Notes historiques sur la vie de P. E. de Radisson/Au Fort Onondagué

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DEUXIÈME VOYAGE.

au fort onondagué.


Radisson partit de LaRochelle, au printemps de 1654 et arriva à Trois-Rivières le 17 mai.

Ses parents et ses amis, tout surpris de le revoir, ne pouvaient en croire leurs yeux. Depuis longtemps, ils le comptaient au nombre des victimes des Iroquois. De son côté, Radisson ne fut pas moins étonné, d’apprendre que les Iroquois avaient signé, un traité de paix avec les Français et les Hurons. La colonie commençait à respirer. Après la destruction de la nation Huronne en 1651, les Iroquois avaient proposé de suspendre les armes. En 1653, la paix avait été conclue. L’année suivante, le père Lemoyne se rendit à Onondagué, pour ratifier le traité, et choisit l’endroit, où un poste devait être établi. En 1655 les P. P. Chaumont et Dablon, s’y rendirent, pour prêcher l’évangile et commencèrent à ériger une chapelle. En 1656, le Capt Dupuys fut envoyé comme commandant, avec un détachement de 55 hommes. Il était accompagné du Père Lemercier. Il y construisit un fort et le mit en état de résister à une attaque de la part des sauvages.

Pendant ce temps là, le reste des Hurons s’était réfugié à l’île d’Orléans. Une partie de ces sauvages, se considérant mal défendus par les Français et dans l’impossibilité de résister à leurs ennemis, résolut de passer à ces derniers. Ils expédièrent secrètement des délégués aux Mohawks et aux Onontagués, pour leur proposer de s’unir à eux. Leur proposition fut accueillie avec empressement. En 1657, les Onontagués se présentèrent à Montréal pour recevoir les Hurons et les escorter dans leur pays, tel que convenu. Ils refusèrent de se rendre jusqu’à Trois-Rivières, à cause du voisinage des Algonquins, qui n’étaient pas compris dans le traité de paix. Le gouverneur en profita pour expédier quelques Français, destinés à fortifier la garnison d’Onondagué.

Les P.P. Ragueneau et Duperon résolurent de les accompagner pour aller continuer l’œuvre d’évangélisation déjà commencée.

Radisson, offrit ses services à ces deux missionnaires, qui les acceptèrent. Ils partirent au mois de juillet 1657. L’expédition se composait de 80 Iroquois, 100 Hurons, 20 Français et des deux missionnaires. Fidèles à leur passé, les Iroquois ne manquèrent pas de saisir la première occasion venue, pour égorger lâchement les pauvres Hurons, à qui la veille encore, ils juraient une amitié éternelle. Ils avaient à peine franchi, le lac St. François, que tombant sur ces infortunés, pris à l’improviste, ils les tuèrent tous.

On ne peut s’expliquer réellement, comment il se fait que Français et Hurons se laissèrent si souvent tromper, par les paroles fallacieuses, d’une nation aussi perfide. Que de fois, Français, Hurons et Algonquins, dormant en sécurité et se fiant à la foi jurée des Iroquois, se sont réveillés, le couteau sous la gorge, au cri de guerre de ces barbares. Les Hurons étaient encore moins excusables que les Français, de se confier ainsi, à leurs mortels ennemis.

Lorsque deux tribus ont été longtemps en guerre, il n’est guère possible, de cimenter entr’elles, une paix durable, en vertu d’un simple traité, comme parmi les peuples civilisés. Le souvenir de leurs parents cruellement torturés, est sans cesse présent à leur esprit, pour attiser les vieilles haines, à peine assoupies. Il faut, pour que la paix ait acquis un caractère de permanence et repose sur des bases durables, qu’une tradition de bons rapports et de fraternité sincère, ait remplacé la tradition d’inimitié et de vengeance d’autrefois et en ait fait disparaître toute trace.

Tant que ce résultat n’est pas obtenu, le sauvage n’enterre pas sa hache de guerre. Il consentira à la mettre de côté pour un moment, et promettra ou signera tout ce que l’on voudra ; mais dans son esprit, sa hache est toujours là. Au moindre caprice haineux de sa part, il la reprendra sans honte ni remords de conscience et frappera les malheureux qui ont pris sa parole au sérieux. Ce caractère n’a pas été le propre de toutes les tribus sauvages. Il en est chez qui, la fidélité à tenir leur promesse, fut remarquable, mais il convient bien aux Iroquois et aux Sioux ces autres Iroquois de l’ouest.

Pendant le voyage, Radisson craignit plusieurs fois de subir le sort des Hurons. Les canots ne marchaient pas toujours de concert et souvent il se vit seul au milieu des Iroquois, dont la conduite était loin d’être rassurante. Ce qui l’inquiétait davantage, était la présence d’un parent de l’un des Iroquois, qu’il avait tué, lors de son premier voyage. Un jour, il rencontra un parti de guerre, parmi lesquels se trouvaient plusieurs Iroquois qui l’avaient bien connu. Ils le pressèrent de retourner avec eux, lui disant, que ses parents adoptifs, étaient inconsolables depuis son départ. Il leur remit pour eux, plusieurs présents, qu’ils promirent de leur donner.

Le voyage se fit lentement, car les sauvages s’attardaient souvent à chasser. Radisson rapporte que le gibier était si abondant, qu’un jour, il vit un troupeau de 300 ours. Les sauvages en furent effrayés et avouèrent n’en avoir jamais vu, en si grand nombre. Un des passe-temps les plus agréables, le long de la route, était de prendre au piège des jeunes chevreuils et de les mettre en liberté dans des petites îles, après leur avoir attaché des clochettes au cou. Les sauvages entouraient ensuite l’île et faisaient des chasses merveilleuses ; car le gibier effrayé de ce bruit insolite se hâtait de sortir du bois et de se jeter à l’eau. Radisson atteignit le fort Onondagué sans accident. Ce poste comprenait deux petits forts entourés d’un double mur et était flanqué de deux bastions. Au centre du fort principal, se trouvait le château du commandant de la place. Autour du fort s’étendaient à plus d’une demie-lieue, des champs de blé d’inde et de divers légumes. Les Français, s’étaient aussi livrés à l’élevage et possédaient un bon troupeau qui leur était d’un grand secours, lorsque la chasse faisait défaut. Radisson vit au fort, une Huronne, qu’un des missionnaires avait recueilli, en passant près d’un rocher de l’île du Massacre. Elle raconta, que lorsque les Iroquois descendirent dans leur île, pour échapper à leur poursuite, elle s’était cachée pendant trois jours, dans le creux d’un arbre. Le missionnaire, après lui avoir donné tous les soins que demandait son état, l’avait prise à bord de son canot. Un soir, un Iroquois pour s’amuser, avait fait semblant de tirer sur elle. Prenant la chose au sérieux, elle s’était enfuie dans le bois et il avait été impossible de la retrouver. Cette femme arriva au fort, neuf jours après le missionnaire. Elle n’avait vécu pendant ce temps là, que de racines et de fruits sauvages. Un Huron, avait aussi échappé au massacre. Il vivait parmi les Iroquois, accusant hautement les Français, de complicité avec les ennemis de sa nation.

Les Iroquois voyaient avec défiance, cet établissement commencé dans leur pays. À tous les jours, les Français les entendaient répéter avec menace : « Vous êtes venus vous engraisser ici, mais vous n’y resterez pas longtemps. » Les P.P. Jésuites ne s’épargnèrent point, pour conjurer l’orage qui se préparait. Ils se dispersèrent dans les villages Iroquois, leur prêchant les douceurs de la religion chrétienne et s’efforçant de s’insinuer dans leurs bonnes grâces.

Ils eurent peu de succès, malgré tout leur dévouement ; mais d’un autre côté, ils obtinrent des renseignements sur leurs dispositions, qui n’étaient rien moins que rassurantes. Un Iroquois ami, vint un jour, les avertir que les gens de sa nation, avaient tenu un grand conseil, dans lequel ils avaient décidé de détruire le fort et tous les Français. Cinq cents guerriers, allaient dans quelques jours, prendre les armes et se jeter sur eux.

Afin de se débarrasser de tout ce qui pouvait les gêner, ils avaient assommé à coups de bâton ou en les frappant sur des arbres, tous les jeunes enfants de leurs esclaves. Cernés de tout côté, par des ennemis irréconciliables, cette faible garnison isolée, ne comprenant que 53 hommes, ne pouvait longtemps résister. D’ailleurs, au printemps, le nombre des guerriers Iroquois allait se doubler, par le retour des chasseurs. Les Français décidèrent de construire secrètement des bateaux et de donner un festin, à leurs ennemis, pour mieux ménager leur fuite. À peine les bateaux étaient-ils terminés, qu’ils invitèrent tous les Iroquois à un grand repas. Presque tous, se rendirent à cette invitation. Il ne restait pas 20 hommes dans leur village. Les Iroquois firent honneur à tous les mets qui leur furent servis. Après le diner, ils se mirent à danser au son de la guitare, que pinçait un soldat de la garnison, tandis que d’autres Français jouaient de la trompette et battaient la grosse caisse. Les sauvages qui avaient mangé avec excès, furent bientôt épuisés de fatigue. Ils se couchèrent près des murs du fort.

C’était le moment attendu, pour abandonner le fort. Quelques Français furent tentés d’abord, de profiter de leur profond sommeil, pour se défaire de ces barbares. Les P.P. Jésuites s’élevèrent avec force, contre ce dessein. Ils leur rappelèrent, qu’ils étaient venus pour instruire et évangéliser les sauvages et non pour les détruire et que leur trahison ne les justifiait pas, eux, de les assassiner. Ils quittèrent donc le fort Onondagué ce soir là même et après bien des souffrances, ils arrivèrent à Montréal le 31 mars 1658.

L’historien Garneau place le fort Onondagué sur les bords du lac Salé.

M. J. V. H. Clarke, qui a écrit une histoire de ce fort, prétend qu’il se trouvait à environ trois quarts de mille de la Pointe Verte, dans la ville de Salina, sur le terrain occupé, en 1849 par M. Myrick Bradley. Il paraîtrait qu’on y trouve encore, des ruines, qui permettent d’avoir une idée générale du plan du fort. Dans le cours de ce voyage, Radisson recueillit une tradition Huronne, fort étrange. Cette légende lui fut racontée plus tard par quelques chefs Hurons. Plusieurs Français lui rapportèrent également avoir entendu le même récit.

D’après cette légende, les Hurons, auraient été repoussés au Nord, par les Iroquois. Ils se seraient alors dirigés de ce côté là et auraient poussé leur course, si loin, qu’ils auraient atteint la Baie James. Ils auraient côtoyé cette baie, suivi le littoral de la mer et seraient parvenus, après avoir longé les côtes du Labrador, jusqu’au golfe Saint Laurent. Ils auraient remonté le fleuve, jusque vis à vis Tadoussac, ignorant absolument qu’ils revenaient dans leur pays. Ils auraient ensuite, fait alliance avec les tribus du golfe et chassé les Iroquois de leur pays. Cette histoire sans être invraisemblable, est au moins fort extraordinaire. De Montréal, Radisson se rendit à Trois-Rivières, où il rencontra son beau-frère des Groseilliers. Ce dernier avait visité le lac Huron, l’année précédente. Ils causèrent longuement de leurs voyages respectifs et dès le mois de mai 1658, ils décidèrent de partir ensemble pour une longue expédition, dans le but de découvrir les pays nouveaux, dont ils avaient entendu parler par diverses tribus sauvages.