Napoléon et la conquête du monde/I/18

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H.-L. Delloye (p. 82-87).

CHAPITRE XVIII.

PAIX DE 1815.



Tout semblait fini et pacifié en Europe. L’empereur, de retour à Paris, résolut d’employer les loisirs de la paix et l’immensité de ses trésors à l’embellissement de Paris et de la France.

La grande rue Impériale, dont nous avons déjà parlé, était presque achevée.

Une rue semblable, de même largeur et de même magnificence, et coupant à peu près à angle droit la rue Impériale, s’étendit depuis Saint-Denis jusqu’à Montrouge ; elle divisait ainsi la capitale en deux moitiés. Cette rue fut nommée la rue Militaire, parce qu’elle conduisait en effet aux deux routes militaires du midi et du nord, et surtout parce que la grande plaine de Saint-Denis, qu’elle traversait, devint un immense champ-de-mars, s’étendant d’Aubervilliers à Saint-Ouen et de Paris à Saint-Denis. L’empereur fit défendre et entourer ce grand espace par des fossés larges et revêtus de maçonnerie, dans lesquels des canaux amenèrent les eaux de la Seine. Cette plaine étant dominée par Montmartre, il fit aussi construire sur cette élévation une forteresse, dont les travaux furent entrepris et terminés sous la direction du général Marescot, auquel Napoléon avait à cette époque rendu ses bonnes grâces.

Ce nouveau champ-de-mars avait la forme d’un losange, ayant son diamètre le plus long de Paris à Saint-Denis, et les deux autres angles à Saint-Ouen et Aubervilliers ; à ces deux derniers points et à Saint-Denis, d’immenses casernes furent construites, pouvant contenir chacune vingt mille hommes. C’étaient comme trois villes militaires, gardant une capitale. Un quartier de cavalerie où pouvaient être casernés plus de douze mille hommes et autant de chevaux fut encore élevé à Saint-Denis. Ces casernes étaient en outre défendues par des ouvrages d’une grande importance et qui firent beaucoup d’honneur à l’arme du génie militaire.

La citadelle de Montmartre assurait par sa position et l’importance de ses fortifications, considérées comme inexpugnables, la défense et la conservation de Paris, en même temps qu’elle maîtrisait en le dominant le nouveau champ-de-mars de la plaine de Saint-Denis.

Tandis que ces travaux militaires étaient exécutés dans les environs de Paris, l’intérieur de la ville acquérait aussi de nombreux embellissements.

La rue de Rivoli et la Bourse furent achevées.

Presque toutes les places publiques furent restaurées et ornées des statues des maréchaux qui étaient morts. Celle du maréchal Lannes s’éleva au milieu de la place des Vosges, laquelle reprit le nom plus consacré de place Royale.

L’empereur ordonna la refonte et le rétablissement de la statue de Louis XIV sur la place des Victoires, avec cette inscription :

ludovico. magno.
napoleo. magnus.

Les bâtiments du quai d’Orsay furent terminés, et une suite d’hôtels réguliers et semblables à ceux de la rue de Rivoli furent construits depuis la rue du Bac jusqu’au pont Louis XVI et prolongés au-delà du palais du corps législatif.

Ces palais furent réservés aux ambassadeurs des puissances étrangères, qui furent ainsi logés aux frais de l’empire, et chacun portait le nom et les armes de l’état dont il renfermait l’ambassade.

Le quai, depuis le pont Louis XVI jusqu’au pont d’Iéna, fut terminé plus tard avec un grand luxe. On l’appela le quai des Ambassadeurs.

L’église de la Madeleine étant achevée, le ministre de l’intérieur proposa d’y placer le sénat, mais Napoléon refusa sans rien dire de plus. Il n’eût pas souffert que deux corps politiques délibérassent ainsi face à face, et pussent se toucher d’aussi près. Le sénat laissé au Luxembourg convenait mieux à ses desseins ; il n’avait point oublié cette maxime plus vieille que Machiavel : Diviser c’est régner.

L’église de la Madeleine fut en effet consacrée au culte de cette sainte, et devint une paroisse pour un quartier qui en manquait.

On répara Versailles et on le meubla comme si Napoléon devait l’habiter, mais il y vint peu ; Saint-Cloud, plus rapproché de Paris, semblait être sa demeure d’affection.

Cependant un acte singulier fit penser qu’un jour l’empereur habiterait cette résidence si royale de Versailles. Le nouveau pont de Sèvres était commencé, et devait être un jour un des plus beaux ponts de pierre des environs de Paris. Des ordres furent donnés pour discontinuer les travaux. Au lieu de ces arches éternelles, on construisit à Sèvres un pont de bois d’une extrême élégance, en même temps qu’une sorte de construction militaire était placée à sa tête, du côté de Sèvres, comme pour le défendre.

Quelques personnes se souvenaient que Louis XIV n’avait jamais consenti la construction d’un pont de pierre à cet endroit, que sous Louis XV cette construction avait eu lieu, et que c’était par là que la population était venue, dans les journées des 4 et 5 octobre 1789, enlever de Versailles le roi Louis XVI et sa famille.

Un pont de bois, au contraire, défendu par des troupes, pouvait être facilement coupé ou brûlé, et une pareille irruption devenait désormais impossible. Tel était le raisonnement de quelques-uns ; mais on ne sut jamais si cela avait été la pensée de l’empereur.

Les galeries du Louvre étant terminées dans leur entier, les maisons particulières qui existaient dans l’intérieur furent démolies. L’arc de triomphe du Carrousel disparut aussi. « C’est un jouet d’enfant », avait dit Napoléon. Ainsi, la place du Carrousel s’étendit du Louvre aux Tuileries, et cet espace immense ne fut plus divisé que par la grille qui forme la cour d’honneur du château.

On continua l’arc de triomphe de l’Étoile, qui devait être entièrement revêtu de marbre blanc.

En même temps, sous l’administration de M. de Chabrol, Paris s’assainissait et s’embellissait de plus en plus : les eaux de la Seine, soulevées à une très-grande hauteur par des pompes à feu, furent distribuées dans toutes les maisons et à tous les étages ; les rues, devenues plus larges, furent garnies de trottoirs ; plusieurs places publiques plantées d’arbres furent créées au milieu de la ville, qui s’agrandissait sans cesse en étendue et en population.

Il en était de même pour les autres villes de France. Un palais impérial fut construit à Lyon à la jonction de la Saône et de Rhône ; mais ces divers travaux furent surpassés par ceux exécutés à Rome et en Italie.