Opéra et Drame (Wagner, trad. Prod’homme)/Partie 3/Chapitre IV

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1851
traduit de l’allemand par J.-G. Prod’homme, 1913

Troisième partie : La Poésie et la musique dans le drame de l’avenir





IV



Jusqu’à présent, nous avons montré que les conditions du passage mélodique d’une tonalité à une autre, résident dans l’intention poétique, pour autant qu’elle s’est révélée dans le contenu intentionnel ; et en le montrant, [nous avons] démontré [1] que la source d’excitation de ce processus mélodique, pour se justifier devant le sentiment, ne saurait consister en autre chose qu’en cette aspiration. Mais ce qui rend possible ce processus ne réside pas naturellement dans le domaine de la langue parlée, mais seulement, d’une façon bien déterminée, dans celui de la musique. Cet élément le plus essentiel de la musique, l’harmonie, est ce qui n’est conditionné par l’intention poétique qu’autant que l’autre est l’élément féminin, où cette intention s’épand pour sa propre réalisation, pour sa rédemption.

Car c’est là l’élément qui enfante, qui ne reçoit l’intention poétique que comme une semence fécondante, pour lui donner la forme d’un phénomène parfait, conforme aux conditions de son organisme féminin. Cet organisme est particulier, individuel ; il ne crée pas, mais il enfante : il a reçu du poète la semence qui fortifie, mais il fait mûrir le fruit et le forme selon son propre pouvoir individuel.

La mélodie, telle qu’elle apparaît à la surface de l’harmonie, est conditionnée en vue de son expression décisive purement musicale uniquement par l’action de bas en haut de l’harmonie : de même qu’elle se manifeste en tant que chaîne horizontale, de même elle est reliée comme par une chaîne verticale à cette base. Cette chaîne est l’accord harmonique, qui monte de la base fondamentale à la surface, comme une série verticale de sons proches parents.

La résonance simultanée de cet accord donne d’abord à la note de la mélodie l’importance spéciale d’après laquelle elle a été destinée, comme uniquement caractéristique, à un moment distinct de l’expression. De même que l’accord déterminé par le son fondamental donne à la note isolée de l’harmonie son expression déterminée, — tandis qu’une seule et même note, [placée] sur une autre note fondamentale à elle apparentée, acquiert jinp signification expressive toute différente, — de même, chaque processus mélodique d’un son à un autre ne se détermine que par la modification de la note fondamentale, qui conditionne d’elle-même le son conducteur de l’harmonie, comme telle. La présence de ir son fondamental et de l’accord harmonique qu’il détermine est indispensable au sentiment, qui doit saisir la mélodie d’après son expression caractéristique. Mais la présence de l’harmonie fondamentale signifie : résonance simultanée de celle-ci. La résonance simultanée de l’harmonie et de la mélodie persuade le sentiment d’une façon complète d’abord du contenu émotionnel de la mélodie qui, sans cette résonance, laisserait au sentiment quelque chose d’indéterminé ; mais ce n’est que par la détermination la plus complète de tous les moments d’expression que le sentiment se détermine vite et directement à s’intéresser inconsciemment ; une détermination parfaite de l’expression ne peut que signifier la communication la plus complète aux sens de tous ses moments nécessaires.

C’est ainsi que l’ouïe réclame impérieusement la résonance simultanée de l’harmonie et de la mélodie, parce que cette résonance remplit d’abord absolument sa faculté sensorielle, en la satisfaisant, et peut ensuite se vouer avec le calme nécessaire à l’expression émotionnelle qui détermine la mélodie. La résonance simultanée de l’harmonie et de la mélodie n’est donc pas une difficulté, mais la simplification unique qui facilite l’intellect de l’ouïe. C’est seulement si l’harmonie ne pouvait s’extérioriser comme mélodie, — donc, si la mélodie, ne tirant sa justification ni du rhythme de la danse ni du vers parlé, mais, privée de cette justification qui peut seule la rendre évidente au sentiment, se manifestait seulement comme un phénomène fortuit à la surface des sons fondamentaux changeant arbitrairement d’accords, — c’est seulement alors que le sentiment, sans point d’appui qui le détermine, serait troublé par la manifestation pure et simple de l’harmonie, parce qu’elle ne lui procurerait qu’une excitation, mais non la satisfaction de l’organe excité.

En une certaine mesure, notre musique moderne est sortie de l’harmonie toute nue. Elle s’est volontairement déterminée à une foule infinie de possibilités que lui offrait la variété des sons fondamentaux et des accords leurs dérivés. Tant qu’elle est restée fidèle à ses origines, elle n’a agi sur le sentiment qu’en le troublant et le déroutant, et ses manifestations les plus disparates, en ce sens, n’ont apporté de jouissance qu’à une espèce de gloutonnerie de l’intelligence musicale de nos artistes, mais non au profane dénué d’intelligence musicale. Le profane, dès qu’il n’affecte pas de comprendre la musique, ne se tient qu’à la surface la plus extérieure telle qu’elle s’offre à lui avec son charme purement sensuel de l’organe du chant [2] ; tandis qu’au musicien pur, il crie : « Je ne comprends pas ta musique, elle est trop savante pour moi. » —

Or, au contraire, il ne s’agit pas, en fait d’harmonie, lorsqu’elle doit résonner en tant que base purement musicale qui conditionne la mélodie poétique, [il ne s’agit] pas du tout d’intelligence dans le sens où l’entendent aujourd’hui les musiciens professionnels et avertis, qu’ignorent les profanes : l’attention n’a pas à être éveillée en tant qu’harmonie dans le débit de la mélodie, mais seulement sur la façon dont elle-même, silencieusement, conditionnerait l’expression caractéristique, mais ne ferait, par son silence, que créer des difficultés infinies à l’intelligence de cette expression, et même les réserver exclusivement au savant en musique, qui aurait à réfléchir sur soi-même ; — ainsi la résonance sonore simultanée de l’harmonie doit faire, sans en être requise, une impression abstraite qui détourne l’intelligence musicale artistique, et rende facilement et vite compréhensible au sentiment le contenu émotionnel musical de la mélodie, comme un [contenu] inconsciemment connais-sable, sans aucun effort qui en distraie.

Si donc, jusqu’ici, le musicien a tiré pour ainsi dire sa musique de cette harmonie, aujourd’hui le poète des sons ajoutera à la mélodie conditionnée par le vers parlé l’autre condition nécessaire, purement musicale, contenue en elle comme une harmonie résonnant simultanément, mais seulement pour rendre cette [condition] perceptible. Dans la mélodie du poète, l’harmonie est déjà contenue, mais sans être exprimée : elle conditionnait tout à fait, sans y prendre garde, l’importance tout expressive des sons, que le poète destinait à la mélodie Cette signification expressive que le poète avait inconsciemment dans l’oreille, était la condition déjà remplie, l’extériorisation la plus visible de l’harmonie ; mais cette extériorisation n’était que pensée pour lui, pas encore perceptible aux sens. C’est au sens, pourtant, à l’organe directement récepteur du sentiment, qu’il se confie pour sa rédemption ; et c’est à eux qu’il lui faut principalement amener l’expression mélodique de l’harmonie, en même temps que Jes conditions de cette extériorisation, car seule est une œuvre d’art organique celle qui renferme en soi-même à la fois le conditionnant et le conditionné, et les exprime de la manière la plus évidente. Jusqu’à présent, la musique pure nous a donné les conditions harmoniques ; le poète ne communiquerait dans sa mélodie que le conditionné, et demeurerait ainsi aussi inintelligible que l’autre [le musicien absolu], s’il n’exprimait pas complètement à l’oreille les conditions harmoniques de la mélodie justifiée par le vers parlé.

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Mais c’était le musicien seul, non le poète, qui pouvait inventer l’harmonie. La mélodie que nous avons vu le poète inventer d’après le vers parlé, étant conditionnée harmoniquement, était donc plutôt trouvée par lui qu’’inventée [3]. Les conditions [exigées] par la création de cette mélodie devaient donc être d’abord [mises] à sa disposition, avant que le poète pût la trouver comme déjà bien conditionnée. Avant que le poète pût la trouver pour sa rédemption, cette mélodie était déjà conditionnée par le musicien, de son propre pouvoir : il l’apporte maintenant au poète comme justifié harmoniquement, et seule la mélodie qui a été rendue possible par l’essence véritable de la musique moderne, est celle qui puisse racheter le poète, exciter comme apaiser son désir.

Poète et musicien sont ici comme deux voyageurs qui se sont séparés en un point, pour marcher de l’avant, chacun de son côté. Ils se rencontrent aux antipodes ; tous deux ont parcouru la moitié de la planète. Ils se questionnent mutuellement, et l’un dit à l’autre ce qu’il a vu et rencontré. Le poète parle des plaines, des mon-

tagnes, des vallées, des champs, des hommes et des animaux qu’il a rencontrés dans ses lointains voyages sur la terre ferme. Le musicien, qui a traversé les mers, décrit les merveilles de l’Océan, où il a été souvent sur le point de sombrer, et dont les profondeurs et les phénomènes horrifiques l’ont rempli d’un effroi voluptueux. Tous deux, excités par leurs récits mutuels, et déterminés irrésistiblement à connaître également ce que l’autre a vu, afin de vérifier l’impression reçue uniquement par la représentation et l’imagination, se séparent encore une fois, pour accomplir leur voyage autour du monde. Alors, ils se retrouvent finalement au point initial de départ ; le poète a parcouru, lui aussi, les mers, le musicien a traversé les con !inents. Maintenant, ils ne se sépareront plus, car tous deux connaissent la terre : ce qu’ils s’étaient naguère imaginé de telle et telle façon, en des rêves pleins de pressentiments, leur est maintenant devenu conscient dans sa réalité. Ils sont un ; chacun sait et ressent ce que l’autre sait et ressent. Le poète est devenu musicien, et le musicien poète : maintenant ils sont tous deux un homme artiste parfait.

Au point de leur première rencontre, après avoir parcouru la première moitié du monde, le dialogue entre poète et musicien était cette mélodie que nous avons maintenant sous les yeux, — la mélodie, dont le poète avait formé les dehors de son désir intime, mais dont le musicieni avait conditionné la manifestation selon ses expériences. Quand tous deux s’étaient serré la main pour une nouvelle séparation, ni l’un ni l’autre n’avait encore
 éprouvé ce qu’il se représentait, et ils s’étaient séparés de nouveau pour acquérir cette expérience persuasive. —

Considérons d’abord comment le poète se rend maître des expériences du musicien, qu’il effectue maintenant lui-même, mais guidé par les conseils du musicien, qui a cinglé sur la mer à bord d’un navire hardi, a trouvé la route vers la terre ferme, et lui a indiqué avec précision les routes sûres de navigation. Dans ce nouveau voyage, nous verrons que le poète deviendra absolument le même [homme] que devient le musicien dans son voyage sur l’autre moitié du monde que lui a tracé le poète ; et ainsi, ces deux voyages doivent être considérés comme un seul et même [voyage].

Si maintenant le poète se confie aux étendues immenses de l’harmonie, pour acquérir en elles la preuve de la vérité de cette mélodie que lui a « contée » le musicien, il ne trouve plus ces déserts sonores impraticables que le musicien avait d’abord rencontrés, dans son premier voyage ; mais, à son émerveillement, il rencontre la coque du navire de haut bord, d’une merveilleuse hardiesse, d’une rare nouveauté, d’une finesse infinie, et cependant d’une solidité gigantesque, que se créa l’autre navigateur, et que monte maintenant le poète, pour accomplir avec lui, en sécurité, le voyage à travers les flots. Le musicien lui a appris à tenir et à manœuvrer la barre, les propriétés des vagues, et toutes les inventions rares et ingénieuses nécessitées par une bonne traversée, au milieu des orages et des tempêtes. Le poète qui, jadis, s’était fatigué à arpenter pas à pas montagnes et vallées, se tient au gouvernail de ce navire qui fend majestueusement les flots, et il se réjouit de prendre conscience de cette force toute-puissante de l’homme ; du haut de son bord, il voit les vagues qui s’agitent avec force, comme les porteurs volontaires et fidèles de son noble destin, de ce destin de l’intention du poète. Ce navire est l’instrument puissant qui rend possible sa volonté la plus vaste et la plus puissante ; avec un amour fervent et plein de gratitude, il remercie le musicien qui l’inventa dans la rude détresse de la mer, et le lui mit entre les mains : — car ce navire, qui le porte en sécurité et règne sur l’infini des flots de l’harmonie, c’est l’Orchestre.

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L’harmonie n’est en soi qu’un concept : elle n’est réellement perçue par les sens que comme polyphonie, ou plus exactement encore comme [une] symphonie polyphonique.

La première et naturelle symphonie résulte de l’enchaînement harmonique d’une masse sonore homogène. La masse sonore la plus naturelle est la voix humaine, qui se manifeste selon le sexe, l’âge et le caractère individuel des hommes doués de voix, avec une ampleur variable et un timbre différent, et qui, par l’action simultanée de ces individualités, devient la révélatrice la plus naturelle de la symphonie polyphonique. Le lyrisme religieux-chrétien a découvert la symphonie : en elle, la pluralité humaine parut unie pour une expression émotionnelle dont l’objet n’était pas le désir individuel en tant qu’expression d’une personnalité, mais bien le désir individuel de la personnalité, renforcé infiniment par la manifestation de ce même désir par une communauté éprouvant les mêmes besoins ; et ce désir était l’aspiration ardente à se dissoudre en Dieu, la plus haute puissance, personnifiée en la représentation, de la personnalité individuelle qui désire, et qui s’encourageait, pour ainsi dire, à s’élever à cette puissance d’une personnalité qui se sentait nulle en elle-même, par le désir semblable d’une communauté et par l’amalgame harmonique plus intime avec cette communauté ; comme pour tirer d’une faculté d’accord commun, la force qui provenait de la personnalité nulle et isolée.

Mais, au cours de l’évolution de l’humanité chrétienne, le secret de ce désir devait devenir évident, et cela comme un contenu personnel purement individuel. En tant que personnalité purement individuelle, l’homme ne fixe plus son désir en Dieu comme en un pur concept, mais il développe l’objet de son désir en une réalité concrète présente, dont l’acquisition et la jouissance lui sont poétiquement facilitées. Avec l’extinction de l’esprit purement religieux du Christianisme, s’évanouit aussi une signification nécessaire du chant ecclésiastique polyphonique, et avec lui, la forme caractéristique de sa manifestation. Le contrepoint, première étape de l’individualisme pour s’exprimer de plus en plus clairement, commença à ronger de ses dents dures et tranchantes le tissu vocal simplement symphonique ; et il tourna ds plus en plus visiblement à une consonance artificielle de manifestations individuelles, intérieurement discordantes, et qui ne se soutenait que laborieusement. —

Dans l’opéra enfin, l’individu se libéra totalement de l’union vocale, pour se manifescer seul et autonome, comme une personnalité pure sans aucune entrave. I 01 ique les personnages dramatiques se livraient à un i h.ml à plusieurs parties, c’était — dans le style d’opéra proprement dit, — pour [faire] l’effet d’un renforcement matériel ou, — dans le style vraiment dramatique, — comme la manifestation simultanée, produite par l’art supérieur d’individualités continuant à s’affirmer caractéristique.

Or, si nous envisageons le drame de l’avenir, tel que nous devons nous le représenter, comme une réalisation de l’intention poétique que nous avons définie, nous constatons qu’il n’y a nulle part en lui place pour l’exibition d’individualités de rapports si subordonnés au drame qu’ils puissent n’être employés, dans le but d’une réalisation polyphonique de l’harmonie, qu’en les faisant participer musicalement et symphoniquement à la mélodie du personnage principal. Avec cette compression et ce renforcement des motifs et des actions, nous ne pouvons concevoir d’autres participants à l’action que ceux qui exercent sur celle-ci une influence décisive par leurs actes individuels nécessaires, — [nous ne pouvons concevoir] par conséquent que des personnages qui exigent un soutien symphonique à plusieurs parties pour l’objectivation musicale de son individualité, c’est-à-dire : une élucidation de sa mélodie, mais jamais — excepté seulement dans les cas rares, absolument justifiés et nécessités, exigeant une intelligence supérieure — ils ne peuvent servir à la justification purement harmonique de la mélodie d’un autre personnage. —

Même le Chœur, employé jusqu’ici dans l’opéra, d’après la signification qui lui était attribuée dans les cas les plus favorables, devra être supprimé dans notre drame. Lui aussi n’exerce une action vive et convaincante dans le drame, que quand la manifestation exclusive de la foule lui est absolument interdite. Une foule ne peut jamais nous intéresser, mais seulement nous abasourdir ; il n’y a que les individualités bien tranchées qui puissent captiver notre intérêt. C’est la tâche nécessaire du poète de donner à l’entourage plus nombreux, quand il l’exige, le caractère de l’intérêt individuel aux motifs et aux actions du drame, [du poète] qui partout travaille à se rendre le plus intelligible possible : il ne veut rien cacher, mais tout révéler. Quant au sentiment auquel il s’adresse, il souhaite de lui ouvrir tout l’organisme vivant d’une action humaine, et il n’y parvient que s’il lui présente cet organisme partout dans sa manifestation la plus ardente, et la plus spontanée.

Le milieu humain d’une action dramatique doit nous apparaître comme si cette action particulière et le personnage qui y est impliqué ne se manifestaient à nous, bien au-dessous de cet entourage, que par la raison que, dans ses rapports avec cet entourage, il ne nous est montré que d’un côté, du côté tourné vers le spectateur, et sous ce jour qui maintenant tombe ainsi sur lui.

Mais notre sentiment doit être déterminé dans ce milieu, de telle sorte que nous ne puissions être offensés par la supposition qu’une action et le personnage y impliqué qui s’y montrent à nous, soient de même force et capables d’intéresser si nous considérions le théâtre sous une autre face, éclairée d’une autre lumière. C’est donc que le milieu se doit présenter à notre sentiment de telle sorte que nous puissions attribuer à chacun de ses membres la capacité de motifs et d’actions ; celles-ci, dans des circonstances autres que celles mises sous nos yeux, captiveront notre intérêt, au même point que les [motifs et actions] proposés présentement à notre attention. Ce que le poète place à l’arrière-plan ne fait que s’écarter du point de vue nécessaire du spectateur, qui ne saurait envisager une action par trop touffue ; le poète ne lui présente donc qu’une physionomie de l’objet à ieprésenter, celle qui est facilement saisissable. —

Faire exclusivement du milieu un élément lyrique, ce serait le rabaisser absolument dans le drame, et ce procédé donnerait au lyrisme une situation tout à fait fausse dans le drame. Dans le drame de l’avenir, œuvre du poète, et qui se communiquera de l’entendement au sentiment, l’effusion lyrique doit être un résultat bien conditionné des motifs, condensés devant nos yeux, mais non pas, de ce point de départ, s’élargir sans motif. Le poète de ce drame ne veut pas procéder du sentiment à la justification de celui-ci, mais veut donner le sentiment même justifié par la raison : cette justification se produit d’elle-même à notre sentiment et se détermine par la- volonté des [personnages] agissants au devoir instinctivement nécessaire, c’est-à-dire au pouvoir ; le moment de réalisation en pouvoir de ce vouloir par le devoir inconscient est l’effusion lyrique dans sa force suprême, quand elle se rejette dans l’action. L’élément lyrique doit donc sortir du drame et apparaître comme nécessairement conditionné par lui. Le milieu dramatique peut donc ne pas apparaître absolument sous le vêtement du lyrisme, comme c’était le cas dans notre opéra, mais il doit s’élever jusqu’au lyrisme, et cela, en s’intéressant à l’action pour laquelle il n’a pas à nous convaincre comme ensemble lyrique, mais comme structure bien déterminée d’individualités indépendantes.

Ni ce qu’on appelle Chœur, ni les principaux personnages agissants eux-mêmes, ne doivent donc être employés par le poète comme des engins sonores, musicalement symphoniques destinés à mettre en lumière les conditions harmoniques de la mélodie. C’est seulement à l’apogée de l’effusion lyrique, ou quand tous les personnages agissants et leurs comparses participent pleinement à une expression unanime de sentiment, que le poète trouve à sa disposition la masse polyphonique vocale à laquelle il peut transmettre la manifestation de l’harmonie : mais ici, il restera à tâche au poète des sons d’assigner à la participation des individualités dramatiques dans l’effusion du sentiment, non pas un soutien purement harmonique de la mélodie, mais — et cela même dans l’accord harmonique, — de permettre à l’individualité du personnage de le faire, par une manifestation déterminée et, à son tour, mélodique ; et c’est ici que s’avérera son pouvoir supérieur, qu’il emprunte au point de vue de notre art musical. Mais le point de vue de notre art musical évolué indépendamment lui offre encore l’organe d’une capacité illimitée de rendre sensible l’harmonie, [organe] qui, outre qu’il satisfait la pure nécessité, possède en même temps en soi le pouvoir de caractériser la mélodie ; ce qui n’était pas absolument assuré à la masse vocale sym-phonique ; et cet organe, c’est l’orchestre.

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L’orchestre ne doit pas seulement être considéré, ainsi que je l’ai fait plus haut, comme le conquérant des vagues de l’harmonie, mais comme le flot même de l’harmonie maîtrisé. En lui, l’élément de l’harmonie, conditionnant la mélodie, devient, d’un moment de la pure et simple mise en évidence de cette condition, un organe collaborateur en tout temps caractéristique pour la réalisation de l’intention poétique. Dans l’orchestre, l’harmonie, pure et simple, de chose seulement pensée par le poète, au profit de l’harmonie, et destinée à ne pas être réalisée dans le drame par la même masse de son chanté où apparaît la mélodie, devient un être réel, et acquiert un pouvoir particulier, au moyen duquel il devient possible au poète de parfaire en réalité le drame.

L’orchestre est la pensée réalisée de l’harmonie à sa plus haute et sa plus vivante mobilité. C’est la condensation des membres de l’accord vertical pour une manifestation indépendante de leurs affinités familiales selon une direction horizontale où ils s’étendent avec la plus libre faculté de mouvement, — avec une faculté de mouvement qui a été prêtée à l’orchestre par son créateur, le rhythme de la danse. —

Nous avons à noter d’abord ici une chose importante, [c’est] que l’orchestre instrumental est, non seulement dans sa faculté d’expression, mais encore et bien décidément dans son timbre, une chose tout autre, toute différente que la masse sonore vocale. L’instrument musical est pour ainsi dire un écho de la voix humaine de par sa constitution ; de sorte que nous entendons seulement en lui la voyelle résolue dans le son musical, mais non plus la consonne qui détermine le mot. Dans cet affranchissement à l’égard du mot, le son de l’instrument équivaut à ce son originel de la voix humaine qui s’était condensé en voyelle véritable par la consonne, et était devenu langage — à l’encontre du langage moderne — dans ses unions ; ce langage n’a plus qu’une parenté émotionnelle, mais non intellectuelle, avec le véritable langage humain.

Or, ce langage purement sonore, totalement affranchi de la parole, ou demeuré étranger à l’évolution de la consonne a, dans le nôtre, acquis à son tour, de l’individualité des instruments par laquelle seule elle peut s’exprimer, une propriété caractéristique individuelle ; celle-ci est de même déterminée par le caractère en quelque sorte consonnant de l’instrument, comme le langage parlé l’est par l’articulation des consonnes. On pourrait dire qu’un instrument musical, dans son influence déterminante sur le caractère spécifique du son qu’il doit produire, est le son initial radical consonnant, qui se présente omme l’allitération reliant tous les sons qu’on en peut obtenir. L’affinité des instruments entre eux pourrait donc se déterminer très aisément d’après la similitude de ce son initial, selon qu’il se manifeste, pour ainsi dire, avec la prononciation plus ou moins molle ou rude de la consonne équivalente, qui leur était commune et égale à l’origine.

En réalité, nous possédons des familles instrumentales, ayant en commun un son initial primitif qui se différencia par degrés selon le caractère des membres de la famille, mais seulement par analogie, comme font dans la langue parlée, par exemple, les consonnes P, B et W [4] ; et de même que, dans le W, nous nous heurtons à une similitude avec le F, de même, on pourrait découvrir facilement l’affinité des familles d’instruments d’après un tronc aux ramifications très nombreuses ; leur répartition exacte, de même que la fonction caractéristique des membres dans leur réunion selon leurs analogies ou leurs contrastes, nous représentera l’orchestre avec un pouvoir verbal de beaucoup plus individuel que cela ne se voit aujourd’hui que l’orchestre est loin de nous être bien connu dans ses propriétés caractéristiques. Mais, cette connaissance, nous pouvons toutefois l’acquérir si nous intéressons l’orchestre à une collaboration plus intime avec le drame que ce ne fut le cas jusqu’ici, ne l’ayant guère employé, la plupart du temps, que comme un ornement de luxe.

La particularité de cette faculté de langage de l’orchestre, qui doit se déduire de sa caractéristique concrète, nous nous la réservons pour un exposé circonstancié sur l’effet de l’orchestre ; afin de nous préparer comme il faut à cette enquête, il importe, dès maintenant, de poser un principe : l’opposition complète de l’orchestre, dans sa manifestation purement concrète, avec la masse sonore des voyelles également dans sa manifestation purement concrète.

L’orchestre est aussi différent de cette masse sonore de voyelles que l’est la consonne instrumentale, indiquée plus haut, de la consonne verbale, et que, par conséquent, peut l’être la voyelle déterminée ou différenciée par tous les deux. La consonne instrumentale détermine une fois pour toutes chacun des sons que peut produire l’instrument, tandis que le son vocal du langage reçoit uniquement de l’initiale variable une couleur toujours autre, changeant à l’infini, grâce à quoi l’organe sonore de la voix parlée est le plus riche et le plus parfait, c’est-à-dire le plus organiquement conditionné de tous ; en regard de lui, le mélange le plus complexe imaginable des timbres de l’orchestre semble misérable, — expérience que ne peuvent d’ailleurs pas faire ceux qui entendent la voix humaine employée par nos chanteurs modernes, ceux-ci laissant tomber toutes les consonnes M ne retenant à leur gré qu’une voyelle préférée, afin d’imiter l’instrument d’orchestre, et se servant par concluent de cette voix comme d’un instrument, lorsqu’ils font entendre, par exemple, un duo entre un soprano et une clarinette, [entre] un ténor et un cor.

Si nous voulions oublier tout à fait que le chanteur auquel nous pensons est un homme représentant artistiquement des hommes, et réglant les élans artistiques de sa sensibilité sur la nécessité suprême d’humaniser la pensée, alors, la manifestation purement physique de son chant articulé dans sa variété individuelle infinie, telle qu’elle résulte de l’échange caractéristique des voyelles et des consonnes, se montrerait non seulement comme un organe sonore de beaucoup plus riche que l’instrument d’orchestre, mais encore comme tout à fait différent de lui ; et cette différence de l’organe sonore physique détermine en gros, une fois pour toutes, la place qu’il faut donner à l’orchestre vis-à-vis du chanteur acteur.

L’orchestre doit d’abord nous assurer que les sons de la mélodie, et le début caractéristique du chanteur sont fortement conditionnés et justifiés par l’harmonie musicale du ressort intérieur de laquelle ils dépendent. Cette faculté, l’orchestre l’acquiert, affranchie du son chanté et de la mélodie du chanteur et, en vue de justifier l’indépendance de sa propre manifestation, il sympathise lui-même avec les corps sonores harmoniques subordonnés, mais sans jamais rechercher un mélange positif avec le son chanté. Si nous faisons accompagner par des instruments une mélodie chantée par la voix humaine, de telle sorte que la partie essentielle de l’harmonie qui réside dans les intervalles de la mélodie reste en dehors du corps harmonique de l’accompagnement instrumental, et doive être complétée pour ainsi dire par la mélodie de la voix chantée, nous verrons à l’instant que l’harmonie est incomplète et que la mélodie n’est par conséquent pas entièrement justifiée harmoniquement ; car notre oreille, découvrant une grande différence entre le timbre physique des instruments, est inconsciemment séparée de ceux-ci, et ne perçoit que deux moments différents, une mélodie justifiée incomplètement harmoniquement, et un accompagnement harmonique partiel.

Cette expérience, d’une importance capitale, et qui n’a jamais encore été observée dans ses conséquences, pourrait nous expliquer en grande partie l’inefficacité de notre mélodie d’opéra, jusqu’à nos jours, et nous édifier sur maintes erreurs dans lesquelles nous sommes tombés en nous servant à l’orchestre de la mélodie de chant : nous voici arrivés au moment de pourvoir à cette intruction.

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Telle que nous l’avons employée dans l’opéra, et que, en l’absence du vers verbal qui se modelait nécessairement sur la mélodie, notre bon plaisir purement musical a reconstitué en la variant d’après notre vieille connaissance, la mélodie du lied populaire et de la danse, la mélodie absolue était toujours, considérée de près, une [mélodie] transposée des instruments à la voix humaine. Nous nous sommes toujours imaginé la voix humaine comme un insti ument d’orchestre, à ne la considérer qu’en particulier, et comme telle, nous l’avons fait entrer dans l’accompagnement orchestral. Cet entrelacement se produisait tantôt de la manière que j’ai indiquée, c’est-à-dire par l’emploi de la voix humaine comme un élément essentiel de l’harmonie instrumentale, — mais tantôt aussi de telle manière que l’accompagnement instrumental exposât à la fois la mélodie harmoniquement complémentaire ; en tout cas, l’orchestre était enfermé en un tout intelligible, et dans cette limitation il découvrait en même temps le caractère de la mélodie comme un caractère propre exclusif à la musique instrumentale.

Par l’adoption complète, jugée nécessaire, de la mélodie par l’orchestre, le musicien reconnut que cette mélodie était telle que, justifiée pleinement au point de vue harmonique par la seule masse sonore tout à fait égale, elle ne pouvait être exprimée que par cette masse seule. Dans le débit de la mélodie, la voix chantée sembla au-dessus de ce corps sonore bien complet, foncièrement superflue et placée monstrueusement comme une seconde tête qui le défigurait.

L’auditeur découvrit tout à fait instinctivement ce disparate : il ne comprenait pas la mélodie du chanteur avant de l’avoir perçue par l’oreille, libre des voyelles et consonnes verbales alternées, — obstruant cette mélodie, — qui le tranquillisaient dans l’intelligence de la mélodie absolue, — mais seulement exécutée par les instruments. [Le fait] que nos mélodies d’opéra favorites n’ont été comprises du public que lorsqu’elles furent parvenues à l’oreille de ce public grâce à l’orchestre, — exécutées dans les concerts et à la parade de la garde montante, ou sur un instrument harmonique, — et qu’elles ne lui devinrent familières que lorsqu’il put les chanter sans paroles, — ce fait notoire aurait dû nous éclairer depuis longtemps sur la conception entièrement fausse de la mélodie chantée dans l’opéra. Cette mélodie n’était une mélodie de chant qu’autant que c’était elle qui était chargée d’exprimer la voix humaine selon son caractère purement instrumental, — caractère que lui interdisaient visiblement de développer les consonnes et voyelles des mots parlés, et en vue duquel l’art du chant a pris en conséquence un développement tel qu’aujourd’hui, nous voyons nos chanteurs arrivés au comble, au sans-parolisme le plus éhonté.

Mais ce disparate entre le timbre de l’orchestre et celui de la voix humaine a été rendu dei plus évidents lorsque des compositeurs sérieux ont lutté pour la manifestation caractéristique de la mélodie dramatique. Tandis que, inconsciemment, dans l’oreille, ils n’avaient jamais comme lien unique de l’intelligibilité purement musicale de leurs motifs que cette mélodie instrumentale, décrite tout à l’heure, ils cherchaient à lui donner une expression exacte de signification particulière par un accompagnement instrumental extraordinairement artificiel, suivant note à note, mot à mot, et marquant l’accent harmonique et rhythmique ; et ils arrivèrent ainsi à construire des périodes musica’es où l’accompagnement instrumental avait été tissé d’autant plus soigneusement avec le motif de la voix humaine, que cette voix communiquait une mélodie insaisissable à l’oreille qui faisait inconsciemment un choix, [mélodie] dont les conditions d’intelligibilité étaient comprises dans un accompagnement qui, à son tour, délivré inconsciemment de la voix, demeurait en soi un inextricable chaos. Le mal, en somme, était double. Et d’abord : méconnaissance de la nature déterminante de la mélodie poétique chantée, à laquelle on substituait une mélodie absolue tirée de la musique instrumentale ; et secondement : méconnaissance de la différence complète du timbre [5] de la voix humaine et de celui des instruments de l’orchestre avec lesquels on a mêlé la voix humaine, en vue d’atteindre des fins purement musicales.

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Or, s’il nous importe ici de bien examiner le caractère particulier de la mélodie chantée, c’est en vue de nous la représenter encore une fois avec netteté, non seulement au point de vue du sens, mais encore au point de vue des sens, comme issue du vers parlé et conditionnée par lui. Son origine, quant au sens, réside dans l’essence de l’intention poétique luttant pour être intelligible au sentiment, — et, quant à sa manifestation concrète, dans l’organe de l’intelligence, le langage parlé.

De cette source conditionnante, elle s’avance dans son évolution jusqu’à la manifestation du pur contenu sentimental du vers, grâce à la dissolution des voyelles dans le son musical jusqu’au point où elle s’adresse par son côté musical à l’élément caractéristique de la musique ; ce côté y reçoit uniquement les moyens de la faire apparaître ; tandis qu’il tourne inébranlablement l’autre face de son aspect total vers l’élément significatif de la langue parlée qui la conditionne à l’origine. Dans cette attitude, la mélodie étant née du mariage de la poésie et de la musique, l’incarnation du moment d’amour de ces deux arts du vers devient le lien qui réunit et fait comprendre la langue parlée et celle des sons. Mais en même temps, elle est encore plus et se tient plus haut que le vers de la poésie et que la mélodie absolue de la musique, et son apparition, rédemptrice de ces deux côtés-ci, — conditionnée de ces deux côtés-là, ne devient possible pour le salut des deux arts, que si l’un et l’autre soutiennent et justifient comme telle leur manifestation plastique individuelle, indépendante, portée par les éléments conditionnants, mais bien distincte d’eux, sans jamais se laisser submerger par le mélange de leur individualité plastique avec cette manifestation.

Si maintenant, nous voulons nous représenter bien nettement l’exacte relation de cette mélodie avec l’orchestre, nous pouvons le [faire] au moyen de la comparaison qui va suivre.

Nous avons comparé tout à l’heure l’orchestre, conquérant des vagues de l’harmonie, à un navire de haute mer : nous l’avons fait comme si nous donnions le même sens à « traversée de la mer » et à « voyage à bord». L’orchestre, harmonie maîtrisée, ainsi que nous l’avons alors qualifié, nous pourrions le considérer maintenant, au moyen d’une nouvelle comparaison indépendante [6], en opposition avec l’océan, comme le lac limpide des pays de montagne, profond mais éclairé jusqu’en ses profondeurs par les rayons du soleil, et dont la contrée d’alentour est visible de tous les points du lac. —

Du tronc des arbres, qui avaient grandi sur le sol rocailleux, écroulé de toute éternité des hauteurs, a été construite la barque qui, fortement assemblée par des crampons de fer, bien assise avec son gouvernail et ses avirons, a été modelée selon une forme et un caractère [donnés], strictement en vue d’être portée par le lac et de pouvoir fendre ses eaux. Cette barque, lancée sur le dos du lac, mue par l’impulsion des rames, et dirigée par le gouvernail, c’est la mélodie du vers du chanteur dramatique, portée par les vagues sonores de l’orchestre. La barque est un objet tout autre que le miroir du lac, et encore a-t-elle été uniquement charpentée et ajustée eu égard à l’eau et bien adaptée aux qualités de celle-ci ; à terre, cette barque est absolument inutilisable. Tout au plus est-elle bonne, après avoir été débitée en planches, à alimenter le feu de la cuisine bourgeoise. C’est seulement sur le lac qu’elle vit heureuse, active et cependant toujours tranquille ; notre regard, lorsqu’il se porte sur ce lac, se dirige toujours vers elle, comme [vers] l’intention, se représentant humainement, de l’existence de ce lac ondoyant, qui nous apparaissait naguère sans objet. —

Mais le canot ne tremble pas à la surface du miroir des eaux : le lac ne peut que le porter suivant une direction assurée, pourvu qu’il se plonge dans l’eau de toute la partie convenable de son corps. Une planche légère, qui n’effleurerait que la surface du lac, serait ballottée de ci de là, sans direction, au gré du courant ; tandis qu’une lourde pierre coulerait au fond. Ce n’est donc pas seulement par une partie de son corps que le canot se plonge dans l’eau, [c’est] aussi le gouvernail qui, en déterminant sa direction, et l’aviron, en donnant le mouvement à cette direction, conservent cette force de direction et de mouvement, au seul contact de l’eau qui rend possible la pression effective de la main conductrice. À chaque mouvement en avant, l’aviron coupe profondément la surface sonore de l’onde ; soulevé hors de l’eau, il laisse retomber en gouttelettes mélodieuses le liquide qu’il a soulevé.

Je n’ai pas besoin de préciser cette comparaison pour m’expliquer sur la relation [impliquée] dans le contact de la mélodie verbale et musicale de la voix humaine avec l’orchestre ; car cette relation est absolument expo-■ée par analogie avec lui, — et cela nous éclairera encore mieux, si nous désignons la mélodie d’opéra connue de nous comme la vaine tentative du musicien [qui vou-drait] faire condenser les flots mêmes du lac en un l .mot transportable.

Il ne nous reste plus maintenant qu’à examiner l’orchestre comme un élément indépendant, différent en soi de toute mélodie du vers et de bien nous assurer de son aptitude à porter cette mélodie, non seulement en rendant manifeste l’harmonie qui la conditionne — du point de vue purement musical, — mais encore au moyen de sa propre faculté de langage, infiniment expressive, comme le lac portait la barque.

  1. Nachweisen, montrer ; beweisen, démontrer, prouver. Wagner, en rapprochant ces deux mots, souligne la première syllabe de beweisen.
  2. Je rappelle ici le « petit couteau » du castrat. (Note de Wagner. Cf. tome VII.)
  3. Gefunden, trouvé ; erfunden, inventé.
  4. On sait que le W allemand équivaut au V français, le V allemand équivalant à l’F français.
  5. Le musicien abstrait ne pouvait pas même découvrir l’absolue impossibilité de mélange des timbres du piano, par exemple, et du violon. Un des principaux éléments de sa joie de vivre artistique consiste à jouer les sonates pour piano et violon, etc., sans prendre garde qu’il ne fait entendre que de la musique seulement pensée, mais non de la musique véritable. Pour lui, l’oreille était dominée par la vue ; car ce qu’il entendait, ce n’était que des abstractions harmoniques auxquelles seules l’ouïe est sensible, tandis que la chair vivante de l’expression musicale restait absolument imperceptible. (Note de Wagner).
  6. Jamais l’un des termes d’une comparaison ne peut être absolument semblable à l’autre, mais la ressemblance ne se peut affirmer que dans un sens, non dans tous les sens ; jamais les objets de formation organique ne sont absolument égaux, mais seulement les objets de formation mécanique. (Note de Wagner).