Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/Une statue mémorable

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UNE STATUE MÉMORABLE

Un jour un vieux bonze chantait des cantiques sollicitant quelques aumônes à la porte d’un riche château qui se trouvait isolé au bord d’un grand fleuve. Or le maître de ce château magnifique était fâcheusement connu dans le pays pour son avarice et sa méchanceté. Il n’a jamais donné aucune aumône à personne. Aussi fut-il fort surpris et mécontent de ce qu’on vint lui demander l’aumône. Traitant le vieux bonze de voleur, il lui jeta une pelle de fumier d’étable. Le vieux bonze sans se fâcher s’en alla humblement. La bru de ce méchant châtelain, témoin de ce geste irrévérencieux de son beau-père à l’égard d’un pauvre vieillard, en fut profondément indignée. Elle sortit à la dérobée pour retrouver le vieux bonze. Elle lui demanda pardon en lui donnant un boisseau de riz. Le bonze qui se montrait indifférent à toute injure regarda la jeune femme d’un air de pitié.

— « Jeune femme, dit-il après avoir gardé un long silence, demain à midi vous verrez jaillir une source au milieu de votre cour. Alors vous quitterez votre château sans rien dire à personne et vous monterez en toute vitesse sur la colline de votre village. Surtout ne regardez pas derrière vous, sous aucun prétexte, avant d’arriver au sommet ! » insista-t-il d’un accent suppliant.

La jeune femme le prit d’abord pour un fou. Mais quand elle s’aperçut soudain que le vieux bonze avait disparu en un clin d’œil sans laisser aucune trace, elle commença par s’en inquiéter. Le lendemain à midi, en effet, elle vit à sa grande stupéfaction une source jaillir du sol, au milieu de la cour ; et bientôt elle grossit d’une façon inquiétante. Alors affolée la jeune femme se précipita dans sa chambre, prit son bébé sur son dos et ramassa quelques objets personnels dans un panier qu’elle mit sur sa tête et courut tout droit vers la colline.

Une rafale formidable surgit brusquement dans le ciel, une violente averse se précipita dans la vallée. Des bruits confus de torrents déchaînés se faisaient entendre bientôt derrière ses pas. C’est alors qu’elle s’est rappelée d’avoir oublié son adorable mari dans le château. Dès ce moment elle ne pouvait résister au désir brûlant de savoir le sort de sa maison conjugale. Presque arrivée au sommet de la colline, oubliant un instant le conseil du vieux bonze de la veille, la jeune femme regarda machinalement derrière elle. Elle ne put pousser qu’un seul cri d’horreur ! Elle ne vit aucune trace du château, ni de la vallée ! Ce n’était plus qu’un immense océan ! Devant ce spectacle terrifiant, elle fut littéralement clouée sur place et son corps glacé fut pétrifié à jamais. C’est l’histoire qu’on raconte au sujet d’un rocher isolé qui ressemble fort à une statue de femme ayant un panier sur la tête et un enfant sur son dos. On peut voir ce rocher encore aujourd’hui sur le flanc d’une colline qui se trouve dans le village de Noram-Dong, district de Sin-Joung, dans la préfecture de Kang-Kai en Corée.