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Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/Oulim

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OULIM

Oulim est un lac pittoresque situé au cœur même de ce légendaire mont Bectou. Il y a quelques milliers d’années aurait vécu au bord de ce lac un jeune solitaire du nom d’Oulim qui passait sa vie à jouer passionnément de la flûte. Sa renommée d’artiste était déjà immense à cette époque. La mélodie de sa flûte était si ensorcelante qu’elle apaisait aisément même la colère d’Ok-Whang-Sang-Jay.

C’était une nuit du quinzième jour du huitième mois du calendrier oriental, aussi la lune était-elle pleine et inondait l’univers de sa lumière blanche. Un zéphyr folâtre caressait la surface paisible du lac. Enivré par ce spectacle féérique de la nature. Oulim alla s’installer, cette nuit-là, au bord de l’eau. Là, juché confortablement sur un roc, il se donna libre cours à son art flûteur. Les accords de sa flûte étaient si mélodieux que tous les poissons du lac se rassemblèrent au bord de l’eau juste aux pieds d’Oulim.

Soudain un tumultueux bruit d’eau se fit entendre du milieu du lac et au même moment une immense clarté y passa comme un éclair. Puis à sa grande surprise Oulim vit une belle jeune fille agenouillée devant lui.

— « Je suis un ange du Ciel, chassé par Tout Puissant à la suite d’un péché, dit-elle, je suis venue vers vous attirée par les accords sublimes de votre flûte. Ayez pitié et prenez-moi pour votre femme » supplia-t-elle.

Oulim qui n’avait encore jamais connu l’affection d’une femme, fut agréablement ému de l’accent pathétique de cette belle jeune fille. Il accéda avec joie à ses demandes. Et depuis ce jour, le bonheur le plus parfait régnait dans la vie de ce jeune couple.

C’était au début d’un été. On se plaignait partout de la longue sécheresse. Les fontaines n’avaient plus d’eau potable, les rizières étaient complètement sèches, les plantes mourraient pour ainsi dire carbonisées. Et l’eau du lac elle-même diminuait à vue d’œil si bien qu’on y voyait le fond où se débattaient les malheureux poissons. Le peuple priait nuit et jour le Dieu miséricordieux. Oulim, qui aimait la nature plus que lui-même, était profondément affligé de cette terrible calamité. Quant à sa femme, dès le début de cette sécheresse, elle en souffrait si violemment qu’elle perdit aussitôt tout son appétit. Cependant sa santé empira tant qu’elle ne put bientôt plus quitter son lit. Un soir Oulim s’installa au chevet de sa femme pour veiller pendant la nuit comme il le faisait tous les soirs depuis qu’elle était malade. Mais vaincu par la fatigue, il s’endormit bientôt d’un profond sommeil.

À la première heure du lendemain matin Oulim s’aperçut que sa femme avait disparu. Surpris il allait partir à sa recherche quand tout à coup il vit sur la table une lettre à son adresse, laissée par son adorable compagne.

— « Excusez-moi, ô excusez-moi ! y lut-il. Je suis le poisson gardien du lac. Charmée par vos accords captivants j’avais fait depuis longtemps un vœu de venir vous voir sur la terre. Le Tout Puissant Dieu a daigné m’en accorder la permission seulement pendant dix-huit pleines lunes. Or j’ai dépassé ce délai sans retourner au lac. C’est pour me punir que le Maître de l’Univers envoie sur la terre cette terrible calamité. Pour l’amour de la population innocente, pour sauver votre vie et la mienne, je retourne inconsolable ce soir dans le lac. Quand la lune sera pleine dans un ciel azuré et quand le zéphyr folâtre caressera la surface dormante du lac, venez avec votre flûte au bord de l’eau et faites-moi entendre vos accords sublimes. Le matin, quand les rosées brilleront encore au premier rayon du soleil laissez refléter votre doux visage sur les ondes reposantes du lac. C’est le seul vœu que je forme de tout mon cœur. »

À peine a-t-il lu cette surprenante et incroyable missive qu’Oulim sanglota désespérément. L’écho de ce sanglot descendit sur tout le pays amenant partout avec lui la pluie bienfaisante.

Oulim inconsolable allait rôder désormais à toute heure autour du lac, espérant revoir sa tendre compagne.

Ce soir-là encore la lune était pleine. L’air était saturé d’un parfum suave, une brise caressante taquinait les roseaux du lac. Oulim était particulièrement mélancolique. Le cœur gros de tristesse, il se promenait au bord de l’eau. Il voulait jouer de la flûte, mais c’est son sanglot qui la joua. Les accords étaient si divins qu’Oulim lui-même en fut énivré. C’est à ce moment précis qu’il entendit du milieu du lac la voix de sa belle femme qui l’appelait.

Cette nuit-là au bord de ce lac un drame d’amour immensément triste se déroula…

Le lendemain matin, les bergers matinaux trouvèrent au bord de l’eau la flûte et les sandales d’Oulim. Les habitants des villages voisins vinrent en masse à cette triste nouvelle et fouillèrent en vain le lac pour retrouver le divin Oulim.

Depuis ce jour, quand la lune est pleine, on entend à ce lac des accords mélodieux de flûte et quand la sécheresse sévit, on n’a qu’à prier le Dieu miséricordieux au bord de ce lac pour obtenir la pluie. Enfin personne ne pêche dans les eaux de ce lac sans injurier la mémoire du Grand Oulim.