Napoléon et la conquête du monde/I/32

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H.-L. Delloye (p. 139-142).

CHAPITRE XXXII.

MARIE-LOUISE.



L’impératrice Marie-Louise était alors grosse pour la quatrième fois ; elle devait accoucher au mois de novembre 1817, quand une altération soudaine de sa santé la conduisit aux portes du tombeau.

Le nouveau roi d’Autriche, son père, était dans la plus vive douleur du coup funeste que lui avait porté le décret du 15 août. Au commencement du siècle, il avait déjà déposé forcément sa couronne impériale d’Allemagne ; mais aujourd’hui, après avoir livré ses provinces, ses armées, sa fille à Napoléon, il lui fallait descendre au rang d’un simple roi, et se dévêtir de la pourpre d’empereur. Cela était horrible pour lui, d’avoir cessé deux fois d’être césar. Que Napoléon ne lui demandait-il encore d’autres provinces ! Que ne lui prenait-il sa Styrie, son Tyrol, sa Hongrie elle-même, pourvu qu’il lui laissât son Autriche impériale !

C’était au milieu de cette affliction, et dans ces termes, qu’il écrivit à Marie-Louise une lettre des plus énergiques où il lui demandait si c’était à elle de souffrir ainsi l’humiliation de son père.

Marie-Louise, que Napoléon tenait étrangère à la politique, ne vit là qu’une affaire d’émotion et de sentiment filial. Les instances de son père la troublèrent vivement. Autour d’elle s’agitaient encore quelques personnes dévouées à la maison d’Autriche, et dont les conseils intimes excitèrent et enhardirent sa faiblesse ; toutefois, elle sentait vaguement que sa participation, même suppliante, dans les desseins de son époux, était imprudente et pouvait être funeste.

Déjà, dans le commencement de son mariage, lorsque l’Autriche, voulant au moins exploiter au profit de sa politique le présent immense d’une archiduchesse, avait pressé l’impératrice de présenter quelques réclamations, elle avait été repoussée froidement, et la sévérité était venue pour la première fois glacer la tendresse de Napoléon.

Elle n’avait rien fait de semblable depuis ; mais dans cette dernière circonstance, la douleur de François Ier paraissait si vive, ses instigations si pressantes, qu’elle osa faire une nouvelle tentative.

Napoléon, à ce que l’on a assuré, témoigna son indignation de la manière la plus violente ; l’impératrice, foudroyée par sa colère, tomba évanouie et comme morte à ses pieds. L’empereur redevenu calme la fit relever et secourir ; mais le coup funeste était porté, et un mois ne s’était pas écoulé, qu’elle accoucha avant le terme d’un fils qui vécut, et elle-même mourut le même jour dans les douleurs de l’enfantement.

Napoléon la pleura, car il l’avait aimée ; les plus magnifiques funérailles lui furent faites, dignes d’elle et du souverain de l’Europe. Et pour la première fois depuis la destruction de leurs vieux tombeaux des rois, les caveaux de Saint-Denis, restaurés, se rouvrirent pour recevoir les restes de l’impératrice.

Le fils qu’elle avait déposé mourant au seuil de la vie vécut malgré son extrême faiblesse ; l’empereur lui donna le titre de roi de la Grèce.

Après la mort de Marie-Louise, Napoléon songea profondément à ce qu’il devait faire. Dans sa marche ascendante à la souveraineté européenne, il avait souvent regretté cette mauvaise ambition d’autrefois qui lui avait fait aspirer à une épouse du sang impérial. Alors, c’était une faveur, mais depuis, ce sang était retombé bien au-dessous de lui. Maintenant même, il supportait mal cette alliance qui le retenait sur le même plan que les autres rois. La mort de l’impératrice, tout en lui déchirant le cœur, lui rendit comme une sorte de liberté, et fit que désormais il n’aurait plus rien de commun avec les autres rois.