Napoléon et la conquête du monde/I/17

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H.-L. Delloye (p. 77-81).

CHAPITRE XVII.

LE CARDINAL FESCH, PAPE.



Pie VII était mort le 5 septembre 1815 ; Napoléon songea à la nomination de son successeur.

On assure que lui-même hésita s’il ne se déclarerait pas pontife souverain des églises catholiques ; son projet l’eût mené jusque-là de se proclamer chef religieux de la chrétienté. Sous cette nouvelle puissance se seraient réunies toutes les sectes diverses du christianisme, libres et indépendantes dans leur culte, et toutes se rattachant à l’unité d’un pontife suprême ; mais il douta de lui-même et il pensa que l’heure n’était pas venue.

Cependant cette nomination d’un pape ne pouvait lui être indifférente ; il savait de quel poids est la religion et l’influence de ses ministres dans les cœurs des peuples, et qu’en politique cette force ne devait être dédaignée ni comme obstacle ni comme instrument.

Sans doute aussi à cette époque devait-il réfléchir profondément à cette bizarre exception d’une monarchie élective conservée seule en Europe. Et ces restes de je ne sais quelles formes républicaines qui se trouvaient si étrangement mêlées aux coutumes de l’église catholique, religion toute de puissance et d’autorité, l’étonnaient et l’offensaient peut-être.

Il avait, en donnant à la Pologne sa nouvelle constitution, anéanti le droit d’élection et proclamé celui de la souveraineté héréditaire.

Mais les obstacles sans nombre qu’eût fait naître la destruction du principe d’élection des papes et du privilège des cardinaux l’arrêtèrent. Il n’osait point encore y porter le seul remède que son génie jugeait convenable, celui de s’attribuer à lui seul cette toute-puissance pontificale. Il hésitait aussi, si, comme Charlemagne, il ne nommerait pas lui-même le pape, et s’il ne s’arrêta pas long-temps à cette idée, au moins voulut-il diriger en maître l’élection de ce souverain sans état, à qui il avait naguère enlevé toute la puissance temporelle. Dans ce but, tout en laissant aux cardinaux le magnifique privilège de choisir leur pontife, il leur écrivit la lettre suivante :

« Illustres cardinaux,

« Le Seigneur a rappelé à lui le vénérable et saint pontife Pie VII ; vos éminences vont élire son successeur.

« Notre respectueux amour pour notre sainte religion nous impose le devoir de participer en quelque sorte par nos vœux à cette pieuse et solennelle élection.

« Et nous avons reconnu que les intérêts de la religion comme ceux de l’empire, aussi bien que nos vœux particuliers, appelaient à cet insigne sacerdoce notre vénérable oncle S. E. le cardinal Fesch.

« Nous prions le Seigneur d’éclairer et d’inspirer vos éminences dans l’accomplissement de cet important devoir.

« De notre palais impérial de Saint-Cloud, le 7 septembre 1815.

« Napoléon. »

Tous les cardinaux de l’Europe furent convoqués, et le conclave s’établit dans le palais impérial de Lyon.

La lettre de Napoléon indiquait plus que des vœux, elle faisait connaître ses ordres. Chaque cardinal y répondit en donnant l’assurance de son respect et de sa soumission.

Vingt-neuf cardinaux se trouvèrent présents au conclave ; l’assemblée fut présidée par le cardinal Alexandre Mattei, de Rome, et les opérations du scrutin commencèrent.

Elles n’eurent pas lieu cependant avec cette unanimité d’obéissance qui avait été promise. Les prélats italiens souffraient de voir la tiare échapper à l’Italie, et, ce qui n’avait pas eu lieu depuis Urbain VI (1378), ceinte par un Français. Quelques-uns même, mus par un sentiment de scrupule et de conscience, crurent devoir s’opposer à l’abolition de cet usage, qu’avaient consacré d’ailleurs les constitutions apostoliques ; ils savaient aussi que le droit d’exclusion dont jouissaient les souverains d’Autriche et d’Espagne leur avait été enlevé par une décision secrète, et ces violations des formes de l’élection leur avaient paru autant de sacrilèges. Aussi, huit suffrages furent-ils donnés au cardinal Barthélémy Pacca de Benevento, comme le signe d’une énergique protestation ; mais les vingt-une autres voix, dès la première séance, appelèrent à la chaire de saint Pierre le cardinal Fesch.

Le nouveau pape fut proclamé à Lyon, plus tard à Paris, et enfin à Rome où il se rendit au mois de décembre suivant, sous le nom de Clément XV. Il prit pour ses armes l’aigle impérial de France.

Napoléon fut vivement blessé du partage des cardinaux dans cette élection, mais loin de le témoigner, il écrivit au contraire au cardinal Pacca la lettre suivante :

« Les voix qui vous appelaient à la chaire de saint Pierre m’ont prouvé de quelle estime le sacré collège honorait votre éminence.

« C’était aussi vous indiquer à la mienne.

« J’apprends à votre éminence que je lui envoie les insignes de grand-aigle de la Légion d’Honneur et que je la présente à sa sainteté, le pape Clément XV, pour le siège vacant de l’archevêché de Milan.

« Je prie Dieu qu’il ait votre éminence en sa sainte et digne garde.

« Napoléon. »

L’empereur avait un instant souhaité que le nouveau pape prît le nom de Napoléon Ier, mais il abandonna vite cette pensée qui se fondit dans d’autres intentions qu’il destinait à l’avenir.