Nobiliaire et armorial de Bretagne/De la noblesse

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J. PLIHON ET L. HERVE (3p. 274-300).

DE LA NOBLESSE[1]




Reddite ergo quæ sunt Cæsaris Cæsari.
(Math. XXII. 21.)



A la fin du dernier siècle, l’un des plus ardents novateurs des Etats-Généraux publiait une brochure qui eut un grand retentissement sous ce titre : « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? — Tout. — Qu’a-t-il été jusqu’ici ? — Rien. — Que demande-t-il ? — Devenir quelque chose. » L’abbé Sieyès, après avoir contribué de tous ses efforts a la réunion des trois ordres, après avoir voté les décrets de 90 et 91, portant suppression de tous les titres et qualifications nobiliaires, après avoir voté la mort du Roi, sans phrases, devint… Comte de l’Empire. Les defenseurs actuels des immortels principes de 89 n’ont point sollicité de titres nobiliaires comme leurs devanciers : ils s’en sont emparés, tout en protestant de leur amour pour l’égalite. La noblesse de race elle-même oublie trop souvent que dans l’ancien régime, le nom était tout au point de vue nobiliaire, et que le titre n’était rien. Ainsi, tous les financiers pouvaient devenir et devenaient généralement marquis au XVIIIe siècle, et n’étaient pas pour cela gentilshommes. Cette qualité de gentilhomme (gentis homo) qui est dans le sang, qui ne peut être donnée que par une longue suite de générations nobles et non par des lettres souveraines d’érection ou de provisions, a toujours été si honorable, que les rois juraient foi de gentilhomme, parce que cette qualité doit renfermer toutes les vertus qui rendent la foi inviolable. Francois Ier, tenant un lit de justice, disait qu’il était né gentilhomme et non Roi ; et Henri IV, faisant l’ouverture des Etats de Rouen, ajoutait que la qualité de gentilhomme était le plus beau titre qu’il possédât. Le Roi était donc appelé avec raison le premier gentilhomme du royaume. Si, à l'inverse de l’abbé Sieyès, nous voulions soutenir que la noblesse est tout, nous avancerions un autre paradoxe ; mais malgré la suppression de la noblesse comme corps privilégié depuis 1789, il paraît, à en juger par les jalousies mesquines quelle excite et par les efforts de tant de parvenus pour s’y affilier sournoisement, qu’elle est encore quelque chose. En fait, si l’ordre de la noblesse n’existe plus, de droit, dans l’Etat, il y a encore des gentilshommes. Les crimes et les guerres de la Révolution ont amené, il est vrai, l'extinction d’un grand nombre de families anciennes ; mais il en subsiste encore, et tous les décrets n’empêcheront pas plus un noble qu’un vilain d’être flls de son père. La noblesse est donc un fait indépendant de toute opinion, « car DE LA NOBLESSE ET DES USURPATIONS NOBILIAIRES 275

rien au monde ne peut faire qu’il y ait noblesse, quand il n’y en pas, ou qu’il n’y en ait pas, quand il y en a*. » Quant aux appreciations qui ont ete portees sur la noblesse, elles sont fort diverses ; mais le plus souvent, on s’estetudi6& la representor aux yeux des masses, gnicei quelques exemptions flscales, corame un ordre de vampires, se nourrissant des sueurs du peuple taillable etcorvtaMedmerci.Ge texten’aete encore retrouve dans aucune coutume, non plus que le droit du setgneur, et Ton n’a pu produire davantage un acte terming par la fameuse formule : a diclart ne savoir signer en sa qualiti de gentilhomme. Mais qu’importe, cela n’empfiche pas d’imprimer des phrases comme celle-ci, non pas dans les mauvais jours de la Revolution, mais aujourd’hui : « La noblesse feodale, pour masquer les vices de son origine, a parquS les hommes comme des troupeaux, en en faisant des serfs, et son histoire est le martyrologe des peuples*. > Que les inquietudes de M. Hamel se dissipent, la repression du port illegal d’un nom ou d’un titre ne fera pas un martyr de plus. Pour bien juger la feodalite, que personne ne songe k reconstituer, il fautla prendre dans sa force ; faire le calcul des immunites d’un gentilhomme d’une part, et de l’autre des charges qui lui etaient imposees en raison de ses revenus, et Ton demeurera convaincu de la verite de l’adage : Noblesse oblige. Quand on lit attentivement les anciennes constitutions de la noblesse, on voit que ses charges materiellessurpassaient de beaucoup ses avantages ou exemptions, et que c’etait un ordre de sacrifice. Le gentilhomme nepayait point la taille sur ses biens nobles et ne tirait point a la milice ; pourquoi ? parce qu’il etait oblige de marcher lorsque le Roi convoquait le ban et l’arrifcre-ban, et de se faire suivre k la guerre d’un certain nombre d’hommes leves et entretenus k ses frais, nombre base sur l’importance de son fief. D’ailleurs, il acquittait le fouage ou la taille et mfime les corvees sur ses biens roturiers 3 , la dime ecciesiastique et la capitation ou impdt par tête, correspondant à l’impôt personnel et mobilier d’aujourd’hui. Quant aux corvees oujournees de travail gratuit et force dues par les vassaux k leur seigneur, elles n’ont jamais ete arbitraires : leur nombre etait 6crit dans les coutumes, les usements particuliers et les actes d’infeodation , et elles sont en grande partie remplacees aujourd’hui par les prestations en nature pour l’entretien des routes, autrefois sous la garde des seigneurs. Ceuxci etaient tenus d’employer k leur reparation les deniers de leurs amendes, et, en cas d’insufflsance, l’entretien des chemins, autres que les chemins royaux, etait k la charge des proprietaires riverains, de quelque qualite qu’ils fussent 4 . En resultat, je crois que la position si enviée des anciens gentilshommes , avec ses privileges et ses charges , ne tenterait aujourd’hui aucun de leurs jaloux, et cela en ne mettant en ligne que les 6cus seulement, et abstraction faite des risquesque courait la vie des priviiegiés. Ces risques etaient tels, ’que la majeure partie de leurs families s’eteignait promptement dans le sang, quand elles ne succombaient pas k la misfere.

  • Granier de Cassagnac, Histoire des classes nobles et des classes anoblies.

1 Les principes de 89 et les Titres de Noblesse, par Hamel, 1858.

  • Coutumede Bretagne, art. 91.
  • Coutume de Bretagne, art. 49.

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En 1789, les armies reguliferes soldees avaient remplace depuis longtemps toutes les institutions militaires feodales ; certains privileges n’avaient done plus raison d’etre et Ton pouvait legitimementles abolir. Toutefois, je ne comprends pas parmi les privileges qu’on pouvait abolir les rentes feodales et casuels de flef s, sorte de proprietes qui se vendaient et n’etaient pas moins sacrees que les rentes foncifcres. Ces proprietes, on devait les racheter si on les trouvait gfinantes. On ne respecta pas plus les autres, et le patrimoine de Teglise et de la noblesse passa en quelques jours, sous la denomination de biens nationaux, et aux prix de quelques assignats, aux mains des croquants.

A la difference de Taristocratie de naissance, cette aristocratie nouvelle des richesses, portant derrifere Toreille la plume qie Thomme d’armes portait & son heaume, pretend jouir aujourd’hui sans compensation ; réglementer Tfitat, qu’elle • soutient comme la corde soutient le pendu, et aprfes s’fitre emparée des biens de la noblesse, lui ravir cequi lui reste de son glorieux passe, ses noms et ses titres. « Au milieu de ce debordement de noms de terre, de ce demembrement de noms roturiers en particules ambitieuses, de cette usurpation de titres presqueuniverselle, ce sera bientdt une distinction etune preuve de goflt que de garderson nom veritable. La societe devient si noble, qu’il y reste k peine de la place pour ceux qui se piquent d’avouer leur roture. Onse plaint du ralentissementde la population en France, e’est du Tiers-fitat sans doute que Ton veut parler, car la noblesse se multipliedemesurement et menace de couvrir bien tdt la surface du pays. Certes, si les sentiments s’ennoblissaient quand les noms s’anoblissent, on pourrait concevoir sur Tavenir de la nation les plus hautes esperances. Malheureusement, cet anoblissement general ne prouve qu’une chose : e’est que le ridicule a trop perdu en ce pays de son utile puissance, puisqu’il ne sufflt pas h faire justice de ce que la loi ne peut sagement atteindre*. »

Cette conclusion ne paralt pas conséquente de la part du journaliste qui depeint si spirituellement Tabus que legouvernementveatreprimer.De plus, les adversaires comme les partisans de la mesure qui a tenu pendant un an tant de vanites en 6moi, n’etaient pas exerces au maniement d’armes, depuis longtemps hors d’usage, dans la poiemique habiluelle des joumaux. C’est done k Timprovisto qu’ils les ont saisies pour attaquer ou pour defendre Tinstitution de la noblesse, qu’ils connaissent a peine. Tousles organes de )a publicite ont confondu, dans ces derniers temps, V extraction avec le titre , en citant un certain nombre d’fidits, d’Ordonnances et de Declarations du Roi, qui punissaient tout usurpateur du nom et du titre de noblesse. Avant 1789, les poursuites pour usurpation de titre et d’origine ont 6te exlrfimemen t rares ; et cependant Tabus, pour n’fitre point aussi commun qu’aujourd’hui, n’en etait pas moins flagrant. Les poursuites pour usurpation de noblesse etaient au contraire trfes frequentes. La raison en est, que le flsc avait interfit a s’opposeri Texemption des taxes, tandis qu’il etait desintéresse dans la question des titres et de Tauciennete de la race. On a dit que la plus grande partie des erections faites aux XV1I # et XVIIP sifccles, Tavaient 6te en faveur de la robe ou de la finance et non

  • Pré ?ost-Paradol, Journal des Ddbats, mars 1857.

^ VpOOOlC^

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de Yépée ; cela est vrai, et l’on doit ajouler qu’elles n’ont jamais ete accordees spontanément par le souverain, mais qu’elles ont toujours 616 sollicitées. A l’exception du titre de Due, les autres n’ajoutaient rien aux prerogatives du simple gentilhomme.

Dans le principe, la noblesse s’est acquise tacitement et par le seul usage ; elle etait etablie depuis longtemps ainsi, lorsque les rois se sont charges de la rSglementer et se sont attribue le droit de la conferer. Dans le principe aussi, les principales terres seigneuriales ont 6té titles par Tusage, et le fait seul de leur possession en donnait le titre k leur proprietaire. De mftme que la noblesse immimoriale, nommee aussi noblesse de chevalerie, de nom et d’armes ou dancienne extraction, a plutdt gagneque perdu en valeur aprfes Tinnovation des anoblissements par lettres patentes, les terre3 titrees par l’usage anterieurement aux premiferes Erections du souverain, ont conserve toutes leurs dignites. On trouve bien peu directions de terres titrées, dflment enregistrees, avant la fln du XVI" sifecle ; et dfes le commencement du sifccle suivant, les usurpations etaient déj k frequentes, ainsi qu on peut l’interer de ces doléances de Pierre d’Hozier, juge d’armes de Prance. « II y aplusieurs en cette province qui s’attribuent sans tiltre legitime ces qualitez de Marquis et Comtes : mais ii ne s’en trouve rien dans les registres du parlement, fors des deffences k plusieurs modernes de ne prendre les dittes qualitez, que quantity de perSonnes abusivement portent aujourd’hui par toute la France, sans autre droit et fondement que parte que leurs valets les appellent ainsi 1 . » Avons-nous change depuis, et cette phrase n’a-t-elle pas Fair d’etre ecrite hier ? Au sifecle suivant, le due de Saint-Simon ne peint pas moins le travers de son temps, quand il s’ecrie : « II est vrai que les titres de Comtes etde Marquis suattombés dans la poussifere par la quantite de gens de rien et mfirae sans terres qui les usurpent, et par la tombes dans le neant : si bien mftme que les gens de qualite qui sont Marquis ou Comtes, qu’ils me permettent de le dire, ont le ridicule d’etre blessés qu’on leur donne ces titres, en parlant a eux. » Le desordre n’a fait que croltre depuis, et Ton peut dire que les titres ne Sont plus qu’au porteur ; mais personne ne se trouve aujourd’hui blesse de recevoir des appellations honoriflques non justifiees. Nous nous associons done pleinement k la pensee de M. le Garde des Sceaux, dans son rapport k TEmpereur ; mais e’est une bien faible digue contre le debordement des titres de contrebande, que le retablissement de l’article 259 du code penal, qui, nous le craignons, ne sera pas plus execute qu’avant son abrogation. II y a sans doute aussi loin d’un chevalier de la Légion d’Honneur k un chevalier banneret, que d’un Comte k majorat k un Comte d’Anjou, de Champagne ou de Toulouse ; cependant, quelque reduite que soit la valeur des decorations et des titres, ces decorations et ces titres exercent encore un curtain prestige sur les masses ; mais le code penal, en reunissant dans un article unique (259) le port illegal d’un uniforme oud’une decoration etcelui d’unnom ou d’un titre, vient detruire ensuite k l’application l’assimilation etablie entre ces deiits. En effet, la croix de la Legion d’Honneur, glorieusement gagnee par un pfcre

  • Recueil armorial de Bretagne, par le sieur d’Hozier, 1036.

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n’autorise pas son fils k la porter, landis que le m£me fils ne sera pas recherche pour le nom ou le titre usurps par son pfere, puisque le rapporteur du Conseil d’Etat dit : « Qu’on ne poursuivra que les usurpations flagrantes, sans faire retomber le ch&timent sur la posterity de ceux qui les auraient commises. » II suit de 14 que si, p&r hasard, la loi venait k fitre exécut£e, le d61inquant aurait droit de dire : « Je ne paierais pas l’amende et je serais noble, si j’6lais seulementmon fils. • Qu’il y a loin de ces mesures illusoires k celles que faisait pressentir le rapport du Garde des Sceaux : « Suffira-t-il de rétablir dans le Code pénal Tarticle 259, ou ne faudrait-il pas, au contraire, en creusant plus profond&nent, prendre en consideration Tétat de la noblesse ancienne, pour dSvelopper dans un systfcme complet et les faits qui constitueront un d61it et les moyens d’en constater I’existence, ainsi que les pénalit<5s qui devront les atteindre.

» La solution de ces questions prSsente des difficulty dignes des méditations et des 6tudes des hommes d’Etat et des jurisc^nsultes ; elle doit 6tre prSparge tout k la fois pour raffermir dans le present les relations sociales dans lesquelles s’introduit de jour en jour un dSsordre plus grand, et pour rendre dans l’avenir, k une institution inseparable du pouvoir monarchique, tout son lustre et toute sa sincérit6. » Ce programme promettait beaucoup, mais il est difficile de soutenir qu’il ait 6té rempli par la nouvelle loi. Et « TEmpereur, dont la mission est de poursuivre l’anarchie partout oh elle se montre » 6chouera confre celte vartete d’anarchie. Les officines des faux monnayeurs de titres, qui prevent un revenu sur la sottise et la vanity de nos publicains enrichis, continueront k d61ivrer lib^ralement, par la gr&ce d’un billet de mille francs, des titres k ceux qui éprouvent le besoin de se timbrer d’une couronne de Comte breveti sans garantie du gouvernement ; et d’autres gens qui ne sont point dans leur pays, k la hauteur d’un hobereau k simple tonsure 61uderont la loi en se pourvoyant dans les chancelleries etrangferes d’un titre aussi payé k beaux deniers comptants*.

Aprfes avoir donn£ l’opinion du premier des d’Hozier et celle du due de Saint-Simon sur les usurpations de titres, il n’est pas moins important de faire connallrc les rfcgles anciennes Stablies pour la transmission des titres véritables. Mais pour juger ces rfegles, il faut montrer d’abord l’origine diverse de ceux aujourd’hui en usage. « Pour 6tre Marquis ou Comle, il ne sufflsait pas de poss«§der une terre 6rigée en Marquisat ou en Comte ; il fallait encore : ou que la terre eilt 616 6rigée en faveur du possesseur, ou si elle l’avait 6té en .faveur d’un autre, que le nouveau possesseur eut obtenu du Roi des lettres qui appropriassent k sa famille le titre qui avait 6té concédé k une autre. II 6tait n^cessaire aussi que la terre, depuis son Erection, n’eut point 616 d£membrée, ou si elle l’avait 6t6, qu’on se fit deiivrer de nouvelles lettres patentes pour conserver le titre, malgré le démembrement s . »

  • Moniteur, avril 1858.

• Pour plus de facilite. sans sortir de France, nous indiquerons une fabrique d’armoiries au rabais ou, mojennant la modeste somme de 5 francs et 20 centimes pour Vaflranchissement, on se procurera un ecu d’or ou d’argent, parti ou ecartele. avec tenants ou supports, timbre ou couronne, cimier ou lambrequins, cri de guerre ou devise, etc., etc. (Voir aux reclames du journal V Union, du 5 ftvrier i858.) > Nobiliaire de Bretagne. Introduction, page XV.

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Si Ton s’en tenait purement et simplement a la lettre de la loi ancienne, je doute qu’il y eilt en France cinquante families, qui pussent r£gulifcrement conserver leurs titre, car, pour cela, il faudrait prouver qu’on possfede encore en lignedirecle masculine, et dans toutc son intigriti, la terre £rig£e en dignity. Le fief a done toujours 616 la base du titre. Pour trouver une derogation a cette rfegle fondimentale, il faut descendre trfes tard.

La Galerie de I ancienne cour (L II, p. 66), remarqus que MM. Dreux et Ghamillart, conseillers au Parlement de Paris, le premier depuis grand-maitre des cérémonies, et le second contr61eur gén£ral, furent faits Marquis de Dreux et Comte de Ghamillart. C’est, dit-elle, le premier exemplede deuxnoms patronymiques décorés d’euxmfimes et sans prStexle de terres, des titres de Marquis etde Gomte. Au XVIII 6 sifecle, Tusage se répandit assez généralement dans la noblesse de faire 6riger en dignity des terres auxquelles on faisait prendre en mSme temps son nom patronymique.C’est ainsi que nous voyons en Bretagne les Becdeli&vre faire 6riger Tréambert en Marquisat sous le nom de Becdeli&vre, et la G&cherie devenir le Marquisat de Charette ; mais ces exemples sont tout difKrents de ceux de MM. Dreux et Chamillart. On alia plus loin encore : le Marquis le Camus, neveu du cardinal le Camus, fut, dit Touvrage précit£, le premier gentiihomme fran$ais qui appliqua un titre seigneurial sur son nom de famille, sans le faire pr£c£der d’un article datif. Ces innovations tendaienti changer complement la nature des anciens titres ; d’une dignity rSelle ou attachSe a la chose, h la terre, x>n faisait une dignity personnelle. L’Empire suivit généralement cette direction ; h Fexception des Principautds et des Du3hés, qui tirferent leurs noms de la terre, les titres de Comtes et de Barons s’appliquaient directement au nom patronymique, comme pour le Marquis le Camus. En Bretagne, on a toujours distingué deux sortes de Chevalerie : la Chevalerie personnelle, quand on 6tait arm’6 Chevalier, et la Chevalerie r&elle, qui r^sultait de la possession d’un fief de Ch3valerie ou de Hiub3rt. La premiere fut en grand honneur dans Torigine ; mais le jurisconsulte Hévin remarque, dansses Consultations , que, dks 1303, les seigneurs Bretons aflfect&rent curieusement de prendre la quality de Chevaliers bacheliers, e’est-i-dire de Chevaliers hGritiers prSsomptifs d’un fief de Chevalerie, pour se distinguer des Chevaliers qui n’avaient que.la dignity personnelle, laquelle 6tait déja devenue fort commune.

Ainsi, tout titre purement personnel ne p3ut conserver longtemps son prestige ; iltend k se multiplier outre mesure, et par consequent a se dépr£cier, mfime quand il est limits h une seule generation ; c’est bien pis si on le rend héréditaire. Quand l’Empire voulut faire revivre la noblesse, il d£créta que tout titre ne sera.it transmissible qui la condition decréerun majorat suffisant pour le soutenir. C’etait assurément une bonne mesure, mais elle 6tait insuffisante. D’ailleurs, la piupart des majorats ont disparu, d’autres sont fort 6cornés ; voil& done toute la noblesse de l’Empire morte ou condamnSe a mourir tr£s prochainemant, en vertu du décret de 1808 qui subordonnait I*hérédité du titre aux majorats aujourd’hui 6teints. C’6tait deji quelque chose de fort singulier qu’un titre assis sur un majorat constitu<§ en rentes sur Tfitat, comme i’6taient la piupart des titres inférieurs de l’Empire. Que sont les dues Decazes, de Louis XVIII ; Latil, de Charles X ; Pasquier et — J5T-* J

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Marmier, de Louis-Philippe, sinon des dues bourgeois ? « Si le ministfere avait » nommé M. Pasquier général in partibus, celui-ci se serait récrié ; il aurait prétendu qu’on voulait se moquer de lui en lui donnant un titre, embl&me d’une autorite » qu’il ne pouvait exercer. On le nomme Due, comme, au XIV* si&cle, les^crivains, » en parlant des généraux de l’antiquit6, disaient le Prince Annibal et le Due Scipion. . . . et il est content ! soit !* » Les Dues d’Isly et de Malakoff ont plus d’6clat, mais point de base assurée dansl’avenir ; ces denominations sont nouvelles en France ; e’est une importation des idSes espagnoles oil il y a des Princes de la Paix, des Dues de la Loyauti, de la Victoire, etc. ; mais en Espagne mftme, cela est moderne.

Hors de la Féodalit6, e’est-i-dire sans juridiction, sans partages nobles, les titres ont done bien perdu de l’importance qu’on y attachait autrefois, mais ils me semblent encore possibles comme une distinction de famille, ainsi que les qualifications de chevalier et (Ttcuyer telles qu’on les entendait en Bretagne. En outre des titres attaches k une terre 6rigée en dignity et de ceux conférés par lettres patentes, il en existait d’autres d£sign£s sous le nom de titres de courtoisie ou d brevet, et, depuis Louis XIV, le3 rois s’en sont montrSs si peu avares, qu’il n’est presque pas de families un peu marquantes dont un membre n’en ait 616 déeor6. En effet, dans les commissions, lettres ou brevets militaires d61ivrés par les rois aux offlciers génSraux ou méme sup^rieurs, ainsi que dans les presentations k la cour, et mfime en Bretagne dans les lettres de convocation aux Etats, les noms des gentilshommes etaient souvent precedes d’un titre qu’ils se regardaient comme autorisSs k porter leur vie durant ; mais ces titres etaient tout personnels, malgre retrange abus qu’on a voulu faire prevaloir en les considérant comme transmissibles et héréditaires. Ce fut dans de semblables idees de courtoisie que fut rendue, en 1817, une ordonnance royale autorisant les flls des Pairs de France seuls k prendre des titres successivement inf£rieurs k celui de leurs pferes. Ainsi, le flls alné du Due de Dalmatie put se qualifier Marquis, de méme que le flls alné du Due de Reggio ; le second flls pouvait se qualifier Comte, le troisi&me Vicomte, le quatrifeme Baron ; mais c’6taient 15, encore des titres tout personnels, quoique ces titres aient 6ié portes depuis héréditairement. Le Roi ferma, dans la suite, la porte qu’il avait ouverte lui-mdme aux abus, par son ordonnance du 10 février-13 aoiit 1824, qui vint r£gler la question des titres. « Art. l ir . — A Tavenir, les titres de Baron, de Vicomte, de Comte, de Marquis et de Due qu’il nous aura plu d’accorder k ceux de nos sujets qui nous en auraient paru dignes, seront personnels, et ne passeront k leurs descendants en ligne directe qu’autant que les titulaires auront 6té autorisSs par nous a constituer en effet le majorat affects au titre dont ils seront revfitus. Ces titres et autorisations seront accordés par ordonnances royales, sur le rapport de notre Garde des Sceaux, et non autrement. »

Ainsi, le gouvernement conservait 16galement la distinction des titres viagers ou a brevet et des titres héréditaires, tandis que maintenant les flls d’un simple Comte k brevet s’intitulent tous Comtes k la fois, dfcs qu’ils sont sortis des bancs du collfege.

CEuvres de NapoWon III, ch. XVIII, Des Nobles. 

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Les titres ne sont done plus qu’une parodie d’une grande institution, et il faut les proscrire d’une manifere absolue, ou leur rendre la valeur qu’ils peuvent encore conserver dans nos moBurs actuelles par une legislation nouvelle, compatible avec nos institutions.

« La noblesse represente quelque chose d’eminemment respectable. Bile represente la tradition, rimportancehereditaire ou la supériorite personnelle 1 . » En présence de cette declaration d’un des journaux les plus d£vou£s au gouvernement, nousne saurions admettre que le but de celui-ci fiit d’exalter la noblesse nouvelle aux depens de Tancienne ; mais s’il en etait ainsi, Tabstention des grands noms de la vieille France qui pourraient décliner la nouvelle juridiction, frapperait la loi de ridicule et d’impuissance.

Les honneurs de la cour, les preuves pour les chapitres nobles et pour le service militaire etant abolis, l’anciennete de la race ne sert plus materiellement k rien, et rien ne Tindique au public. Les privileges supprimes, il ne reste done d’apparent dans la quality de noblesse que les titres honoriflques et la particule de qui ne devrait jamais pr£c£der qu’un nom de terre, mais dont Tusage a fait bien improprement, pour le vulgaire, une sorte de titre nobiliaire de convention. Ce fut, comme Ton sait, dans la nuit du 4 aofit 1789 que quelques demagogues de la noblesse, fatigues d’une longue discussion sur les droits de Thomme et briilant de signaler leur zfele pour la cause nouvelle qu’ils venaient d’epouser, se lev&rent k la fois en demandant k grands cris les derniers soupirs du regime f£odal. « Ce mot eiectrisa FAssembiee, dit Rivarol dans ses Mimoires : le feu avait pris k toutes les tfites. Les cadets de bonne maison qui n’ont rien, furent ravis d’immoler leurs trop heureux aln£s sur l’autel de la Patrie ; quelques cures de campagne ne goiitferent pas avec moins de volupte le plaisir de renoncer aux 6&néfic*s des autres. Mais ce que la posterity aura peine k croire, e’est que le mftme enthousiasme gagna toute la noblesse ; le zfele prit la marche du dépit : on fit sacrifices sur sacrifices. Et, comme le point d’honneur chez les Japonais est de s’6gorger en presence les uns des autres, les deputes de la noblesse frappfcrent k Tenvi sur eux-mfimes et du mftme coup sur leurs commettants. Le peuple qui assistait a ce noble combat augmentait par ses cris Tivresse de ses nouveaux allies ; et les deputes des Communes, voyant que cette nuit memorable ne leur offrait que du profit sans honneur, consolferent leur amour-propre en admirant ce que peut la noblesse entee sur le Tiers-Etat. lis ont nomme cette nuit la nuit des dupes ; les nobles Pont nominee la nuit des sacrifices. »

La suppression des droits feodaux fut suivie du décret du 27 septembre 1791, portant que : « Tout citoyen qui, dans tous actes quelconques, prendra quelques-unes des qualifications ou des titres supprimes, sera condamne k une amende 6gale ksix fois la valeur de sa contribution, raye du tableau civique et declare incapable d’occuper aucun emploi civil et militaire. » Cela n’a pas empfiche les horames qui avaient provoque, vote et préconise cette mesure egalitaire, de se blasonner quinze ans plus

Patrie, du t^ ayril 1857. 

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tard, sur toutes les coutures, et de s’affubler des titres de Dues, Comtes et Barons <ju’ils avaient nagufere proscrils*. .

Nous avons fait voir I’origine des titres, leur valeur passSe, celle qu’ils peuvent encore conserver de nos jours ; nous avons presents 6galement I’origine des noma de familLe, qni ont conserve, k la difference des titres, toute leur importance*. Nous feronsremarquer encore que d£s le temps de la formation des noms, un trfe$ grand nombre do roturiers ont pris des noms de lieux, et qu’un trfcs grand nombre de nobles n’avaient que des sobriquets ; d’ou ii suit que e’est fort k tortqu’on aappeiiparticule nobiliaire les articles le, la, les, de, du, de la, on des qui prgefedent certains noms de lieux, devenus noms de famille.

Nous avons dit que dans les deux derniers sifccles, tous les bourgeois vivant noblement, e’est-i-dire nefaisant pas le commerce, d&s qu’ils 6taient possesseurs d’un petit quartier de terre, en prenaient le nom et quittaient mfime souvent leur ancien nom de famille, vanity ridiculisée par Y&uteur di Bourgeois gentiihomme, maismode coniagieuse dont M. de Moliere (Jean-Baptiste Poquelin) ne sut pas s’affranchir lui-mfime 3 .

A l’abb£ Sieves, que nous avons deja nomm !, rejiciile, puis comte-sénateur, ajoutez les regicides 

Carnot, chevalier de Saint-Louis, puis comte de Tempire ; Jean Bon-Saint-Andre, baron-preTet ; l’oratorien Fouch£, due d*Otrante ; Fabbé Gregoire, comte-sénateur, absent au moment du vote dans le proces du Roi, mais qui adhera par ecrit a sa condamnation ; le comti Merlin (de Douai), Tun des auteurs de la loi des suspects ; David, chevalier de PEmpire, premier peintre de S. M. ; le math^maticien Monge, comte de Peluse, qui signa Tarrdt de mort comme ministre, ainsi que Garat, ex-constituant, qui lut sa sentence a Louis XVI, et devint a son tour comte-senateur. 11 y aurait a citer bien d’autres noms dont ’la mémoire est heureusement pour eux moins celebre. On les exhume des Almanachs imperiaux parmi les secateurs, presets et presidents des cours d’appels, et on peut consulter sur leurs antecedents la Biographic universelle. Ces hommss ne doivent point Stre confondus avec les compagnons d’armes de Napoleon, qui gagnerent leurs titres sur le champ de bataille, et dont les noms rappellent tous une de nos victoires. %

Voir ci-devant notre Dissertation sur Vorigine et la formation des noms.

  • Bien d’autres personnages, inconsequent* avec leurs ecrits et lenrs actes, tomberent dans le meme travers.

Nous citerons parmi les principaux : Boileau des Pre’aux oubliant sa satire sur la noblesse, et le patriarche de Ferney nonobstant l’idde preconisee dans Merope : Qui sen bien sou pays n’a pas besoin d’aleux.

Si Ton voulait savoir les services que Voltaire quoique sans al’eux, a rendus a la France, il faudrait le demander a la Prusse. Rappelons encore Thorloger Caron de Beaumarchai* jugeant avec Bazile que : « Ce qui est bon a prendre est bon a garder » ; Bernardin de Saint-Pierre, bourgeois du Havre, # auquel ses Etudes de la nature firent trouver naturel de se rattacher au celebre bourgeois de Calais ; le phi* losophe Jean Le Rond d ?A lembert enfant trouve 1 sur la voie publique, ainsi que ses confreres Nicolas de Ghamfort, Jean-Francois de la Harpe et Tabbe* Jacques de Lille. Dans les sommites r^volutionnaires et egalitaires, n’oublions pas non plus le ministre Roland de la Platiere celebre par sa femme ; Barrere de Vieuzac auteur de Vilogede Louis XII et Tun des complices de la mort de Louis XVI ; Brissot de Warville, ancien rotisseur ou tourne-broche a Chartres, signant du nom de son village d’Ouarville orthographic a l’anglaise, un pamphlet contre VinigdliU des rangs ; Chassebceuf autre depute du Tiers, qui trouva plus euphonique a son retour d’Orient, de traduire son nom en Volney, mot arabe quant au sont et qui a comme Chassebttuf la signification de Bouvier ; Billaud de Varenne, ci-devant oratorien, Tun des organisateurs des massacres de septembre ;La R4veilliere de I’Epeaux, inventeur de la The’ophilanthropie ; Fouquier de Tainville, accusateur public, ci-devant procureur au Chatelet et son frere Fouquier d*H4rou’el, qui s’intitule dans l’Almanach royal de 1790 : fourrier des logis du Roi, seigneur et cultivateur d’He’rou’el ; le brasseur Gallet de Santerre, ainsi qualify dans les almanachs royaux de 1790 et 1791, commandant le bataillon de la garde nationale du faubourg Saint-Antoine, qui fit battre les tambours pour e’touffer la voix de Louis XVI, sur l’echafaud ; les comeliens siffles Fabre d’tiglantine et Collot d’Herbois ; le vertueux Potion de Villeneute, maire de Paris, et surtout I ’incorruptible Maximilien de Robespierre, qui se borna a allonger son nom roturier de la particule supprimee pour ses nombreuses victimes, trop heureuses s’il n’eut raccourci que leur nom. Nous voulons bien ne parler que des ET DES USURPATIONS NOBILIAIRES 283

• On connalt Tanecdote relative k ces trois frferes, qui pour tout heritage n’eurent qu’une cour dans laquelle se trouvaient un puits et une mare, et quise nommferent Valné 3f . de la Cour ; le second M . du Puis et le troisifeme M . de la Marre. « C’est tin vilain usage et de trfes-mauvaise consequence en nostre France, dit Montaigne, d’appeler chascun par le nom de sa terre et seigneurie et la chose du monde qui fait plus mesler et mGcoghoistre les races. Un cadet de bonne maison ayant eu pour son apanage une terre soils le nom de laquelle il a este cogneu et honors, ne peut bonftement Tabandonner ; dix ans aprfcs sa mort, la terre s’en va k un stranger qui en fait de mesme : devinez ou nous sommes de la cognoissance de ces hommes. .♦ II y a tant de liberty en ces manifcres, que de mon temps je n’ai veu personne eslevé par la fortune 4 quelque grandeur extraordinaire, k qui on n’ait attache incontinent des titresgénéalogiques nouveaux et ignorez k son pfere, et qu’on n’ait enté en quel* que illustre tige ; et de bonne fortune, les plus obscures families sdnt plus idoines k falsifications. » Aux nomsde seigneuries du temps de Montaigne, Ton substitue fréquemment aujourd’hui, ceux de sa commune, de sa ville, de son département, et la conscience publique se rSvolte avec raison contre un tel abus. Or, si Ton n’y prend garde, la société nouvelle ne sera plus qu’un carnaval. On peut de nouveau proscrire les titres ; on peut les avilir, soit en leslaissant usurper, soit en les multipliant, mais on ne peut supprimer le nom. Pour montrer le respect du au nom, quel qu’il soit, que chacun a re^u de ses p&res, nous ne pouvons mieux faire que de citer les conclusions si remarquables de M.Pinard, substitut du procureur-gént§ral, dans une question d ’usurpation de nom rGcemment soumise k l’appr^ciation de nos tribunaua,

  • « Lenom est un heritage souvent plusprScieux que la fortune... il vous suit dans la

pauvrete comme dans Topulence, dans la patrie comme dans Pexil. L’usurpation morts : mais en voici encore deux que nous avons tousconnus et qui ne seront pas de" places a la fin de notre galerie. « Comme nous lisonsdansLucain d*un savetier nomine 1 Simon qui 4 tant devenu richevoulut dire appete Simonide » (voy. Loiseau, livre des ordres), ainsi l’historien passionne" des Rdpubliques Italiennes, originaire du Dauphine a fait lui et ses peres subir a son nom plus de metamorphoses qu’il n’y en a de la chenille au papillon, pour parvenir a se greffer sur l’illustre maison de Sismondi de Pise. Et notre dernier poete national, mon obs tant l’aiguille et le carreau a repasser de son pere, n’e'tait-il pas bien aise de donner a entendre qu*il pouvait bien descendre des anciens Berenger de Provence ? Le sang du grandmaltre de Saint-Jean-de-J^rusalem se serait alors m&U avec celui de quelque Frdtillon ou Lisette ; et il £tait en tout cas pas mal contradictoire a Tauteur du marquis de Carabas de signer ses oeuvres : P. J. de Be" ranger.

II n’est pas inopportun de mentionner aussi les ancStres de Victor Hugo dont il avait dicte* la filiation a Sainte-Beuve pour la notice consacrSe par cet e’crivain au poete dans la Biographie contemporaine, puis a M. Barbou, pour son volume : Victor Hugo raconte" par un temoin de sa vie. Dans ces deux ouvrages, le maitre se fait descendre de Georges Hugo, capitaine des gardes de Rene" II, due de Lorraine, anobli en 1535 et dont d’llozier a rapporte 1 la posterity jusqu’en 1752. Dans son autobiographic le mattre reverdique a la fois comme Tun de ses aYeux, un obscur conventionnel Louis-Antoine Hugo, execute, dit M. Abel Hugo, pour cause du tnodfranrisme. La v£rité est que le géne*ral Hugo, pere du poete cr£e pair de France en 1845 et improprement qualifie" vicomte dans les Almanachs royaux, e"tait fils d’un menuisier de Nancy et d’une gouvernante ou bonne d’enfants, ainsi que le constate son acte de nai«sance. Quant au conventionnel, cUdevant avocat a Mirecourt, loin d’avoir M execute*, il devint sous l’Empire conseiller a la cour de Nancy, fonctions qu’il conserva sous la Restauration, et il mourut paisiblement a Valfroicourt en 18 ?5, ainsi que le prouve son acte de d£ces. Son attache au menuisier pere du general Hugo et aTeul du poete n’est nullement £tablio, et Tun et l’autre sont complement strangers a la famille homonyme dont l’Armorial du juge d’armes contient la géne*alogie. Conferez Victor Hugo avant 1830, par Edmond Bir4, in-12, Paris, Gervais 1883 et la Revue de Champagne et de Brie. (Arcis-sur-Aube, 1887).

284 DE LA NOBLESSE

d’un nom, dit-on souvent, ne cause pas de prejudice materiel ; un débatde ce genre reveille des souvenirs d’un autre fige et n’est aujourd’hui qu’un anachronisme.^ N’ayons pas de ces preventions superflcielles, allons au fond deschoses. Sans dou’n te les prerogatives du vieux droit, les avantages niateriels attaches k certains noma at qui avaient 6te souvent le salaire du sang verse, le prix de services rendus, ont dfl complement disparaltre ; il ne faut ni les ressusciterni les regretter Mais le nom sans le fief, le nom sans les privileges eteints, le nom mfime sans la splendeur de la fortune ou reclat d’un long passe, a toujours quelque chose d’auguste et de sacre. Sous le nom, il y a toujours une notion cachSe et de serieux intéréts engages. Le nom est la chose la plus simple, elle est aussi la plus profonde. »

» Le nom est perpetuel, par ce qu’il est le signe vivant, la demonstration la plus 6nergique de la notion de propriete. Et quand la fortune mobilifcre s’acquiert si vite et se perd si vite encore ; quand la fortune territoriale se fractionne et disparalt chaque jour, il est utile que le nom reste avec son cachet de perpetuite comme le premier de nos patrimoines, justifiant en la resumant l’idee mfime de propriete. » Pourquoi nos lois ont-elles fait le nom heréditaire et transmissible seulement pour les miles, sinon parce qu’il rappelle et l’unite d’autorite du chef qui fonde les families et le respect du passe qui les perpetue : tradition sainte qui se retrouve partout, que Rome appelait le culte des dieux domestiques, et que nous avons nommée d’un nom plus simple et plus vrai, le culte des ancfttres. » Enfin pourquoi veut-on les noms inalienables et imprescriptibles, sinon parce qu’ils appartiennent autant k la nation qu’aux individus ? N’oublions pas en effet que les peuples grandissent dans la mesure du respect dont ils entourent leur histoid. Or, les masses n’apprennent Thistoire qu’avec des monuments ou avec des noms qui leur rappellent les reformes civiles, les grandes decouvertes, les glorieuses conqufites. Sur les champs de bataille de la vieille monarchie fran$aise, sur ceux du premier Empire, sur cette terre de Crimée encore couverte de notre sang fct de notre gloire, le peuple recueille des noms, et ces noms qu’il rend immortels parce qu’ils sont le symbole de grands faits, c’est pour lui l’histoire tout entifcre. » Voili Timportance et la puissance des noms au point de vue de la notion de propriete, de Tinterdt de famille et de la tradition nationale. » De 14 tirons deux consequences pratiques ; la premiere c’est que la chancellerie obeit aux traditions les plus saine§, lorsqu’elle se montre si severe pour changer, si prudente pour conserver ; la seconde c’est qu’il est puéril de revendiquer un nom qui n’est pas le sien et qu’il y a fierte legitime k defendre k toutes les époques un nom porte par ses ancfitres 1 . »

Ce sont bien la les consequences qui devraient résulter du retablissement de l’article 259 du Code penal, ainsi modifie :

o Sera puni d’une amende de 500 k 10,000 fr. quiconqua, sans droit et en vue de s’attribuer une distinction honoriflque, aura publiquement pris un titre, ou aura change, altere ou modifie le nom que lui assignent les actes de l’etat civil. » Nous trouvons rationnel qu’on ait etendu aux nom3, la pénalite qui ne devait

Gattfte des Tribunaux, du 6 ftvrier 1858. 

ET DBS USURPATIONS NOBILIAIRES 285

d’abord porter que sur les titres ; mais les cas ou le d61it existera sont loin d’etre explicitement indiqués. Le rapport fait au Corps 16gislatif dit bien qu’il consislera « dans une série d’actes géminés, persévérants, publics ; » mais la loi n’ayant pas d’effet rétroactif et ne flxant pas d’6poque pour les alterations faites sans droit, qui devront 6tre frappges d’amende, si elles se reproduisaient dans des actes subséquents, accorde l’impunite 4 toutes celles faites dans une siried actes giminis ayant quelques ann£es de date. Ainsi demeureront dupes des plus intrigants ou des plus audacieux, les individus plus sincferes ou plus modestes, restes Strangers malgré l’exemple, au pillage de toutes les distinctions honorifiques, organist sur une vaste 6chelle, principalement depuis 1830. Les usurpations futures pourront done 6tre proscrites, tandis que la prescription seraacquise aux usurpations pass£es, injustice qu’on eflt 6vitée en rGformant en ces termes Tarticle 259 :

« Sera puni d’un amende. .. quiconque sans droit changera, altgrera ou modifiera le nom ou le titre que lui assignent a lui et d ses ascendants les actes de 1’fitat civil, depuis unstecle (ou trots generations ou au moins depuis 1 789). » D’ou l’obligation pour chacun de reprendre le nom que portaient ses pferes et de quitter le titre qu’ils ne portaient pas, k moins de justifler de lettres de collation postérieures < . C’est sans doute grice 4 Tomission intentionnelle d’une date que la

Cette lacune dans la loi de 1858 Tient d’etre combine par un arret de.la Cour de cassation, consacrantque 

leministere public pent in tenter d’office une action civile aux descendants des usurpateurs de aoms et de titres, pour les rltablir dans leur etat primitif, independamment de Taction correctionneUe contre l’usurpateur lui-mdme.

Cet arista eta" rendu le 22 Janvier 1862 sur le requisitoire du procureur general Dupin, don t les principaux motifs invoqu^s, nous paraissent interessants a reproduire : « II n’appartient qu’au sou ve rain de conferer des titres ; cette prerogative constitue un d ? ces droits qu’on nommait autrefois rtgaliens... Les lettres de collation doivent dtre enregistrAes d.ms les cours imperiales, en audience solennelle pour en mieux garde r le souvenir, ete’est seulement apres ces formalites rem plies, que l’impetrant est autoris£ a prendre tant en jugement que hors jugement, le titre a lui con fere.

» Tout homme nouveau qui n’a point ete investi d*un titre honorifique et qui cependant se Tattribue. est done un usurpateur ....

» Le Code penal par son article 259 a attache des peines correctionnelles a ce genre d’usurpations. Mais de ce qu’il y a une action correctionneUe contre I’auteur principal de l’usurpation, e’est-a-dire contre celui qui le premier dans une famille « a pris indument un titre honoriflque* ou qui a changi, » alterd ou modiftt le nom que lui assignent les actes de V&tat civil, » s’ensuit-il qu’il n’y ait pas aussi une action civile f Et resulte-t-il que si pour une cause quelconque, Taction penale cesse de pouvoir £tre intense, par exemple par la mort de Tauteur principal du delit, ses enfants et ses descendants pourront continuer a se prevaloir des titres et des noms usurpes ? Apres la mort d’un voleur qui ne peut plus Itre poursuivi, est-ce qu’il n’y a pas une action en revendication des objets vole’s contre ses h£ritiers ?. . » Considerez un peu Tepoque ou nous sommes et le milieu dans lequel nous vivons. Quoi ! en 1789 une grande revolution s’est operee : elle a ete dirigee surtout contre la feodalit£, les privileges et les titres nobiliaires. Les plus grands de ces titres ont ete, dans la nuit du 4 aout, deposes noblement sur Tautel de lapatrie par ceux qui les avaient portes avec le plusde distinction. — Et la tourmente a peine passes, sous un regime nouveau, on a vu les plus grands r£volutionnaires briguer ces memes titres tant decries par eux. quand ils etaient portes par d’autres. .. L’Empire amaintenu dans ses attributions le droit de conferer des titres honorifiques pour re"compenser de grands services rendus a l’i£tat, monnaie d’honneur, destinee a exciter Temulation et le denouement. Recemment TEmpereur a use de cetye prerogative en errant les dues de Malakoff et de Magenta. Mais a cote de ces grandes me’dailles. frappies au coin de la gloire, on a vu et Ton voit chaque jour circuler une fausse monnaie fabriquee a leur singulier profit, par des individus qui, ne pouvant obtenir regulierement des titres qu’ils n’avaient pas merited, ont trouve plus commode de se les attribuer a eux mftmes de leur autorite priv^e. » Et parce que celui qui le premier dans la famille a concu Tidee de glisser dans les actes de naissance de ses enfants et dans ses propres actes des titres qui ne lui appartenaient pas, sera decide, et que par ce motif ou tout autre, une action correctionneUe ne pourra plus Stre intentee contre lui.

J86 DE LA NOBLESSE

Foi a trouvé un aussi grand nombre d’adh^rents au Corps iSgisIatif, La staiistiqu^ nobiliaire de nos représentants, fait mfime croire que quantiW d’usurpateurs n’ont voté en sa faveur, que parce qu’ils ne craignaient pas qu’on leur en fit Implication ou parce qu’ils r doutaient qu’en votant contre, cette mfime application leurftit faite, Autrement la majority se fiit bien déplacée^ En effet, sur260 menbres dont se compose le Corps 16gislatif, une moitiS environ sedScore de titres qui, révisés avec soin, riduiraient encore de moitte le chiffre de ces prétendus nobles, si la loi 6tait exécutee sérieusement. Nous attendrons pour en juger, l’apparitionde V Almanack Imperial qui doit rendre au Tiers-Etat un quart de tous les noms insérés dans ce volume, c’est-&-dire la moitiS de ceux des fonctionnaires qui s’atlribuaient jusqu’i ce jour des distinctions honoriflques. Mais « la loi actuelle n’a pas pour but, dit le rapporteur, de preparer une revision générale de tous les titres, de tous les noms nobiliaires. » — Nous objecterons cependant que leur usurpation 6tant au moins une infraction grave au droit qu’a le souverain d’en conteror, le gouvernement pour 6tre consequent, doit opter entre leur interdiction absolue et leur protection efflcace. Autrement &quoi servirala loi ? — « A atteindre Faudace, la plus mauvaise foi et la fraude, » nous dit le rapport. — Mais comment les consta|ter sans revision prdalable ?demanderons-nous&notre tour. — « Les usages del’ancienne monarchic, ravivés dans Tordonnance du 25 aout 1817 et consacrés par les mcBurs nouvelles continueront h 6tre la rbgle de toutes les transmissions dans Tavenir, comme elles le sont dans le present. Le projet n’innove rien et ne prepare aucune innovation ; il ne fait que maintenir et sanctionner. »

Les usages de l’ancienne monarchic ne sont plus suivis ; Tordonnance de 1817 conCérant viagirement aux flls atnés des pairs de France et h l’exclusion de tous autres, le titre iramSdiatement interieur i celui de leur pfere, et aux flls putnGs, les titres immSdiatement infdrieurs h celui de leurs atnés, est aujourd’hui p£rimée, puisqu’il n’y a plus de pairie héréditaire. Restent « les usages consacrés par les moeurs nouvelles que le projet ne fait que maintenir et sanctionner, » c’est-&-dire Tabus 6rigé en r£gle ; voilci ce que nous promet d’abord le rapporteur de la nouvolle loi ; puis, comme si tout devait 6tre contradictoire dans son rapport, il ajoute : « Si Futility d’un rfcglement ulterieur venait h se faire sentir, soit pour consacrer les regies de transmission actuellement pratiqu^es, soit pour determiner h nouveau les conditions de la possession legitime, en Tabsence de titres, d£j&*flx£es par la legislation ancienne, le gouvernement, dans les attributions duquel rentrerait evidemment une pareille mesure, aviserait dans sa sagesse. » tout sera dit et Tusurpation demeurera consolidee au profit de sa race ? la loi demeurera ouvertement violee et il n’y aura aucune action ouverte pour la faire respecter et en procurer l’execution ? Quelle si grande faveur meritent done de telles entreprises contre Tune des plus belles prerogatives du souverain I Pourquoi tolererait-on cet entetement a se parer ainsi aux yeux de la societe, de titres dont on n’est pas legitimement investi ? — II y a deux motifs : Tinteret et la vanite « Apres le joueur effrene qui ne paie pas sa dette, je ne connais rien de moins digne de consideration que ces fraudeurs de titres qui s’arrogent impudemment des qualifications honoriflques qui ne leur ont point £te legalement conferees. Us pullulent cependant ! et la question avec eux est de savoir si on leur laissera le champ libre, ou si leur audace sera reprimee. La ou manque la repression correctionnelle, ue ’execution de la loi soitdu moins obtenue par Taction civile intentee d’ofllce : voila le remede. » [Moniteur du 19 fevrier 1862.)

ET DES USURPATIONS’ NOB ILI AIRES 28 ?

C’est jiistement ces rfegles qu’il auraitfal In poser d’abord, car c’est leur infraction quidovrait 6tre punie par 1’art. 259 qu’on fait revivre prematurément. Or, elles xistaient dans Tancienne legislation ; nous les avons definies, et leur application, vec peu de modifications, n’est point impossible, comme le Conseil d’Etat, dans ses considérants, a paru le craindre, et, comme Tont repete 1 l’envi les journaui democratiques. Ceux-ci nerepoussent la information que par jalousie, et ils envient la noblesse autant qu’ils la detestent. Le Siecle a pretendu combattre la loi dans rinterftt dela monarchic, dont il s’est erigé tout icoup le defenseur offlcieux. Cette Conversion nous paralt bien spontantfe pour 6tre sincere. Timeo Danaos et dona ferentes.

« A quoi bon, dit-il, demander le retablissement de la noblesse pour consolider la monarchic, puisque demain, la monarchie sera 4jbligée de combattre ce qu’elle a fait.... puisque toutel’histoiredepuis Charlemagne est dans la luttede la monarchie contre la noblesse et de la noblesse contre la monarchie. » Cette assertion estreproduite dans d’autres Merits de circonstance * par des publicistes, qui oublient que les plus belles pages de notre histoire appartiennent k ce corps illustre de la noblesse ; ; que toutes les fondations d’6glises, de colleges et d’etablissements hospitaliers ont ete faitcs par lui ; qu’il a ete de tout temps l’avant-garde de la nation dans les combats, dans les périls ; qu’il s’est fait décimer pour la monarchie dont le Steele le dit ennemi, tandis que les coryphees du Siecle ont envoye k l’echafaud le plus vertueux des Rois, en reconnaissance de ce qu’il avait fait pour le peupleetpour le Tiers-fitat particuliferement, qui lui avaitdécerne le titre de Restaurateur de la libertt frangaise. Cette sollicitude si logique k la fois, pour la monarchie et pour les regicides, dont l’organe du vieux liberalisme faitconstatnment l’apologie, serai t-elle dans le second cas de la piete filiate ? C’est ce que nous nous sommes demande, en compulsant les votes des conventionnels de la Manche. Le méme journal motive encore son opposition, sur ce que la noblesse hereditaire ne devrait pas exister dans un gouverne^ ment démocratique. Resterait k prouver que le gouvernement actuel est celui de la democratic, c’est-4-dire litteralement le gouvernement du peuple et non une monarchie hér£ditaire, e’est-a-dire le gouvernement d’un seul, transmissible de mile en mdle par ordre de primogeniture. Or, une monarchie peut s’appuyer & la fois sur une aristocratie ou gouvernement des grands et sur la democratic ou gouvernement du peuple, et c’est precisementcelle qui régit la France, conjointement avec le sénat et le corps legislatif.

Voici d’ailleurs comment s’exprime k ce sujet un auteur dont le temoignage ne sera pas sans doute recuse :

« L’expérience a prouve qu’une aristocratie ne nuit point a la liberte dun pays, car l’aristocratie anglaise n’a pas moinscontribué que les autres classes de la nation k la liberte de la Grande-Bretagne. La raison dit encore qu’une aristocratie peut 6tre compatible avec le principe de l’egalite, k deux conditions : premiferement, que les membres qui la composent ne jouissent d’aucuns droits particuliers et subissent en tout la loi commune ; secondement, que les distinctions, purement honoriflques

Les nobles et les vilains du temps pa$s4 y par Alphonse Chassant, 1857. 

288

DE LA NOBLESSE

accordees k une classe, soientaccessibles itous les citoyens d’un mftme fitatqui les on t achetees par leurs services ou leurs talents  » Le Steele se pose ensuite en defenseur de Tancienne noblesse : « Ses parchemins, craint-il, n ’existent pas tous. Comment fournira-t-elle ses preuves ? II yabeaucoup de families dans lesquelles la possession seule fait titre. On con$oit que les Montmorency n’auront point a apporter des dipldmes ; mais evidemment dans les preuves k faire, la noblesse recente, celle qui a 616 cr66e par le premier Empire, aura Ta vantage. »

Que le Steele se tranquillise sur le desagrément qu’il redoute pour Tancienne noblesse. Malgre toutes les pertes de titres que la Revolution a occasionnees aux families et parliculifcrement k cellesdesémigrés, il est encore facile k un gentilhomme de prouver sa qualite, En effet, l’ancienne noblesse s’entend aujourd’hui de celle qui existait avant la Revolution* Or, les procfes-verbaux des assemblies des bailliages el des sénéchausées, pour Election des deputes aux £tats-Généraux de 1789 et pour la redaction du cahier des doieances, ccs procfes-verbaux existent encore, et il suflit de les consulter pour justifler qu’on etait noble k cette epoque, puisqu’on a 6ié convoque k cette reunion solennelle en la dite quality. Cefpendant cette preuve ne pourralt 6tre invoquee par toutes les families en raison des conditions nécessaires pour 6tre assign^ : « 11 n’y a que les nobles possedant fiefs et kgés de vingt-cinq <c ans qui soient dans le cas d’etre assigngs, disait le Garde-des-Sceaux dans ses « instructions du 6 mars 1789. Les personnes pourvues de charges donnant la « la noblesse, mais qui ne Tont pas encore acquise par vingt ans d’exercice, ne « peuyent pasfitre considérees comme nobles, et ne doivent conséquemment pas « fitre assignees, quoiqu’elles possfedent des fiefs. II doit en 6treuséde mftme a « regard des particuliers non nobles qui sont proprietaires de fiefs. II faut 6tre « noble et &gé de vingt-cinq ans pour fitre admis k l’assembiee de la noblesse. » II faudrait done joindre k ces preuves, les jugements et ordonnances de maintenues de noblesse, rendus par les parlements ou les intendants des provinces, lors des dernifcres recherches contre les usurpateurs. Ces recherches, commenc^es sous Louis XIV, en 1666, furent terminées sous Louis XV, en 1721. Pour les families deboutees k cette epoque, il y aurait k produire les maintenues au Conscil-d’fitat, ou les anoblissements posWrieurs ; on y ajouterait les extraits de l’etat civil dont les registres ne sont pas detruits, mais qui ont 616 enlevés aux sacristies des paroisses, pourétre déposés dans les mairies et les greffes des tribunaux. La reunion de ces divers documents, dont un grand nombre existe aux archives de TEmpire, et dont une notable partie se trouve en outre par grosses ou expeditions en forme, dans les archives particulifcres des families,, prouve qu’il estpresque aussi facile k un gentilhomme de justifler de son extraction, que de se procurer sorracte de naissance. II existe encore bien d’autres moyens de verification k la portee de toutes les personnes qui, ayant perdu leurs titres, voudraient cependant pouvoir invoquer autre chose que la notoriety, en faveur de leurs pretentions nobiliaires. Ainsi, les archives des ministfcres de la guerre et de la marine ont conserve les etats de • Thieri. Hist, du Consulot et de I’Empire. T. VIII, chap. 28.


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ET DES USURPATIONS NOBILIAIRES 289

services de tous les officiers*. Les archives des cours souveraines possfedent les provisions de toute la noblesse de robe aux deux derniers sikcles. Le cabinet du Saint-Esprit, k la Biblioth&que impériale, renferme les preuves faites devant les juges d’armes et les généalogistes offlciels pour les honneurs de la cour, pour Tadmission dans certains chapitres, dans les 6coles militaires et dans la maison de Saint-Cyr, pour les ordres duRoi, ceux de Malteetde Saint-Lazare et pour les pages de lapetiteet delagrandeécurie. Lagénérationactuelle adoncdenbmbreuxmoyens descrattacher&un ascendant direct, maintenuaux Reformations de 1666-1696, anobl ou ayant obtenu depuis des lettres de confirmation, ou bien ayant exercé Tune des charges qui procuraient la noblesse. Ces moyens sont : lesregistres de l’6tat-civil, les contrats de maria^e^artages ou ventes ; les commissions, brevets militaires et lettres de pension ; les provisions d’of flees judiciaires comme secretaires du Roi, offlciers deschambres des comptes, cours des aides, tr£soriers et g£n£rauxdes finances, conseillers aux parlements du royaume et maires de certaines bonnes villes. Si Ton demandait k chacun les mfimes preuves qu’au dernier sifecle, e’est-a-dire d’appuyer chaque degré de généalogie par trois actes origiiiaux jusqu’au commencement du XVI 8 sifecle et deux actes originaux pour les sifecles antérieurs, ce serait se montrerbien exigeant, aprfes la destruction que la Revolution a faite de tant de titres feodaux ; mais, je le r£pfete, etablir dans chaque famille une filiation centenaire n’est nullement impraticable.

Ce qui fait craindre de jeter un regard scrutateur sur Torigine des noms et des titres aujourd’hui en usage, c’estlacertituded’avoiriconstaterd’innombrables usurpations. Combien existe-t-il aujourd’hui de families nobles en France ? — Nous n’avons pas en mains les elements ndcessaires pour etendre ce recensement k toutes les provinces de la monarchie ; mais nous avons pu TStablir pour plusieurs et en particulier pour la Bretagne. Nous avons trouvé que, lors de la recherche de 1666-1696, 2,084 families de cette province avaient 6té maintenues dans leur noblesse 2 . Aux fitats tenus k Rennes en 1786, la plus nombreuse de ces assembles qu’on etit encore vues, on comptait 760 membres dans l’ordre de la noblesse ; mais beaucoup appartenaient aux mfimes families.

FAMILIES NOBLES.

La Bretagne poss£dait done, k la fin du xvn° sifecle. . . . ; 2,084 Les registres de maintenues de la g£néralité de Caen renferment 1,322 La gén£ralite d’Alen$on, comprenant aussi le Perche ■. 1,686

Ce futseulement en 1781 qu’un Mit du Roi revoquant celui de 1750, qui conferait la noblesse he"reditaire 

a la troisieme generation de capitaines et chevaliers de Saint-Louis, etablit pour la premiere fois que nul ne pourrait devenir officier dans les armees frangaises, s’il n’^tait noble ou flls de chevalier de Saint-Louis. Un autre 4dit du i er Janvier 178G Etablit la mdme obligation pour la marine, lesarmes de l’artillerie et du ge"nie en 6 tant exemptees. L’opinion publique trouva avec raison que c’ltait une enormity de recruter exclusivement de nobles une carriere qui jusqu’alors avait 6t& la pepiniere de la noblesse, et Tinjustice de cette loi expliquerait en partie l’attitude des depute* du Tiers aux Etats-Ge’ne’raux.

  • Ce n ombre donn£ par Cherin (Abrigt chronologque) se decompose en 1,506 famiUes maintenues a

la Reformation générale et en 578 autre s déboutees ou condamnees a la meme epoque, puis posttoieurement confirmees ou anoblies.

Tome III 37

290 DE LA NOBLESSE

Les registres de maintenues de Champagne . 514

La généralité d’Amiens 460

La généralité de Soissons 350

L’Artois 200

La généralité de Limoges, comprenant le Limousin, l’Angoumois et l’Election de Bourganeuf, dans la Marche 766

Le Languedoc 1,627

L/Auvergne ■• 357

La généralité de Mautauban, comprenant le Rouergue, le Quercy et les pays de Foix, de Comminges et d’Armagnac 745

La gén§ralité de la Rochelle, comprenant TAunis et la Saintonge 235 La généralité de Tours, comprenant la Touraine, I’Anjou et le Maine. ... 693 En compulsant les listes 61ectorales des cinq départements de la Bretagne, nous voyons que de ces 2,084 families, il n’en reste plus qu’environ 600 de nos jours. En attribuant en moyenne deux branches a chacune de ces families et trois males par branche, on arriverait au chiffre de 3,600 gentilshommes bretons, et comme la population de la Bretagne est le douzifeme de celle de la France, on trouverait pour la France entifcre 7,208 families nobles, donnant un effectif de 43,200 m&les. Encore pour que ce calcul ne soit pas exagér6, faut-il que les autres provinces soient aussi riches en noblesse et les families aussi nombreuses qu’en Bretagne. Or, Ton a pu voir plus haut que, h Texception de la Normandie, les autres provinces, dont nous avons pu consulter les registres, n^offraient qu’un bien petit nombre de gentilshommes

  • .

Combien reste-t-il de families pouvant remonter authentiquement leur origine jusqu’i l’6tablissement des noms héréditaires auxi f et principalement au xn* siftcle ?

— Dos calculs, basgs sur des verifications plusieurs fois renouvetees dans les 

ohartes de notre histoire, font txmnattre que les families qui y sont mentionnées vont disparu h raison de deux cinquifcmes par sifecle. Aussi les families patricienne seraient bien clairsemées de nos j ours, si la noblesse ne s’6tait pas recrutie au moyen des anoblissements, dans une proportion 6gale au moins aux extinctions, qu’indSpendamment de toutes autres causes, les guerres et les revolutions ont amenées. Enfln, combien y a-t-il aujourd’hui de gens qui se prStenderft nobles en France ?

  • D’apr&s Sieves, le nombre des nobles en Prance 6tait de 110,000, en y comprenant les hommes, les

femmes et les enfants. Selon Lavoisier, ce nombre n’6tait que de 83,0C0 ou un trois-centieme de la population, ce qui suppose, d’apres M. Leonce de la Vergne, 20 ou 2.5,000 chefs de famille au plus. (Revue des Deiix- Mo tides, novembre 1858, la Revolution etl’Agriculture.) Ce chiffre se rapproche de celui indique par M. H. Taine {Origines de la France contemporaine, T. I. l’ancien regime p. 521. note 1.) « En ddpouillant les listes des gentilshommes qui ont vot£, directement ou par procuration aux elections pour les Etats g£n£raux en 1789, on voit que chacun de ces nobles repr £sente un peu moins d’une famille, puisque le fils d’un propri^taire de flef, vote s’il a 25 ans. Je ne crois done pas qu’on se trompe beaucoup, en 6valuant a 26 ou 28,000 le nombre des families nobles, ce qui a raison de 5 person nes Dar famille, donne 130,000 ou 140,000 nobles. — La France en 1789 ayant 27,000 lieues carries et 26,000,000 d’habitants, on peut compter une famille noble par lieue Carre’s et par 1000 habitants. »

Suivant M. Nourrisson (Ancienne France et Revolution, chap. Ill) « sous Louis XVI la noblesse comprenait a peu pres cent mille individus repartis entre dix sept mille families, lesquelles pouvaient se decomposer de la maniere suivante : trois mille families dont la noblesse remontait a 400 ans, huit mille qui la devaient aux charges dont elles etaient revenues, six mille a l’achat de lettres d’anoblissement. 9

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ET DKS USURPATIONS NOBILIAIRES 291

Nous attendrons, pour repondre k cette question prématurée, qu’on aitdebarrasse des plantes parasites qui flniraient par retouffer, cet arbre venerable auquel on peut comparer la noblesse, arbre dont les racines seperdent dans les entrailles du sol de notre patrie et du tronc duquel, malgre les larges blessures que lui a faites la hache revolutionnaire, poussent encore de vigoureux rameaux, ainsiqueTont prouve une fois de plus les fastes des guerres de Crimee etd’Italie. Si le Gouvernement veut rendre la loi d’une application utile ; si, comme Ta dit le Moniteur, « les titres n’ont point eté retablis pour 6tre livres kla. convoitise du premier venu ; si, dans une monarchic bien regiee, ils ne doivent pas 6tre le puéri* « ornement de quiconque pretend s’en parer ; s’ils doivent representor la gloire, le « merite, avoir pour but d’exciter Témulation des citoyens qui se devouent au prince « et k la patrie, dtre un appel & tous les courages pour sortir de la voie commune « par de nobles efforts, » que le pouvoir se garde de centraliser les recherches & Paris ; qu’il se garde surtout d’appeler k son aide les fabricants de genealogies et les agences nobiliaires interlopes. Qu’il retablisse d’abord le conseil du sceau des titres, c’est-i-dire les commissaires et les referendaires k la chancelierie, tels quMls existaient sous le premier Empire et sous la Restauration. La verification des noma et des titres serait conflee aux membres de ce conseil, qui auraient k s’adjoindre, dans chaque département, quelques hommes speciaux, aussi inattaquables dans leur honorabilite que dans leur blason. Malgré la confusion dont se plaint M. le premier president Delangle, chacun dans son pays connalt l’extraction comme la fortune de son voisin ; et le travail de la commission ne serait pas plus compliqud que celui des repartiteurs de Timpét mobilier dans chaque commune. Tout intéresse qui voudrait soutenir la quality de noble aurait k fournir, ainsi que nous l’avons indique, les pifeces k l’appui de ses pretentions ; il aurait un deiai pour interjeter appel de la decision des commissaires, si cette decision ne lui 6tait pas favorable. Puis il serait, ounon, comprisdans un catalogue general des noms, surnoms, armes et demeures de tous les gentilshommes frangais, k Tinstar de TArmorial de France, ou depdt public des armes et blasons du royaume, cree par edit de Louis XIV, de 1696.

La verification des titres ne serait pas plus difficile. D’abord un titre imperial serait confirme au descendant du titulaire, soit qu’il posséd&t encore, soitqu’il ne poss 6d&t plus de majorat. II en serait de mSme pour un titre royal, assis sur une terre erigée en dignite, qu’elle flit aujourd’hui possedee ou non par le descendant du titulaire, a moins que la propriete n’etlt passe ci une autre famille qui etit obtenu une nouvelle erection dela mfime terre. A plus forte raison le titre serait maintenu aux personnes qui en possfcdent en vertu de lettres patentes enregistrees, mais sans erection. Quant k celles qui n’en jouissent que par courtoisie ou par brevet militaire signe du Roi en faveur de Tun de leurs auteurs, comme les titres de cette demifere categorie etaient viagers et non hereditaires, leur corflrmation ne serait acquise que moyennant la preuve d’une possession centenaire. Dans tous les cas, les titres ne seraienttransmissibles heréditairementqu’a Patne des descendants de m&Ie en m&le, sans admetttre aucun collateral ou aucun cadet k la possession du titre primordial ou d’un titre inferieur.

292 DE LA NOBLESSE

Aucun titre ne peutse graduer entre frfcres et cousins ; et si le pfcre ou l’aieu commun etait Marquis ou Comte, cela ne crée pas au profit de chacun de ses fils ou petits fils les titres inferieurs de Vicomte et de Baron. Tous les descendants d’un Comte peuvent encore moins prendre le m§me titre ; mais seulement le flls atne du titulaire aprfes la mort de son pfere, aprfcs un nouvel enregistrement h la chancellerie, et jamais par representation collaterals Est-ce que le Dauphin etait le Roi ? et est-ce que les enfants et petits-enfants d’un grand’croix de la L£gion-d’Honneur sont autorises ct se repartir les croix de grand-officier, commandeur, officier et chevalier* ? Nous serions necessairement plus difficiles pour les titres strangers, dits du Saint-Empire et Romains. II nous semble que laisserdes Fran<jais se procurer dans d’autres chancelleries des distinctions qu’ils n’ont pas obtenues dans leur patrie, constitue une infraction aux rfegles que nous indiquons, et qu’au souverain de la France appartient le droit exclusif de créer des nobles et de conferer des titres a des Francjais. Seulement, par egard pour les droits acquis, on pourrait reconnaltre les titres de cette nature concedes jusqu’a ce jour, moyennant le paiement d’une nouvelle finance et un enregistrement, mais avec interdiction absolue d’en reconnaltre d’autres pour l’avenir.

N’y aurait-il pas lieu de specifier aussi des cas ou la noblesse dormirait et m&me ou elle s’eteindrait ? Nous pensons que c’est une consequence de l’institution, consacr £e par l’usage de tous les temps ; et nous voudrions que le gentilhnmme ayant forfait a l’honneur fut declare incapable d’appartenir k la noblesse, comme le militaire degrade est declare incapable de servir dans les armies franchises. Nous avons fait voir que certains noms patronymiques nobles ne devraient pas 6tre precedes du de ; ce sontceux qui derivent d’un pr£nom, d’une profession, d’une quality ou d’un sobriquet quelconque. Leur possesseur noble serait done oblige d’y ajouter un nom de fief ; mais le choix de ce dernier nom devrait etre réglemente et non laisse a l’arbitraire.

Avec ces reserves et restrictions, on rendrait a la noblesse titn§e le mdme service qu’aux simples gentilshommes, en eiaguant du corps de la noblesse tous les gens sans valeur qui veulent s’y rattacher. Gar, remarquez bien qu’un homme qui a illustre son nom dans les arts, dans les sciences, dans les lettres, ne se couvrira jamais d’un nom d’emprunt : on ne le reconnaltrait plus’. Faut-il aussi faire la guerre aux families des bourgeois possesseur^ de fiefs, qui avaientlhabitude de joindre a leur nompatronymique un nom de terre sous lequel elles sont le plus souventconnues ? Nous ne le pensons pas ; autrement, nous sortirions d’une confusion pour entrer dans une autre. On se souvient de la surprise generate qu’excita le compte-rendu des seances de In Constituante, au commencement de la

  • Les titres repospnt sur une seule t&te et les fils d’un titulaire n’ont droit ni a un titre d’un degre*

inferieur, ni a plus forte raison, au titre nienie ports par leur pere. {Circulaire du garde des Sceaux du 18 juillet 187-1 aux procureurs gSndraux.)

  • Cette remarque vraie en 1862 ne Test plus. Aujourd’hui les hommes les plus marquants par la valeur

personnelle que leurs talents leur ont acquise, ne sont pas moins enclins que les gros bonnets dela finance’ & se parer, comme le geai de la fable, de plumes d’emprunt. lis se decorent vaniteusement de qualifications auxquelles ils n’ont aucun droit et Vhomonymie est par excellence la plancbe aux assignats pour ; les agences nobiliaires mercantiles qui surgissent chaque jour. -D i gi -

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ET DES USURPATIONS NOBILIAIRES 293

Revolution, le jour ou tous les deputes ne s’y trouvferent designés que sous leurs noms patronymiques, inconnus pour la plupart du public, et on n’a pas oublie 1’apostrophe de Mirabeau— redevenu Riquetti — aux ecrivains du Logographe : « Avecvotre Riquetti, vous avez disorients l’Europe. » Mais de mfime que la noblesse, dans Tancien droit, etait réputee s’etablir suffisamment par une possession centenaire, pendant iaquelle la méme famille avait vécu noblement, de mftme la famiile bourgeoise qui aurait porte pendant cent ans un nom de terre, aurait acquis, par une sorte de prescription, le droit de le conserver ; mais elle serait tenue de supprimer la particule de, puisque l’usage a fait de cette particule une sorte de titre nobiliaire de convention. Le gentilhomme non titré n’ayant plus que la particule précédant un nom de flef pourindiquer sa quality il serait logique d’interdire I’usage de cette particule k tous autres. Si toutefois on préférait la conserver aux bourgeois possesseurs de flefs depuis au moins cent ans, il y aurait lieu pour les families non titrGes, mais d’ancienne chevalerie, de faire suivre leur nom de la qualification de chevalier et pour les autres de celle d’tcuyer, comme cela se pratiquait en Bretagne dans les sifecles anterieurs. Dans les families decorées d’un titre héreditaire, les enfants pulnes pourraient ajouter a leur nom patronymique : des comtes ou des marquis de...., usage suivi en Ilalie et qui n’est pas sans precedents en Prance.

Sous le benefice de ces rfcglements, avec l’obligation pourchacun de ne signer, et pour tous offlciers de retat civil, notaires ou autres, de ne rapporler aucun acte sans la mention du nom patronymique des parties ; avec Tinterdiction d’y joindre aucun titre non reconnu ; avec un catalogue de la noblesse domiciliee dans chaque arrondissement, catalogue conserve aux greffes destribunaux ; avec un nvensement periodique comme celui de la population, et avec une amende portee au role de la contribution de ceux qui Tauraient encourue et perdue de la mSme manifcre que l’impdt, bien peu d’usurpateurs de noblesse echapperaient au coup de la loi. Le Tresor public s’enrichirait de cette amende sur la vanite, comme il s’enrichirait du droit etabli k l’enregistrementdes titres ; et ce genre d’impdt, & la difference de tous les autres, obtiendrait la sanction populaire.

L’arme de repression, une fois mise en etat de servir, ne doit pas &tre une arme de parade ou de musée qui reste inactive et ne frappe pas le coupable. Mais une fois le travail depuration oper6, la noblesse ancienne verrait, sans aucun deplaisir, rémunerer par des distinctions nobiliaires, comme ils l’ont 6té a toutes les epoques, les services recents rendus a la patrie. Cette noblesse ancienne ne vient-elle pas de l’epee, dela possession du sol et de radministratioji de la justice ? La noblesse nouvelle proviendrait des mSmes sources ; et puisqu’une infinite de families s’eteignent, pourquoi ne renouvellerait-t-on pas, dans de sages limites, les races patriciennes ?

Le peuple tiendrait a orgueil d’avoir fourni de son sein des hommes arrives 

par leur valeur personnelle a jouir des premieres distinctions hohorifiques dans l’fitat. D’ailleurs, ce n’est pas d’aujourd’hui que la noblesse va se recruter dans les autres classes de la societe pour combler les vides laisses dans ses rangs par les guerres et les revolutions. « Les hauteurs un peu frivples de la noblesse, dit M. Guizot (Mimoires, t. I ar , p. 295), n’ont pas empSche la bourgeoisie de s’61ever et de 294 DE LA NOBLESSE

prendre place au niveau superieurde l’fitat. Les jalousies un peu puériles de la bourgeoisie n’ont pas empSche la noblesse de conserver les avantages que donnent la notoriete des families et la longue possession des situations. Dans toute socteW qui vit et qui grandit, il y a un mouvement interieur d’ascension et de conqudte ; dans toute societe qui dure, une certaine hierarchic des conditions et des rangs s’etablit et se perpetue.

» La justice, le bon sens, FinterGt public, I’interfit personnel bien entendu, veulent que de part et d ’autre on accepte ces faits naturels de l’ordre social. » Nosrois, et surtout Louis XIV, favoris&rent constamment ce mouvement progressif d’ascension de la bourgeoisie k la noblesse, et l’on peut en croire un autre historien dontles sympathies en faveur des classes interieuresnesont pas suspectes. « C’etait de la classe piebeienne,, dit Augustin Thierry (Histoire du Tiers-Etat), que « sortaient le chancelier, les secretaires du Roi, les maltres des requfttes, les avocats et les procureurs du roi, tout le corps judiciaire, compose du grand conseil,

  • du parlement de Paris avec ses sept chambres, de la chambre des comptos, de la

« cour des aides, des huit parlements de province sous Henri IV, et des tribunaux « inférieurs, en téte desquels fig.raient les presidiaux. Pareillement, dans Tadmtnistration des finances, les fonctionnaires de tout rang etaient pris parmi les « bourgeois lettres. Partout, mfime k la cour, le Roi fit prévaloir les fonctions sur la « naissance. Les marechaux, nobles ou non, passaientavant les dues ; les ministres « nés dans la bourgeoisie n’avaient au dessus d’eux quo les princes du sang. » Une grande partie de ces charges procuraient la noblesse, soit au premier degr6, soit graduelle, e’est-a-dire & la troisifcme generation. Comprenne qui pourra cette contradiction !

Les Rois n’ont cesse d’eiever la bourgeoisie et d’abaisser la noblesse ; 

la bourgeoisie les a renvers£s, la noblesso s’est fait tuer pour les défendre. L’ancien regime n’a pas favorise la noblesse au detriment des autres classes, il a inscrit dans son Livre cTOr toutes les gloires de la Prance ; si le pouvoir actuel veut imiler cet exemple et conserver la mémoire de tous les services rendus, qu’il se hftte de mettre a execution les mesures qu’il a lui-méme provoquees. Aujourd’hui la chose est encore pratiquable ; elle ne le serait plus dans uno couple de generations, puisqu’il n’y a plus de possession d’etat k invoquer, et que Thabitude des deplacements, les facilites des chemins de fer pour se depayser, le morcellement et l’ali&iation desproprietes et les bouleversements contemporains sontdes causes reunies dont Tune suffirait seule pour frapper radicalement toutes les traditions locales. Que conclure de ce qui précfede, sinon comme I’etablit la Patrie « que la noblesse peutetre une distinction sans 6tre un privilege. » Mais réduite k une distinction, elle a encore une certaine valeur m£me dans le sens de nos institutions ; il devient done utile de la reglementer et de la regir par une legislation appropriée & son temperament actuel. Independamment des catalogues officiels de noms et d’armes que nous avons indiques, une autre mesure k prendre pour sauver de l’oubli les families qui n’ont plus que Thistoire pour elles, e’est de faire appel k rhistoire, c’estct-dire de conserver, par des genealogies authentiques, le souvenir des races qui se sont devouees plus particulierement au service de i’Etat, afln de provoquer des dévouements semblables. ET DES USURPATIONS NOBILIAIRES 295 La publication deces genealogies serait pour les families anciennes utl juste d6- dommagement des privileges qu'elles ont perdus et qu'elles avaient acquis au pri» du sang de nombreuses generations, sacrifices mis aujourd'hui en complet oubli. A la commission du sceau, dont nous avons propose le retablissement et k laquelle on adjoindrait quelques paieographes de i'ficole des chartes, serait confle le ; soin de rediger ces annales, qui seraient pour la noblesse, ce que la Gallia Christiania des fibres Sainte-Marthe et l'histoire du Tiers-£tat de M. Augustin Thierry ont 6té pour les deux autres ordres de Tfitat. Chaque familleaurait 4 presenter ses preuves ci un réferendaire qui ferait k la commission un rapport avec toutes les pieces k l'appui, et cette commission, k la difference des agencesnobiliairesmercantiles, ne recevant aucun salaire, aucune influence des parlies interessees ne pourraitmanquer etpar devoir et par honneur, deprononcer avec justice etimpartialite sur la demande des impetrants. On travail qui passe ainsi dans plusieurs mains, ne peut jamais 6tre taxé de faveur ni de com- plaisance et meriterait la mdme confiance que la collection des monuments inedits de l'histoire de Prance, publtee aux frais del'fitat, par lessoins du Ministre de Ins- truction publique. La commission aurait de plus k proscrire au-dessus des armes, les couronnes que les families non titrees ont substituées depuis deux sifccles, mal- gre les defenses plusieurs fois renouvoiees des parlements', aux casques de che- valiers et d'6cuyers, dontelles avaient le droit de timbrer leur ecu, 4 Texclusion de tous autres ornements ; ainterdire aucun timbre aux families bourgeoises en pos- session d'armoirles et aretablir conformement au decret du l cr mars 1808 l'obligation, pour tous les fonctionnaires supérieurs décorés d'un titre, de briser leurs armes, du chefou du franc-quartier attribué au mfeme ordrede fonctions. Ces pieces hono- rables etaient distinctes pour les dues, comtes ou barons-archevfiques ou 6véques, ministres, conseillers d'fitat, presidents ou procureurs-généraux des Cours imp6- riales, maires des bonnes villes, etc. Enfln les comtes ou barons romains reconnus, devraient aussi briser leur armes d'tm chef da gaint-Empire. Par la mftme raison, sile Gouvernement ne retablit pas l'ordre de Saint-Louis, ne pourrait-il pas dumoins modifier le ruban de la Legion d'Honneur, pour tout ce qui est civil? Le plus mince attache d'ambassade, un simple pousse-fauteuil doit 6tre decore, pour ladignite de la mission. II en est de mfime d'une foule d'adminis- trateurs de toute nature, depuis les adjoints municipaux jusqu'aux vétérinaires. Sans doute tous les services rendus ont leur prix, mais il ne doivent pas fitre recom- penses de la mfime manifere. Nous proposerions done de conserver le ruban rouge aux militaires, c'est-4-dire k ceux qui l'ont teint de leur sang, et de choisir une couleur particulifcre pour la magistrature, pour l'admtnistration, pour les artistes, pour les industriels, etc. Une circulairedu Garde des sceaux, adressee recemment aux procureurs gén6- raux, insistesurlanecessiteden'appliquerla loi du28mai 1858 qu'avec une extreme prudence, jusqu'&ce que l'expérience des faits ait permis d'etablir les regies génerales, qui devront diriger Taction de la justice dans la poursuite des usurpations

« Qui pour rait dire main tenant qui a commence l'usurpation des couronnes f il n'est ti petit compa- 

gnon qui n'en porte une » (Saint- Simon). Digitized by Google DE LA NOBLESSE de noms et de titres. II n'est done interdit a personne de fournir son contingent de lumi&res et d'id£es sur le mfime sujet ; il n'est pas non plus inopportun de le faire, puisque ces rfegles ne sontpoint encore etablies. Nous croyons avoir démontréque les revolutions successives dont nous avons 6té t£moin, ont été impuissantes à d£truire le prestige et l'autorite duNOM. L^lection de l'Empereur en est une preuve pSremptoire*, et tantque durerala civilisation, les fa- milies comme les nations tiendront k conserver leur histoire dans ce qu'elle a de glo- rieux ! Or, lesgloires de la noblesse franchise sont celles de la patrie et notre patri- moine k tous ; un de nos soins doit done 6tre de proteger, de d§fendre et d'augmenter ce patrimoine, quelle qu'en soitl'origine et k quelque sifcele qu'il appartienne. (Test le rSsultatque nous appelons de nos vceux, et en tracjant ces lignes, notre but a 6té de nous associer aux vues de M. le Garde des Sceaux « pour rendre dans l'avenir, & l'institution de la noblesse, inseparable du pouvoir monarchique, tout son lustre et toute sa sincerity. »

C'est aussi a son nom, bien plus qu*a son merite personnel, qu'est due Televation de M. Carnot a la 

preside nee de la Republique. _^ > . - ■ -— - -**

^ DE LA NOBLESSE Depuis que ces pages ont ete Writes, un decret du 8 Janvier 1859 a reconstitue le conseil da sceau des titres, que nous appelions de nos voeux comme le corollaire indispensable du retablissementde rarticle259du Code penal contre les usurpations nobiliaires. La solution de plusieurs des questions traitees par nous est déférée par ce decret au conseil du sceau, appeie a regler le sort des titres qui ne devaient etre hereditaires qi J k la condition de retablissement d'un majorat ; I'ordre, les limites et les conditions de transmission des titres dans une famille ; le port de ceux confers par des souverains (Strangers, et les demaudes en changement ou en addition de nom. Pour quo I'autorite de ce conseil ne soit pas contestable, pourqu'on ne puisse pas se demander sil n'a pas herite des vices qu'on reprochait autrefois et avec raison au conseil du roi en cette matifcre il serait k souhaiter qu'il juge&t au grand jour ; qu'il motiv&t ses arrets en citant les pieces surlesquelles ils reposent ; qu'il publidt ses maximes, preiiminaire dont le parlement de Bretagne ne s'etait pas cru dispense ; enfin que sa jurisprudence fut definitivement fixée. Vouloir imposer sans contrdle et comme article de foi, des decisions prises a huis-clos, serait faire craindre que la faveur ou la surprise ne fussent pas constamment etrangfcres k ces decisions 5 , « et faire k la sourdine quelques petitscomtes qui seront sans autorite et sans prestige, c'est condamner des vieillards ct jouer a la poupee 3 . » Mais le rapport du Garde des Sceaux, préc£dant le decret, ne fait pressentir ni retablissement d'un role general de la noblesse qui serait, il nous semble, la consequence de sa reconnaissance legale, ni les actes qui motiveraient la radiation au role de tout nom fietri ou deshonore, ni la publication de genealogies officielles, ni la r£glementation des particules improprement dites nobiliaires, ni celles des armoiries et des couronnes, ni enfin les distinctions de couleur a fixer entre les rubans des decorations militaires et civiles. La reponse k ces divers points en litige, comme a ceux reserves k la commission du sceau, se trouve tout entire dans le travail qui precede, travail que nous soumettons de nouveau et sans modification au public, ainsi qu'aux hommes d'Etat specialement charges de sup- pieer aux lacunes que nous signalons dans le rapport du Ministre. Seulement nous repfeterons que les titres de courtoisie attaches dans l'ancien regime aux presentations k la cour, et ceux k brevets attaches a certains grades ou commissions militaires, n'etnient pas plus hereditaires que ces presentations,

Voir V Introduction au Nobiliaire, page XIV. 

• Voir aux Pieces justiflcatives. a (Euvres de Napotton 111, tome II, Chap. XVIII. Les Nobles. Tome III. 3H

DE LA NOBLESSE 

ces grades ouces commissions elles-m§mes. Or, la nouvelle loi assimilant le port illegal des noms et des titres a celui des uniformes et des decorations, il devrait 6tre aussi interdit aux enfants d’un due, grand-croix de la Legion-d’Honneur et marechal de Prance, de faire (qu’on nous pardonne Texpression) de la monnaie de ce titre de due. pour se répartir les tilres de marquis, comtes, vicomtes, etc., qu’il leur est défendu de s’approprier les grades, uniformes et decorations d’un ordre inttrieur aux grades, uniformes et decorations de leur pere. Cetle interdiction s’appliquerait a fortiori aux titres impériaux, puisque les lettres de collation disent expressement que le titre n’est transmissible qu’ci l’alne des descendants de male et m&le, et a la condition de constituer un majorat. L’ordonnance du 25 aout 1817, invoquée par le Garde des Sceaux, et conférant des litres personnels aux fils des pairs de France seuls, est rapportee par celle du 13 aout 1824, et d’ailleurs elle n’a plus d’application depuis la suppression de la pairie h£réditaire. Le rapport laisse encore en suspens le point de determiner a si, a defaut d’actes r£guliers de collation, de reconnaissance ou d’autorisation, il nV aurait pas lieu d’admettre comme justification du droit au titre ou au nom soumis a verification, une possession constatee par des actes de fonctionnaires publics ou par des documents historiques. » Nous avons propose k cet egard, mais principalement pour les noms, la justification d’une possession centenaire ; maiscette preuve seule serait sans valeur pour constater un droit reel k des qualifications nobiliaires. Qu’on parcourc en effet les anciens registres de retat civil et les minutes ou les grosses notariees, et l’on verra que tous les bourgeois vivant noblement sont decores des qualifications de noble homme et souvent méme d’ecw/er et de seigneur, tandis que les simples gentilshommes re^oivent frequemment celles de chevalier, baron, comte, etc

Aussi la jurisprudence en cette matifcre a toujours maintenu « que les qualifications nobiliaires contenues dans une serie d’actes anciens etaient insuffisantes & elles seules pour etablir la noblesse de celui a qui elles etaient donnees, alors qu’il s’agit d’actes passes avec des personnes n’ayantaucun intent a contredire les qualifications enoncées. Les actes notaries et ceux de retat civil ne doivent done 6tre invoques que comme justificatifs de noms et de filiation, mais pas de titres nobiliaires 1 ; » et un titre devrait, en Tabsence de lettres de collation, pour Stre maintenu a l’alne seul des descendants et dans aucun cas aux col late raux d’un usufruitier, s’appuyer au moins sur des brevets militaires signés de la main du Roi et plus géneralement du secretaire de la main, anterieurement a 1789*. « Conferez la prt f fafe, p. XXVI.

  • On appelait secretaires de la main, e’est-a-dire ayant la main du Roi, ou secretaires de la Chauib

et du Cabinet des personnes investies du droit non-seulenient de signer pour le Roi, mais mSine d’4cri pour lui des lettres entieres en imitant son ecriture. 11 suffit de comparer aux inemes dates les signature de Louis XI et de Charles XIII pour reconnaltre que deja a cette époque il y avait des secretaires de la main. Les archives de l’Empire conservent un millier de pieces comptables sijrnees Francoys, qui n’ont pasete signees par le Roi lui-meine. Un grand nombre de lettres de Henri IV, particulierement les lettres de formalites et de politesse. sont 6crites par les deux secretaire de la main, et sous Louis XIV, le president Roze etait arrivea imiter si bien l’ecriture de ce souverain, que celui-ci s’y trompait lui-meme.

y a un grand nombre de signatures, comme les provisions, brevets, commissions, etc., qui sont 


Bien loin de se renfermer dans ces limites c !6ja bien larges, les titres, depuis la promulgation de la nouvelle loi, surgissent de toute part, même dans les actes officiels ; et leur nombre grossit démesurément sans autre prétexte que la préexistence d’un titre, gratifié a un ascendant par son curé et son tabellion, sur un acte de manage ou un bail à ferme. Ils deviennent aussi banals que le sont en Angleterre ceux d'esquive ou de gentleman, qui n’impliquent aucune prétention à la noblesse. Devant cette maladie sociale et épidémique, nous ne pouvons que répéter après Chérin, le plus sincère des généalogistes : « Hélas ! toute la bourgeoisie y passera 1 . » Est-ce effectivement pour que toute la bourgeoisie y passe, que la loi a été votée ? On serait tenté de le supposer, en voyant que le Ministre se réserve de dispenser arbitrairement d’ici a deux ans, de la publicité prescrite jusqu’à ce jour pour les demandes en changement de nom. Ainsi lorsque l'autorisation de renier légalement le nom de ses pères ne sera sollicitée « que pour régulariser un nom honorablement porté, depuis longtemps accepté par le public, inscrit dans les actes officiels ou illustré par d'importants services (Rapport du Garde des Sceaux), » le pétitionnaire sera exempts de la publicité de l'insertion au Moniteur et dans les Les journaux de l’arrondissement ou il réside et ou il est né. Ce serait le cas de rappeler que les principes de 89, fort compatibles, quoi qu’on en ait dit, avec les distinctions honorifiques, consacraient l'égalité devant la loi, égalité étrangement interprétée dans l’application de celle même qui fait le sujet de cette étude.

Tous les usurpateurs de noms justifiant d’une vie honorable et de l'acceptation de leur nom d’emprunt par le public — comme si le public avait qualité pour s’opposer à leur fréquente éclosion — ont donc deux ans devant eux pour faire ratifier à la sourdine leur nouvel état civil, sans que leur amour-propre ait à souffrir de ce supplément de baptême, et sans que les habitants de leur ville ou de leur village et leurs proches mêmes, puissent découvrir sous la peau du lion, le bout d’oreille de l’âne.

Force gens font du bruit en France

Par qui cet apologue est rendu familier ;

Un Equipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

signés par des commis, lesquels imitent l’écriture du Roi (Ménoires du duc de Saint-Simon, sous l’année 1701 T. II p 150 ; Mémoires du Duc de Luynes, sous l’année 1753, T. XII p. 374 ). Roze, dit Saint-Simon, avoit la plume c’est-à-dire qu’il faisoit les lettres de la main du Roi. Jamais homme ne la fait si bien, si proportion ne ment, ni si dignement écrire, et n’a mieux contre fait l'écriture du Roi ; c’étoit a s'y méprendre en les confrontant toutes deux, la fausse et la véritable. (Journal du marquis de Dangeau, sous l’année 1684, T. I, p. 53). Les fonctions de secrétaires de la main peuvent être assimilées a celles de secrétaires actuels des commandements ; mais si l’existence des premiers était mieux connue, les collecteurs d’autographes -attacheraient sans doute moins de prix a la possession de signatures royales, dont l’authenticité est au moins douteuse.

Le jurisconsulte Hévin, dans ses Questions féodales, traitant de la qualité de vicomte, dit que ce fut dans le XVI« siecle qu’on commença a s’embaronner, de même que dans le siècle suivant on s’emmarquisa. Il appartenait au nôtre de se comtifier ; mais si Chérin, menacé par un officier mécontent de se voir refuser par lui le titre de marquis, pouvait répondre avec assurance, qu’il connaissait un lieu — le marquisat en question — ou il serait à l'abri de sa vengeance, quelle longue nomenclature ferait celle des comtes annexes depuis peu a la France, ou la police ? la plus adroit ? serait impuissante à découvrir les gens qu’elle aurait mission de rechercher !



Nous nous demandons en terminant, si ces dispositions é1astiques d’une loi qui « doit mettre un terme aux abus, ramener l'ordre dans l'état civil, rendre aux institutions publiques le caractère et le prestige qui n’appartiennent qu’à la vérité, atteindre enfin la fraude et le charlatanisme (Rapport précité), » ne lui enlèvent pas une partie de sa moralité en exposant le conseil du sceau à consacrer le charlatanisme chez les uns, tout en le démasquant chez les autres.

  1. Ce mémoire composé à l’occasion de la loi du 28 mai 1858 contra les usurpations nobiliaires, a été publiée pour la premiere fois dans la Revue de Bretagne et de Vendée en 1858.