Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/121

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qu’artifice. Qui veut apprendre à connaître réellement quelque chose de nouveau, que ce soit un homme, un événement, un livre, fait bien d’adopter cette nouveauté avec tout l’amour possible, de détourner résolument sa vue de ce qu’il y trouve d’hostile, de choquant, de faux, même de l’oublier, si bien qu’à l’auteur d’un livre, par exemple, on donne la plus grande avance et que, d’abord, comme dans une course, on souhaite, le cœur palpitant, qu’il atteigne son but. Par ce procédé, on pénètre en effet la chose jusqu’au cœur, jusqu’à son point émouvant, et c’est justement ce qui s’appelle apprendre à connaître. »

Rien de plus juste, rien de plus certain ; il faut toujours, d’abord, être sympathique. La sympathie est la clef par laquelle on entre. Mais Nietzsche ajoute tout de suite : « Une fois là, le raisonnement fait après coup ses restrictions. Cette estime trop haute, cette suspension momentanée du pendule critique n’était qu’un artifice pour prendre à la pipée l’âme d’une chose. »

Il faut donc être un lecteur armé, qui désarme par méthode et pour comprendre, qui reprend ses armes pour discuter, qui désarme enfin de nouveau quand l’examen critique lui a prouvé qu’il est en face d’une chose dont la vérité ou la beauté est indiscutable.

Mais, tout compte fait, il faut être un lecteur critique, ayant, seulement, les méthodes de la critique juste, dans tous les sens de ce mot.