Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/133

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vous de vos lectures et des siennes. Il est quelquefois cassant ; il est quelquefois un peu trop admiratif et ami de tout le monde ; il est quelquefois, à votre goût, trop tourné du côté du passé ou au contraire trop attiré vers les nouveautés, et homme qui découvre tous les matins un nouveau chef-d’œuvre, ce qui lui fait oublier celui qu’il a découvert hier ; il est quelquefois l’homme qui n’a que de la mémoire et qui cite presque sans choix, et vous le trouvez monotone ; il est quelquefois l’homme qui, en parlant des autres, songe surtout à lui et qui, dans l’esprit des auteurs, ne trouve presque qu’une occasion de faire admirer celui qu’il a ; mais quels que soient ses défauts vous l’aimez toujours un peu : le lecteur aime celui qui lit et qui lui parle de lectures, et en vient même, par besoin de confidences intellectuelles à faire et à recevoir, à ne pouvoir plus se passer de lui.

Eh bien ! le critique est précisément cet ami que vous avez et, si vous n’en avez pas, il le remplace.

Vous n’avez pas tort d’aimer le critique.

Mais, et c’est ici que la question se pose dans ses vrais termes, quand faut-il lire les critiques ? À quel moment ? Le critique qui parle de Corneille, avant d’avoir lu Corneille lui-même, ou après que vous aurez lu Corneille ? Voilà le point.

J’ai souvent dit : un critique est un homme qui sert à vous faire lire un auteur à un certain point de vue et dans certaines dispositions d’esprit qu’il vous donne. Si cela est vrai, prenons garde ! Est-ce qu’il