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On peut toujours ajouter un rayon au soleil Partie 1

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Toujours pas enceinte

Neuf enfants ! Jamais je n’aurais pensé en avoir autant. Et encore moins les adopter ! Marie-Christine et moi voulions des enfants, c’est vrai. Mais comme tout le monde. Nous n’avons pas une âme de héros ou d’aventuriers ! C’est la vie qui a fait en sorte que notre famille soit composée d’enfants de toutes les couleurs, qui viennent du Pérou, de Colombie et de Roumanie.

J’ai rencontré Marie-Christine à la Fac. Le jour où je lui ai dit que je l’aimais, je me suis rendu compte que mon sentiment était partagé. J’ai alors eu un sentiment de vertige. Je me suis dit « Mon Dieu, c’est pour toujours ! ». Nous savions l’un et l’autre que notre objectif était de vivre ensemble pour toute la vie. Mais on était bien loin de se douter dans quelle aventure on s’embarquait !

Si on m’avait dit : « Tu auras neuf enfants », j’aurais sauté au plafond en criant : « Jamais de la vie ! » Je ne savais pas ce qu’était une famille nombreuse. J’ai un frère et une sœur, et seulement trois cousins, et une cousine. Pierre, lui, en a plus de quatre vingt !

C’est vrai que les familles nombreuses, ça me connaît. J’ai quatre frère et sœurs, et mes parents étaient douze dans chacune de leur famille… Mon grand-père maternel, quant à lui, venait d’une famille de quinze enfants ! Mais ce n’est pas pour ça que j’aurais pu m’imaginer à la tête d’une aussi grande famille…

Moi, je voulais avoir quatre enfants. Cela me semblait bien assez. Deux garçons et deux filles. La famille idéale quoi ! J’ai joué à la poupée jusqu’à l’âge de quinze ans. Lorsque nous allions chez des amis, c’est toujours moi qui m’occupais des enfants. ; dès que j’ai eu dix huit ans, j’ai animé des colonies de vacances… Je rêvais de devenir directrice de crèche. Mais j’ai choisi l’enseignement. Ça me semblait plus conciliable avec une vie de famille.

Or, une semaine après notre mariage, j’ai eu un problème rénal, qui m’a valu un veto médical : pas d’enfant avant un an. On m’avait dit que je risquais par la suite de connaître des grossesses un peu difficiles. Mais cela ne m’a pas fait peur. Une fois que le délai d’attente a été dépassé, nous avons envisagé une grossesse. Mais au bout de quelques mois, je n’étais toujours pas enceinte. Nous avons commencé à nous inquiéter, et à faire des examens médicaux. Et le verdict est tombé : Pierre et moi ne pouvions pas avoir d’enfant.

C’est moi qui ne pouvais pas avoir d’enfant. Alors, on s’est mis à consulter des spécialistes. Cette période a été la moins constructive de notre vie. On courait vers un but illusoire. Avoir un enfant, c’est naturel. Avec tous les examens et tous les tests qu’on nous faisait subir, ça devenait quelque chose de fabriqué. C’était terrible.

Lorsqu’on m’a parlé d’insémination artificielle avec donneur étranger, j’ai eu peur. Quelle aurait été mon attitude, plus tard, vis-à-vis d’un enfant qui génétiquement n’aurait pas été le mien ? Maintenant je me rends compte combien cette réaction était idiote puisque nos enfants, nous les avons adoptés…

J’acceptais que ce soit à cause de moi que nous ne puissions pas avoir de bébé. Je suis toujours désolé de ne pas avoir pu offrir une grossesse à Marie-Christine, mais on ne pouvait pas passer par n’importe quelle solution.

Notre vie était devenue complètement bancale. Nous étions obnubilés par les examens. C’est épouvantable d’avoir une vie sexuelle programmée, surveillée, et constamment découragée ! Au bout d’un an de tentatives en tous genres, notre gynécologue nous a dit : « Je suis à votre disposition, on fait ce que vous voulez ». Alors, nous n’avons pas hésité une seconde en répondant : « Plus rien du tout ! ».

Contraint à l’adoption

J’ai eu beaucoup de mal à envisager l’adoption. Cette solution a tout de suite tenté Marie-Christine. Mais moi, j’ai dû vaincre mes a priori. Cela a été très dur.

Il me restait à l’esprit des images qui me venaient de ma jeunesse. Du temps où j’allais en colonie de vacances, je résidais à côté d’une colo de l’assistance publique. On nous disait de ne pas frayer avec ces enfants là parce qu’ils n’étaient pas "fréquentables". Un de ces garçons venait parfois nous voir. Il avait un pantalon qui avait un trou au niveau des fesses. Il n’avait pas de slip. Nous ne nous sommes pas moqués ouvertement de lui, mais pour nous, c’était un "pauvre". Et ce trou au pantalon nous faisait tellement rire… Devenu plus grand, j’ai gardé une honte d’avoir eu un tel comportement. Mais cette honte n’a pu estomper l’image très négative que j’avais reçue de l’assistance publique. C’est pour cela que nous n’avons d’abord pensé qu’au parrainage : on aurait accueilli un enfant de la DDASS le mercredi ou le week-end, un peu comme un filleul.

Or, l’assistante sociale que nous sommes allés voir nous a proposé de réfléchir plutôt à l’adoption. Cette proposition m’a fait peur. Passionné de généalogie, une question m’a aussitôt traversé l’esprit : "Mais comment vais-je les inscrire dans mon arbre généalogique ? " Pour moi, des enfants adoptés ne pouvaient pas être inscrits correctement dans ma généalogie. Ils n’auraient pas de lien de sang avec moi. Comment, dans ces conditions, pourrais-je les représenter comme les descendants de mes propres ancêtres ? Cette question restera malgré moi longtemps tenace. C’était ma façon de m’accrocher à mon désir de filiation. Un désir profondément ancré…

Il fallait pourtant bien trouver une solution. Nous avions arrêté tout processus médical. Eliminé d’office l’insémination artificielle. Mais notre manque d’enfant nous pesait tant ! Je me sentais acculé à l’adoption…

Un enfant qui ne nous ressemblera pas

Je m’imaginais plutôt des enfants qui nous ressembleraient. Dans ma tête, je ne pouvais adopter qu’un enfant français. Une fois adopté, il pourrait très bien passer pour notre enfant biologique. Cela me semblait important : l’adoption était quelque chose d’intime qui ne s’afficherait pas. Nous avons donc entamé nos démarches auprès de la DDASS.

Alors, j’ai paniqué. Nous avons appris que la DDASS ne traitait que les dossiers des couples mariés depuis au moins cinq ans. On nous a expliqué par ailleurs qu’en général, on ne donnait un enfant qu’au bout de quatre ou cinq ans d’attente. Nous avons fait le calcul : cela nous donnerait une attente d’environ dix ans ! A presque l’âge d’être grands-parents, on nous donnait notre premier enfant.

Plus que jamais, nous étions révoltés. Nous, qui avions tant envie d’enfants ne pouvions pas en avoir. D’autres familles avaient des enfants à ne plus savoir qu’en faire et ne les désiraient même pas. Nous étions en rébellion contre Dieu, et lui répétions sans cesse : « Mais quelle cohérence mets-tu dans ce pauvre monde ? Les choses sont si mal faites ! ».

J’étais prête à sacrifier une maternité, mais pas à sacrifier la présence d’enfants. Très rapidement, nous avons parlé de nos projets autour de nous. Chacun se mettait en quête d’adresses et de renseignements. C’est ainsi qu’on nous a dit que la seule solution pour adopter plus rapidemant était de se tourner vers l’étranger. C’est à ce moment-là que la démarche est devenue plus difficile pour moi. Pierre, en revanche, avait déjà franchi tous les obstacles. Dès lors qu’il avait fait le pas d’accepter le principe d’une adoption, il était d’accord pour n’importe quel enfant, de quelque couleur ou race qu’il soit. J’étais surtout bloquée par le fait qu’on sache forcément, en voyant, mon enfant, qu’il a été adopté.

Un jour pourtant, mon regard a été accroché par une grande photographie affichée à l’église, à l’occasion de la journée des missions. L’image représentait une petite main noire dans la main blanche d’un adulte. jai été bouleversée à un point tel que c’est ce qui m’a aidée à traverser les étapes qu’il me restait à franchir.

L’espoir vient de Colombie

Tant que Pierre et moi n’étions pas sur la même longueur d’ondes, nous n’avons rien fait - et la même chose se produira pour toutes les étapes importantes de notre vie- Mais maintenant que nous étions tous deux d’accord pour cette adoption internationale, nous avons foncé.

"Prendre un enfant par la main…" Ce refrain d’Yves Duteil était devenu notre leitmotiv. Aujourd’hui, cette chanson que nous avons écoutée des centaines de fois nous bouleverse toujours autant.

A la fin de l’année 1978, nous avons écrit partout. Au moins cinquante lettres_ Fin décembre, nous n’avions reçu que des réponses négatives. De quoi décourager tout un régiment ! Nous avons alors rencontré un couple qui avait déjà adopté en Colombie. Il était sur le point d’y repartir pour adopter un autre enfant.

Nous avons été subjugués par leur façon de nous parler de ce pays. Germain, le petit garçon qu’ils avaient adopté, nous a totalement séduits, avec son petit air coquin. Il devait avoir deux ans, et il était tellement drôle, vif, amusant, que nous avons été définitivement convaincus de la décision à prendre.

En fait, nous partirons en Colombie avant eux, et c’est par nous qu’ils apprendront qu’un petit Nicolas les attend _ Nous avons donc écrit à leur adresse en Colombie. En février, nous recevions une réponse favorable. Alors, ce fut la course aux documents pour le dossier. Il fallait qu’il soit prêt en mai, car on nous avait présenté un industriel qui part à cette date à Bogota. Il pouvait déposer notre dossier en mains propres. Quelle chance !

Passer notre vie avec un seul enfant ? Non, on ne pouvait pas accepter cette idée. Ce n’était pas une vraie famille. Nous voulions qu’il ait au moins un frère ou une s_ur. Si on n’adoptait qu’un seul enfant cette fois-ci, il se retrouverait peut-être fils ou fille unique pour toujours.

Nous avons demandé à la DDASS un agrément pour pouvoir adopter deux enfants. Nous avions peur que notre dossier soit refusé si nous entamions une deuxième démarche. Et puis, une adoption en Colombie coûte tellement cher pour un jeune couple !

Les démarches à suivre ont été un vrai parcours du combattant : de la visite chez le psychiatre à celle chez le médecin assermenté, des visites de l’assistante sociale aux papiers de tous genres à faire signer devant les instances officielles, sans oublier les traductions en espagnol… Heureusement que les couples "normaux" ne doivent pas faire tout cela pour avoir des enfants, sinon la planète aurait vite fait d’être déserte ! Nous avons finalement accompli le tour de force de boucler notre dossier en temps et en heure.

J’ai trouvé que ce cheminement vers l’adoption était une chose formidable. Il nous a fait rencontrer des centaines de personnes qui se sont motivées, intéressées, qui nous ont encouragés. Ensuite, lorsque nous aurons adopté, cela a été notre tour de recevoir des centaines de coups de fil ou de visites…

Je passais mes journées à guetter le facteur, en me disant : " Peut-être qu’il m’apporte des nouvelles de Colombie". Quand le téléphone sonnait je me jetais dessus en m’imaginant que c’était peut-être un appel de là-bas_ Cela était devenu une obsession telle qu’elle s’est poursuivi même plusieurs mois après l’adoption ! Cette maladie du téléphone et du facteur recommencera lors de toutes nos démarches d’adoption.

En juin, nous avons reçu une lettre de Colombie nous apprenant que notre dossier avait été accepté. Psychologiquement, nous vivions une grossesse. Mais nous ne savions pas quand en arriverait le terme. Et nous ne savions pas quel âge aurait notre « nouveau-né » !

Et puis, il y avait ce voyage. Depuis que nous nous connaissions, Pierre et moi n’avions dépassé les frontières de la France que pour aller en Belgique !

Un bébé de huit jours

Une nuit de septembre, en 1979, un coup de fil nous a réveillés. Marie-Christine, encore toute ensommeillée a dévalé l’escalier pour ne se réveiller tout à fait qu’avec le téléphone dans les mains. Dans mon demi sommeil, j’ai entendu : « Pierre, Pierre, c’est la Colombie ! ». J’ai descendu l’escalier quatre à quatre pour saisir l’écouteur. C’était la directrice de la « Casa de la madre y el nino », la pouponnière, qui nous proposait d’adopter un petit garçon, nous disant qu’il était né le 11 septembre et qu’il fallait venir le plus vite possible.

J’étais tellement abasourdie par cet appel que j’ai d’abord dit : « Excusez-nous, on ne parle pas espagnol_ » Pierre m’a donné un coup de coude pour me faire remarquer que cette dame était en train de nous parler dans un français remarquable ! Ensuite, j’ai demandé son année de naissance du petit garçon. Je ne pouvais imaginer qu’il s’agissait d’un nouveau né, d’à peine huit jours_ Après avoir raccroché, nous sommes restés tous deux assis sur les marches de l’escalier, hébétés. Nous nous

demandions s’il fallait pleurer ou sauter de joie_ Nous n’arrivions pas encore à réaliser ce qu’on venait de nous raconter. Et puis, nous nous sommes dit : "Ça y est, nous avons un petit garçon. C’est Pierre-Germain ! " C’était le prénom que nous avions choisi lorsque nous avons entrepris nos démarches pour l’adoption. Immédiatement, nous avons téléphoné à nos parents qui à leur tour, ont été réveillés en sursaut. Mes parents ont été à la fois bouleversés et émerveillés par la nouvelle. Les parents de Pierre, eux, n’osaient pas y croire, nous demandant : "Mais vous êtes sûrs que ce n’est pas une blague à cette heure ci ? Vérifiez bien ! "

Le lendemain matin, ( c’était le jour de la rentrée scolaire !) j’ai déboulé dans la salle des profs du collège où je travaillais en criant, toute heureuse : "J’ai eu un petit garçon, j’ai eu un petit garçon cette nuit ! "… devant les mines abasourdies de mes collègues qui me regardaient de la tête au pied, incrédules. Evidemment, ils ne pouvaient pas tout comprendre !

Un couffin vide à la main

Marie-Christine était bien plus impatiente que moi à partir en Colombie. J’aurais volontiers pris une bonne semaine pour digérer la nouvelle ! Après avoir prévenu nos supérieurs hiérarchiques de notre départ, nous avons dû préparer les bagages_ Tous ces bagages à inventer : nous ne savions pas au juste dans quel genre de pays nous partions, nous ne savions pas quels papiers étaient nécessaires. Nous ne savions pas non plus de quoi aurait besoin l’enfant, ni ce qu’il fallait comme médecine, puisque nous partions pour un pays tropical qui, a priori, nous semblait dangereux_ Malgré tout, trois jours plus tard, nous nous envolions pour la Colombie, avec, à la main, un couffin rempli de couches…

C’est un signe de reconnaissance qui nous a permis de rencontrer à l’aéroport trois couples qui allaient adopter dans la même pouponnière que nous. C’était une chance pour nous, parce que nous ne nous étions même pas rendu compte que la maîtrise de l’espagnol (que ni l’un ni l’autre ne parlions) aurait pu nous être utile. Nous étions tellement focalisés sur le fait d’adopter que nous avions oublié que nous nous rendions avant tout dans un pays étranger, dans lequel il fallait se débrouiller tant bien que mal. Nous avons donc pu loger avec ces couples français dans un petit hôtel que l’un d’entre eux avait réservé. Le propriétaire de l’hôtel est venu nous chercher à l’aéroport. Il nous a assuré qu’il pourrait nous loger sans problèmes. Il nous a tous entassés dans sa voiture. Au total, nous étions sept avec nos bagages en sus ! Il faisait une chaleur terrible. Notre premier réflexe a été d’ouvrir une vitre. Notre conducteur nous a demandé de la refermer au plus vite : "Vous n’y pensez pas, au premier feu rouge, on risque de vous voler vos montres ou vos sacs ! " Nous étions bel et bien en Colombie…

Nous étions tellement heureux de pouvoir nous retrouver avec d’autres français que nous avons accepté sans trop rechigner d’être logés dans une sorte de cagibi avec juste un lit à une place. Tant bien que mal, on a rajouté un matelas entre le lavabo et la porte… cela pour le prix, bien entendu, d’une chambre d’hôtel classique ! Le lendemain matin, nous avions tous rendez-vous à la pouponnière. Nous avons été surpris d’être accueillis dans un petit salon coquet dans lequel trônait un somptueux berceau recouvert de tulle blanc. Cet endroit ne concordait en rien aux sombres images d’orphelinats que nous avions à l’esprit.

Comme s’il venait de naître

Je me répétais sans cesse : "il est né le 11 septembre, il est né le 11 septembre ! " Depuis le coup de téléphone de la directrice, c’était la seule chose que nous savions de cet enfant. Alors, je m’étais accrochée à ce renseignement comme à quelque chose de capital. Si bien que quand nous sommes arrivés à la pouponnière, je n’attendais qu’une seule chose : qu’on me dise qu’il était né le 11 septembre ! On m’aurait dit "il est né le 12 septembre", cela m’aurait chagrinée profondèment Parce que c’était de cet enfant, né le 11 septembre, que nous nous sentions les parents, avant même de le voir, avant même d’arriver en Colombie._C’était cet enfant là, et pas un autre, qui pour nous était Pierre-Germain.

Au bout d’un petit moment d’attente, la porte s’est ouverte sur la directrice qui nous apportait une petite boule de laine avec deux grands yeux noirs brillants. Nous étions tout émus. Je me suis effondrée en larmes.

Moi, j’avais les yeux tout embués. La directrice a mis cette petite boule dans les bras de Marie-Christine. C’est à ce moment là que nous avons découvert le mystère de l’adoption : à l’instant même où nous l’avons eu dans les bras, cet enfant devenait le nôtre. Si on nous avait dit à ce moment là qu’on s’était trompé de lit, que l’enfant qui nous était destiné était un autre que celui-ci, jamais nous n’aurions pu en faire l’échange. Notre regard avait croisé celui de ce bébé, et il était devenu notre enfant. Quand on me l’a mis dans les bras, c’était comme s’il venait de naître. Nous avons admiré ses yeux pendant un moment. Tout doucement, nous avons ouvert le grand châle. Mon Dieu, que c’est petit, un bébé de dix jours qui pèse 2kg800 ! Ses cheveux noirs tout raides, sa peau légèrement hâlée, ses petites mains_ Nous ne nous lassions pas de le regarder.

Cet après-midi là, nous et les trois autres couples français nous sommes retrouvés chacun avec notre bébé dans les bras_ Et nous nous sommes avoués plus tard que chacun s’était dit dans son for intérieur : "Comme nous avons de la chance : c’est nous qui avons le plus beau bébé ! "

Nous pouvions passer l’après-midi avec notre bébé, mais nous devions le ramener à la pouponnière le soir. Cela donnait la possibilité aux couples de revenir sur leur décision s’ils se rendaient compte qu’ils n’étaient pas capables de sauter le pas de l’adoption. Pour nous, rapporter Pierre-Germain a été un déchirement, même si ce n’était que pour la nuit.

Un grand frère pour Pierre-Germain

Cette nuit là, nous avons mal dormi. Lorsque en janvier nos amis nous avaient donné cette adresse de pouponnière, ils pensaient pouvoir venir très vite y adopter un deuxième enfant. Or, il n’avaient, depuis, plus eu de nouvelles. On leur avait donc promis de faire tout notre possible pour réactiver leur dossier. D’un autre côté, on désirait tellement avoir un deuxième enfant qu’il fallait au moins commencer à planter des jalons_ Il fallait faire un choix : soit parler à la directrice du dossier de nos amis, soit parler de notre propre désir d’adopter un deuxième enfant. On imaginait bien que sur ces deux demandes, une seule aurait une chance d’être prise en compte.

Le lendemain matin, nous nous sommes rendus à la pouponnière pour chercher Pierre-Germain et signer les premiers papiers. On avait finalement choisi d’évoquer en priorité la demande de nos amis. Ce choix n’avait pas été facile à faire ! La directrice nous dit aussitôt : "Ecoutez, j’ai un petit garçon de huit jours qu’ils peuvent venir chercher ! " Et elle nous suggère de leur téléphoner pour les prévenir. Inutile de dire que nous étions totalement ahuris d’obtenir une réponse aussi concrète !

Alors j’ai pris le risque de parler de notre cas. Nous avions obtenu un agrément pour adopter deux enfants. Nous souhaitions que Pierre-Germain ne reste pas tout seul dans la famille. Timidement, j’ai demandé : "Quand pensez-vous que nous pourrions avoir un deuxième enfant ? " Et voilà notre seconde grande surprise. Nous nous attendions à ce qu’on nous réponde qu’il fallait attendre au moins quelques mois. Et la directrice nous répond du tac au tac : " Écoutez, j’ai un petit garçon de dix huit mois. Est-ce que vous voulez le voir ? " Bien sûr que nous voulions ! Ele sort donc pour aller chercher l’enfant.

‘'J’avais Pierre-germain dans les bras. Pierre et moi, tout aussi bouleversés, nous sommes regardés. Comment accueillir ce petit garçon qui allait arriver ? Nous voulions lui ouvrir tout grand les bras. Avec notre bébé dans les bras, nous nous sentions "empotés". Nous ne savions vraiment pas comment faire. Nous avons été tentés de poser le bébé sur le canapé. Mais cela aurait été l’exclure, le mettre de côté. On ne pouvait pas ! Finalement, Pierre a pris Pierre-Germain dans ses bras, et tout s’est très bien passé. On a vu arriver un petit bonhomme aux cheveux blonds, tout beau tout propre, en barboteuse bleu ciel, avec un caramel qui dégoulinait jusque sur ses chaussures. C’était "notre" François-Damien. Il est arrivé vers nous pour se mettre dans nos bras, tout serein.

Je me suis d’abord mis un peu en retrait. Comme je le ferais pour toutes les adoptions à venir. Les enfants, qui ont grandi en institution, ont eu l’habitude d’évoluer dans un univers féminin. Ils sont toujours venus plus spontanément vers Marie-Christine. Moi, au début, je les effarouche un peu. C’est toujours un peu douloureux de ne pas pouvoir participer pleinement à cette première rencontre. Mais c’est comme ça.

Fabriquer une famille

Nous retrouvant avec nos deux petits bambins, cela a été ensuite la course pour faire tous les papiers. C’est là que nous avons eu la grande chance d’entrer en contact avec une femme extraordinaire, Ana, qui parlait français. Elle aidait bénévolement dans leurs démarches administratives les couples qui venaient pour adopter. Son calme et sa gentillesse faisaient des merveilles !

Un jour, nous nous promenions avec François-Damien. Alors que nous descendions du taxi, deux gosses sont arrivés en tendant la main. Ils faisaient partie de ces gamins de Bogota qui dorment dans la rue sur un morceau de carton.

J’ai donné deux biscuits que j’avais dans mon sac à l’un d’entre eux. On parle beaucoup du "chacun pour soi "de ces gamins de la rue. Mais pourtant, cet enfant là a aussitôt partagé les biscuits avec son copain…

Je me rends compte qu’à l’époque, nous ne faisions pas le rapprochement avec nos propres enfants. Même si ce voyage en Colombie nous a fait découvrir la proximité des bidonvilles, la pauvreté des gamins de la ville, nous avions d’autres soucis en tête…

Durant tout le séjour, nous sommes restés avec des français_ et nous avons même retrouvé nos amis qui, suite à notre coup de fil, venaient chercher leur bébé ! Il fallait attendre le jugement qui nous permettrait de sortir les enfant du pays. Pendant ce temps, nous avons découvert une vie complètement nouvelle. La pouponnière nous avait remis les enfants sans aucun mode d’emploi. Avec les autres couples, nous nous retrouvions la nuit dans le salon, en train de faire faire le rot à nos bébés respectifs, ou à donner le biberon.

Je ne savais pas toujours où donner de la tête, avec mes deux bambins. Pierre-Germain toujours très impatient à manger, avait le don de hurler dès que nous tardions trop à lui donner son biberon. François-Damien, plein d’énergie, voulait toujours aller se promener. Pour nous le faire comprendre, il attrapait notre sac kangourou et l’enfilait n’importe comment en nous tirant par la manche et en nous montrant la porte !

Le jour où François-Damien a donné son pemier baiser, j’ai été bouleversé. Ce baiser, il l’a adressé à son petit frère. Je me suis dit : "Ça y est, la fratrie est en train de prendre"… C’est vrai que nous étions en train de réaliser un pari qui n’était pas évident. En adoptant deux enfants en même temps, nous fabriquions une famille…

Comme il ressemble à son grand-père !

Pierre était reparti à la maison une semaine avant moi pour reprendre le travail. J’étais donc restée seule avec les enfants, en compagnie des autres mères adoptantes,Tout comme moi, elles devaient achever les démarches administratives sans leur mari.

Dans l’avion du retour, les hôtesses de l’air, toutes colombiennes, ont été touchées de voir ces mamans qui venaient d’adopter. Très gentiment, elles nous ont offert le champagne. Malheureusement, les autres passagers ont été intrigués. Ils nous voyaient avec nos verres à la main et entendaient tous ces petits enfants brailler. Ils avaient l’impression que les hôtesses ne s’occupaient plus que de nous. Durant tout le trajet, ils ont défilé, comme au zoo, pour voir ces enfants adoptés. Pour eux, c’était une curiosité à ne pas rater ! Ils ne voulaient pas comprendre que ces petits étaient comme tous les autres. Ils avaient besoin de calme, de tranquilité. Il fallait les laisser se reposer.

A mon arrivée à Roissy, j’ai cru que jamais je n’arriverais au bout du couloir de l’aéroport. Je portais François-Damien sur le dos, Pierre-Germain dans son couffin, et de l’autre main, je trainais mes bagages_ Du haut de l’escalator j’ai tout à coup aperçu Pierre et mes parents… Pour moi, cela a été un grand moment de soulagement et d’émotion. J’ai posé le couffin, ma mère s’est précipitée pour voir le bébé ; mon père a pris François-Damien dans les bras. A ce moment-là, une dame est passée, est s’est exclamée : "Comme il ressemble à son grand-père !!

Ce n’est qu’à ce moment-là que je me suis vraiment rendu compte qu’une nouvelle vie commençait. J’étais très ému. Marie-Christine et moi, on était vraiment fiers de nos enfants. Pour nous, ils étaient les plus beaux bébés du monde !

Cela a été le plus grand bouleversement de ma vie. Après quatre ans de mariage, ce n’est pas évident de passer de zéro à deux enfants. Par la suite, il nous sera plus simple d’accueillir de nouveaux enfants. j’ai eu l’impression de passer la tête sous la vague. Nous avions l’habitude d’avoir une grande liberté d’horaires. Et tout d’un coup, nous nous retrouvions coincés par les couches, les biberons., les siestes_ et la surveillance d’un petit François-Damien très turbulent !

Juste avant de partir en Colombie, j’étais partie en catastrophe faire mes courses de future maman avec une de mes amies. J’étais prête à vider tous les rayons ! Finalement, je suis arrivée à la caisse avec une malheureuse paire de chaussettes et quelques bricoles. Pour me fournir l’essentiel de mon équipement, mon amie m’avait assuré que je pourrais compter sur mon entourage. Et il est vrai que, dès notre retour, tout le monde s’est mobilisé pour nous prêter qui de la layette, qui un landau, qui un berceau_ Tout un matériel dans lequel, il est vrai, nous rechignions à investir, puisqu’il ne nous resservirait jamais. Nous étions persuadés, en effet, que Pierre-Germain et François-Damien seraient nos deux seuls enfants.

François-Damien avait vingt mois. Pour moi, c’était vingt mois de retard affectif. Aussi, j’étais bien décidée à le garder à la maison le plus posible, pour qu’il puisse profiter de sa maman_. Mais l’été suivant, il a vu les enfants du quartier aller au centre aéré. Il m’a fait une telle comédie que j’ai été obligée de l’y inscrire. Il avait à peine deux ans et demi.

Quand est arrivé le mois de septembre, je me suis retrouvée devant le même problème. Il n’arrêtait pas de me tanner : "je veux aller à l’école, je veux aller à l’école ! ". Il a vraiment devancé l’appel. Je l’ai donc emmené à l’école. J’avais le c_ur serré. Et lui, il était tout heureux de pouvoir aller "jouer avec les autres enfants" !