Monographie de l’abbaye de Fontenay/2-01

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Librairie Saint-Joseph (p. 132-136).

1er abbé

Godefroy, 1118-1132

La seconde fille de Clairvaux est installée à notre ermitage de Chastelun. Comme sa mère arrivant à la vallée d’Absinthe, elle n’y trouvera par la graisse de la terre. De sombres forêts, des vallées froides, un climat rigoureux, un sol maigre et peu fertile, lui fourniront abondamment les privations et les mortifications que les hommes de Dieu cherchent pour aller plus sûrement au ciel. Bernard, dont
L’ABBATIAL
begey-odinot
l’âme semble avoir rencontré un corps qu’elle n’est pas obligée de soigner, car il n’avait pour ainsi dire rien de matériel ; il voyait sans voir, entendait sans entendre, mangeait sans manger[1], ne se décourage pas pour ses frères qui auront tant de sacrifices à faire. Il reste quelques temps avec eux pour les habituer, et avant que de retourner à Clairvaux, il établit comme abbé celui qui représente mieux ses pensées, qui partage entièrement ses sentiments, son oncle Godefroy de Rochetaillée, de Châtillon.

Au nombre des trente compagnons qui se retirèrent à Cîteaux, en 1114, avec Bernard était Godefroy, qui le suivit à Clairvaux et vint encore avec lui à Fontenay. Bernard et Godefroy étaient inséparables, ils s’aimaient comme David et Jonathas ; Bernard appelait Godefroy « la lumière de ses yeux, le bâton de sa vieillesse, son bras droit »[2].

Pendant douze ans il resta abbé de la colonie, il défricha la vallée de Saint-Bernard, une partie des Meunières, les enferma de murs. Ses vertus, sa sage administration lui attirèrent bientôt tant de vocations qu’il fallut chercher un emplacement plus vaste, celui ou sont les bâtiments de l’abbaye[3]. Est-ce le hasard, ou une pensée religieuse qui l’inspirèrent ? il en jeta les fondations précisément au point d’intersection de la croix formée par les trois vallées, de Fontenay, Saint-Bernard et de Saint-Laurent, choisit l’endroit le plus convenable pour sa communauté, et qui lui fut concédé par le seigneur de Montbard, Rainard, oncle de saint Bernard et par Étienne de Bagé, 52me évêque d’Autun, aussi propriétaire de la vallée[4].

La pauvreté de la jeune abbaye fut bientôt adoucie par les largesses de la famille de Bernard, comme il est dit au chapitre des bienfaiteurs de Fontenay. Beaucoup de donations sont signées à Châtillon, in domo Verrici de ponte quæ est in insula[5].

Après avoir surmonté les premières difficultés de cet établissement, c’est-à-dire la construction de la petite église de Saint-Paul, celle du cloître et du grand dortoir, Godefroy quitte Fontenay pour se retirer à Clairvaux. Il ne cède pas à la fatigue, ni aux ennuis de ses fonctions abbatiales, mais il ne peut supporter plus longtemps la séparation de Bernard ; il a besoin de vivre à côté de lui ; sans lui il n’a que la moitié de sa vie. Bernard est abbé de Clairvaux, bientôt Godefroy sera son prieur, car tous les religieux savent les liens de parenté qui les unissent mais surtout l’affection qui semble ne taire qu’un cœur de leurs deux cœurs.

Comme prieur de Clairvaux, Godefroy écrivait en plein air sous la dictée de Bernard cette lettre si paternelle qu’il adressait à son neveu Robert pour l’engager a quitter Cluny et à revenir à Clairvaux ; il pleuvait, la légende dit que la lettre ne fut pas mouillée, et bientôt une chapelle construite dans la place même devait perpétuer le souvenir de ce miracle.

Il était prieur depuis trois ans quand mourut l’évêque de Langres, Guillaume d’Aigremont. Le clergé de Langres, Pierre, archevêque de Lyon, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, Louis le Jeune, roi de France, Eudes II, duc de Bourgogne avaient déjà élu Robert, moine de Cluny pour le siégé de Langres, quand Bernard revenant de Rome s’opposa à cette élection avec sa fougue ordinaire, en disant : Proh ! dolor ! imposuerunt hominem super capita nostra, quem boni horrent et mali rident. Cette critique fit échouer Robert et Godefroy fut nommé, mais ne put prendre possession qu’en 1140. On peut lire les lettres de saint Bernard qui ont trait à cette élection de 164 à 170.

Comme évêque de Langres, il donna a Fontenay la ferme des Bergerosses sur Poiseul—la-Grange, et le duc Eudes II la seigneurie sur le pays.

Godefroy fut abbé de Saint—Bénigne de Dijon, Post Hildebrandum, abbatis officium suscepit Godefridus ; Domnus Godefridus in ætate Theutebaldi et Odonis regis florebat. (Gallia christiana.)

En 1163, il abdiqua son évêché pour se retirer comme simple moine à Clairvaux, où il mourut en 1165, sa tombe devant le grand autel porte cette inscription « hic jacet Domnus Godefridus tertius prio clarevallensis, primus abbas Fonteneti, dein Episeopus lingonensis, obiit 1165. »

Il composa la Passion sur le martyre de saint Mammés, d’après un manuscrit de la chartreuse de Dijon communiqué aux bollandistes par le P. Chifflet, mit les reliques de saint Gengoux dans une châsse nouvelle.

Henriquet, Chalemot, Bencolin disent que Godefroy était honoré le 22 juillet dans le ménologe de Cîteaux.

Dans les archives de l’Yonne on a trouvé le sceau de Godefroy de Rochetaillée, il est ogival de 40 millimètres : évêque assis, vu de face, la tête de profil à gauche, tenant sa crosse de la main droite, et de la gauche un livre dressé sur ses genoux. (Légende… Godefridus tingonensis episcopus. — Rousse], 1 v. 388.)


  1. Ratisbonne, 1er vol. 47.
  2. Autun chrétien.
  3. Chifflet, 1463. genus illustre.
  4. Manuscrit de Châtillon.
  5. Chifflet, — 1462. Lapérouse, hist. chât. 163.