Nobiliaire et armorial de Bretagne/De l’origine des armoiries

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DE L’ORIGINE DES ARMOIRIES

ET DE L’ORGANISATION MILITAIRE DE LA BRETAGNE





Si chez tous les peuples et dans tous les temps, il y a eu des figures peintes sur les boucliers et les drapeaux, ces figures n’étaient dans l’origine que des symboles et des emblèmes personnels adoptés arbitrairement. II n’en est pas de même des armoiries, ainsi nommées parce qu’on les représentait généralement sur les armes. Les armoiries, composées d’émaux et de pièces déterminées furent d’abord prises par les seigneurs, et plus tard concédées ou autorisées par les souverains pour la distinction des familles, des communautés et des corporations civiles et religieuses, avec transmission héréditaire et perpétuelle. Jusqu’au XVIe siècle, on les modifiait et on les changeait sans l’agrément des souverains qui ne s’étaient pas encore avisés de réglementer cette matière. Un écusson était la propriété d’une famille, elle le transmettait à une autre avec son nom, comme elle pouvait lui donner sa terre. Les rois de France et nos ducs n’étaient maîtres que de leur écusson propre et je crois que l’intervention ancienne des rois se bornait à concéder leurs fleurs de lys d’or en champ d’azur, et que les concessions ou autorisafions des souverains en fait d’armoiries, ne se trouvent que dans les anoblissements récents.

L’art de décrire les armoiries s’appelle blason ; soit que ce mot dérive, comme le veulent certains armoristes, de l’allemand blasen, qui signifie sonner de la trompe, et par extension publier, faire connaitre ; soit plutôt du mot de la basse latinité blasus, qui désigne une arme de guerre, d’où l’on serait venu à définir par le mot blaso l’ensemble des figures qu’on peignait sur les armes. Aujourd’hui encore, nous employons dans le même sens les termes armes et armoiries, et nous avons nommé écu une monnaie sur laquelle l’écu ou bouclier du prince était frappé avec ses armoiries. On appelle encore le blason art héraldique, parce que l’une des fonctions des hérauts d’armes consistait à blasonner les armoiries des nobles et à en tenir registre.

Les auteurs sont fort partagés sur l’époque où les armoiries furent adoptées. Les uns fixent cette époque au temps des tournois et des croisades ; d’autres qui ont confondu les emblècmes avec les armoiries, les font remonter même jusqu’au dé1uge. Nous pensons qu’il en est des tournois comme des emblèmes et qu’on ne saurait fixer au juste le moment où les tournois se sont établis ; car de tout temps, les peuples ont dû se livrer à des exercices images de la guerre et des combats. Nous ne ->

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contestons pas pour cela I’influence des tournois sur le développement et l’organisation régulifcre de Tart heraldique ; mais nous attribuons aux croisades une bien autre importance dans la revolution qui transforma les emblfemes personnels en armoiries htfreditaires.

Oncomprendl’utilite qu’il y avait pour les chefs de ces immenses expeditions, a porter des marques distinctives qui les Assent reconnaltre, dans la marche comme dnns les combats par les hommes qui suivaient leur banniere. On peut done admettre que dfcs la premiere croisade en 1096, les seigneurs les plus eminents commenefcrent k adopter sur leurs ecus et pennons des figures heraldiques, lesquelles n’avaient encore rien de bien fixe. Les armoiries fixes ne doivent avoir pris naissance que de Tusage des casques a visifcre fermee sous laquelle il 6tait impossible de reconnaitre le chevalier. Or, h la premiere croisade ou ne portait encore que le haubert, ete’est vers la deuxifeme ou la troisieme croisade que commen ?a I’emploi des armures pleines etdes casques ferm£s. A ce moment doit done se placer aussi la veritable origine du blason, devenu par le fait un art necessaire ; la preuve s’en trouve dans l’empressement qu’on mit k adopter des armoiries parlantes, chaque fois qu’un nom put s’y prfiter. Si pour jouir de cet avantage, on fut souvent jusqu’a braver le ridicule, e’est qu’avant tout, on jugeait necessaire d’6crire son nom sur son armure.

Ce ne fut aussi qu’après la première croisade que les simples gentilshommes prirent successivement des armoiries, et Ton comprend que les fils des croises, jaloux de perpetuer dans leurs maisons le souvenir de leur cooperation aux guerres saintes, voulurent conserver pour euxet transmetlre a leurs descendants ces marques de Tillustration de leurs pferes. Voili pourquoi les figures heraldiques s’etendirent bientot des ecus, des banniferes et des cottes d’armes aux sceaux, destines a conflrmer ou ratifler lescontrats eti attestor la verite des actes 6crits, puis aux monnaies, aux monuments, aux meubles et mfime aux vfitements civils. Mais Tusage des armoiries generalement pratique au XIIP siécle, etait inconnu avantleXII e sifecle, ainsi qu’on peut s’en convaincre par l’inspection des monuments anterieurs a cette epoque. Par exemple, la fameuse tapisserie de Bayeux, attribuee k la reine Mathilde» femme de Guillaume le Conquerant et executee dans la seconde moitiédu XI e sifecle, ne renferme aucun signe heraldique sur les vfitements ou boucliers de cette longue suite de guerriers, dont elle fait connailre si scrupuleusement le costume. Un de nos plus anciens monuments héra !diques se trouve au musee du Mans : e’est le portrait sur email de GeofTroi le Bel, dit Plantagenet, comte d’Anjou et du Maine et due Normandie, mort en 1150. Ce portrait ou Geoffroy est represerlte l.’6p£e a la main, et ayant, suspendu au cou, une large dont le champ dazur est charge de quatre lionceaux dor, paralt avoir ete execute a Toccasion de sa reception dans Tordre de chevalerie. Aussi le moine de Marmouliersen decrivant les cerémonie s quiaccompagnferent cette reception, n’oublie pas le bouclier charge de lionceaux « clypeus, leunculos aureos imaginarios haben*, collo ejus suspenditur. » Voili bien les lions, ou si Ton veut les leopards de la Normandie et de l’Angleterre ; mais ces armoiries n’etaient pas encore bien arrfitees, etce n’est qu’a partir de Richard Coeur-de-Lion, en i 180, qu’on voit les leopards rdduils a trois pour TAngleterre et ^^tizedb^LiOOQlC-^ ET DE LOUG V.NJSATION MILITAIRE DE LA BRETAGNE 303 a deux pour la Normandie, le champ de gueules sut>stitué au champ dazur, et les armes primitives de Geoflfroy, affectées au comté du Perche. L'absence d'armoiries surles sceauxetlesmonnaiesavant leXU e si&cle, est encore line preuve de l'ignorance ou Ton 6tait plus tdt de Tart héraldique. Louis VII, dit le Jeune, qui rfcgna de 1131 a 1180, est en effet le premier des rois de Prance qui choisit pour embl&me les fleurs de lys. Encore ignore-t-on si ces armes primordiales repr6- sentaient de vraies fleurs, ou bien le fer de I'angon ou lance h trois pointes des anciens Francs. Quelle que soit leurorigine, les fleurs de lys portées preincrement sans nomt>re y furent rSduites a trois dans l'6cude Prance, h partir duroi Charles V. Nous n'avons pas renconlré d'armoiries souveraines pour la Bretagne avant Pierre de Dreux, etce prince seconforma k Tusage frSquemment observe jusqu'au XIV e Ste- ele, paries barons, de prendre les armes des hériti&res dont les domainesdonnaient le nom h leurs branches. Ainsi la branche de Dreux, de la maison de Fraqce, prit les armes de Baudement de Braine, e'est-a-dire tin echiqueU dor et d azur, que Pierre, comme juveigneur du comte de Dreux, brisait d'une bordure de gueules, et il ajoutaa ses armes de famille un franc quartier d her mines ou de Bretagne , a par- tir de son mariage en 1213 avec Alix de Bretagne, hGritiere du duch6. Ces d jrniferes armes avec leurs 6maux, se voient encore sur un vitraildu XIII f sifcele dans lechceur de la cathGdrale de Chartres, et sont aussi gravies sur les monnaies anonymes frap- pées par ce prince, a Guingamp a partir de 1223. Nous avons dit que la transmission h£reditaire des mdmes armes n'6tait pas générale au"XII e sikcle ; les preuves de YHistoire de Bretagne de D. Morice, et YHis- toire des grands off icier s dela Couronne, par le P. Anselme, font voir que les chan- gements d'armoiries 6taient encore frequents aux XIII C et XIV siecles dans les m8mes families, sans en excepter les plus illustres, el nous allons citer quelques exemples de ces changements, a commencer par la maison de Bretagne. Jean II, petit-fils du due Pierre de Dreux, qui rfcgna de 1280 a 1305, quitta parfois les armes de Dreux pour prendre les hermines pleines. Cependant Ytchiquett de Dreux reparut sous Arturll, morten 1312, et nefut dSfinitivement abandonné que sous son successeur Jean III, mort en 1341 ; il le conserva néanmoins sur les mon- naies limousines qu'il frappait comme vicomtede Limoges. Alain, vieomlede Rohan, dit le Jeune, confirme en 1194 la fondation de l'abbaye de Bonrepos ; la charte de confirmation est scell(!> d'une bande. Le mSme Alain en 1204 du consentement de de Josselin son fr&re", fait une nouvelle donation a Bonrepos. Cette fois le sceau d'Alain est un poisson etle contre-sceau un lion a la bordure nibulee, tandis que Josselin a pour sceau et pour contre-sceau un ecu plein, auchef flanque et charge dun autre 4cu, brisG dun franc canton. Geoffroy, fils atné d'Alain qui prdcfcde, sur une charte de 1210 toujours en faveur de Bonrepos, scelle et contre-scelle comme son pfere, d'un lion a la bordure nibutte, et sur un autre acte de 1222, de sept macles. Alain, juveigneur de Rohan, brise les sept macles d'une bande sur un sceau de 1298 etles.neuf macles de Rohan ne sont definitivement adoptees que posterieurement 1

Le Nobiliaire ne renferine ]>as toutes les variances drs scvuux ^ui n'ont ete pris que temporairement 

et sans transmission hereditaire. 304 DE l'ORIGINE DES ARMOIRIES

Damette Goyon, fille de Robert, porte un lion, sur un sceau de 1219, tandis que Ruellend, son frère, porte fascé de huit pièces et un lambel en chef sur un sceau de 1218, et qu'Alain Goyon, leur arrière petit neveu, scelle un acte de 1289 des armes de Matignon, savoir : deux fasces nouées, accompagnées de neuf merlettes, Le lion de Goyon ne reparaît plus qu'au XVe siècle, et encore est-il écartelé de Matignon, et le lion seul ne se retrouve pas avant 1486.

La maison de Chateaubriant, qui porte soit des plumes de paon, soit des pommes de pin en 1199 les change en fleurs de lys, par concession de saint Louis, depuis la croisade de 1248.

La maison du Guesclin portait au XIIIe siècle : palé de six pièces, a trois fasces fuselées d'hermines, brochantes, qui rappellent la maison de Dinan, dont les du Guesclin étaient issus en batardise. La branche ainée des du Guesclin porta ensuite une aigle eployée que la branche du connétable brisait d'une cotice.

Guillaume Budes, sieur du Plessis-Budes et d'Uzel, ai'eul du marshal de Gu6- briant porte un pin arraché en 1340 ; Sylvestre, son fils, gonfalonier de l'Eglise romaine, scellait des armes d'Uzel, c'est-a-dire une bande chargte de trois besants. Puis le pin de Guillaume Budes reparalt accosts de deux fleurs de lys par concession du roi Charles V, et est ensuite sommé d'un épervier dans plusieurs branches collaterales de cette même famille.

Nous pourrions multiplier nos preuves à l'infini, mais nous croyons en avoir assez dit pour montrer combien étaient communes les substitutions d'armes, provenant ordinairement d'alliances, de prétentions ou de concessions, et plus rarement de causes arbitraires.

Une autre modification apportée aux armes, était comme on l'a vu, la brisure, c'est-à-dire un pièce ou meuble que les aînés d'une maison obligeaient leurs cadets à ajouter aux armes pleines de l'auteur commun, pour distinguer les divers rameaux sortis d'une même souche.

L'histoire des sceaux se trouve étroitement liée au blason ; aussi devons-nous nous y arrêter. L'usage des sceaux est bien anterieur a celui des armoiries, puisque tous les empereurs romains avaient des sceaux, et qu'a leur imitation, les Mérovingiens, puis les Carlovingiens qui regnèrent sur les Gaules, eurent aussi des sceaux. C'est ce que nous apprennent les Traités de diplomatique de D. Mabillon et de D. de Vaines. Il est donc probable que les premiers rois bretons eurent des sceaux aussi bien que les rois francs. Cependant dans une lettre du Pape Adrien ci Salomon III, ce pape se plaint que Salomon n'avait point scellé les lettres qu'il lui avait adressées. D'où il faut conclure que, si l'usage des sceaux subsistait en Bretagne au IXe siècle, il n'était point général ; on n'y connaît aucun sceau de cette époque. Le plus ancien qui nous ait été conservé est de Quiriac, evêque de Nantes en 1064, oncle d'Alain Fergent ; mais ce sceau avec les bustes de saint Pierre et de saint Paul rangés face a face, n'est que l'imitation des bulles des papes, dès lors en usage.

Le mot bulle formé du latin bulla, ornement rond que les patriciens suspendaient au cou de leurs enfants, ne s'entendait d'abord et avec raison que du sceau attaché à des lettres ; cependant certaines épîtres pontificales ont tiré et conservé leur dénomination de la bulle de plomb qui y est pendante. Le sceau [sigillum, annulus,

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bulla) 6tait souvent accompagnG du contre-sceau [contra-signetum) ou petit cachet qui servait seul dans les affaires courantes, mais qu’on appliquait en outre au bas du sceau pendu aux chartes importantes.

On a aussi un sceau d’Alain Fergent, qui commenga k régner en 1084. II y est repr 6senté & cheval, drapé dans un manteau k la romaine, la tfite nue etTépée k la main, eta pour Iégende : fALANVs britannorvm ovx. Les sceaux de ses successeurs sontcomme le sien empreints d’une figure 6questre ; mais avec cette difference que le cavalier armé de toutes pieces, a le pot en tSte et porte au bras gauche un 6cu ou bouclier de bois garni de rals d’escardouclcs, qui représentent les bandes de fer dont VGcw 6tait soutenu et fortifle. Jusqu’a la fin du XII e sifccle, tous ces 6cus sont uniformes ; mais a dater de Tinvention des armoiries et de leur transmission héréditaire, le bouclier de la figure Squestre marquS sur les sceaux, regut l’empreinte des pieces hSraldiques adoptees par les princes et les seigneurs. Toutefois ces derniers necommenefcrent pas aussitdt que les princes a avoir des sceaux difterents des anneaux ; mais bientdt les comtes, vicomtes, barons et chevaliers bannerets prirent les uns et les autres des sceaux Squestres. A partir du XV* sifccle, les sceaux des dues de Bretagne les représentent aussi debout sous un dais ou pavilion ou bien assis sur un trdne. Les chevaliers bannerets dont ime marque distinctive a la guerre 6tait la bannifere carrée, portfcrent souvent par cette raison leur 6cu en banniSre, e’est-i-dire carrée. Mais le plus généralement les 6cus Staient représentés couches, et tenus ou supports par des anges, des sauvages ou des animaux. lis 6taient en outre timbres d’un heaume orné de lambrequins ou de volets pendants et sommGs d’un cimier.

L’usage de metlre des couronnnes au-dessus des armoirios n’a 616 introduit par les rois qu’a la fin du XIV sifecle ; les grands seigneurs titrés ont rarement pris cet ornement arrant leXVI sifccle, et Tabus des couronnes ne s’est glissS parmi les simples gentilshommes qui n’ont aucun droit a en timbrer leurs armes que depuis le XVII e si&cle. Les villes surmontfcrent leurs sceaux et armoiries de couronnes muraty. Les dames ne port&rent d’abord que les armes de leur mari, ensuite elles y ajoutferent les leurs, dans des 6cus mi- parti ou e’cartcle’s^ que les veuves entouraient d’une cordeliere.

Les sceaux des juridictions ducales 6taient semés d’hermines ; ceux des communautes civiles et religieuses ont beaucoup vari6. Pour les premiferes, ce sont ou des figures qui font allusion il’6tymologie du nom de la ville, ou k sa situation politique ou commerciale (comme le navire des villes maritiijies, les tours des villes fortes, etc.), ou bien encore les armes des princes auxquelles elles obéissaient. Les abbayes et chapitres adoptfcrent généralement Timage de leurs saints patrons. Les 6véques etabbés mirent alternativement sur leurs sceaux I’imago des patrons de leurs gglises, leur propre image ou leurs armoiries de famille, timbrSes de lacrosse et de la mitre. Ces armoiries se di«tinguaient en outre en ce que pour les SvSques, la volute de la crosse 6tait tournée en dehors, pour montrer leur domination extérieure sur tout le diocfese ; et pour les abb^s tournée en dedans, pour signifier que leur gouvernement 6tait interieur et ne s’6tendait que sur le couvent. Enfin ces derniers sceaux et ceux des dames gjtaient le plus souvent ovales ou en losanges. Tome III. 39

306 DE l’OKIGINE DES ARMOIR1ES

En mfime temps que les armoiries et les sceaux h£raldiques se développaient, les noms de famille héréditaires, qui avaient commencé k 6tre adopts dfcs le XI # sifecle, se généralisferent en Bretagne*. Mais Thérédité dans les noms ne fut point encore absolue etde mfime que beaucoup de families changfcrent d’armes sans changer de aom, d’autres substitu&rent k leur nom patronymique des noms de seigneuries en conservant leurs premiferes armes, ou en les modiflant tegferement par l’adjonction d*une brisure ou l’altemation des 6maux a . Ce3 usages n’6taient pas particuliers k notre province, mais conformes k ce qui se pratiquait en France pendant la durée de la féodalité et l’organisation militaire de la Bretagne, dont il nous rested dire quelques mots, dut aussi se modeler sur celle des autres 6tats. Dans la période de onze sifecles pendant lesquels la Bretagne a 6 gouvernéepar des princes souverains, alternativement en guerre avec la France ou TAngleterre, elle nVpasconnuTusage desarmées permanentes. Ses forces militaires consistaient principalement dans sa chevalerie, k laque !le sejoignaient quelques hommes de pied levés dans les paroisses ; mais aprfes chaque campagne, tous rentraient dans leurs foyers jusqu’i une nouvelle convocation ou prochain ban. On appelait Montre, la revue que passaient des commissaires d’un corps darmée ou simplement d’une compagnie composée exclusivement de nobles ou au moins de possesseurs de fiefs, obligés en vertu de cette possession, au service militaire, nommé aussi service d’ost ou du ban et arriere-ban. Ce service ne pouvait jamais durer plus de quarante jours de suite, etce terme expiré chacun 6tait libre de s’en retourner chez soi. Pendant plusieurs sifccles les nobles furent seuls admis k posséder des fiefs ; mais les nombreuses guerres et les expeditions lointaines auxquelles ils prirent part depuis les croisades, les enlraln&rent dans de si grandes dépenses, que plusieurs furent r£duits a les aligner. Ces fiefs furent quelquefois alors acquis par de riches bourgeois ; mais ces acquisitions ne furent tolérées que moyennant le paiement par l’acquéreur, au profit du prince, d’une certaine finance appel<§e droit de franc-fief. Les nobles pouvaient se faire repn^enter k une montre par un autre noble ; les bourgeois fiefltes y 6taient convoques comrae les gentilshommes, mais s’ils ne se pr£sentaient pas oux-mémes, ils recevaient injunction de servir par noble homme. II en 6tait de mfime des gens d’Sglise, des veuves, des mineurs et des inflrmes, enfln de tous les possesseurs de fiefs qui ne pouvaient fournir le service militaire en personne. Voili de quels 616ments se composait la cavalerie ou chevalerie f nominee ensuite gendarmerie. En outre du service personnel, chaque possesseur de fief, en raison de l’importance de son fief, pouvait avoir k entretenir k ses frais un ou plusieurs vassaux qui combattaient les uns a cheval, les autres k pied. On appelait lance fournie, un chevalier ou homme d’armes k harnois blanc, c’est-&-dire armé de pied en cap, avec le nombre de combattants qu’il conduisait k sa suite. Ce nombre variait en raison de la puissance de chaque chevalier, mais la moyenne 6tait de quatre hommes ; ainsi une compagnie de cent lances, devait faire un effectif de « Conferez notre dissertation sur VOrigine des noms de famille. > Remarquons en passant que le XII* siecle deja celebre a plus d’un titre, fut aussi tSmoin d’une re-* Solution dans l’architecture ; nous voulons parler de la substitution graduelle de Tare ogival au pleincintre.

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quatre cents hommes au moins. Parmi les chevaliers ou hommes d’armes, on distinguait les bannerets, c’est-a-dire les chevaliers poss^dantune chfttellenie, et assez puissants pour entretenir a leurs frais une compagnie composée d’autres hommes d’armes et de leur suite formant un effectif de vingt-cinq chevaux au moins. Le chevalier banneret commandait sa compagnie oil il arborait sa bannifcreou pennon armorte, comme marque distinctive de son rang. Les autres chevaliers ou possesseurs de fiefs de haubert, c’est-Ji-dire de haute justice, qui n’Gtaient pas assez riches pour lever leur banni&re et qui servaient sous un banneret, 6taient nomm£s bacheliers et les simples gentilshommes icuyers. On voit par l’histoire de Bretagne, que le nombre des bannerets appelés en cette quality aux parlements généraux des annees 1451 k 1455, 6lait de quatre-vingt-dix pour tout le duch6. A cette chevalerie héréditaire, acquise en vertu de la possession de certains fiefs et que Toussaintde Saint-Luc et Hévin nomment chevalerie Helle, se joignait. la chevalerie personnelle, laquelle s’acquSrait par de hauts faits d’armes, et se conférait avec de brillantes cérémonies dScrites dans un grand nombre d’auteurs 1 . Nous n’avons pas k nous occupor ici de cette derni&re chevalerie qui a donné naissance k tous les ordres institués paries princes aux difterents sifccles de notre histoire, pour rScompenser le mSrite et surtout le mérite militaire. Nous devons ajouter seulement que les ordres particuliers k la Bretagne, furent Tordre de YHermine cr66 parte due Jean IV en 1381 ; celui de V£pi, cr66 par le due Francois I tr en 1445 et celui de la Cordeliere, par Anne de Bretagne en 1499, ce dernier k l’usage des dames. Les armies se recrutaient encore de pistons par 1’engagement volontaire cKun certain nombre d’hommes libres, qui k cause de la solde qu’ils recevaient, furent hommes soudards, e’est-i-dire soudoySs. Ces soudards regurent aux diflterents sifecles dumoyen &ge d’autres appellations, comme coterraux (cullarelli), parce qu’ils 6taient arm^s de coutelas ; brabancons, aprfes la guerre du Brabant ; rontiers, parce qu’ils parcouraient incessamment les routes ; brigands, parce qu’ils faisaient partie d’une brigade et portaient pour arme defensive une cuirasse 16gfere, qu’on nomma pour la mfime raison brigandine, ou enfln aventariers, lors dela guerre dite du bien public, sous Louis XI. A partir des guerres d’ltalie sous le roi Charles VIII, les pistons regurent la denomination qu’ils portent aujourd’hui, c’est-4-dire qu’on les nomma fantassins ou infanterie (de l’italien fantassino, diminutif de fante, enfant, gar^on, valet) et mortes-payes, lorsqu’ils tenaient garnison dans une place. Ces sortes de troupes n*6taient comme toutes les autres engag£es que pour un temps fort limits, généralement celui d’une guerre ou mfime d’une expedition ; et dfes qu’on n’en avait plus besoin, on les licenciait. Alors, la necessity forgait ces hommes qui n’avaient pour tout moyen d’existence que leur £pée, k en faire usage pour leur propre compte et au prejudice des populations sans defense. lis s’organisaient par bandes et ravageaient le pays qu’ils avaient nagufere défendu. C’est de k que le nomde brigands qui nedésignaitd’abord que les porteursde brigandines, est reste aux voleurs de grands chemins, et telle est aussi l’origne des grandes compa-

  • Voir du Cange, la Colombiere, Favin, la Roque, le Lahoureur, le P. Menestrier, le P. Daniel, la

Came de Sainte-Palaye, etc.

308 de l’origine des ARMOIIUES

gnies qui ravagfcrent la France sous Charles V, et dont du Guesclin r<hissit k la d61ivrer momentanGmenf, en dirigeant ces bandes sur l’Espagne. Cet 6tat de choses dura en France jusqu’a restitution, par Charles VII, des compagnies de gens d’armes d’ordonnance et des francs archers, les uns corps de cavalerie, les autres d’infanterie, qui formfcrent le noyau des premieres armées permanentes.

Plus de vingt ans avant cette institution, le due Jean V, en Bretagne, avait fait un mandement en 1424, pour armer dans chaque paroisse du duch6, en oultre les nobles, un nombre d’hommes valides, proportionng a la population de chaque paroisse, et 6quipés k ses frais. lis devaient se tenirprfits k marcher au premier appel, mais n’Staient payés que pendant la guerre. D’autres levies de gens partables dits this eurent lieu dans le courant du XV sifecle, et les dues entretinrent aussi des compagnies d’ordonnance, d’arbalétriers et de francs archers. Ces derniers ainsi nommés parce qu’ils (Haientaffranchis du paiement de tous fouages, tailles et subsides, s’assemblaient de plusieurs paroisses les jours de ffite pour s’exercer k tirer de Tare, et aujourd’hui encore le tir au papegault que Ton fait dans quelques lieux, est un reste de cet ancien usage.

Une ordonnance du due Pierre, rendue en 1450, pour l’armementde la noblesse et des archers des paroisses, enjoint aux procureurs de chaque juridiction de s’informer « du gain et valeur des richesses et rentes d’un chacun noble homme, estagier et mansionnaire, et a chacun des dits nobles, faire commandement de se tenir etse mettre en estat et habillement de deffense, selon sa puissance. » Une ordonnance du due Francois II, en 1471, notifie aux nobles tenant fiefs, anoblis, francs-archers et autres sujets aux armes que pour le temps a venir il serai t pay<§ :

« Aux hommes d’armes k harnoisblanc et lance o son coustiller et un page, par mois dix réaux.

» Et par autant que chacun homme d’armes aura d’archers o arc, trousse et bonne espée ou dague, bien armez et montez, pour chacun six r<§aux. » Et pareillement des autres archers usant de Tare, trousse etc., pour chacun six réaux.

» Et au regard de ceux qui seront jusarmiers a brigandine ou palletoo, bien montez, par mois quatre r£aux.

» Et ceulx qui seront a javeline, passeront comme coustilliers sous la lance d’hommes d’armes et seront pa’ifis par mois trois réaux. » lis devaient jurer que leurs armes, harnais, chevaux et habillements deguerre 6taient bien leur propria, et s’engagaient aussi par sermenU servir le Due contre tous ceux quipeuvent vivre et mourir. Les fiefs et heritages des dtfaillantz ou non comparaissant auxmontres, 6taient saisis et confisqués au nom et profit du Due, sans prejudice des mtdctes (amendes) et autres peines que les commissaires pouvaient leur imposer, comme de commettre a leur place « personnes de quality requise, le tout aux depends des défaillantz. »

Le due Franfois II donna encore commission, en 1480, pour lever une nouvelle milice, dite des Bo ?is corps, « puissants et idoints pour porter les armes en guerre, »/, ^-rr-^r ~ -^OOQxC

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et recrutee, ainsi que les francs archers et les 6lus, dans les gens de bas 6tat ; enfln, au mois de juin 1481, il ordonna lamontre gén§rale de la noblesse des neuf 6véchés, ou nous voyons apparallre pour la premiere foisquelques rares couleuvrines d main et escopettes, qui devinrent ensuite des arquebuses.

Jusqu’au développement du syst&me des armes a feu, la poliorcétique du moyen &ge 6tait k peu pr&s celle des Romains et Ton se servait de la plupart de leurs machines sous di(Iérents noms.

Ainsi, pour battre les mursen brfeche, on avail le Mlier ; pour s’approcher des murailles d’une place assi<§gée, on construisait en bois des tours roulantes nominees beffrois, munies a l’gtage supSrieur d’un pont que Ton faisait tomber sur la muraille pour y entrer de plain-pied ; pour combler et pour passer les fossés, on se servait du chat, iiommiS aussi truie et tortue (Tapproche % et du mantelet, machines qui rSpondaient au pluteus, k la vinea ot au musculm des Romains ; enfln, pour lancer des pierres et des dards, on avait des engins qu’on distinguait sous le nom de batistes, catapultes et mangonneaux, et qui remplagaient dans l’attaque et la defense notre artillerie actuelle.

Ce terme d’artillerie, formé du vieux francjais artiller (rendre fort par art), est d’ailleurs de beaucoup anterieur k Tusage des bouches k feu, et s’appliquait k tous les engins [ingenia) et machines de guerre qui précfcdferent l’invention de la poudre et aux ouvriers chargés de les fabriquer et de les faire jouer. Les artilliers ou engignours (ingénieurs) comprenaient encore les pionniers, les mineurs ou sapeurs, et ensuite les canonniers, tous hommes de metiers, dont les services, pour n’fitre pas moins utiles que ceux de la chevalerie, n’dtaient pas toutefois aussi brillants et pla-Caient les artilliers aux derniers rangs de la hiérarchie militaire *. Cette d f’aveur se prolongea m&me bien tard, puisque les preuves de noblesse exig£es dans les dernifcres anndes de Tancien regime pour les offlciers d’infanterie, de cavalerie, de dragons etde marine, en un mot, pour tout C3 qui combattait corps k corps, n’Stai point demandées pour l’arme de l’artillerie et du génie. . On donna aux premieres armes k feu le nom de bombardes, onomatopée du bruit que font ces armes en tirant, et le nom de bdtons ou canons, k cause de leur ressemblance avec une canne. Lis Flamands en possédkrent les premiers et s’en servirent contre les Frantjais, qui asstegeaient le Quesnoy en 1340 ; aussi Froissart, parlant de ce stege, dit : Ceulx de la ville d£cliquerent contre eulx (les Fran^ais) canons et bombardes qui gectoient grands quarreaux. On sait que les Anglais k la bataille de Crécy, en 1346, employment Sgalement ce nouveau moyen de destruction, qui effraya tellement les Fran^ais, qu’il fut la principale cause de leurdéfaite. L’u3age s’en introduisit pour la premiere fois en Bretagne ausi&ge de BScherel, en 1363, et avait pris dks le commencement du sifecle suivant une assez grande extension, car nous

  • lis 6taient toutafois exempts de fouages ainsi que les francs archers, comme on l’apprend d’une

enqu£t3 d9 1478 pour la paroisse de Saint-Broladre, dans laquelle figure : « Jean Salmon, canonnier du due, fane soubs couleur du diet office et a apparu le double du mandement du due du nombre des canonniers de sa retsnue, auquel il est rapporte. »

On remarque aussi dans les anoblissemsnts et franchises du XV« siecle : «4iaoulet le Charpentier, maitre de la charpenterie du due et faisauc des engins, canons et bombardes du pays de Bretagne, anobli et franc hi en 1437, paroisse de Saint-Judoce. » ’ 310 DE i/ ORIGINS DES ARMOIRIES

voyons la charge de grand-maltre du trait et de l’artillerie de Bretagne 6tablie dfes le rfcgne de Jean V et exercée en 1431 par Rolland de Saint-Pou. L’union du duché k la France, consommSe en 1532, n’apportaaucun changemen notable k son organisation militaire. Pour la convocation du ban et arrifere-ban du duch6, Francjois I tf fit en 1540 une ordonnance renouvetee et dtendue par Henri II, ou il est question pour la premiere fois de chevau-ltgers, c’est-k-dive d’hommes armés k la 16gfere et dont le cheval n’Stait pas capara$onn6. Les chevau-16gers organises dans la suite en compagnies, 6taient moins considérés que la gendarmerie, mals cependant beaucoup plus que Tinfanterie de cette époque, dont Brantdme disait : « Qu’il s’y trouvoit k la vérité quelques bons hommes, mais la plupart gensde sac et de corde, mSchants garnements marques de la fleur de lys sur Tépaule, Mlltres’ mal armés, faineants, pilleurs et mangeurs de peuples. » Francois I ar , aprfcs avoir 6té contraint de se servir de ces bandes indisciplines au commencement de son r&gne, fit ensuite des ordonnances trfcs sévferes pour en purger Tarmie. L’ordonnance de 1540 est aussi la premiere qui mentionne des nobles cgmbattant k pied « avec le corps de halecret (demi-cuirasse), le morion casque), et la picque. » Nous voyons toutefois dans une montre de la paroisse de Tréduder, re$ue en 1481, des « mariniers ennobliz comparus d pied ; » mais leur £tat justifle cette exception. Nous ferons observer, d’ailleurs, qa’k partir du r&gne de Charles IX, c’est-&-dire k mesure que l’organisation des armées rSguli&rei se perfectionnait, le systfeme des montres tomba rapidement en désuétude. On peut s’en convaincre par le nombre considerable de difaillants qu’on remarque aux montres de la fin du XVI # si&cle. Un auteur de cette Spoque attribuait k une autre cause encore le discredit ou elles Gtaient tombées ; mais nous U laisserons parler lui-méme, ne voulant rien retrancher de la na’iveté de son langage : « Du temps du grand Roi Francois, aux monstres des arrifere-bans 6toient les gentilshommes d’ancienne race, séparés et k part, qui, pour mourir, n’eussent souffert que les annoblis ou autres ayant permissian acquérir fiefs nobles, qui 6toient en autre bande et regiment, se fussent joints et approchés d’eux au combat, afln et pour confondre lavaillance des uns, avec le bas coeur et inexpérience des autres. Ce qui a fait qu’en ce jour les arrifcre-bans, composes de valets de nobles qui dédaignent, peu excepts, marcher avec ces sentant encore la charrue et boutique, ne valent plus qu’i doublure, comme ne rendant aucun combat ; ce que nousavonsvu arriver de notre tempi*. »

Cependant, on continua k dresser les r61es du ban et arri&re-ban pour servir en cas de nécessité ; et dans ces rdles etaient inscrits par compagnies de cavaliers ou mousquetaires, formaht neuf regiments avec un colonel pour chacun des neufs 6véchés de Bretagne, tous les gentilshommes qui ne faisaient pas partie de Tarmée régulifere. des capitaineries garde-cdtes cr66es dfes le rfcgne de Louis XIII, et des cours du parlement et des comptes. Ces cavaliers rempla ?aient les anciens hommes d’armes

  • Con tea et discours d’Eutrapel, par Noel du Fail, sr de la He’rissaye, conseiller au parlement de

Bretagne en 1571.


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ET DE ^ORGANISATION MILITAIRE DE LA BRETAGNE


etavaienta leur suite et a leur solde particuli&re, chacua suivant sa fortune, ua, deux ou trois autres cavaliers armés. Us furent quelques fois utiles sous lesr&gnes de Louis XIV et de Louis XV ; l’arri&re-ban de la Basse-Bretagne, command^ par le marshal de Vauban, se distingua particuli&rement en 1694, en repoussant a Camaret les Anglais débarqués sur les cétes de Brest ; et en dernier lieu, les gardecdtes prirent une part glorieuse au combat de Saint-Gist gagn§ en 175S par leduc d’Aiguillon, sur les Anglais débarqués entre Saint-Brieuc et Saint-Malo.