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Mon Féminisme/6

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CHAPITRE VI

Le Féminisme et les Arts
Dépravation actuelle du sentiment plastique.
Proscription de l’idéal en Littérature.


La théorie esthétique qui dans l’art plastique et la littérature actuelle, prône le réalisme, est un réalisme qui, au lieu d’exprimer la nature, s’en éloigne et la déforme. Les amoureux de lignes nobles, les amants de belles courbes, tous les fervents d’art pur ont maudit cette manifestation du Féminisme « sectaire » qui en menaçant d’obscurcir les règles éternelles de l’éternelle beauté, oblitéra le sentiment plastique, La Femme donna le funeste signal, et, à la suite de sa chevauchée à travers l’Erreur, nous sommes restés sous le règne du laid… À la dégénérescence de l’Idéal correspond généralement l’étiolement du goût. Un Grec de l’antique Péloponnèse serait, en regardant les gares de notre Métropolitain, subitement atteint d’attaques épileptiques.

Par les multiples exercices masculins au moyen desquels elle voulut dompter son corps, la Femme perdit toute séduction physique. Enfourcher des « bécanes », s’habiller en zouave, combiner des cravates, des cols, des chapeaux d’homme, et sous ces déguisements divers — plutôt carnavalesques — faire du « sport » à outrance, telle fut l’incessante préoccupation de la femme « moderne » engendrée par le Féminisme « sectaire ». Était-ce un mâle ? Était-ce une femelle ? Aucun des sexes ne voulait revendiquer cette silhouette arquée, aux cheveux fous, à la face violacée, boursouflée, aux yeux rougis par le vent et la poussière, a la bouche contractée, d’où sortait un jargon de cabaret. Et la « chauffeuse » ! Enfouie sous les dépouilles des animaux polaires, yeux monstrueux, verres noirs, c’est un hybride entre l’ours et le scaphandrier !

Ruskin dut rendre son âme esthétique à l’instant précis où il vit passer, ainsi accoutrée, la Femme ( !) créée pour concourir à l’harmonie, à la beauté des choses de l’univers !

Si Vénus eût osé monter sur un piédestal autre que sa conque marine, les dieux l’eussent déclarée déchue. Ajouterai-je que la déesse sortant des flots était, dans sa nudité, plus décente que la femme « nouvelle » à califourchon, vêtue comme l’autre sexe.

Il y eut chez cette dernière — à son insu — une étroite corrélation entre l’effacement volontaire de ses seins, de ses hanches et l’abdication des grâces de son esprit. D’ailleurs, où, quand, comment cultiver cet esprit (qui doit avoir des « clartés de tout »)[1], absorbé à « couvrir des kilomètres en évitant des pelles » ? Lorsque, grâce à une autre éducation, la Femme sera pondérée, elle comprendra la nécessité de l’équilibre entre la dépense physique et l’effort intellectuel. Et cet équilibre lui donnera la santé du corps comme celle de l’esprit. Alors, et seulement alors, elle créera l’Art, ce pain spirituel de l’Humanité ; l’Art, une des plus belles illusions qui nous aident à supporter la vie ; l’Art, « expression de la joie donnée à l’homme par le travail de Dieu ».

On ne peut, sans l’émotion du Beau, créer un monde neuf. Cette émotion, l’ « Idéal », nous sommes impuissants à la traduire sans le secours des formes sensibles de l’Art. Dans sa nouvelle vie spirituelle, l’Ève future inspirera les rêveries exquises ; les pages qui chantent ce qu’il faut aimer ou glorifier, pleurer ou bénir ; les pages divines des poètes de prose et de vers. Elle les remettra en honneur. Son âme en sera enveloppée de beauté, nos existences d’hommes, de bonheur. Au lieu de fréquenter les lieux d’indécence où se délecte actuellement son âme, asservie et déchue, elle se souviendra du patrimoine esthétique que lui ont légué les ancêtres. Elle reconstituera, avec son esprit d’initiative, les fêtes intelligentes, les divertissements poétiques où, naguère, se complurent de grands cerveaux.

Ce jour-là, c’est elle qui offrira à l’homme un bouquet spirituel.

Si le Féminisme « rationnel » met hors de cause les carrières libérales qui, pour la Femme, viennent se heurter à des questions d’ordre physiologique que le Féminisme « sectaire » veut ignorer, il préconise hautement, dans les arts, les professions auxquelles elle a droit. Dans ce domaine, il s’en trouve de nombreuses qui, s’harmonisant parfaitement avec l’organisation spéciale de la Femme, fortifieraient son intelligence, élèveraient son cœur, donneraient de la dignité à sa vie.

Les êtres de l’Humanité qui aiment les arts, qui les connaissent, les cultivent ou les encouragent, font naître des roses au milieu des neiges, a dit quelqu’un. Ce quelqu’un a dit vrai.

Je ne puis trop répéter que lorsqu’il s’agit de Féminisme, on n’a jamais en vue que la femme mariée. On oublie toujours l’autre : celle qui ne l’est pas, ou ne l’est plus. Pourtant, le gros écueil dans l’existence de celle-ci est précisément l’époque où ayant épuisé joies, devoirs, succès, soucis, elle se trouve désœuvrée, solitaire, désintéressée ; où, faute d’aliment pour son cœur et pour son esprit, elle verse dans la médisance ou la bigoterie (souvent dans les deux !).

Élevée de façon autre, elle s’adonnerait à une profession ou à un art qui (son printemps et son été ayant pris fin) comblerait le vide créé par les circonstances. Elle serait alors digne du respect qu’on accorderait à son hiver. À cet hommage, mélancolique privilège de la maturité des ans, viendrait se joindre cette estime déférente très particulière qu’on ne donne qu’aux êtres qui, à force de vaillance, ont surmonté la vie.

Or, l’Art est l’empire idéal de la Femme, parce qu’elle y trouve tout ce dont ont soif son âme, son intelligence, voire ses… nerfs !

Le passé de la Femme dans l’Art est une glorification ininterrompue du rôle étincelant et fécond qu’elle y a joué ! L’influence qu’elle exerça sur les évolutions de l’esthétique, les grands génies dont elle fut l’inspiratrice, les chefs-d’œuvre pour lesquels elle servit de modèle, la protection éclairée qu’elle accorda aux Maîtres, enfin le talent et l’initiative qu’elle déploya pour doter d’innombrables richesses d’art ses différentes patries, forment des pages de son histoire aussi merveilleuses qu’instructives.

Pourquoi l’art grec est-il resté grand, immortel ? Seul il eut le culte sacré de la Femme.

Créer un chef-d’œuvre est noble ; inspirer ce chef-d’œuvre est non moins noble.

Certains esprits ont objecté, objectent encore qu’au point de vue féminin l’Art est immoral. Mais en Grèce, le sentiment du Beau était inséparable de l’idée de la décence la plus parfaite, de la morale la plus délicate. L’immoralité n’existe pas pour ceux qui sont aptes à s’assimiler, capables de comprendre, donc de juger, une œuvre soi-disant immorale ou un livre réputé malsain. L’Art exerce sur nous une action tellement bienfaisante qu’on peut hardiment le surnommer « le grand consolateur de l’Humanité ».

Goûter une chose d’art, c’est goûter la proportion, la symétrie, l’ordre. Goûter ces qualités, c’est en ressentir l’amour, c’est en avoir le besoin, c’est en contracter l’habitude ; or, les yeux qui connaissent de la beauté ont de l’harmonie dans la pensée. Platon dans son Timée le dit éloquemment.

Aucun peuple civilisé ne saurait vivre sans art. Lors du défrichement de son sol, l’Amérique ne put se distraire d’un labeur, qui lui assura sa puissance ; le souci de, sa destinée prima tout. Mais aujourd’hui, dans son pays, né d’hier, l’Américain souffre d’une absence de tradition de beauté dans la patrie. Et lorsqu’après avoir livré son rude assaut aux dollars il s’accorde quelque repos, c’est chez nous qu’il vient s’imprégner de splendeurs artistiques. C’est une halte indispensable au milieu de sa vie pratique et fiévreuse. S’il ne sait pas encore rêver sous les vitraux anciens de nos arcades gothiques, il retire des spectacles de beauté dont il emplit ses yeux un sentiment qu’il ignorait, auquel à son insu son âme aspire. Nous autres, Latins, nous sommes inconscients des richesses de bonheur que nous devons à notre passé d’art.

Les historiens de la Renaissance italienne sont unanimes à déclarer que la femme de cette époque contribua magnifiquement à faire de ce temps un des plus radieux moments d’efflorescence du génie humain, Pourquoi ? L’instruction de la femme d’alors ne le cédait en rien à celle de l’homme. Aussi sont-elles en très grand nombre les femmes qui firent de leur cercle, brillant ou modeste, des centres intellectuels où le Beau, où l’Art furent accueillis avec enthousiasme, où ils reçurent une protection éclairée. En France, à cette époque, à quelque situation brillante qu’elles appartinssent soit par leur beauté, soit par leur génie, elles furent ornées des grâces du foyer ; elles demeurèrent pleines de dévouement familial, de foi patriotique. Aussi leur pays fut-il grand et fécond.

Plus tard, lorsque les femmes savantes furent ridiculisées ; que, par voie de conséquence, on ne voulut plus souffrir les femmes instruites, la raison de cette sorte d’ostracisme fut sans doute qu’il eût été impoli, malséant de faire honte au très grand nombre d’hommes ignorants !

L’Art étant une des formes de l’Idée, il ne faut pas méconnaître la très haute mission sociale de la Femme comme protectrice des arts : toujours, partout, elle fut la véritable initiatrice des renaissances.

Aucune particularité physiologique, que je sache, n’établit, pour créer une œuvre d’art, la moindre supériorité d’un sexe sur l’autre. Socialement, la Femme a donc le même droit que l’homme à une instruction qui lui permette de devenir un Raphaël, ou simplement d’acquérir les connaissances nécessaires à l’exercice d’une profession indépendante et honorable. La réalisation d’un problème d’émancipation considéré tour à tour comme un rêve malsain, comme une utopie galante, comme un danger pour la moralité de la société, démontrera un jour ce que, lorsqu’il y est devenu une richesse intime et familiale, l’Art peut faire gagner au foyer. C’est avec son concours que la Femme y déposera beaucoup de son cœur. Reflété dans son âme, il illuminera une demeure où l’atmosphère créée par elle restera comme la caresse compensatrice des brutalités de la vie.

L’auteur de Fors clavigera[2] parle ainsi ; « Partout où va une vraie épouse, le « home » se transporte avec elle ; peu importe que sur sa tête il n’y ait que des étoiles et à ses pieds, pour tout foyer, que le ver luisant dans le gazon refroidi de la nuit, le « home » est partout où elle est, et si c’est une noble femme, il s’étend autour d’elle, au loin, mieux que s’il était plafonné de cèdre ou peint de vermillon, répandant sa calme lumière sur ceux qui autrement seraient sans foyer. »

Plus loin, il dit aux femmes : « Croyez-moi, la vie entière et le caractère entier de ceux qui vous aiment sont entre vos mains : ce que vous voudrez qu’ils soient, ils le seront si vous ne désirez pas seulement, mais si vous méritez qu’ils soient ainsi. »

Outre qu’un spectacle de beauté peut engendrer le génie, l’amour de la nature et de l’Art, sans faire refleurir la foi perdue, redonnent le courage à la vie, pansent la plaie de l’isolement. L’homme demeure extasié devant certaines manifestations de nature et d’art qui n’ont aucune fonction (apparente) dans son existence, tels, par exemple, des rochers grandioses, des montagnes arides qu’il n’ensemencera jamais, ou encore les reflets d’eau, des couleurs de nuages, des atmosphères indescriptibles qu’il essaiera de fixer sur la toile, ou par des sons, ou dans de la poésie. La nature est une réunion de forces : elle est de la beauté, de la beauté bienfaisante. L’Art, qui en découle, est si essentiellement civilisateur, que celui qui y est sensible rarement devient criminel.

Pourquoi toute chose d’un idéal élevé ne devient-elle pas le bien durable d’une nation ? Parce que les démocrates de la nation n’aiment à regarder qu’en bas. Ainsi, ils abaissent ce qui est élevé. Mais si « instruire » le peuple signifiait un jour « lui offrir de l’Idéal », au lieu d’abaisser ce qui est élevé, le peuple élèverait ce qui est en bas. Il comprendrait que le nivellement qui entraîne les meilleurs à ressembler aux pires n’est pas le vrai nivellement ; que le vrai nivellement, au contraire, est que les pires fassent effort pour se rapprocher des meilleurs. Il n’est pas obtus, le peuple, devant une manifestation d’art. Tout incompréhensif qu’il soit dans bien des cas, il éprouve devant une chose d’art de lui inconnue un émoi pieux dont le silence est une humilité, non une moquerie muette ; un respect, non une curiosité ; un effort d’apprendre ce qu’il ignore, non du mépris. L’Art doit être le privilège de tous : il donne à chacun plus de justice, plus de bonheur, plus de joie. Rapprocher l’Art de la foule, ce serait, au point de vue social, réaliser un bien dont les conséquences sont incalculables.

Offrir de l’Idéal au peuple après ses durs labeurs !! Mais il en a besoin plus que qui que ce soit au monde ! Une civilisation erronée non seulement n’a pas cultivé l’instinct de l’esthétique dans les basses classes, mais elle l’a laissé dégénérer en le faussant, en le pervertissant. Aussi, sans la culture de cet Idéal, qu’arrive-t-il aux classes laborieuses ? Elles s’abaissent, se corrompent, glissent dans l’égout. Si son logis était embelli — tout est relatif — de quelques riens agréables à l’œil mettant une note gaie aux murs les plus humbles, lorsqu’il rentre le soir, harassé, mort de fatigue, l’ouvrier songerait-il à délaisser son foyer pour courir au cabaret ? Non !

Une manifestation d’art quelconque, si chétive qu’elle soit, sera plus puissante que les discours les plus éloquents, à retenir l’artisan à son foyer : elle lui fera oublier momentanément la maussaderie, les misères de la vie.

L’Art, bienfaisant chez les grands comme chez les petits, au lieu d’entretenir la révolte, le dégoût de l’existence, fera accepter cette dernière sinon avec plaisir, tout au moins supportablement. Il enseignera que dans les diverses tâches imposées à chacun, aucune n’est inférieure ; que toutes sont nécessaires ; que, pour qui sait la voir, de la beauté est contenue dans chacune d’elles. Comme l’émotion artistique contient de l’altruisme, « que l’Art enlève l’individu à lui-même pour l’identifier avec tous[3], » et que ce sentiment est plus féminin que masculin, c’est à la Femme que sera dévolu le culte de l’Art, affiné ou naïf. Dans ces temps à venir, elle saura que renoncer aux traditions, c’est renoncer à l’Idéal : que renoncer à l’Idéal, c’est renoncer à ce qui fait supporter la vie !

Quant à la véritable proscription que nous pouvons constater chez nous, à notre époque — au xxe siècle ! — de l’Idéal en littérature, est-il possible d’en faire remonter la responsabilité à une autre cause que nos mœurs, qu’à l’état de nos cœurs et de nos nerfs, à l’éducation ultramoderne de nos yeux et de nos oreilles, qui acceptent des… hardiesses, supplice des délicats. Aujourd’hui, la critique littéraire est de la critique sociale d’où les préoccupations morales ne peuvent plus être bannies. À ce propos, Ruskin dit :

« Il n’y a pas eu d’exemple jusqu’ici d’un peuple réussissant dans les nobles arts, et cependant chez qui les jeunes gens étaient frivoles, les vierges faussement religieuses, les hommes esclaves de l’or, les mères esclaves de la vanité. De tout le marbre des collines de Suino, jamais une pareille nation ne pourrait former une statue digne de se dessiner avec fierté sur le fond des cieux. »

Nous sommes loin, bien loin de pouvoir dresser la statue en question ; pour seulement l’ébaucher, il faudrait posséder une littérature « propre » et mettre à l’index ces malfaiteurs publics : les écrivains immoraux qui inondent la masse de leurs écrits malsains et abjects. Si dans les romans il n’y a plus d’amour (malgré l’illusion qui consiste à croire que les romanciers du jour n’en ont jamais tant parlé), c’est qu’il est remplacé par les maladies diverses de l’amour. Celles-ci sont l’apanage des femmes, spécialement des névrosées parisiennes. Aimant à être entretenues de leurs névroses variées, ces femmes sont peut-être, de l’heure actuelle, les seules qui lisent encore. Partant, beaucoup d’amants, plus d’amoureux… Avec sa finesse et sa profondeur ordinaires, M. H. Kistemaeckers résume dans Jeannine cette absence d’amour en notre littérature contemporaine. L’amour, dont pourtant l’époque est avide, est absent de l’époque.

« J’émettais naguère, dit-il, cette impression à la générale de B…, dont les yeux noirs ont gardé de jeunes lueurs sous le casque aristocratique des cheveux blancs. Elle resta pensive une minute ; puis, brusquement haussant les épaules : « Comment, dit-elle, voulez-vous demander de le bien décrire à des gens qui ne savent plus le faire ? » Lorsque chez un peuple s’affaiblit puis disparaît le sentiment du Beau — c’est-à-dire le culte de la Femme — cette éclipse vient de ce que la Femme ne sait plus distinguer ses plaisirs de ses devoirs : ce peuple, alors, glisse sur une pente fatale.

Pendant que dans leurs pages grossières les prosateurs et les poètes français couvrent la Femme de mépris, lui lancent à la face les choses les plus ordurières, lui proposent tout ce qui devrait l’offenser, les romanciers et les écrivains de l’Anglo-Saxonne, de la Finnoise, de la Scandinave, créent pour elle et par elle des œuvres idéalistes où elle est auréolée de beauté et de bonté. Leurs plumes savent souligner et faire comprendre que pour conquérir l’amour, tout en y songeant toujours avec délicatesse, il ne faut jamais en parler avec grossièreté. Elles se refusent donc à la mise en évidence incessante — comme chez nous — de sa fonction mystérieuse : la vulgarisation de celle-ci, loin de rehausser l’amour, le découronne et enlève au baiser la magie de ses délices et de ses promesses.

Au sommet de la pensée, la Femme, par son essence même, est et reste une sentimentale, un être qui, insciemment, aime le rêve. Or, chez nous, la littérature d’amour ne fait pas rêver…

Nos livres, nos œuvres dramatiques, disqualifiant l’amour, il est dans l’enchaînement fatal des choses que le bon sens en soit exclu : pourtant, sans ce dernier, aucune composition littéraire n’attache réellement, intimement, le lecteur à l’auteur. La logique, autrement dit le sens commun, le jugement font la solidité. C’est cette solidité qui assure l’immortalité aux grands auteurs français du xviie siècle.

Aussi, quand par hasard, de nos jours, un écrivain chante la Femme de façon vibrante, s’il glorifie l’amour, c’est qu’il l’a senti. S’il a réellement aimé et souffert, c’est d’un jugement sûr, uni à l’Idéal, qui poétise la souffrance, qu’il décrit la vie réelle. Ce livre aura plus de succès que ceux où s’étale le cynisme en vogue. Le bon sens, le sens commun en sera la base.

Les bonnes Fées furent conviées au berceau de la France pour la doter des qualités superbes qui firent la grandeur de sa race. Une seule d’entre elles fut oubliée : la Fée du sens commun ! Cet oubli a failli plus d’une fois conduire le pays à sa ruine…

Voltaire, dans une boutade, écrit à son meilleur ami[4] : « Ah ! pauvres Français, réjouissez-vous, car vous n’avez pas le sens d’une oie ! »

Grande Fée d’antan négligée, tu te réfugies dans l’âme de ceux qui instruisent leur esprit, qui cultivent leur cœur !

Il serait trop long de parcourir, même hâtivement, les nombreuses époques littéraires, qui ne furent telles que parce que la Femme régna sur la pensée des poètes. Depuis l’aède antique, dont les rythmes d’or résonnèrent sous le bleu des cieux helléniques, jusqu’à la poésie romantique du xixe siècle, qui est celle où les romanciers psychologues se réfugient dans l’âme féminine, l’idée de la féminité est formée par des femmes aussi innombrables et diverses que les ondulations irisées de la mer. Elles sont Protée… peut-être comme lui pour ne pas dévoiler l’Avenir… Donner la vie au monde est insuffisant : il faut aux âmes le rêve, ses joies, jusqu’à ses souffrances. Depuis l’origine, la Femme synthétise toutes les beautés. Elle continuera, jusqu’à la consommation des siècles, en lui versant les songes divins, les seuls qui méritent d’être vécus, à faire éclore et à étayer de plus en plus le génie de l’homme. Elle aura pour lui cette tendresse particulière qui est la poésie de l’héroïsme. Ses lèvres et son cœur gardent le secret des ivresses et des extases. Elle a été, elle est, elle restera la grande révélatrice des abîmes de douleur et des félicités suprêmes.


  1. Caro
  2. Ruskin
  3. Guyan L’Art au point de vue sociologique, Préface, p xliv
  4. Le comte d’Argental Correspondance générale, lettre CX