Napoléon et la conquête du monde/I/31

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H.-L. Delloye (p. 136-138).

CHAPITRE XXXI.

RÉFLEXIONS.



Les réflexions découlent naturellement de ce célèbre Moniteur du 15 août.

On y voit la Prusse rayée des royaumes de l’Europe, et son souverain transporté sur le trône de Bohême.

La Turquie disparaît aussi entièrement des états de l’Europe, et l’empereur prend pour lui ce qu’il y avait de plus brillant et de plus utile dans les décombres de cet état, c’est-à-dire la Grèce, l’Archipel et Constantinople.

On y voit la Russie au dernier degré d’abaissement. Autant Napoléon avait pu la craindre, autant il avait voulu la diviser, l’affaiblir et la rendre sans aucun poids dans la balance des peuples. Elle était appauvrie de la Finlande, de toutes les provinces polonaises, et, pour comble de misère, divisée en trois états sans aucune force.

Étrange retour dans les destinées des nations ! Lorsqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’Autriche, la Russie et la Prusse s’acharnaient sur le cadavre de la Pologne et la déchiraient par lambeaux, qui pouvait penser que le jour viendrait où la Pologne ressusciterait plus brillante, tandis que de ses avides ennemies la Prusse serait anéantie, la Russie partagée à son tour, et la superbe Autriche perdrait la Bohême avec le titre et le rang de césar !

La Sardaigne se trouvait restaurée en royaume et enlevée à Naples ; l’heure était sonnée de punir Murat de cette imprudente conquête, et de le reléguer sur un trône du nord.

Le Holstein était réuni à la France, et son souverain, toujours fidèle allié de Napoléon, fut largement récompensé par le titre de roi des provinces du nord de l’ancienne Turquie.

On voit dans ce décret le grand-duc de Bade devenu le plus petit des rois de l’Europe.

Tous les membres de la famille impériale sont faits rois.

On y voit aussi Lucien, le seul qui s’appelât encore Bonaparte, rentré en grâce depuis quelque temps, chargé d’une royauté bizarre : républicain devenu roi forcé d’une république.

Outre la Bohême et le titre impérial, l’Autriche perdait encore la Transylvanie. Ces châtiments la punissaient de son hésitation lors de la ligue du nord-est ; c’était d’ailleurs la seule puissance encore importante, un empire enfin, et Napoléon ne voulait plus d’autre empire que le sien.

Cinq souverains dépossédés conservent le titre de rois, et dans ces promotions royales toujours le même oubli des anciens rois de France.

On doit encore remarquer dans ces décrets qu’en s’attribuant le droit et le nom de souverain de l’Europe, et en repoussant ses autres titres, l’empereur ne parlait plus de la grâce de Dieu et des constitutions de l’état.

Si jamais acte de puissance avait été jusque-là accompli sur la terre, c’est sans doute celui-ci.