Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/103

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théorie, Racine contre. Boileau épuisant sa malignité sur les méchants ouvrages, était d’humeur aimable dans le cours ordinaire de la vie ; Racine, criblant d’épigrammes les mauvais auteurs, demeurait d’humeur maligne dans son domestique, même à l’égard de son meilleur ami.

Alceste me paraît bien avoir été aussi bourru contre les livres que contre les personnes et contre les personnes que contre les livres, et Molière ne se trompe guère en connaissance des caractères. Mais enfin, il est possible que le railleur de livres canalise sa malignité.

Pour mon compte, je connais un Pococurante. Pourquoi aime-t-il à lire les livres, puisque, jamais non pas une seule fois de sa vie, il n’en a trouvé un bon ? Pourquoi ? Évidemment parce qu’il prend du plaisir à les trouver mauvais. Cela est certain. Et ce sont des épigrammes continues, redoublées, triplées, renaissant indéfiniment les unes des autres. Et il semble ne lire que pour renouveler la matière épuisée de ses épigrammes. Naturellement il n’a jamais rien écrit. C’est, comme on a dit, un grand avantage que de n’avoir rien fait ; mais il ne faut pas en abuser. Il en abuse royalement. On demandait : « Pourquoi n’a-t-il jamais fait un livre ? » On répondit : « Parce qu’il l’aurait trouvé bon et que trouver bon un ouvrage l’aurait tellement désorienté qu’il en aurait fait une maladie ». Or, j’ai dit que je le connais ; il est extrêmement agréable et bienveillant envers