Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/118

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suranné ; il était un peu vieux ; on en avait assez de sa manière. Quelques années après, il a pris la place qu’il doit garder — ou à peu près ; car il y a toujours des fluctuations — qu’il doit garder indéfiniment. Dans ma jeunesse, vingt ans après 1848, Chateaubriand était ridicule. Il est remonté sur le trône vers 1875 et il y reste.

Être un lecteur retardataire est donc dangereux, c’est se préparer une série de déceptions ; c’est se réserver de lire toujours les auteurs dans un certain refroidissement de la température. « Employez vite ce remède, pendant qu’il guérit », disait un médecin, non pas sceptique, mais qui savait très au juste en quoi consiste la thérapeutique qui est surtout une suggestion. Lisez cet auteur pendant qu’il est bon, dirai-je ; plus tard il deviendra mauvais ; plus tard encore il est possible qu’il redevienne bon ; mais alors vous ne serez plus là pour le lire. N’attendez pas pour faire commerce avec lui le moment intermédiaire où il sera mauvais.

Cette sorte de timidité qui fait le lecteur retardataire est un des grands ennemis du plaisir de la lecture.

Son plus grand ennemi encore, c’est l’esprit critique, entendu dans un certain sens du mot, et je prie qu’on attende, pour bien entendre ce que je veux dire par là. Je suis forcé, ici, d’être un peu long.

La Bruyère a écrit une ligne qui est la plus fausse du monde comprise comme nous la comprenons