tous les hommes sont condamnés !
Poursuis ton injustice, infâme,
Ajoute qu’ils seront damnés.

Non, tu n’es pas Dieu de lumière !
Latone a trompé Jupiter ;
Le vrai régnera sur la terre,
L’erreur est fille de l’enfer.


Ainsi qu’un homme, tu te venges,
Tu rends des arrêts odieux.
Tu feins des miracles étranges :
Allons donc, tu n’es qu’un faux Dieu. »

Apollon dit : « Puisque les hommes
N’aiment que les Dieux faits comme eux,
Ils devraient nous garder : nous sommes
Les plus aimables des faux Dieux.

Nous sommes gais, naïfs, sincères,
Nous sommes presque tolérants ;
Nous ne leur disons pas : mes frères,
Et nous leur faisons des enfants.

Eh bien, soit scandale ou folie,
Quand les hommes nous quitteront
Pour quelque triste analogie,
Les hommes nous regretteront. »