Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/123

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Par « modernes », Nietzsche entend ces artistes qui précisément, sont très intelligents, sont très critiques, raisonnent de leur art, surveillent leur art et font exactement ce qu’ils veulent faire. Le type, pour moi, en est Virgile ou Racine. Le type, pour Nietzsche, en est Euripide, non sans raison, ou Lessing, et il dit sur eux avec une singulière pénétration : « Euripide se sentait, certes, en tant que poète supérieur à la foule mais non pas à deux de ses spectateurs… D’eux seuls il écoutait la valable sentence portée sur son ouvrage, ou la réconfortante promesse de victoires futures lorsqu’il se voyait encore une fois condamné par le tribunal du public. De ces deux spectateurs, l’un est Euripide lui-même, Euripide en tant que penseur et non pas en tant que poète. On pourrait dire de lui que, à peu près comme chez Lessing, l’extraordinaire puissance de son sens critique, a sinon produit, au moins fécondé sans cesse une activité créatrice, artistique, parallèle. Doué de cette faculté, il s’était assis dans le théâtre et avait étudié ses grands devanciers… Et il y trouve de l’énigmatique et du mystère… Même dans le langage de l’ancienne tragédie, il y avait pour lui beaucoup de choses choquantes, tout au moins inexplicables… C’est ainsi qu’assis dans le théâtre, il réfléchissait longuement, inquiet et troublé, et il dut s’avouer, lui, le spectateur, qu’il ne comprenait pas ses grands devanciers… Dans cette angoisse, il rencontra l’autre spectateur (Socrate) qui ne comprenait pas la tra-