Monologues en prose/Old England

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Poèmes mobiles ; MonologuesLéon Vanier, éditeur des Modernes (p. 51-52).


Old England

Grande, sèche, jaune, raide, édentée, parcheminée, elle entre dans un bureau de poste, les pieds en avant.

Elle tourne à demi la tête, et dit avec une voix de brouette mal graissée : « Come on, Clara ! »

Clara est petite, mince, plate, rousse ; elle a des dents très longues, et suit sa maîtresse, les pieds en avant.

L’Anglaise demande soixante timbres-poste pour affranchir soixante lettres adressées à soixante personnes différentes.

Elle allonge cinq doigts osseux, saisit les timbres, et répète : « Come on, Clara ! »

Clara fait demi-tour avec la grâce d’une locomotive.

Droite, les talons joints et les bras pendants, elle lève les yeux au ciel et tire la langue.

L’Anglaise, grande, sèche, jaune, raide, édentée, parcheminée, passe successivement les soixante timbres sur la langue de Clara, petite, mince, plate et rousse, et les applique d’un coup sec sur les soixante lettres adressées à soixante personnes différentes.

Puis elle se dirige vers la porte en disant encore une fois : « Come on, Clara ! »

Toutes deux disparaissent comme des ombres, les pieds en avant…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dernièrement j’ai rencontré la pauvre Clara, toujours petite, mince, plate et rousse.

Mais elle avait les lèvres collées et ne pouvait plus ouvrir la bouche !…