Outamaro/Sourimonos

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Charpentier (p. 253-260).

SOURIMONOS[1]

Ces petites impressions, supérieures aux Nishiki-yé, ces impressions miraculeuses, imprimées sur un papier qui semble de la moelle de sureau, en ces couleurs d’une douceur, fondue, harmoniée, qu’aucune impression d’aucun peuple ne nous montre, et avec cet artistique, amusant, illusionnant gaufrage, et encore avec au milieu des tons enchantés, l’introduction si savante, si juste, si distinguée, de l’or, de l’argent, du bronze : ces images, qu’on le sache bien, non faites pour le public, mais pour de délicates réunions d’amateurs et de collectionneurs, ces images, composées dans l’amusement des sociétés de thé, et formant des feuilles détachées de livres d’amis[2], — ces images, Outamaro, pris par ces grandes impressions en couleur, y donna très peu de son travail et de son temps.

Donc on connaît un assez petit nombre de sourimonos d’Outamaro. Je signalerai toutefois :

Un grand sourimono, où l’on voit l’antique couple légendaire de Tagasago, imploré, à l’occasion des grands souhaits, par l’homme et la femme du Japon, et représenté avec leurs attributs porte-bonheur : la vieille femme avec le balai, le vieil homme avec cette espèce de fourche — trident, — qui lui sert à rassembler les aiguilles des pins.

Un autre grand sourimono représentant l’unique image théâtrale connue, qu’ait dessinée Outamaro.

Dans les représentations, en petit format, de la vie privée, c’est une « Visite du Jour de l’An », où une Japonaise remplit la coupe du visiteur de saké chaud ; c’est une Japonaise fumant accoudée à une petite table, et tournant la tête au chant d’un rossignol, perché sur une branche d’un arbre contre la maison ; c’est une courtisane causant avec sa kamourô ; c’est une autre courtisane en promenade suivie de ses deux kamourôs.

De ces courtisanes avec leurs kamourôs, M. Gonse aurait cinq ou six petits sourimonos.

Un petit sourimono comique nous fait voir un montreur de bêtes, faisant danser un singe, affublé de la tête en carton rouge de la « Danse du Lion », dans l’ébahissement d’un enfant qui le regarde.

Un autre petit sourimono de la même famille, est un sourimono, où une fillette caresse avec un semblant de peur, la tête articulée d’un tigre-joujou !

J’ai encore sous les yeux un grand sourimono, où sont trois femmes : une laveuse et deux courtisanes ; la laveuse peinte par Tsukimaro, une courtisane par Kounisada, et la courtisane à la ceinture argentée, par Outamaro.

Des sourimonos, il faut le dire, qui n’ont pas un caractère personnel, et où les gentillettes petites femmes pourraient parfaitement être prises pour des Hokousaï.

Enfin dans les sourimonos qui représentent des objets de la vie privée, dans ces sourimonos qui, pour moi, sont les sourimonos les plus parfaits, et où la réalité des petits objets artistiques à l’usage des mains japonaises, a été rendu d’une manière qu’on peut dire allant au-delà de la réussite artistique industrielle, je citerai un seul sourimono :

Un bouquet de chrysanthèmes de toutes couleurs, et où des chrysanthèmes blancs se détachent en gaufrures blanches sur le blanc du papier, se répandant d’un vase en sparterie au-dessus d’un kakémono à moitié déroulé, où l’on entrevoit une femme, à côté de la boîte qui le renfermait.

À ces sourimonos, il faudrait joindre les sept feuilles de cet album ou de ce livre introuvable complet, dont M. Gonse possède cinq planches et M. Bing deux planches.

Des impressions très délavées, et aux colorations quelquefois renfermées dans deux ou trois tons, quelquefois réduites à un vert de chicorée teintant seulement le paysage.

Voici les cinq planches possédées par M. Gonse :

1o. — Des chevaux paissant en liberté, au milieu desquels un cheval se roule par terre.

2o. — Un pêcheur à la ligne fumant, tout en surveillant trois lignes.

3o. — Une apparition de sennin dans le ciel, au-dessus d’une femme qui lave du linge.

4o. — Le piège aux renards.

5o. — Un daimio dormant sur son cheval, conduit par un paysan.

Voilà les deux planches possédées par Bing.

1o. — Une blanchisseuse battant le briquet, pour allumer sa pipette.

2o. — Un seigneur japonais accompagné de son bouffon.

Dans cette manière, M. Bing possède encore quelques impressions d’un faire brutal, d’un faire pareil à celui des sourimonos de Kioto, parmi lesquels, on remarque un vieillard, au milieu d’enfants couchés à ses pieds : une impression à l’imitation d’un dessin à l’encre de Chine, avec un rien de bleuâtre dans les rayures d’une pluie d’orage.

Une autre sourimono de la collection de M. Gonse, représente un vieillard de la noblesse, sous un costume chinois, causant avec un guerrier, appuyé sur sa lance, dans un paysage couvert de neige.

M. Hayashi croit que cette planche ferait partie de Guerriers célèbres, une suite publiée de 1773 à 1780, sous l’influence de Kiyonaga.

Citons encore dans la collection de M. Gonse, ces pièces tirées en sourimonos.

Trois enfants dansant autour d’une lanterne.

Un mendiant montrant un bras malade à une femme, qu’il cherche à apitoyer.

Un marchand de thé ou de boisson quelconque, établi sous un saule, en pleine campagne.

Les souhaits de bonne année aux femmes d’une Maison Verte, adressés derrière un paravent — par les manzaï, ces joyeux danseurs aux vêtements historiés de cigognes et de branches de pin : les deux emblèmes de la longévité, — et qui, le premier Jour de l’An, parcourent les rues, traversent les maisons, en criant : manzaï manzaï, ce qui veut dire : souhaits de dix mille années de vie.

Deux planches en longueur, tirées en sourimonos, de la collection de M. Gillot, dont l’une représente des hommes mesurant un énorme arbre qu’ils embrassent de leurs bras tendus ; dont l’autre représente une paysanne, donnant à téter à son enfant, tandis qu’un garçonnet, déjà grand jette sa ligne dans une rivière.

Ces deux planches, d’un travail un peu rudimentaire, et avec des figures quelquefois un peu traitées en charge, pourraient bien faire partie de la série des sept planches, possédées par MM. Gonse et Bing.

Avec ces deux impressions en sourimonos, Gillot possède une planche de chevaux en liberté un peu différente de celle de M. Gonse, et où des chevaux légèrement pourpres, légèrement bleuâtres, des chevaux ayant une parenté avec les chevaux de Delacroix, se livrent à un galop furibond, sous un ciel barré par un nuage rouge, fait, comme sur les boîtes en laque de Korin, par de grosses lignes, brisées et interrompues çà et là, qui les fait ressembler à une suite de longs tirets.

Je trouve encore, chez M. Gillot, une série de planches tirées en sourimonos, d’un format pas ordinaire, — des planches qui ont la forme allongée des kakemonos, et qui n’en sont pas.

L’un de ces sourimonos (H 32 c. L 15 c.) représente une apparition fantastique.

Sur le gris de la nuit qui met au haut du ciel une bande toute noire, une espèce d’homme-goule, dans une robe blanche de fantôme, sa longue chevelure inculte, balayée devant lui par le vent, brandit au-dessus de sa tête, la colère d’une main de squelette, tandis que de sa bouche sort une langue zigzagante, comme la mèche d’un fouet.

Le second sourimono (H 39 c. L 17 c.) représente un homme aux deux sabres, ayant l’air de se sauver du raccrochage d’une femme encapuchonnée qu’il a dans le dos.

Le troisième sourimono (H 32 c L 15 c) représente le groupe d’un homme et d’une femme ; la femme appuyée par derrière à l’épaule de l’homme, dans un gracieux mouvement, passe la main par dessus, pour ouvrir le parapluie que l’homme a devant lui.

Ces deux derniers sourimonos sont d’un grand style, d’une sobre coloration, un rien fauve, un rien bistrée, de cette coloration du beau temps du maître, en même temps qu’il apportait, dans le décor de ses robes, un archaïsme très reconnaissable.

  1. L’expression sourimono n’est pas absolument juste, c’est plutôt, comme le dit M. Gonse, tiré en sourimono : le sourimono classique, le sourimono d’Hokousai, d’Hokkei, de Gakutei n’existant pas encore. Maintenant je ne trouve pas que dans ces impressions-là, Outamaro ait le faire original de Gakutei dans les femmes, le faire original d’Hokkei dans les natures mortes.
  2. M. Bing fait observer dans une notule, que les sourimonos n’étaient pas exclusivement peints pour les membres des sociétés de thé, que très souvent, ils entouraient les poésies de lettrés avec lesquels les peintres vivaient en parfaite intimité, ils célébraient dans l’illustration d’un programme, le talent d’un auteur en renom, le talent de musicienne d’une guesha.