Observations sur quelques grands peintres/Wouvermans

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WOUVERMANS.


Que de genres différens dans les productions des hommes ! et dans les grandes divisions, que de divisions encore ! Molière, Destouches, Lachaussée, Marivaux, Dancourt, Saint Foix ont fait des ouvrages dans le genre de la comédie ; mais combien leurs comédies sont d’une espèce différente ! Claude le Lorrain, le Poussin, Berghem, Paul Potter, Van den Velde, Wouvermans et d’autres ont peint des campagnes, dans lesquelles ils ont offert des figures et des animaux. Combien cependant leurs tableaux ont de différence entre eux ! Wouvermans, en peignant ensemble des paysages et des animaux, a fait un choix de sites et d’objets qui lui est tout particulier, et qui fait principalement le caractère distinctif de son talent ; il se plaisoit à peindre des chevaux ; et il a choisi des lieux, des sujets où ces intéressans animaux jouoient les premiers rôles. On connoît bien peu de ses tableaux où l’on ne trouve qu’un seul cheval, et bien moins encore où l’on n’en rencontre pas du tout : ils représentent presque toujours des abreuvoirs, des écuries, des manéges, des marchés aux chevaux, des batailles, et surtout des chasses, et surtout des chasses à l’oiseau. Il a réuni à ces pittoresques amusemens la galanterie, qui s’y mêle souvent dans les personnes d’un rang distingué ; les dames viennent y prendre part ; tantôt elles donnent des fêtes aux chasseurs ; tantôt elles portent, par leur présence, un nouveau charme à ces rapides repas, où l’appétit joue un si beau rôle ; quelquefois même elles accompagnent les chasseurs, et partagent leurs pénibles délassemens ; avec des grâces nouvelles, elles vont parcourir les bois, et faire flotter l’élégance de leur parure à côté de la mâle fierté des hommes et des chevaux.

Coloriste comme on l’est en Hollande, Wouvermans a son ton particulier très-prononcé ; il a deux manières de colorier bien distinctes : souvent ses teintes sont vigoureuses, énergiques, presque trop brunes ; souvent encore elles sont douces, vaporeuses et presque molles ; quelquefois elles donnent trop dans le roux, et quelquefois dans la gris. Ses tableaux sont composés avec beaucoup de goût ; sa manière de peindre est très-soignée, très-spirituelle ; il a une touche ferme et légère qui rend la nature sans affectation : ses ouvrages sont toujours agréables ; et une sorte de noblesse et d’amabilité s’y montrent partout. Le paysage n’est pas ce qu’il y a de mieux dans ses tableaux ; souvent aussi il n’y est guère qu’accessoire ; ses ciels, ses lointains sont un peu cotonneux ; cela peut tenir cependant à l’imitation de la nature d’un climat, où les brouillards fréquens donnent une sorte d’indécision aux objets éloignés. La façon dont il a peint les arbres, laisse à désirer pour la forme et pour la couleur : ses figures, et principalement ses chevaux, sont, avec raison, plus estimés ; ils ont une physionomie toute particulière ; cela vient de l’espèce de chevaux qu’il représente, et de la manière avec laquelle il les a peints : terminés avec un soin extrême, ils ont beaucoup de vérité ; ce sont des coursiers aimables, d’une forme gracieuse et noble, contribuant, avec joie, aux plaisirs d’une classe d’hommes, dont ils semblent partager les inclinations. Les ouvrages de Wouvermans (les batailles exceptées) inspirent des idées douces et tranquilles. Il peint, non pas le brillant appareil de la richesse, mais ses nobles délassemens ; s’il n’offre pas la touchante naïveté des habitans des campagnes, il peint très-bien ceux qui, riches des trésors qu’elle leur prodigue, viennent y chercher des plaisirs qui les dédommagent de l’embarras que la fortune leur donne à la ville. Ses tableaux aident à prouver que quelque dégénérés que soient les hommes entassés dans les grandes cités, ils tendent toujours vers les jouissances et les besoins de leur première origine. Wouvermans a souvent peint des batailles ; une de ses plus belles productions dans ce genre, est celle qui est au Musée Napoléon, et qui étoit autrefois dans le cabinet du stathouder ; elle est de sa plus forte manière, et peut être mise au rang de ses plus célèbres ouvrages.

En pensant à l’espèce de talent de Wouvermans, à la quantité de ses tableaux si gracieux, si beaux dans presque toutes leurs parties, si recherchés aujourd’hui, qui ne croiroit qu’il a vécu comblé des faveurs de la fortune ; cependant cela n’arriva point ainsi : on sait que toujours obligé de travailler pour subsister, il ne fut jamais assez à son aise pour pouvoir voyager ; cela prouve bien qu’un grand talent, quelque facile, quelqu’agréable qu’il soit, ne suffit pas pour conduire à la fortune, et que le mérite a souvent besoin d’employer d’autres moyens que lui-même, pour forcer les hommes à lui rendre justice. Hélas ! c’est à la postérité seule à qui l’on plaît sans aucune espèce d’intrigue.