Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/154

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mêmes, rien, évidemment, n’est plus utile ; mais, même si nous n’avons pas cette intention, surprendre quelques secrets de l’art est s’affiner singulièrement l’esprit, ce qui est déjà un plaisir, et le rendre capable de mieux, de plus sûrement, de plus finement juger l’auteur que demain nous lirons pour la première fois. Relire apprend l’art de lire.

Les professeurs de littérature sont gens très intelligents, quelques-uns du moins, en choses de lettres. Cela vient de ce que, pour leurs élèves, devant leurs élèves, ils relisent sans cesse. Deux écueils, du reste ici. Charybde et Scylla sont partout. À force de relire et toujours à peu près les mêmes textes, le professeur en arrive quelquefois à y retrouver toujours les mêmes impressions et, quand il y trouve toujours les mêmes impressions, il les retrouve un peu affaiblies ou comme émoussées. Quelquefois aussi, il veut en rencontrer toujours de nouvelles, de toutes nouvelles, et il invente aux auteurs des sens inattendus, ou tout au moins des intentions qu’il n’est pas absolument certain qu’ils aient eues.

Vous n’êtes pas très exposés à l’un de ces dangers ni à l’autre, ne relisant pas autant qu’un professeur est obligé de relire. Il convenait pourtant de vous indiquer ces périls pour que vous ne relisiez pas trop. Prenez garde, quelque beau qu’il soit, au livre qui s’ouvre toujours de lui-même à la même page. Géruzez disait : « Je crains l’homme d’un seul livre, surtout lorsque ce livre est de lui. » Craignez un peu