Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 4

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Librairie Saint-Joseph (p. 28-31).

CHAPITRE IV

Tombeaux de Fontenay

La beauté de l’église abbatiale ne venait pas de ses vastes dimensions, de l’harmonie de ses lignes architecturales, des foules qui s’y rendaient pour prier, des pompes déployées pour les offices de ses têtes, de la mélodie de ses chants sacrés, mais elle venait principalement du grand nombre de tombes qui en couvraient tout le sol.

La rectitude des lignes, la perfection des proportions contentent l’œil du connaisseur, mais laissent son cœur froid. La vue de la tombe, au contraire, excite certaines émotions auxquelles on ne peut échapper. Ces pierres tumulaires, à Fontenay, rappelaient, d’un côté, la confiance que les bienfaiteurs avaient accordée à la vertu et aux prières des moines, et de l’autre, la reconnaissance des religieux pour leurs bienfaiteurs. Sous leur tombe les morts semblaient dire : « Ô vous qui êtes nos amis, ayez pitié de nous, » et les Pères pouvaient répondre : « Dieu nous est témoin que nous prions pour vous à chaque instant. » Un religieux ne pouvait poser le pied sur une tombe sans adresser au ciel un mémento pour celui qui reposait dessous.

Ce souvenir des morts unissait deux mondes par les liens de la solidarité chrétienne. C’est pour cela que princes, ducs, barons, chevaliers, écuyers, colons ou simples manants, faisaient une aumône et se réservaient la sépulture dans l’abbaye et qu’Eustochie s’y faisait rapporter de Carthage, en 1272. Pendant leur vie ils venaient tous s’édifier aux vertus cénobitiques, et après leur mort ils voulaient en partager la récompense.

La plus importante de ces tombes est assurément celle d’Ébrard de Norwick, fondateur de l’église. Il est revêtu de ses ornements épiscopaux, mitre surbaissée et ornée de pierreries, chape brodée, manipule et étole également brodés, aube en dentelle, crosse enrichie de diamants, anneau pastoral au doigt ; à droite et à gauche de la tête deux anges semblent envoyer au ciel, sur un tourbillon d’encens, ses vertus et la reconnaissance de l’abbaye.

Quelque temps après la consécration de l’église, cette tombe fut apportée de l’église Saint-Paul et placée devant le maître-autel sur un soc de quatre pieds. Comme elle gênait à cette hauteur, elle fut baissée et mise au niveau du pavé.

L’ainé des Mellot, comte d’Auxerre, Tonnerre et seigneur d’Époisses est représenté avec sa femme sur un marbre noir, avec des incrustations en bronze qui ont été enlevées dans un premier pillage, dés 1276.

Son frère puiné a son tombeau qui imite en petit celui des ducs de Bourgogne au musée de Dijon. Il porte toutes ses armes, la visière, la cotte de mailles, les brassards, l’écu parsemé de merlettes, les pieds posés sur deux lions bien éveillés ; à sa droite, son épouse Jeanne de Riégo, duchesse d’Athènes, comtesse d’Eu, dame de Château-Chinon, d’Époisses, de Sombernon, les mains jointes, un peu relevées vers la figure, les pieds sur une levrette, tous les deux environnés de moines en prière ; sur sa robe, des merlettes, armoiries de la famille.

Eustochie, veuve d’un Mellot, a voulu être rapportée de Carthage pour être inhumée sous le parvis de l’église : sa tombe en marbre noir a reçu des incrustations en bronze qui ont disparu depuis longtemps. Son épitaphe mérite d’être citée :

« Hic jacet illustris mulier Eustachia, uxor quondam Droconis de Mettoto, Eduardi illustris Anglorum regis consanguinea, quæ apud Carthaginem migravit ad Dominum anno Domini 1270. »

« Cygît illustre dame Eustochie, veuve de Dreux de Mellot, parente d’Édouard, illustre roi d’Angleterre ; elle trépassa à Carthage, l’an de N. S. 1270 »

Une certaine actualité permet bien de mentionner aussi la tombe d’un Rochefort de Luçay, seigneur de Frolois, sire de Molinot.

« Chevalier, les mains jointes, tête nue, pieds posés sur un chien couché à terre, robe simple, surcot fendu par devant, épée placée à côté, souliers pointus, 1250.

« Hic jacet vir nobilis Milonis a Frolesio, cujus anima requiescat in pace. Amen.

« Credo quod redemptor meus vivit, et in novissimo die de terra surrecturus sum, et in carne mea videbo salvatorem meum.

« Hujus sponsa hic voluit sepeliri.

Il y a encore une seconde tombe d’un autre seigneur de Frolois. Vers 1361 mourut mademoiselle de Bourgogne, que le duc Philippe de Rouvres fit enterrer dans l’église de l’abbaye de Fontenay, en la chapelle des ducs de Bourgogne, où elle fut mise dans le tombeau de Jeanne de France, son aïeule, duchesse de Bourgogne, femme du duc Eudes IV. On a depuis fait mettre sur leur sépulture une grande tombe sur laquelle on a gravé la figure du duc de Bourgogne tenant son écu chargé (les armes de Bourgogne, et celle de la duchesse, qui a auprès d’elle Jeanne de Bourgogne, sa petite-fille. (Dom Plancher, vol. 11, p. 238.)

Le tympan qui couronne la porte du bureau actuel vient d’une moitié de la tombe d’André, sire de Quincy et de sa femme, avec cette prière : « priez pour nous J.-C. qu’il veuille faire à nos âmes merci, et de la peine les retraite. » 1310.

Il est temps d’épargner au lecteur courageux les noms des autres tombes des Mailly-Grancey, Rigaut de Semur, Montigny, Touches et Darcey.

Comme le sol de l’église a été élevé d’un mètre, on a dû laisser en place un grand nombre de tombes. Au moins celles—là sont intactes ; elles ont eu le bonheur d’échapper au vandalisme des premiers acquéreurs qui, sans mauvaise intention, mais dans un but d’économie, en ont brisé beaucoup pour en faire des escaliers, des cuves et montants de fenêtres ou portes. (Extrait des archives de la bibliothèque nationale de Paris, département des manuscrits, collection de Bourgogne.)

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