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dans la vie publique, lui auditeur au conseil d’état impérial, moi professeur à la Sorbonne ; mais, au-dessus de toutes ces diversités,

Il est des nœuds secrets, il est des sympathies
Par où, dès le berceau, les âmes assorties


se tiennent naturellement et s’unissent dès qu’elles se rencontrent. A partir de l’année 1818, plus nous vécûmes l’un près de l’autre, plus nous devînmes d’événement en événement, je pourrais dire de jour en jour, et presque sans nous l’exprimer, de plus sérieux et plus intimes amis.

Je trouve dans ses Notes biographiques, en tête de cette année, ce résumé de ses sentimens et de ses efforts :

« Je diviserai les douze années qui vont suivre en trois périodes distinctes :

« De 1818 à 1822, tous les efforts des gens de bien et de bon sens ont eu pour but de réconcilier la restauration et la révolution, l’ancien régime et la France nouvelle.

« De 1822 à 1827, tous leurs efforts ont eu pour but de résister à l’ascendant croissant de la contre-révolution.

« De 1827 à 1830, tous leurs efforts ont eu pour but de tempérer et de régler la réaction en sens inverse. On sait combien et pourquoi ils ont été vains. »

Ce résumé est l’expression vraie de la pensée et de la vie du duc de Broglie, comme de moi-même, de 1818 à 1830, pendant les trois phases qu’il distingue dans cette époque. Dans la première de ces phases, il travailla avec autant de zèle qu’aucun royaliste à concilier la restauration avec la révolution, et à fonder ensemble la royauté historique et la liberté politique de la France. Il était même enclin à se montrer plus prudent et plus patient dans cette difficile entreprise que plusieurs des plus fidèles partisans de la monarchie. Je lis dans ses Notes biographiques des réflexions que je me fais un devoir de consigner ici comme un éclatant témoignage de son équitable et courageuse impartialité à ce sujet. En novembre 1818, le duc de Richelieu revenait d’Aix-la-Chapelle, heureux et fier d’avoir décidé les puissances européennes à faire cesser l’occupation de la France plus tôt qu’elles ne l’avaient promis ; mais il trouva, en arrivant à Paris, la France et son cabinet très agités par les résultats des secondes élections de députés faites en vertu de la loi du 5 février 1817. Un nouveau coup de vent révolutionnaire avait soufflé sur quelques-unes de ces élections ; l’alarme était vive parmi les royalistes et la division flagrante dans le cabinet ; quelques-uns des ministres, le duc de Richelieu et M. Lainé en tête, étaient d’avis de modifier la loi électorale ; quelques autres, M. Decazes et M. le maréchal Gouvion Saint-Cyr, s’y refusaient