Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/139

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jamais le lire avant. S’il est historien littéraire, il vous donnera tous les renseignements qui vous sont utiles, et dont quelques-uns vous sont indispensables sur le monde où vivait l’auteur, sur les hommes pour qui il a parlé, sur tout ce qui (son génie mis à part) l’a fait ce qu’il a été ; il vous introduira ainsi chez lui ; il vous fournira toutes les informations sans lesquelles vous ne comprendriez de lui à très peu près rien. Il est donc prouvé qu’il faut lire l’historien littéraire avant l’auteur à qui vous voulez vous attacher. L’introduction à l’intelligence de Corneille, c’est l’histoire du temps de Corneille, toute l’histoire du temps de Corneille et particulièrement l’histoire de la littérature française de 1600 à 1660.

Pour le critique, c’est très différent. Il est très vrai que, si vous le lisez avant l’auteur avec qui vous désirez lier commerce, il vous nuira beaucoup plus qu’il ne vous rendra des services. Vous ne pourrez pas, en lisant l’auteur, ou vous pourrez difficilement, vous débarrasser du point de vue du critique pour recevoir l’impression directe ; le critique sera comme un écran entre l’auteur et vous. Vous désiriez savoir quel effet ferait sur vous Montaigne, et vous ne savez pas si ce qui vous vient à l’esprit, en lisant Montaigne, vous vient en effet de Montaigne ou de Nisard ; vous vouliez connaître votre sensibilité modifiée par Montaigne ; vous connaissez une modification faite peut-être par Montaigne, mais préparée par Nisard ; vous