Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/111

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ment secret ? Corneille n’a jamais été très fier ni très satisfait d’avoir écrit Psyché.

Comment veut-on que Voltaire, toutes raisons à part d’animosité et d’amour-propre, trouve bonne la Nouvelle Héloïse et bon l’Émile ? C’est proprement, de par la nature différente des esprits, la chose impossible. Les auteurs ont toutes sortes de motifs de ne pas admirer, ni même goûter les ouvrages de leurs confrères, motifs dont l’amour-propre est seulement l’un, duquel, du reste, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il est le plus faible.

— Mais nous qui ne sommes pas auteurs, nous n’avons aucun amour-propre qui nous empêche de lire et de lire de la bonne façon. — Si bien ! Vous n’avez pas remarqué qu’un auteur est un ennemi ? Il l’est toujours. Il l’est toujours un peu. Si c’est un moraliste, il est un homme, d’abord qui s’arroge le droit de se moquer de vous. Vous vous en apercevez toujours, sourdement. S’il est un idéaliste, il vous présente des héros de vertu, de courage et de grandeur d’âme qu’il prétend être, du moins qu’il a l’air de prétendre être, puisqu’il était capable de les concevoir. Quand on peint son héros, on peint son idéal, et l’idéal que l’on a, on se croit toujours un peu, on se croit du moins par moment, de force à le réaliser. Tout au moins on a quelque air de cela. Poser un héros, c’est un peu se poser en héros. C’est une chose bien insupportable à beaucoup de lecteurs que cet air de supériorité. Si la petite lectrice