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Mon Féminisme/4

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CHAPITRE IV

Quelques-unes des Vues du Féminisme
rationnel
sur l’Instruction, l’Éducation et la Famille.


Après avoir revendiqué les droits de la Femme, parlons de ses devoirs.

Dans un moment de claire vision de ces choses, Carlyle dit un jour à sa femme, alors à l’apogée de sa vie, que si elle y avait été dressée, elle aurait pu faire beaucoup de bien à l’Humanité. Elle eût pu délivrer son sexe des enfantillages et des imbécillités qui le ravalent ; le libérer des chaînes frivoles et vaniteuses qui l’empêchent de s’élever jusqu’à la pleine liberté, où seulement peuvent s’épanouir ses qualités intrinsèques, etc., etc.

Mme Carlyle eût-elle eu du génie que la tâche à elle assignée par son mari était au-dessus des forces humaines. Mais ce qui est impossible pour l’unité devient réalisable pour la pluralité. Que de fois, dans leur lutte grandiose, les femmes devront se souvenir que la force réside seulement dans l’union !

Pour parler comme l’historien, le dressage de la Femme aux devoirs nouveaux de sa vie nouvelle ne peut s’effectuer que par une instruction qui, dans les temps modernes, lui a fait complètement défaut. Nourrir son esprit de pensées assez fortes pour qu’elles deviennent fécondes n’a point été tenté de nos jours. On n’a pas compris (c’est à peine si on commence à en saisir toute la portée) qu’une culture intellectuelle rehausserait grandement son charme. À la condition, toutefois, que cette culture fût pondérée par l’éducation, qui forme le jugement. Le jugement, c’est-à-dire le bon sens, la logique, qualités maîtresses, traitées en ennemies, auxquelles de plus en plus on substitue, au détriment du raisonnement sain, une sophistique entraînante et brillante.

Il est lamentable de voir les femmes se diviser en deux catégories : la charmeuse, effroyablement nulle en dehors de ses grâces ; l’intellectuelle, qui se masculinise et dédaigne son sexe.

En unissant son charme à son intelligence, en entourant de celles de son esprit les séductions de son corps, l’Ève nouvelle saura répandre ses doubles trésors partout où elle sera : à son foyer d’abord, où elle demeurera ; et ce foyer, elle le rendra autrement large et lumineux que celui de la femme dite « moderne ».

Tout le monde est au courant des importants changements survenus depuis cinquante ans dans la position économique et sociale des femmes. Ces changements proviennent de sources multiples, mais leur avènement a été une vaste et paisible révolution. Si les idées préconçues sont indispensables, puisqu’on ne peut rien fonder sans elles, il faut savoir les abandonner quand leur raison d’être n’est plus. Les idées de nos ancêtres sur l’éducation, la vie industrielle et familiale des femmes n’ont presque plus rien de commun avec les nôtres. Si quelques esprits supérieurs des temps reculés, comme Platon et Sir Thomas Moore, aspirèrent pour la Femme à une amélioration, leur vision fut traitée d’utopie.

Aujourd’hui que les bases de l’économie sociale sont bouleversées, que ces bases changent la vie morale et politique des peuples, la soi-disant utopie des rêveurs semble se réaliser.

Le christianisme, dont le triomphe fut assuré par le concours de la Femme, a été ingrat envers elle.

L’attitude hostile prise par lui, dès le début, contre l’amour de la Femme, donc, contre la famille (le premier étant la raison d’être de la seconde), est prouvée de manière indiscutable par les évangiles et les épîtres, soit que l’on considère ces écrits comme inspirés, soit qu’on les admette comme simples récits du temps.

Lorsque, maternellement, Marie s’inquiétait de Jésus, celui-ci la repoussait avec ces paroles brutales, indignes d’un fils : « Femme, qu’ai-je de commun avec toi ? » Lorsqu’en famille sa mère et ses sœurs eussent aimé converser avec lui, il répondait : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » etc. (Mathieu, xii, 46-50 ; Marc, iii, 31-35 ; Luc, viii, 19-21).

Plus encore : non seulement le Christ, par ses paroles et son exemple, fit preuve du détachement le plus complet vis-à-vis des siens, mais, dans un moment d’égarement sur sa propre mission, il enseigna à ses disciples, comme indispensable à la vertu chrétienne, la haine contre la famille : « Quiconque vient à moi et ne hait point son père, sa mère, sa femme, ses frères, et même sa propre vie, ne peut pas être mon disciple. » (Luc, xiv, 26.)

Saint Paul n’est pas tendre :

« Il ne faut pas permettre à la Femme d’acquérir de l’éducation ou de s’instruire ; qu’elle obéisse, qu’elle serve et se taise. »

Idées mi-judaïques, mi-orientales de l’époque qui, en grande partie, sont restées les nôtres…

Au vie siècle, nous assistons au Concile de Mâcon discutant fort gravement sur cette question : « La Femme est-elle un être humain ? A-t-elle une âme ? » Question péniblement résolue… à une très faible majorité !

Nous sommes encore loin de l’époque où un traité catholique italien du xvie siècle, voulant prouver que la Femme n’est pas une créature humaine, citait à l’appui de sa thèse cette parole du Christ à la Chananéenne :

« Il n’est pas juste de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens. »

Le grand poète Milton, en faisant de la Femme un être d’une aussi désolante infériorité, ne comprit jamais, lui non plus, le dessein du Créateur. Aujourd’hui, nous gratifions du même sourire le traité catholique et l’anti-féminisme miltonien.

Posséder un bonheur qu’on désire est chose nulle, si on ne peut réaliser ce bonheur, si on ignore l’usage qu’il faut en faire. Dans ce cas, la possession du dit bonheur tourne à la confusion de celui qui le possède.

En France, à l’heure actuelle, ce n’est pas l’or qui manque au peuple : il n’en a jamais eu autant. Pourquoi donc la misère s’accroît-elle chaque jour ? Parce que le peuple ignore la manière de se servir de cet or qu’il gagne, avec lequel il se tue.

Solennel enseignement quand il s’agit des droits de la Femme ! Tout en les conquérant, qu’elle apprenne surtout, au lieu d’en abuser, de s’en griser, à remplir les devoirs qu’ils lui créeront. Mériter sa liberté ! voilà ce qu’a su faire l’Anglo-Saxonne ; aussi détient-elle l’hégémonie féminine en Europe et en Amérique. C’est ce que n’a point su faire la Latine : question de certaines qualités de race qui lui manquent ; question surtout d’instruction et d’éducation.

Le retard du Féminisme chez nous a son explication dans cette phrase néfaste, léguée avec une ardente conviction d’une génération à l’autre : « Il est indispensable qu’un garçon soit instruit ; mais pour une fille, c’est sans importance. » Lamentable erreur, fatale méprise, que condamne de façon absolue le Féminisme rationnel.

Il déclare très haut que pour la fille la question d’instruction et d’éducation a des conséquences autrement graves et autrement importantes que pour le garçon. La raison en est toute simple (on l’oublie totalement) : c’est que celui-ci est formé par celle-là ; que cette empreinte indélébile fait l’homme, et que l’homme fait la nation. C’est pourquoi la marche du progrès nous enseigne que la force d’un pays sera subordonnée à la culture intellectuelle de ses femmes : en effet, plus il y a de science, plus il y a de vertu ; plus il y a de vertu,plus il y a de force.

On ne saurait trop profondément méditer cet aphorisme : « De la culture de la Femme dépend la culture de la nation. »

Le préjugé déplorable qui, chez les jeunes filles, supprime ou comprime cette culture en les empêchant de devenir supérieures développe chez elles de façon anormale le sentiment au préjudice de la faculté de raisonner. Les mouvements désordonnés du cœur ont alors une certaine analogie avec ceux d’un cerf-volant qu’on laisserait s’élever très haut en omettant de lui adjoindre une queue. On sait que faute de ce pondérateur, ou même s’il est insuffisant, le jouet aérien pique des têtes folles et finit par tomber.

La raison pondère le cœur. Ne pas développer cette pondération, c’est la supprimer. Or, cette suppression ouvre tout grand le chemin aux aventures dangereuses…

Le raisonnement ne s’acquiert que par le savoir. Le savoir élargissant les pensées, la science, cette chose très distincte de ce que la Femme possède de meilleur en elle — sa noblesse native et ses affections — ne tiendra dans son âme que la place qui lui sera assignée.

Une instruction supérieure (toujours accompagnée d’éducation !) rehaussera, en leur donnant plus d’élévation, ses dons et ses qualités naturels.

L’union de la virilité et de la grâce dans l’esprit y fera naître le « raisonnement », autrement dit la « pondération ». Les plus légitimes espoirs du Féminisme rationnel sont fondés sur l’établissement de ce trio dans l’âme féminine : l’acrobate ne triomphe sur la corde raide que grâce à son balancier.

Il faut donc beaucoup instruire la Femme : il faut surtout l’éduquer davantage. L’éducation qui se greffe sur un cerveau cultivé accroît le jugement de ce cerveau. L’âme n’est jamais forte que lorsqu’elle est éclairée. Avec son intuition, et selon les circonstances de sa vie, la Femme distinguera vite les carrières dans lesquelles elle pourra se spécialiser et celles qu’elle ne devra point aborder. À cet égard, la Suède offre un exemple frappant. Quand sa logique sera développée, elle démêlera les sophismes d’avec la science vraie, qui engendre la patience. Si noblesse oblige, supériorité intellectuelle n’oblige pas moins. Elle s’en souviendra chaque fois qu’elle s’occupera de régénération sociale.

Il est donc indispensable que la Femme soit et plus instruite et plus éduquée. Mais, surtout, elle a besoin de l’être autrement. La loi mosaïque, celle de Napoléon, lui prescrivent de subordonner son évolution à l’idéal masculin : hors plaire à l’homme, point de salut. Être le jouet de son amour, voilà le but. But qui, il est vrai, s’accommode avec sa fonction de conservatrice de la race. Mais cette fonction (qu’elle partage, soit dit en tout respect, avec la lapine — type fécond sinon élevé — n’étant plus, comme au commencement du monde la seule qui lui incombe, la Femme, lorsqu’elle devient la conservatrice du patrimoine intellectuel de l’Humanité, acquiert une grandeur presque sacerdotale. Or, on lui enseigne que pour conquérir le mâle, deux choses suffisent :

1o 
Des attraits physiques ;
2o 
Des ruses.

Criminelle affirmation des apôtres, misérable crédulité des néophytes ! Et la femelle de lisser ses plumes et d’aiguiser ses regards sournois.

Orner son esprit ? Superflu ! La décoration de son corps seule importe. Celui-ci est l’aimant qui attire l’homme : l’hypocrisie aidant, il achèvera sa conquête. La Femme, quand elle ne les néglige pas complètement, passe donc sa vie à côtoyer ses devoirs de famille, ceux d’épouse, ceux de mère.

Dresser son intelligence et son cœur à l’amélioration de son Moi est une besogne d’elle inconnue. Cette intelligence et ce cœur restent en jachère, s’étiolent, se dessèchent pour s’égarer finalement dans le labyrinthe de deux mortelles mégères : l’Envie et la Calomnie, d’où ils ne peuvent plus sortir. Dans l’ordre moral, tout ce qui n’est pas cultivé dévie, dégénère, dépérit. Du chaos de l’esprit naît le vide qui engendre les petitesses, les mesquineries. Celles-ci, à leur tour, font germer et s’épanouir l’Intolérance, herbe amère qui empoisonne nos existences d’hommes. Le cerveau féminin que nulle belle chose n’occupe, qu’aucun idéal n’attire, est la proie d’un prurit féroce qui le fait, sans trêve, s’occuper des affaires d’autrui. Comme le « lion dévorant », il rôde, en rugissant de plaisir, autour des victimes qu’il va dépecer.

Avec une perverse, une exécrable gymnastique de langue, tout gonflé de l’importance de son triomphe, le cerveau dévié sème parmi ceux qui évoluent dans sa zone néfaste la zizanie, la colère et le malheur. Détestable besogne dont seront libérées les cervelles féminines cultivées ; elles auront des préoccupations d’un autre ordre, qui les rendront inaccessibles à cette monstrueuse infirmité.

Savoir penser de bonne heure, c’est se préparer des ressources sûres pour tous les temps de la vie. Ainsi, la femme instruite aura des ressources non pour oublier la Douleur, mais pour la combattre en lui escamotant des heures de larmes et de détresse. Elle pourra conjurer les peines, les déceptions, les amertumes de la vie. Chamfort a dit qu’il faut aimer les femmes… ou les connaître. Ce paradoxe, spirituel aujourd’hui, aura cessé de l’être demain, lorsque la Femme vivra comme elle a le droit et le devoir de vivre ; plus l’homme la connaîtra, plus il l’aimera. L’être « aux cheveux longs et aux idées courtes » de Schopenhauer conservera sa chevelure en allongeant ses idées. On peut opposer à ces deux auteurs La Bruyère et Balzac. Le premier déclare qu’ « une belle femme qui a les qualités d’un honnête homme est ce qu’il y a au monde de plus délicieux : on trouve en elle tout le mérite des deux sexes ».

Le second affirme (il s’y connaissait, certes, en nature humaine !) qu’ « une femme qui a reçu une instruction masculine possède en réalité les qualités les plus brillantes et les plus fécondes pour fonder son bonheur propre et celui de son mari ».

Le jugement d’esprits aussi supérieurs condamne sans appel l’ignorance féminine de notre époque.

D’ailleurs, pourquoi donc la Femme, en s’initiant ou en s’intéressant aux travaux intellectuels de l’homme, cesserait-elle d’être l’amante ou l’inspiratrice ? Elle sera d’autant plus l’une et l’autre qu’elle cessera d’être l’humble et servile associée. L’homme gagnera immensément à ce nouveau contact.

C’est un point de vue faux que supposer qu’un rôle effacé et obscur soit en harmonie avec une imagination ardente, avec un cœur aux sursauts violents. Non seulement un intérêt intellectuel ne saurait empêcher une passion de s’épanouir pleinement, mais encore il l’aidera considérablement à atteindre son plus haut sommet.

La galanterie moderne — pas plus que celle du Moyen Age — ne fera pour la Femme ce que le développement de son intelligence accomplira. Sa première nécessité psychologique devra être la conscience de son Moi. Depuis des siècles ce besoin a été refoulé. Si en un instant les femmes devenaient conscientes, elles seraient toutes subitement libres ! Et qu’on n’objecte pas que leur langage, leurs allures et tout le cortège de ces grâces féminines que nous chérissons — et que nous avons raison de chérir — sombreraient dans ce nouveau moule ! Malgré la prophétie qui en fut faite, les femmes admises aux études d’Oxford et de Cambridge ne prirent pas les façons des étudiants de ces Universités ; elles n’adoptèrent pas leur « langue verte ». Tomber dans cette erreur eût été le fait de filles ignorantes ; il ne fut pas celui de filles instruites. C’est donc à tort que l’on décrète que les qualités les plus séduisantes de la Femme seront anéanties par un changement dans les lois. La nature fondant ses lois à elle sur des bases immuables, ne soyons pas coupables de cette grotesque irrévérence qui consiste à supposer que ces mêmes lois puissent être ébranlées par quelques règlements sortis du cerveau humain. Non ! la nature est plus stable dans son ordonnance ; la Femme restera Femme. Mais celle-ci sera le salut ou la perte de l’homme, selon qu’elle sera grande ou petite.

Un poète a dit : « Quand tout devient mesquin, les femmes seules restent grandes. » Parole de rêveur, que le Féminisme est chargé de réaliser. Elle n’est encore applicable aujourd’hui qu’à quelques-unes au milieu de la foule dégénérée.

J’en connais dont la supériorité incontestable et incontestée dans les lettres, les sciences ou les arts sont de bonnes épouses et de bonnes mères. En dehors de leur conversation, de leurs idées, de leurs jugements, qui rendent leur commerce des plus attrayants, leur intérieur est remarquable par le goût, la grâce, et précisément par la féminité qu’elles y déploient. « La Femme étend son être, » a dit Spinoza. Excellentes maîtresses de maison, leurs réunions sont haut prisées par une élite d’hommes. Elles savent, malgré leur « supériorité », communiquer un charme à ce qu’elles font, à ce qu’elles disent. Elles pratiquent leurs devoirs de famille d’une façon autrement sérieuse que la mondaine. Elles se reposent de leurs efforts intellectuels au milieu de l’affection des leurs.

Aucun pédantisme, aucune affectation dans les rapports qu’on a avec elles. En revanche, beaucoup de réelle modestie, une grande simplicité. Félicitons-nous de ce que l’Intellectuelle masculine, excentrique et paradoxale soit un type qui tend de plus en plus à disparaître.

Après la fréquentation de telles femmes, le verbiage insipide, creux, soporifique des poupées modernes, à l’âme enserrée de préjugés, est tout simplement insupportable à tout esprit masculin épris d’autre chose que de « snobisme » ou de « sport » : un décor sans fond est une désolante platitude.

On voit donc que le bonheur de la famille, de la société, par suite celui de l’État, dépendra de plus en plus de la culture intellectuelle des femmes, des vertus domestiques qui font partie de cette culture, de leur goût à s’attacher à des hommes dignes d’estime et d’amour. L’Avenir condamnera encore Chamfort, qui a cru que les femmes étaient faites « pour commercer avec nos faiblesses, notre folie, mais non avec notre raison ».

La Féministe rationnelle se trouve en désaccord complet avec le célèbre ironiste. Elle voit assez juste pour comprendre qu’elle est incomplète sans l’homme, comme l’homme est incomplet sans elle. Son intuition si fine la convainc que l’homme sent toujours la nécessité de l’avoir pleine de raison à côté de lui. Cette raison, on ne saurait trop le dire et le redire, il faut la cultiver. Les forces vives de la Femme, comprimées depuis des siècles, sont toutes neuves, prêtes pour la tâche superbe de la rénovation de l’organisme social.

Ceux qui s’occupent des affaires publiques se rendent un compte exact de la désolante lenteur de progrès de l’opinion. Cette somnolence dans toutes les classes est le résultat de l’instruction bornée de la Femme. Quand celle-ci sera supérieure, le bigotisme et le scepticisme lui seront également étrangers : elle soignera son âme comme elle soigne son corps. Le mot de Montesquieu est juste au moral comme au physique : « Son ascendant finit avec ses agréments. »

Une femme peut donc s’occuper de questions générales tout en dirigeant avec compétence l’éducation de ses enfants et la bonne tenue de son intérieur. Une objection se dresse, sérieuse de forme, nulle de fond.

Comment, lorsque son esprit y sera formé, trouvera-t-elle le temps de mener de front les pensées hautes et les occupations diverses de la vie pratique ? L’ordre qui s’établira dans cet esprit lorsque l’anarchie des idées ne le combattra plus contribuera déjà puissamment à alléger la tâche. Puis, quand on sera édifié sur les multiples besognes que, frénétiquement, la mondaine moderne accumule dans une seule journée ; quand on aura pu suivre les folles trajectoires que, seize heures durant, décrit le tourbillonnement de cet être absurdement creux : une femme à la mode, on comprendra que la Féministe rationnelle est moins détournée de ses affaires domestiques par des goûts sérieux que par ceux qu’engendre une éducation frivole et oisive. On ne s’étonnera pas qu’elle puisse trouver sans fièvre les heures nécessaires à ses tâches, à ses plaisirs, en y ajoutant même quelques quarts d’heure de recueillement de l’esprit et de repos du corps. Je vais plus loin : quand la Loi reconnaîtra des droits civiques à la Femme, celle-ci trouvera encore le temps de les remplir, et de les remplir mieux que l’homme.

Le relèvement d’un pays ne peut avoir lieu que par le relèvement de ses mœurs. Or, la Femme fait les mœurs pendant que les hommes font les lois[1]. La réforme de celles-là est entièrement renfermée dans l’instruction et l’éducation de la Femme. Refuser à celle-ci cette instruction et cette éducation, c’est renoncer au salut social, qui ne viendra que par elle. Paradoxe hier, vérité demain, cette affirmation gagne chaque jour du terrain. Chose digne de remarque, admirez en quel temps !

L’homme estime la Femme très haut en lui demandant de rester Femme. Mais cette estime grandira encore si à sa féminité elle adjoint la sagesse, qui procède d’une raison cultivée. Eût-elle les qualités viriles d’un conducteur de peuples, l’homme aurait grand tort de l’en trouver amoindrie si avec ces dons elle conserve dans son intégralité son charme et sa grâce.

Dorénavant, le premier soin du législateur, de l’homme d’État, du philosophe, sera d’apporter toute son attention au développement des facultés intellectuelles de la Femme : de ce développement dépendent les destinées de l’Humanité.

Avant de changer l’état actuel des choses, il est indispensable que l’on prépare l’Éternelle Mineure au rôle nouveau qu’elle devra jouer sur le théâtre du monde. Aucune modification sociale ne peut s’accomplir sans l’évolution intellectuelle qui y correspond.

Tout ce qui existe ayant sa raison d’être, il ne faut pas retrancher brutalement de la vie d’un peuple certaines institutions envisagées par d’aucuns comme un superflu inutile ou nuisible. Bien que restant le privilège d’une minorité, ces institutions, plus souvent qu’on ne le croit, contiennent en elles les organes de vie de la majorité,

L’expérience nous montre qu’à leur point de départ, les hommes de véritable progrès respectèrent profondément le Passé. Et n’est-ce pas elle qui, à travers une image jolie, a fait émettre par Renan cette pensée juste : « Tous les siècles d’une nation sont les feuillets d’un même livre » ?

Aux États-Unis — où tout se fait si extraordinairement vite — l’Américain n’a abaissé que peu à peu les barrières qui, dans la société, reléguaient les carrières de la Femme à une place inférieure. Et il ne l’a fait que lorsque celle-ci eut, autrement que par son éloquence, prouvé ses capacités.

Dans le Nouveau-Monde, grâce à l’énergie qu’elle déploya jadis aux côtés de l’homme, lors du défrichement du sol, l’infériorité sociale de la Femme n’existe pas. Comme elle fut alors l’indispensable alliée, elle est aujourd’hui l’égale. Il faut remonter à cette genèse pour comprendre et l’orgueil de l’Américain pour ses femmes et le culte qu’il leur voue.

Donc, tant qu’elle restera la Sacrifiée de l’égoïsme humain, l’homme ne pourra s’élever : instruisez, éduquez la Femme, puisque, ce faisant, vous lui enseignez ses devoirs. Mais accordez-lui en même temps quelques droits ; faites qu’elle acquière de hautes idées de noblesse et de justice. Les hommes élevés par de telles femmes seront plus précieux pour la nation que ceux qui sont investis d’honneurs universitaires. Presque tous les grands hommes eurent des mères remarquables.

Le Féminisme rationnel ne revendique aucune suprématie pour la Femme. Il demande, au contraire, pour la rénovation sociale, l’étroite coopération des deux sexes : l’esprit concret de la Femme uni à l’esprit abstrait de l’homme donnera un modèle de vie excellemment ordonnée.

Il est indéniable que la caractéristique de notre époque soit l’essor de l’activité féminine, que le grand mouvement a été fécond en efforts admirables, en aspirations élevées. Nous avons vu que ces efforts sont la résultante d’une incessante préoccupation du bien général.

Ce souci sans trève est le symptôme des progrès à venir : les conquêtes présentes font bien augurer des victoires futures.

À ce propos, j’ai assisté dernièrement dans un dispensaire dirigé par une de nos gloires médicales — homme d’aussi grande science que de grand cœur — aux pansements de plaies tuberculeuses, cancéreuses et autres. Ces pansements étaient faits par des infirmières femmes du monde, françaises et américaines. Cette salle de pansement contenant de répugnantes, de hideuses misères humaines était ensoleillée par la présence de ces femmes. Leur grâce se faisait jour à travers les grossiers sarraux de toile bise ajustés à leur taille. Leurs mains légères, aux doigts fuselés, enlevant et reposant comme par enchantement les bandes de linge fin et l’ouate floconneuse, donnaient l’impression d’un effleurement d’ailes de papillon. Quant aux regards des infortunés venus là pour offrir leurs maux à d’incomparables dévouements, on y lisait la ferme conviction qu’ils guériraient, leur absolue confiance en ces mains si prestigieusement habiles ! Des lèvres de ces infirmières mondaines à l’héroïque volonté coulaient, en douceur de miel, des paroles d’espoir, des phrases gaies, des remarques encourageantes, que distillait la bonté. Sur une d’elles — une milliardaire infatigable de zèle et d’adresse — se concentraient tout particulièrement les réflexions humanitaires et philosophiques. Certes, les milliards accumulés dans les berceaux de quelques-unes de ces femmes se chiffrent par un odieux et terrible total de souffrances humaines. En consacrant aux malheureux — en dehors de leur or — leur temps et leur peine, elles tâchent, noble superstition ! de conjurer le sort… Elles cherchent à amoindrir ce qu’elles sentent être une iniquité sociale ; elles veulent rétablir, en un mot, un peu de justice, de cette justice qui est l’élimination d’un coefficient personnel — un effort de détachement — une discipline de soi-même — acte civilisateur par excellence et embryogénie du droit. Dans cette évolution incertaine et troublante, l’intuition de la Femme lui dit que cela seul demeure qui est objectif. Le Féminisme qui flotte dans l’air ambiant d’aujourd’hui lui donne un noble élan : il enseigne à la sœur riche à travailler aux côtés de la sœur pauvre ; il lui suggère des pensées hautes, conséquence de grandes abnégations. En vérité, le Féminisme sincère est jumeau de la saine sociologie.

Quelques droits récemment acquis à la Femme ont été le point de départ de la fondation de remarquables et nombreuses institutions humanitaires créées par elle. Ces créations prouvent combien ceux qui la prétendent inférieure sont demeurés enfermés dans une erreur aussi caduque que grossière. C’est le cas de leur rappeler, en plaisantant, cette citation amusante faite en faveur du Féminisme par un vieil auteur : « Une ânesse a parlé — celle de Balaam — aucun âne n’a su autre chose que braire. »

L’évolution de l’intelligence de la Femme sera l’affranchissement de l’homme : avec l’ère de la future solidarité, s’entre-tuer et s’exploiter seront des non-sens.

Quand l’homme reconnaîtra que la Femme lui est équivalente, il réparera une monstrueuse injustice ; de plus, il se montrera ce jour-là souverainement intelligent vis-à-vis de ses propres intérêts. À tenir, depuis le commencement des âges, sa compagne emprisonnée dans une infériorité morale et intellectuelle, il perd autrement plus qu’il ne gagne.

Homme par la pensée, femme par le cœur, ornée de ses charmes naturels, l’antique Déchue saura résoudre le problème ardu des rapports sociaux qui existent entre les deux sexes. La communauté d’idées, d’efforts, de volonté apportera sinon l’harmonie complète, du moins un grand apaisement aux désaccords de la société, de la famille, du foyer conjugal. La sociologie a tout à gagner à la libération de la Proscrite d’antan…

Par le contact personnel de son cœur vibrant (un raisonnement d’homme ne vaut pas un sentiment de femme), de sa féminité, de sa grâce, elle fera parmi les classes malheureuses une besogne autrement belle et pacificatrice que celle de tous les législateurs passés, présents et futurs : aux ténèbres sectaires masculines, elle opposera la clarté de l’idéal de justice et d’amour.

Retenons bien ceci : « Le Féminisme est une révolution morale qui ne peut s’accomplir que si l’esprit de la Femme s’affranchit. »

Le relâchement des liens de la famille est toujours un signe alarmant pour le peuple chez lequel il se produit : ce relâchement mène à la décadence.

À la bien analyser, la décadence n’est autre chose qu’un manque d’idées dans l’esprit correspondant à un manque de sentiments dans le cœur.

L’abolition du culte de la famille entraîne l’homme (et par suite la nation) loin de toute dignité, de tout bonheur, de toute prospérité stables.

Si dans le nouvel essor que lui donne une forte instruction l’individu s’affranchit plus que jadis de l’aide que lui apportait la famille, cette instruction, guidée par l’éducation, lui montrera que négliger la famille c’est la désorganiser ; que cette désorganisation, aujourd’hui comme autrefois, tourne fatalement contre lui.

L’époque de transition où nous sommes est particulièrement hostile à la Femme. Les cadres anciens étant insuffisants pour des besoins nouveaux où l’ambiance familiale n’est plus, il en résulte pour la Femme, au début de sa vie, des luttes pénibles, âpres, dures, contre lesquelles l’homme lui-même a besoin de bander toute son énergie.

Il faut faire abstraction de sentimentalité quand on recherche les effets dans les causes de la nature humaine.

Aux temps primitifs, où la famille ne fut qu’une simple association économique, elle répudiait, sans s’occuper des liens de parenté, tout membre qui n’habitait pas et ne coopérait pas avec elle. Isolée qu’elle était au milieu d’une nature hostile (non encore asservie) se défendre, se nourrir, voilà qui primait tout. Ce besoin, devenu avec le temps un intérêt économique, nous donne la clé de l’évolution des peuples à travers les âges. Le Féminisme, subordonné à ce besoin, devient chaque jour davantage, lui aussi, un besoin économique.

Mais, avec les siècles, la civilisation a fait de la famille un groupe où l’éducation, familiale, renforcée par l’exemple, peut seule, par la transmission de ses vertus héréditaires, assurer le patrimoine moral des familles.

Le programme du Féminisme rationnel comporte donc en premier lieu la restauration du culte de la famille, puissante assise du soubassement social. Pour cette restauration, l’éducation de l’enfant reste la prérogative absolue des parents, non celle de l’État.

C’est l’enfant qui contient en germe les souhaits du présent, unis aux espoirs de l’avenir : il est le nœud vital d’un pays.

Rendre au lien familial sa grandeur pour qu’il retrouve sa puissance, tel est le but d’une saine sociologie. Aujourd’hui, l’État veut donner des lois à la famille. C’est une monstruosité que condamne tout un antique et glorieux Passé durant lequel l’État non seulement ne fit pas la loi à la famille, mais la reçut d’elle. Il oublie, l’État, que la famille peut subsister sans lui, tandis qué lui n’existe pas sans elle. Ses devoirs et ses obligations vis-à-vis de la famille sont donc d’autant plus grands que ses droits sur elle sont plus minces. Au temps où le mot « pater » signifiait « roi », la religion du foyer, unie à celle des ancêtres, donna au monde l’héroïque Athènes. Et l’Histoire nous montre la puissante influence de la famille sortant les peuples de la barbarie pour leur donner des périodes de prospérité durable. Par contre, dès que Rome se relâcha de ses liens familiaux, l’agonie de ses vertus commença. C’est au début de leur éclipse que Cicéron écrivait à Atticus :

« Il semble qu’il n’y ait plus de soleil dans le monde. »

Il fut un temps, déjà lointain, où la famille française était un exemple. Actuellement, le penseur a le droit d’être alarmé en contemplant sa dignité tombée, son importance déchue.

Qui rendra au lien familial sa grandeur d’antan ?

En ces jours noirs, la Femme, âme du foyer, pourra seule, par son influence, resserrer de ses doigts délicats et habiles le nœud si tristement dénoué. Mais pour que cette influence soit durable, il faut que la loi en assure la puissance à l’épouse, à la mère.

Les causes de la chute de la famille sont multiples. Il ne convient pas de les examiner ici, mais d’en signaler seulement les plus redoutables :

1o L’abus du divorce ;

2o La décroissance de la foi. Cette diminution de la foi a effacé l’infrangible unité de croyance qui donnait tant de sérénité aux ancêtres ;

3o La soif moderne immodérée des jouissances matérielles, non dans une classe restreinte, mais dans toutes les classes ;

4o La vanité puérile des parents qui poussent leurs enfants dans une sphère supérieure à la leur ;

5o L’individualisme, vice inhérent à l’Humanité, dont l’épanouissement se fait plus complet, aux époques de décadence.

Ces causes, bien d’autres encore, sont les influences délétères, les dissolvants irrésistibles qui minent sourdement, mais sûrement, le respect et l’autorité autour desquels s’épanouissaient jadis les meilleures et les plus pures joies du foyer.

Si les liens familiaux, qui furent des câbles si forts, se transforment chaque jour en des fils plus ténus, la faute initiale en est aux parents qui élèvent mal, très mal leurs enfants. Ils les entourent d’une sollicitude outrée : ils les amollissent d’amour au lieu de leur inculquer de nobles fiertés ; ils développent leur importance de façon anormale, absurde, en créant forcément, insciemment autour d’eux une atmosphère de pernicieux égoïsme et de fatale sécheresse de cœur. Tendresse ridicule, mal comprise, qui enlève au sujet toute persévérance, toute énergie, pour le laisser le pire des désemparés : un veule !

La plus parfaite éducation qu’on puisse donner aux enfants, la plus belle preuve d’amour à leur offrir, c’est l’exemple.

Malheureusement, des parents superficiellement instruits, éduqués à contre-sens, ne peuvent transmettre que ce qu’ils ont reçu…

La pire des folies, socialement parlant, est de s’imaginer qu’on affermit une nation en affaiblissant l’individu.

Le Féminisme attache, je le répète, une importance extrême au « Familisme » — pour me servir de l’expression des fouriéristes — parce que l’organisation familiale, qui a tout à perdre au contact du Féminisme « sectaire », a tout à gagner à celui du Féminisme « rationnel ».

En ces jours sombres, « tout le monde s’attaque dans la famille, » dit M. H. Lavedan (Premier Paris du Gaulois, du 22 juin 1904) « et chacun se défend. C’est l’anarchie du foyer, le bouleversement des instincts naturels déchaînés à rebours, » la tâche de la Femme, tâche immense, sera de reconstituer le foyer sans faire bande à part, sans en écarter l’influence de l’homme. Là, comme ailleurs, elle jugera sainement que, pour son bien à elle, pour son bien à lui, pour le bien de tous, il faut l’action commune. La vraie Féministe ne perd jamais de vue que c’est par la vie de famille qu’on la jugera. Elle immolera à cette dernière toute carrière devenant une entrave à l’action qu’elle doit y exercer. Et cela, sans cesser de cultiver son intelligence, afin d’aider son mari, de suivre ses fils dans leurs occupations diverses.

Les nouveaux emplois ? Elle les laissera aux indépendantes, qui sont légion : comme mère de famille, sagement elle s’en abstiendra.

Les efforts de l’heure présente ne sont donc pas pour arracher la Femme à son plus beau rôle, comme tant d’esprits irréfléchis le croient et l’affirment. Ils sont, au contraire, pour l’y aider, l’y fortifier, et, avec l’appui de la Loi, l’y installer définitivement.

Il ne s’agit pas d’élever une femme comme un homme : ce serait du faux Féminisme, autrement dit, du Féminisme « sectaire ». Elle n’est pas un homme incomplet : c’est un être autre, puisqu’elle est femme. Les parties essentielles, fondamentales, d’une éducation de femme doivent viser avant tout à faire de cette femme la meilleure des femmes. L’instruction, tempérée par l’éducation, y aidera puissamment.

L’éducation de l’enfance au foyer américain nous donne à méditer, peut-être à glaner : cette éducation forme un être fortement trempé pour les luttes de la vie, tandis que la nôtre ne peut prétendre à cet avantage ! Toutefois, je ne la préconiserai pas outre mesure.

Nous sommes loin d’être mûrs, en France, pour résoudre la brûlante question de l’enseignement mixte. Autrement dit, nos mœurs actuelles nous interdisent d’en faire l’essai ailleurs que dans nos écoles primaires. Mais il n’y a aucune raison pour que ce système, très prospère aux États-Unis, ne s’implante pas chez nous le jour où la Femme, éduquée, instruite, élèvera et instruira autrement ses fils et ses filles.

À ce propos, il est faux de dire que l’esprit n’a pas de sexe. Il en a tant bien qu’une même instruction s’assimilant aussi parfaitement chez la fille que chez le garçon, cette assimilation se fera chez la première autrement que chez le second, C’est toujours la même chose : il n’y a pas, il ne peut pas y avoir parité, mais bien équivalence,

Ce livre n’est pas un ouvrage de pédagogie. Je laisse donc aux esprits compétents le soin de discuter le pour et le contre d’une méthode qui, a priori, me semble saine et naturelle. Je pense qu’il est fort dangereux de séparer les sexes à l’âge où commence forcément l’éducation mutuelle (si excellente entre frères et sœurs) pour ne les remettre en présence que beaucoup plus tard, brusquement, et au moment précis de la vie où un jeûne excessif d’échange d’idées, d’opinions, de sentiments, etc., a éveillé les curiosités dans les deux camps, a surexcité les aspirations, a exaspéré les instincts. Les pires erreurs ne sont-elles pas considérées comme justes et naturelles quand c’est l’usage qui les consacre ? Sur la terre — où nous chancelons à l’ombre des préjugés — fonder une chose neuve, remuer des consciences et, par-dessus tout, brayer des idées reçues, autant de crimes (particulièrement dans notre beau pays) à imputer au novateur !

Au point de vue matrimonial, neuf fois sur dix cette séparation étanche a plus souvent qu’on ne le sait de lamentables résultats : les divergences de jugement, les habitudes différentes d’éducation causent la désunion des ménages. De cette divergence dans l’éducation et l’instruction des sexes naît un conflit toujours en instance, souvent exaspéré.

N’ayant en commun ni travaux, ni peines, ni joies, ni intérêts, le jeune homme et la jeune fille ignorent tout l’un de l’autre. Subitement mis en contact, ce sont deux vagues qui se choquent en sens inverse. Elles retombent alors, chacune de son côté, en flots d’écume, qui se séparent au lieu de se pénétrer.

Encore une fois, je ne saurais trancher une question de contexture aussi délicate, sur laquelle ni les voyageurs de quelques semaines ni les résidents de plusieurs mois ne sont d’accord.

Chacun voit toute nouveauté sous son angle propre. Il en résulte trop de perspectives différentes pour ne point barrer la route à une hésitation légitime, à un jugement sain. Seuls les résultats que l’avenir fera apparaître ratifieront ou infirmeront l’innovation. En tout cas, on peut dire que la répugnance du Latin à toute idée d’initiative explique, aussi bien dans l’ordre pratique que dans l’ordre moral, son retard sur les nations sœurs.

En France, nous arrivons tard à toutes choses, mais nous arrivons !

Paris est à peine doté d’un Métropolitain alors que Londres jouit de ce bienfait depuis nombre d’années. Combien d’autres exemples à l’appui !

Le retard du Féminisme, chez nous, n’est-il pas inévitable… et déplorablement naturel ?


  1. Prince de Ligne